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Teaching conditions

Les conditions enseignantes

"Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs"

« Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs »

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Published on Wednesday, August 03, 2016

Abstract

Sous l’effet de la formation des États-nations européens depuis le XIXe siècle, des constructions nationales des pays décolonisés depuis les années 1960, puis de la mise en place progressive d’un ordre éducatif mondial piloté par les institutions internationales depuis les années 1990, le développement des systèmes scolaires a attiré l’attention des chercheurs en sciences sociales sur les enseignants. Ce numéro mettra en dialogue des recherches de sciences sociales ayant trait aux conditions enseignantes, que nous proposons de considérer sous l’angle du travail d’une part, du statut social et de l’identité professionnelle d’autre part – ces deux axes n’étant pas exclusifs l’un de l’autre.

Announcement

Argumentaire

Sous l'effet de la formation des États-nations européens depuis le 19e siècle, des constructions nationales des pays décolonisés depuis les années 1960, puis de la mise en place progressive d'un ordre éducatif mondial piloté par les institutions internationales depuis les années 1990, le développement des systèmes scolaires a attiré l’attention des chercheurs en sciences sociales sur les enseignants. Groupe professionnel diplômé ayant prise sur la société, spécialisé.e.s sur l’humain, le plus souvent autonomes dans la réalisation de leurs tâches et impliqué.e.s collectivement, les enseignant.e.s ont coutume d’être considéré.e.s comme des moteurs du changement social. Ils/elles ont eu partie prenante avec la nationalisation des sociétés, l’appropriation et la contestation, au quotidien ou dans le cadre syndical, des normes qui sous-tendent les politiques scolaires et les conditions d’exercice de leur profession (Rockwell, 2007, 2009 ; Bidou, 1984 ; Schweisguth, 1983). L’École et l’enseignement relèvent en effet d’un champ social régi par des plans, des programmes, des « cahiers des charges » élaborés par les institutions nationales et locales, en partie sous les injonctions – ou la tutelle – d’instances internationales. Évaluation, efficacité, modernisation et rhétorique multiculturaliste en constituent les principales normes, déclinées et appropriées de façon différenciée selon les contextes nationaux. Ces normes, qui concernent directement le travail au quotidien, vont de pair avec des exigences renouvelées en matière de qualification et de « professionnalisation ».

Il nous semble donc opportun de réfléchir aux transformations des « conditions enseignantes »1  au regard de ces évolutions. Soucieux de la profondeur historique des phénomènes observés, nous proposons de rassembler et de mettre en regard des recherches menées dans les pays européens, en Amérique du nord, en Amérique latine, en Asie et en Afrique – qui renvoient à des contextes socio-historiques dont l’hétérogénéité nous semble heuristique. Ce numéro mettra par conséquent en dialogue des recherches de sciences sociales ayant trait aux conditions enseignantes, que nous proposons de considérer sous l’angle du travail d’une part, du statut social et de l’identité professionnelle d’autre part – ces deux axes n’étant pas exclusifs l’un de l’autre.

Axes thématiques

1. En premier lieu, nous nous intéressons à la sociologie des groupes professionnels enseignants en ce qu’elle renseigne les questions relatives à leurs statuts sociaux et identités professionnelles : quelles en ont été les transformations et recompositions au cours des dernières décennies ? Quelles sont aujourd’hui les formations, trajectoires et « carrières morales » (Goffman, 1968) des membres de ces groupes ? Qu'est-ce qui les distingue d’un contexte socio-historique à l’autre ? Qu’en est-il du recrutement des enseignants ? La féminisation de la profession à l’œuvre dans les pays occidentaux (Van Essen & Rogers, 2003) s’observe-t-elle ailleurs ?

Si un groupe professionnel renvoie à un ensemble flou et changeant de travailleurs/euses exerçant une activité ayant le même nom, et reconnu comme tel en dépit de leur hétérogénéité interne (Demazière & Gadéa, 2010), se pose alors également la question de leur statut social et des représentations liées au groupe. Quelles missions leur sont socialement attribuées ? Comment ont-elles évolué ? En retour, comment ces enseignant.e.s les conçoivent-ils/elles ? Au sein de quels espaces de socialisation forgent-ils/elles leurs conceptions ? Mais encore, quelles sont les hiérarchies internes, explicites et implicites, qui structurent le groupe ? Comment sont-elles lisibles et à quelle(s) histoire(s) renvoient-elles ? Les contributions pourront aussi se demander comment le genre structure les groupes enseignants, oriente les formations, les trajectoires et les identités professionnelles et sociales.

Par ailleurs, les normes globales qui régissent aujourd’hui le champ éducatif préconisent une plus grande « professionnalisation » des enseignant.e.s, des niveaux de formation requis plus élevés, des compétences attendues multipliées et formalisées par des référentiels (Lang, 2004), au risque souvent de mettre les travailleurs/euses « sous tension » (Tardif, 2012). Or, dans de nombreux pays du Sud, l'impératif de la scolarisation universelle avec des moyens limités tend à réduire les niveaux de qualification requis pour les recrutements, afin de pallier le manque d’enseignant.e.s. Ces situations contrastées permettront, à coup sûr, de penser à nouveau les normes éducatives contemporaines et la façon dont elles impactent les conditions enseignantes. Elles font parfois l’objet de résistances, organisées ou non, qu'il convient d'interroger même si, dans certains contextes, la politisation et l’engagement collectif des enseignant.e.s s’affaiblissent ou se transforment, en lien avec les dynamiques intergénérationnelles des populations (Llobet, 2011 ; Spire, 2010), et même si leur utilitarisme peut surprendre (Geay, 2010). 

2. En second lieu, les conditions enseignantes seront envisagées sous l’angle du travail. Au niveau international, le travail des enseignants intéresse de plus en plus la communauté scientifique. Alors que s’éloigne l’idée d’une profession qu’on ne rejoindrait que par vocation (Barrère, 2002 ; Cau-Bareille, 2014 ; Tardif et Levasseur, 2010 ; Tardif et Lessard, 1999), les contributions proposées pourront se pencher sur les formes de dissociation des prescriptions et de la dimension « réelle » du travail enseignant. Dans de nombreux pays du Sud, par exemple, enseigner à des classes de centaines d'élèves sans matériel pédagogique suffisant est difficilement conciliable avec la qualité de l'éducation demandée par les institutions internationales. Et au-delà des conditions matérielles, les normes imposées par les pays occidentaux et les organismes internationaux requièrent de chaque enseignant qu’il ne soit plus « un fournisseur de solutions [comme autrefois, mais plutôt] quelqu’un qui pose des questions, ou comme un créateur » (Bernstein, 1967/1997 : 159) de situations qui sollicitent la réflexion de l’enfant : en quoi cela change-t-il, dans les pays du Nord et ceux du Sud, le travail des enseignants, leur place dans la société, voire leur recrutement social ? De manière générale, les enseignant.e.s investissent leurs métiers animés par des motivations et selon des registres qui leurs sont propres. De quelle manière le travail enseignant est-il concrètement mis en œuvre ? Avec quels moyens ? Sur quelles temporalités et sous quelles formes de contrôle ? Quel sens les enseignant.e.s donnent-ils/elles de ce fait à leurs pratiques professionnelles, routinières et exceptionnelles ? Les articles proposés pourront s’intéresser à leurs subjectivités telles que saisies en situation, par l’enquête.

De plus, ces figures de l’entre-deux ont longtemps bénéficié d’ancrages sociaux multiples, ce qui leur a souvent permis d’assumer un véritable travail de médiation entre État et société (Bénéï, 2008 ; Salaün, 2013 ; Wilson, 2001). Ils ont pu même parfois occuper les plus hauts postes politiques, comme dans la France des années 1920 ou dans les pays africains nouvellement indépendants. Qu’en a-t-il été et qu'en est-il aujourd’hui ? Plus encore, quelles sont les formes d’articulation, de continuum ou de rupture existant entre la sphère professionnelle et d’autres sphères de vie (politique, militante, familiale…) ? Enfin, que la notion de « communauté éducative » fasse sens ou non selon les contextes, la dimension relationnelle du travail enseignant et la façon dont celui-ci se compose ou se recompose en fonction des prérogatives des acteurs non-enseignants de l’école pourront être considérées avec intérêt : le travail avec les familles, les communautés, les élèves, mais aussi les autres travailleurs éducatifs à l’intérieur ou en dehors de l’école. Ces différents aspects gagneront à être mis en perspective sous un angle international.

De façon transversale, ces deux approches viennent interroger la considération sociale dont les métiers de l’enseignement font l’objet, et leur attractivité, source d’inquiétude dans un certain nombre de pays (European Commission, 2013). Enfin, et surtout, ces approches des « conditions enseignantes » ne pourront être dissociées de la dimension politique des métiers enseignants (Sawicki, 2012).

Les propositions de contributions pourront s'inscrire dans les deux sous-thématiques, non exclusives l’une de l’autre. Le dossier s'intéresse aux enseignant-e-s au sens large : de maternelle, du primaire, du secondaire et de l'université, exerçant dans le public et le privé, titulaire ou contractuel, dans l'enseignement professionnel et technique, enfin dans des institutions a priori non scolaires comme les prisons, les camps ou les hôpitaux. 

Bibliographie

  • Barrère (A.), 2002, Les enseignants au travail, Paris, L’Harmattan.
  • Béneï (V.), 2008, Schooling Passions. Nation, History, and Language in Contemporary Western India, Stanford, Stanford University Press.
  • Bernstein (B.),1967/1997, « Écoles ouvertes, société ouverte ? », in J-C Forquin, Les sociologues de l’éducation américains et britanniques : présentation et choix de textes, Paris/Bruxelles, I.N.R.P/De Boeck et Larcier, pp. 155-164.
  • Bidou (C.), 1984, Les aventuriers du quotidien, Paris, Presses Universitaires de France.
  • Bozec (G.), 2010, « L’Europe au table noir. Comment les instituteurs français enseignent-ils l’Union européenne aujourd’hui ? », Politique européenne, vol. 1, n°30, pp. 153-186.
  • Caddell (M.), 2005, « ‘Discipline Makes the Nation Great’ : Visioning Development and the Nepali Nation-state Through School », in V. Bénéï (dir.), Manufacturing citizenship. Education and nationalism in Europe, South Asia and China. Londres/New York, Routledge Research in Education, pp. 76-103.
  • Cau-Bareille (D.), 2014, « Les difficultés des enseignants en fin de carrière : des révélateurs des formes de pénibilité du travail », Management et Avenir, n°73, pp. 149-70.
  • Chapoulie (J-M.), 1987, Les professeurs de l’enseignement secondaire, un métier de classe moyenne, Paris, Éditions de la MSH.
  • Demazière (D.) & Gadéa (C.), 2010, Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte.
  • European Commission, 2013, Study on Policy Measures to Improve the Attractiveness of the Teaching Profession in Europe. Volume 1, Luxembourg, Publications Office of the European Union.
  • Geay (B.), 2010, « Les néo-enseignants face à l’utilitarisme », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 4, n°184, pp.72–89.
  • Goffman (E.), 1968, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux. Paris, Éditions de Minuit.
  • Lang (V.), 2004, « La profession enseignante en France : permanence et éclatement » in M. Tardif and C. Lessard, La profession d’enseignant aujourd’hui. Évolutions, perspectives et enjeux internationaux, Québec, Presses de l’Université Laval.
  • Llobet (A.), 2011, « L’engagement des enseignants du secondaire à l’épreuve des générations », Politix, vol. 4, n°96, pp. 59–80.
  • Rockwell (E.), 2007, Hacer escuela, hacer estado. La educación posrevolucionaria vista desde Tlaxcala, Mexico, El Colegio de Michoacán, CIESAS, CINVESTAV.
  • Rockwell (E.), 2009, « Between Community and State : the Changing Role of the ‘Director de Escuela’ in Postrevolutionary Mexico », Journal of Educational Administration and History, vol. 41, n°3, pp. 267-283.
  • Salaün (M.), 2013, Décoloniser l’école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines, Rennes, PUR.
  • Sawicki (F.), 2012, « Pour une sociologie des problématisations politiques de l’École », Politix, vol. 25, n°98, pp. 9-33.
  • Schweisguth (E.),1983, « Les salariés moyens sont-ils des petits-bourgeois ? » Revue Française de Sociologie, vol. 4, n°24, pp. 679-704.
  • Spire (A.), 2010, « Les effets politiques des transformations du corps enseignant », Revue Française de Pédagogie, n°170, pp. 61-72.
  • Tardif (M.), 2012, « Les enseignants au Canada : une vaste profession sous pression », Formation et profession, vol. 1, n°20, pp. 1-8.
  • Tardif (M.) & Lessard (C.), 1999, Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels, Bruxelles, De Boeck Université.
  • Tardif (M.) & Levasseur (L.), 2010, La division du travail éducatif. Une perspective Nord-Américaine, PUF, Paris.
  •  Tonna (M. A.), 2007, « Teacher Education in a Globalized Age », Journal for Critical Education Policy Studies, vol. 5, n°1.
  • Van Essen (M.) & Rogers (R.), 2003, « Écrire l’histoire des enseignantes », Histoire de l’éducation, n°98, pp. 5-35.
  • Wilson (F.), 2001, « In the Name of the State ? Schools and Teachers in an Andean Province », in T. Hansen Blom et F. Stepputat (dir.), Ethnographic explorations of the postcolonial state, Durham and London, Duke University Press, pp. 313-344.

Coordination du numéro

  • Géraldine Farges (Université de Bourgogne Franche-Comté/IREDU)
  • Pierre Guidi (CEPED/IRD)
  • Julie Métais (LAHIC-IIAC/EHESS) 

Calendrier

Les propositions devront parvenir

au plus tard le 1er octobre 2016,

simultanément auprès des coordonnateurs du dossier et des co-rédacteurs en chef de la revue :

Les propositions, qui peuvent relever de toute discipline de sciences sociales, peuvent être faites en anglais et en français.

Après avis du Comité de rédaction renvoyé, les auteurs des propositions acceptées auront jusqu’au 4 mars 2017 pour envoyer leur texte (se reporter aux recommandations en fin du texte de l'appel). Celui-ci sera soumis à des lecteurs extérieurs à la revue et au comité de rédaction des Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs.

Le dossier prendra place dans le n°17 des Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, prévu pour paraître au printemps 2018.

Le comité de rédaction profite de cet appel à contribution pour rappeler que la revue comporte également une rubrique "Hors-thème". 

1Un colloque intitulé « Condition(s) enseignante(s), Conditions pour enseigner », s’est déjà tenu en janvier 2015, organisé par l’université Lyon 2.

Subjects


Date(s)

  • Saturday, October 01, 2016

Keywords

  • condition enseignante, éducation, savoir

Contact(s)

  • Pierre Guidi
    courriel : pierre [dot] guidi [at] ird [dot] fr

Information source

  • Pierre Guidi
    courriel : pierre [dot] guidi [at] ird [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Teaching conditions », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, August 03, 2016, https://doi.org/10.58079/vji

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