AccueilLes recherches avec les enfants et les jeunes en difficulté : spécificités éthiques et méthodologiques

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Les recherches avec les enfants et les jeunes en difficulté : spécificités éthiques et méthodologiques

Research with children and young people in difficulty: ethical and methodological specificities

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Publié le jeudi 31 mars 2016

Résumé

Les recherches associant des personnes concernées par les situations enquêtées ne sont pas nouvelles en anthropologie, en sociologie, en sciences de l’éducation, ou en encore en géographie sociale. Face à des interrogations sur la capacité des chercheurs d’accéder et de rendre compte de terrains sensibles, des réflexions scientifiques ont émergé visant à réhabiliter les individus, comme sujets pensants et réflexifs, et les chercheurs, comme acteurs engagés, appartenant à « un monde commun » (Arendt, 1983, cité dans Payet et Laforgue, 2008).

Annonce

Numéro coordonné par

  • Pierrine Robin, Maitre de conférences en sciences de l’éducation, Université Paris Est Créteil, laboratoire Lirtes-Ouiep
  • Hélène Join-Lambert, Maitre de conférences en sciences de l’éducation, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
  • Marie-Pierre Mackiewicz, Maitre de conférences en sciences de l’éducation, Université Paris Est Créteil, laboratoire Lirtes-Ouiep

Argumentaire

Les recherches associant des personnes concernées par les situations enquêtées ne sont pas nouvelles en anthropologie, en sociologie, en sciences de l’éducation, ou en encore en géographie sociale. Face à des interrogations sur la capacité des chercheurs d’accéder et de rendre compte de terrains sensibles, des réflexions scientifiques ont émergé visant à réhabiliter les individus, comme sujets pensants et réflexifs, et les chercheurs, comme acteurs engagés,  appartenant à « un monde commun » (Arendt, 1983, cité dans Payet et Laforgue, 2008).

Ces recherches dans leur diversité partagent à des degrés divers, la remise en cause de deux axiomes fondamentaux sur lesquels se sont construites les disciplines scientifiques à savoir : la distance et la neutralité, opposées ici à la proximité et l’engagement. Si la distance a longtemps été présentée comme gage de neutralité, la trop grande distance entre le chercheur et son terrain pourrait également entrainer un risque d’intrusion, d’impossible accès, d’ethnocentrisme, ou de fascination. Les chercheurs se questionnent sur « les multiples effets de l’extériorité sociale, spatiale et, même si c’est moins développé, ethnoraciale que doit gérer l’enquêteur » (Marwan, 2011 p. 425). Inversement le chercheur, trop en proximité, pourrait s’exposer à la connivence, au défaut d’explicitation, à la nostalgie, à l’attirance et à la répulsion. On le voit, les biais attribués à la distance et la proximité sont parfois similaires, avec le risque, pour l’un, de la fascination, et pour l’autre, de l’attirance. De plus, bien des situations d’enquête sont faites à la fois de distance et de proximité. Aussi pour échapper au risque de l’une ou de l’autre, Hoggart (1970) recommande l’exercice « d’une autosurveillance » normative constante. En effet, comme le souligne Passeron (1970), à la lecture d’Hoggart, « c’est au terme d’un travail de soi sur soi dont les conditions sociales sont précisément celles du travail scientifique que Richard Hoggart a pu accéder à cette disposition faite à la fois de distance et de participation » (p 17).

Les interrogations sur l’association des personnes concernées à la démarche de recherche s’ancrent dans la longue tradition de la sociologie compréhensive qui opère un retour vers l’acteur (Sirota, 2006). Elles sont très présentes dans la figure du Sujet, dans le courant tourainien (Touraine, 1973), de même que dans l’expérience sociologique de Dubet (1994), de Dubet et Martucelli (1996) qui postulent les capacités critiques des individus au quotidien. Ces réflexions sont aussi à l’œuvre dans les études des classes populaires, portées par des sociologues, eux-mêmes issus des classes populaires (Hoggart, 1970 ; Mauger, 1991). Elles s’actualisent et se complexifient dans les recherches actions collaboratives, menées avec des professionnels ou des adultes, des enfants et des jeunes dans le champ du travail social et de l’éducation populaire (les chercheurs ignorants, 2015).

Dans le champ de l’enfance et la jeunesse, les recherches avec et par les enfants et les jeunes (Alderson, 2001, 2005 ; Kirby, 2002, Jones, 2004) émergent sur fond de critiques politiques des rapports de pouvoirs et de dominations (adulte versus enfant) dans la production des connaissances (Nieuwenhuys, 2004). Elles visent à répondre à plusieurs difficultés spécifiques liées à l’enquête de terrain avec des enfants et des jeunes (Danic, Delalande et Rayou, 2006) : l’enjeu est tout d’abord de conduire des recherches malgré la distance générationnelle ; le paradoxe est ensuite pour le chercheur d’entrer en contact avec les jeunes par la médiation d’institutions vis-à-vis desquelles les jeunes entretiennent une certaine méfiance ; la difficulté est enfin d’accéder à leurs réalités, tout en favorisant leur consentement éclairé et en leur permettant de s’approprier les enjeux de la recherche (Oppenchaim, 2011).

Elles posent aux chercheurs de multiples interrogations méthodologiques, éthiques, épistémologiques. Faut-il adapter les méthodes de recherches aux enfants et aux jeunes ou utiliser les mêmes méthodes que dans la recherche traditionnelle  (Punch, 2002) ? Comment adapter les méthodes sans tomber dans le risque de l’enfantisme dénoncé par Neveu (1999) ? N’y a t-il pas une contradiction entre la proposition de méthodes d’enquête spécifiques aux enfants et la dénaturalisation de la différence entre enfants et adultes (Razy, 2014) ? Quel degré d'autonomie et de responsabilité peut-on attendre des enfants et des jeunes lorsqu’ils sont associés à l’enquête ? Faut-il former les enfants et les jeunes à la démarche d’enquête ? La formation des enfants et des jeunes et leur participation à la recherche ne risquent-elles pas de les construire comme un groupe spécifique éloigné de leur groupe de pairs ? Comment contrôler les rapports de force et de domination latents dans la relation d’enquête entre les adultes et les enfants et les jeunes et à l’intérieur des groupes de pairs ? Quel est le statut des connaissances élaborées ? Pour qui doivent-elles être valides ? Doivent-elles faire l’objet de supports de présentation spécifiques ?

Ces recherches dans lesquelles des enfants ou des jeunes sont les premiers concernés, sont aujourd’hui plus fréquentes que la communauté scientifique ne l’atteste. Mais même lorsqu’elles se veulent participatives et centrées sur les enfants et les jeunes, la participation de ces derniers est souvent limitée à un rôle d'informateurs ou d'intervieweurs (Liebel, 2010). Plus rares sont les recherches qui associent les enfants et jeunes à la construction des questions de recherche et à l’analyse des données, les laissent juges du choix de la méthode d’enquête ou encore les impliquent dans le comité de pilotage de la recherche et dans le processus d’interprétation des résultats (Skelton, 2008). Plus rares encore sont les recherches portées de manière autonome par des collectifs d’enfants et de jeunes qui peuvent parfois faire appel et embaucher des chercheurs professionnels.

Ceci est encore plus vrai dans le champ de l’enfance et de la jeunesse en difficulté, marqué par une réticence générale à interroger et qui plus est à impliquer les enfants et les jeunes, d’autant plus vive quand ceux-ci sont en situation de maltraitance (Brown, 1998). Les enfants et les jeunes se trouvent pris dans des relations contraignantes aux institutions, en position d’asymétrie et de minorité par rapport aux professionnels (Robin, 2013) et au final « invisibilisés » dans le processus d’aide (Holland, 2001), tout en ayant eu à subir à de nombreuses reprises durant leurs parcours une injonction à se raconter en contrepartie de l’aide (Astier, 2006). L’enjeu principal est donc de recueillir une parole « inaudible » et « non libre » d’acteurs « affaiblis par une catégorisation de l’action publique qui particularise et naturalise leur place dans l’espace social »  (Payet et Laforgue 2008 : p 9). Comment dans ces conditions recueillir des récits d’acteurs ayant vécu tout au long de leur vie une multiplicité de situations d’entretien, habitués à répondre à une demande, à se conformer au modèle attendu, à constituer un projet même si ce dernier a un caractère factice ? Comment rendre compte de récits d’acteurs dont la parole est considérée comme illégitime, voire inintelligible ? Quels sont les enjeux et les spécificités au recueil de ce point de vue ? (Join-Lambert, 2015) Comment associer ces enfants et jeunes à ces recherches ?

Ce numéro vise à recueillir différents types d’expérience de recherche avec des enfants et des jeunes en situation de difficulté dont les auteurs s’efforceront de rendre compte de manière réflexive. Les recherches présentées peuvent être tant qualitatives que quantitatives. Différents degrés d’implications peuvent être envisagées : un travail avec des enfants et des jeunes comme enquêtés ou comme enquêteurs, l’association des enfants et des jeunes à l’enquête ou son analyse, la participation des enfants et des jeunes à l’élaboration des politiques de recherches et des plaidoyer politiques, la réalisation d’enquête autonome par des enfants et des jeunes. Les articles peuvent privilégier des interrogations éthiques, méthodologiques, épistémologiques ou encore relationnelles. Enfin, des contributions par des jeunes eux-mêmes participant ou réalisant des enquêtes seraient bienvenues.

Un numéro est en préparation sur des thématiques proches dans la revue Agora débats jeunesses. Les coordonnatrices des numéros se mettront en lien pour construire leur numéro et une communication commune sera pensée sur les deux numéros.

Envoi des propositions

Les chercheurs de toutes les disciplines sont invités à contribuer. Comme toujours, les articles ou expériences étrangères sont les bienvenus.

Conformément au projet éditorial de la revue, il est demandé de proposer des articles originaux, fondés sur des données de recherches empiriques et n'ayant pas déjà fait l'objet d'une publication dans des revues, ouvrages ou actes de colloques.

Les propositions d’articles (3000 à 5000 signes) préciseront, la problématique de l'article, la méthodologie de recherche, le déroulement de l’étude, la nature des données analysées, la procédure d’analyse, etc.

Ces propositions doivent être envoyées par courrier électronique au format doc ou rtf au secrétariat de la revue et aux coordinatrices du numéro 

au plus tard le 2 mai 2016.

Un accusé de réception sera adressé en retour. Une réponse sera faite aux auteurs au plus tard le 9 mai 2016.

Les auteurs dont la proposition a été acceptée seront invités à soumettre pour le 20 septembre 2016 au plus tard un article complet (25 000 à 70 000 signes) rédigé en français et lisible – au moins dans ses grandes lignes – par toutes les communautés scientifiques constitutives du champ, et par les professionnels qui y exercent. Cet article fera l'objet d'une évaluation anonyme par deux lecteurs désignés au sein du comité scientifique de la revue ou spécialistes du champ.

  • Hélène Cheronnet : helene.cheronnet@justice.fr
  • Pierrine Robin : pierrine.robin@u-pec.fr
  • Hélène Join-Lambert : helene.join-lambert@u-paris10.fr
  • Marie-Pierre Mackiewicz : marie-pierre.mackiewicz@u-pec.fr

Dates

  • lundi 02 mai 2016

Fichiers attachés

Mots-clés

  • enfant, jeune en difficulté

Contacts

  • Hélène Cheronnet
    courriel : helene [dot] cheronnet [at] justice [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Hélène Cheronnet
    courriel : helene [dot] cheronnet [at] justice [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les recherches avec les enfants et les jeunes en difficulté : spécificités éthiques et méthodologiques », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 31 mars 2016, https://doi.org/10.58079/us0

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