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Bitches! The female of the species in biology

Chiennes

Comment s'en sortir? journal issue 5, 2017

Revue « Comment s'en sortir ? » n°5, 2017

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Published on Tuesday, July 19, 2016

Abstract

Il y a dans l’objectivation des « femelles » de toutes espèces par les sciences biologiques et médicales modernes, le fait d’une production savante mise en crise par l’altérité animale, charnelle. La folie classificatoire qui entoure les corps, le vivant objectivé, n’aura probablement jamais été aussi active que concernant ces catégorisations sexuelles, raciales et spécistes. Qui sont ces corps que l’on subsume sous la catégorie de femelle ?

Announcement

Argumentaire

Le 6 avril 1858, le professeur Danyau, faisant le point sur les recherches portant sur la fièvre puerpérale à l’Académie de médecine de Paris, signalait que des épidémies de fièvre s’étaient propagées jusqu’aux « femelles mêmes des animaux domestiques » ; notamment aux chiennes à Londres en 1787, et aux poules pondeuses à Prague en 1835 (Danyau 1858). La nouvelle fit le tour du monde et devint un « fait scientifique » mentionné par la suite dans l’ouvrage de référence sur l’histoire médicale de la fièvre puerpérale de Tarnier (1858). À première vue anecdotique, ce fait divers est cité à plusieurs reprises car il permet aux médecins de démontrer scientifiquement, sur la base de cas empiriques, à la fois l’origine « toxique » et le caractère contagieux de la fièvre puerpérale. Or, parmi les femelles qui succombent à cette maladie, et que les médecins signalent, il y a des oiselles : c’est-à-dire des animaux sans utérus, qui n’accouchent pas et qui ne peuvent avoir ni pathologie ni physiologie de la puerpéralité. Le quiproquoanecdotique se transforme dans l’histoire sociale de la maladie en une épidémie mortifère. Le corps des femelles étant considéré comme intrinsèquement porteur d’un pouvoir pathogène, pendant longtemps, les médecins produiront une étiologie féminine réductionniste où la femellité constitue le facteur endogène de la quasi totalité des manifestations ou épisodes morbides des corps femelles[1].

Ainsi, il y a dans l’objectivation des « femelles » de toutes espèces par les sciences biologiques et médicales modernes, le fait d’une production savante mise en crise par l’altérité animale, charnelle. La folie classificatoire qui entoure les corps, le vivant objectivé, n’aura probablement jamais été aussi active que concernant ces catégorisations sexuelles, raciales et spécistes. Qui sont ces corps que l’on subsume sous la catégorie de femelle ?

Le signifiant femelle transcende l’utérocentrisme et la classe des mammifères, et constitue un fait total transpeciste : la constitution anhistorique et a-critique d’ungroupe naturel – celui des femina – et de leur naturelle ou nécessaire subordination, autorise tous les usages flous, allusifs, a-démonstratifs, que cette catégorie rend possibles, comme toutes les analogies douteuses qu’elle alimente : entre le « règne animal » et « humain », entre « la nature » et « la société », entre « la biologie » et « la culture », etc.

Des usages hétérogènes de la catégorie femelle, on en connaît en histoire de la médecine et des sciences plusieurs exemples, mais rarement la catégorie même a fait l’objet d’une recherche critique en histoire et philosophie féministe des sciences, en théorie féministe ou dans les recherches sur le genre et la sexualité – notamment, dans le monde francophone. Dans ce numéro de CSS, nous souhaiterions donc revenir à la fois sur les généalogies de cette catégorie, sur l’historicisation des tentatives critiques dont elle a pu faire l’objet ; plus encore, nous voudrions travailler sur le pouvoir de symbolisation et de fétichisation de la domination/soumission que la catégorie femelle engendre, comme sur sa puissance de dissidence et de résistance. Pour ce faire, il nous semble que parmi les femelles, l’une des figures les plus à même de se laisser disséquer par la critique est celle de la chienne.

La chienne est notre cyborg. Elle nous permet d’une part, d’ouvrir l’enquête en histoire des sciences en abordant les questions ouvertes par les débats et recherches qui se réclament de l’antispécisme et du féminisme (et qui portent notamment sur le lien entre antisexisme, antiracisme et antispécisme), ou encore du véganisme radical ; mais aussi de renouer avec les premiers lieux de mobilisation du féminisme dit de la première vague, en revenant sur les solidarités originelles de la lutte contre la vivisection, la maltraitance animale et la socialisation féministe, par exemple.

D’autre part, la figure de la chienne nous permet d’aborder les généalogies sémiologiques des bitches : comment la catégorie de chienne/bitch constitue-t-elle historiquement, une catégorie infâmante ? Catégorie qui a servi à racialiser certaines femmes en les ramenant à une présumée animalité : animalité résidant à la fois dans le fait de les considérer comme des reproductrices, des « pondeuses », et mieux stigmatiser leurs familles « nombreuses », leur « portée » et leur « progéniture » ; animalité comprise également comme renvoyant à une sexualité bestiale et à une disponibilité sexuelle qui s’apparentent à de la lubricité – sauvagerie qu’il faudrait donc « domestiquer ». Comment aussi cette catégorie a-t-elle fait l’objet de réappropriations resignifiantes ? Soit dans la culture hip-hop, soit comme antiparastase dans la culture queer, féministe prosexe et postféministe.

En dépit du fait que le débat demeure ouvert sur les usages et mésusages debitch et sur les limites de ces re-significations (Morgan 2008), ces deux perspectives permettent selon des cheminements différents de poser à nouveaux frais la question des solidarités féministes en déplaçant les termes mêmes dans lesquels cette question est traditionnellement posée. Il s’agit ici d’appréhender les solidarités entre femelles en considérant que les frontières d’espèces, comme les lignes de couleurs et les antagonismes de classe, les normes de sexualité, de genre, d’âge et de validité, parmi d’autres rapports de pouvoir propres au capitalisme et à l’impérialisme contemporains, participent d’une idéologie qui voile et rend à proprement parler méconnaissables nos conditions matérielles d’existence et donc d’exploitation, d’aliénation et de subordination, mais aussi les possibles subversifs.

Les frontières d’espèces sont non seulement des barrières nominalistes mais, de fait, elles relèvent d’un mode de catégorisation obsolète qui ne dit plus grand chose de la réalité sociale que nous vivons, ni des liens qui nous attachent et nous unissent : nous exploitons, incorporons, chaque jour, d’autres femelles et chaque jour, d’autres femelles nous incorporent ; chaque jour, nous coopérons aussi avec d’autres femelles. Sommes-nous prêtes à nous solidariser pour organiser une libération radicalement femina ? Le récit de la relation qu’entretiennent Donna Haraway et Cayenne en témoigne (Haraway 2003) : d’autre narrations féministes sont possibles, d’autres amitiés nourrissent nos quotidiens, d’autres affections ressourcent nos luttes. Or, pour penser, dans cette autre dimension, un féminisme anthropodécentré il faut d’abord faire le bilan.

Les chiennes, les vaches, les brebis, les poules, les truies etc. – celles qui meurent, qui succombent dans les abattoirs, les élevages en batteries, les cages, les camions de transport, qui sont exploitées jusqu’à l’épuisement pour produire des petits qui leur seront arrachés pour être dévorés, nos sœurs à qui on suce le lait… Celles que l’on dissèque, celles sur qui on teste des shampoings, des rouges à lèvres, des médicaments, des vaccins, etc., nos sœurs qui agonisent dans des laboratoires, les lapines, les souris, les rates, les couleuvres, les lézardes, les grenouilles, les ouistities ou les chimpanzées… Celles sur le dos de qui se fabriquent les grands récits de la différence sexuelle et de la reproduction sexuée, celles que l’on dit « hermaphrodites » pour mieux en faire des « exceptions », celles à qui l’on prête un genre, un sexe, dans une langue mais pas dans une autre pour renforcer leur pouvoir pathogène, nos sœurs les bactéries (Van Eseltine 1933). Celles qui sont constamment scrutées, chassées, piégées, élevées, pour leur beauté, pour leur fourrure, pour leur peau – nos sœurs, les biches, les gazelles, les tigresses, les oursonnes, les panthères, les louves, les renardes, les zibelines, les belettes, les inséparables, les perruches, les pythons… Nos sœurs enfermées dans des zoos, nos sœurs emprisonnées dans des élevages de reproduction – les chiennes à la mode et celles qui attendent dans des refuges. Celles qui deviennent des allégories hypersexualisées une fois leur nom assigné à des humaines – nos sœurs, les chattes, les cochonnes, les baleines, les mantes religieuses, les punaises, les couguars, les vipères.

Solidarité entre toutes les femelles.

Nous sommes toutes des chiennes.

[1] La fièvre puerpérale devient ainsi une maladie féminine et il faut attendre la recherche d’Ignace Semmelweis et, bien plus tard encore, son acceptation par la communauté de médecins, pour que la fièvre entre dans l’histoire des grands récits de l’héroïsme médical des « découvreurs » et soit reconnue comme une infection – cette recherche menée au service d’obstétrique de l’Hôpital Général de Vienne marque la naissance de la prophylaxie et devient un modèle de l’inférence inductive dans les sciences expérimentales pour l’histoire des sciences et l’épistémologie classiques (cf. Carl Hempel, Eléments d’épistémologie, 1972) ; elle met aussi un terme définitif à l’histoire de la fièvre puerpérale qu’il s’agit ici de rouvrir.

Références

DANYAU M., De la fièvre puerpérale: de sa nature et de son traitement, communications à l’Académie Impériale de Médecine, J.B. Baillière et Fils, 1858.

DEP, Deportate, esuli, profughe. Rivista telematica di studi sulla memoria femminile, n. 23, luglio 2013 : Femminismo e questione animale.

MORGAN Joan, « Fly-Girls, Bitches, and Hoes. Notes of a Hip Hop Feminist »Social Text, 45, 1995, pp. 151-157 ; Tricia Rose, Hip Hop Wars : What We Talk about When We Talk about Hip Hop and Why it Matters, New York, Basic Civitas, 2008.

HARAWAY Donna J., The companion species manifesto, dogs, people, and significant otherness, 2003 .

KEMMERER Lisa, Sister Species : Women, Animals, and Social Justice, University of Illinois Press, 2011

KIM Claire Jean, Dangerous Crossings: Race, Species, and Nature in a Multicultural Age, Cambridge University Press, 2015.

SLICER Deborah, “Your Daughter or Your Dog”, in Josephine Donovan-Carol J. Adams (eds.), The Feminist Care Tradition in Animal Ethics. A Reader, Columbia University Press, New York 2007 pubblicato per la prima volta in “Hypatia”, VI, 1, 1991, pp. 108-124.

TARNIER Stéphane, De la Fièvre puerpérale observée à l’hospice de la Maternité, J.-B. Baillière et fils, Paris, 1858.

Van Eseltine G. P., « The Gender of Generic Names of Bacteria », J Bacteriol, 1933, Dec., 26 (6), pp. 569-71.

Modalités de participation

Date limite de réception des propositions d’article : 1 septembre 2016

  • Notification de la première phase de sélection : 15 septembre 2016
  • Soumission des articles complets pour double évaluation à l’aveugle : 15 janvier 2017
  • Notification de la décision : 1 mars 2017
  • Publication :juin 2017
  • Les articles ne devront pas dépasser 7 000 mots, références incluses.

Direction du numéro

  • Elsa Dorlin : Prof. ; Paris 8
  • Francesca Arena: Post doc; Université de Genève.

Le comité scientifique de la revue

  • Sara AHMED (Professor in Race and Cultural Studies, Department of Media and Communications, Goldsmiths, University of London)
  • Judith BUTLER (Maxine Elliot Professor, Departments of Rhetoric and Comparative Literature and Co-director of the Program of Critical Theory, University of California, Berkeley)
  • Vinciane DESPRET (Chef de travaux de philosophie, Université de Liège/MéThéor)
  • Didier ÉRIBON (Professeur de philosophie et de sociologie, Université d’Amiens/CURAPP-ESS)
  • Carla FRECCERO (Professor and Chair of Literature and History of Consciousness, Professor of Feminist Studies, University of California, Santa Cruz)
  • Nacira GUENIF-SOUILAMAS (Professeure en Sciences de l’éducation, Université Paris 8/EXPERICE)
  • Jack HALBERSTAM (Professor of American Studies and Ethnicity, Gender Studies, and Comparative Literature, University of Southern California)
  • Martine LEIBOVICI (Maître de Conférences HDR en philosophie politique, Université Paris 7/CSPRP)
  • Achille MBEMBE (Professor of Philosophy and Political Science, University of the Witwatersrand)
  • Trinh T. MINH-HA (Professor of Gender & Women’s Studies and Rhetoric ; Vice Chair for Research, Gender and Women’s Studies, University of California, Berkeley)
  • Chantal MOUFFE (Professor of Political Theory, School of Social Science and Language, and Department of Politics and International Relations, University of Westminster, London)
  • Paul B. PRECIADO (Philosophe ; directeur du projet d’investigation et de production artistique « Technologies du Genre » dans le Programme d’Études Indépendantes du Musée d’Art Contemporain de Barcelone)
  • Tuija PULKKINEN (Academy professor of The Politics of Philosophy and Gender, Academy of Finland ; Professor of Gender studies, Department of Philosophy, History, Culture and Art Studies, University of Helsinki)
  • Judith REVEL (Professeure de philosophie,  Université Paris X/Sophiapol)
  • Pinar SELEK (Sociologue, en résidence au Collegium de Lyon)
  • Susan STRYKER (Associate Professor of Gender and Women’s Studies, Director of the Institute for LGBT Studies, University of Arizona)
  • Chandra TALPADE MOHANTY (Professor of Women’s and Gender Studies, Sociology, and the Cultural Foundations of Education and Dean’s Professor of the Humanities ; The College of Arts and Science, Syracuse University)
  • Eleni VARIKAS (Professeure émérite en sciences politiques et études de genre, GTM-CRESPPA, Université Paris 8)

Date(s)

  • Thursday, September 01, 2016

Keywords

  • animal, femelle, féminisme, genre, sexualité, race, espèce, antispécisme, véganisme, maltraitance animale, libération animale

Contact(s)

  • Revue Comment s'en sortir ?
    courriel : redaction [at] commentsensortir [dot] org

Reference Urls

Information source

  • Elsa Dorlin
    courriel : redaction [at] commentsensortir [dot] org

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Bitches! The female of the species in biology », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, July 19, 2016, https://doi.org/10.58079/vf1

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