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(Faire) travailler plus : vers l’extension des durées de travail ?

Working overtime: longer working hours

La nouvelle revue du travail, corpus n° 11

La nouvelle revue du travail journal issue no. 11

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Publié le jeudi 22 septembre 2016

Résumé

Le premier corpus de la Nouvelle Revue du Travail s’est intéressé aux nouvelles temporalités du travail et à ses effets sur le travail et les travailleurs, en mettant l’accent sur l’éclatement des temps professionnels. Le détricotage progressif des 35 heures pour augmenter de nouveau le temps de travail – de la loi Fillon du 17 janvier 2003 à la loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – s’est doublé d’une volonté de procéder à l’allongement de la vie professionnelle via l’allongement de la durée de cotisation. Ce onzième corpus pose la question de l’extension des durées du travail.

Annonce

Argumentaire

Le premier corpus de la Nouvelle Revue du Travail s’est intéressé aux nouvelles temporalités du travail et à ses effets sur le travail et les travailleurs, en mettant l’accent sur l’éclatement des temps professionnels. Le détricotage progressif des 35 heures pour augmenter de nouveau le temps de travail – de la loi Fillon du 17 janvier 2003 à la loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – s’est doublé d’une volonté de procéder à l’allongement de la vie professionnelle via l’allongement de la durée de cotisation. Ce onzième Corpus pose la question de l’extension des durées du travail.

Force est de constater que depuis 2003, de nombreuses mesures ont favorisé l’allongement du temps de travail : l’augmentation des contingents annuels légaux d’heures supplémentaires, les mesures fiscales de diminution de leur coût, les dispositifs d’encouragement par les employeurs au rachat de jours de congé, etc. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, la durée annuelle effective du temps de travail dans le salariat à temps complet est en augmentation ((Voir la synthèse proposée par la DARES. Pak M., Zilberman S. avec la collaboration de Letroublon C., juillet 2013, « La durée du travail des salariés à temps complet », DARES – Analyses, n° 047 (http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-047.pdf))). On constate sur la même période un allongement de la durée de vie au travail ainsi qu’une légère diminution des jours de congé. Il existerait donc une tendance, en France et dans de nombreux pays industrialisés, à l’extension des durées consacrées au travail.

La loi El Khomri devrait prolonger cette tendance en facilitant les durées maximales de travail (par jour et par semaine) puisque, en lieu et place de l’accord de branche jusque-là nécessaire, un simple accord d’entreprise suffira. Elle rendrait également possible l’extension de la modulation. Ces éléments qui s’inscrivent dans une logique d’inversion des normes favoriseraient la tendance déjà à l’œuvre d’extension de la disponibilité temporelle de certaines catégories de salarié(e)s. Aujourd’hui, la durée hebdomadaire moyenne qui est en France d’un peu plus de 39 heures cache en réalité une polarisation croissante entre des travailleurs à la disponibilité et aux durées de travail extensives et des travailleurs à temps partiel ou en discontinuité d’emploi. Le Corpus se focalise sur les premiers. Environ un actif occupé sur sept déclare une durée hebdomadaire supérieure à la limite légale de 48 heures, définie depuis 1993 par la directive européenne « Temps de travail ». Ces formes de disponibilité temporelle extensive concernent trois groupes : les indépendants (agriculteurs, commerçants, artisans) et chefs d’entreprise, les cadres soumis à un forfait annuel en jours avec des durées quotidiennes travaillées plus longues, sans référence à une durée hebdomadaire, et les salariés non-cadres effectuant des heures supplémentaires régulières, rémunérées ou non ((Devetter F-X., 2008, « Travailler au-delà de 48 heures par semaine », Travail et emploi, n° 114, avril-juin, p. 59-68.)).

Ce corpus n° 11 de la Nouvelle Revue du Travail sera consacré aux durées élevées de travail et au processus d’extension de la disponibilité temporelle au travail. Il donnera l’occasion aux chercheur/se/s d’interroger l’ampleur du phénomène, les mécanismes au principe de la mobilisation temporelle des travailleurs et les effets des durées extensives. Les contributions attendues pourront s’inscrire dans l’un (ou plusieurs) des trois axes suivants.

Objectiver les durées élevées et leur expansion

L’objectivation des temps consacrés au travail pose des problèmes méthodologiques et métrologiques bien connus et documentés. Diverses stratégies d’observation qualitative ou de quantification ont ainsi pu être mises en œuvre pour rendre compte des principales évolutions historiques des temporalités du travail. En revanche, la tendance récente à l’extension des durées de travail reste trop faiblement étayée par des travaux empiriques. Il est urgent de combler cette lacune en diversifiant les enquêtes sur le phénomène, en recourant plus systématiquement aux comparaisons internationales – pour notamment voir si les tendances observées en France sont constatées dans d’autres pays – et en affinant les connaissances tant sur les secteurs que sur les profils sociodémographiques des travailleur(se)s concerné(e)s.

L’outil statistique reste une ressource insuffisamment mobilisée par la recherche sociologique et historique sur les temporalités du travail. Pour ne citer que deux exemples, les calendriers d’activité de l’enquête Emploi du temps et les données administratives des déclarations annuelles des données sociales (DADS) sont sous-exploitées alors qu’elles pourraient contribuer à une meilleure connaissance des durées élevées et de leur localisation dans l’espace social. De manière complémentaire, les enquêtes de terrain ethnographiques permettent de dépasser l’insuffisance conventionnelle des catégories statistiques (travail/hors-travail) en révélant le rôle des catégories indigènes dans l’organisation temporelle des activités productives, qu’elles soient institutionnalisées comme « travail » ou pas. Cet axe invite donc également à questionner la manière dont les sciences sociales, et en particulier la sociologie, ont traité la question du temps de travail.

L’extension des durées de travail : construction, socialisation, résistances

Les travaux cherchant à expliquer les durées élevées de travail font souvent appel à la notion d’« arbitrage » entre temps libre et revenus, reprenant ainsi une conceptualisation économiciste du temps. Face à l’insuffisance de ces explications fondées sur l’existence d’un « coût d’opportunité » du temps non rémunéré, il convient de restituer le système d’ensemble des gratifications et des sanctions qui oriente, contrôle et discipline les conduites des travailleurs.

Parmi les logiques de mobilisation temporelle des travailleurs figurent en premier lieu les dispositifs gestionnaires et les instruments d’action publique qui, à des échelles différentes, peuvent faciliter l’extension de la disponibilité temporelle : compte épargne temps, heures supplémentaires, encouragement au rachat de jours de congé, baisse ou stagnation du salaire horaire, etc. On peut également interroger le rôle de la direction ou de l’encadrement dans l’allongement des durées de travail via les négociations d’entreprise, la fixation hétéronome de la charge de travail ou l’organisation d’un sous-effectif structurel de personnel. Il convient également d’étudier le rôle joué par l’engagement subjectif dans l’activité et/ou par le sens des « responsabilités » professionnelles, ainsi que par les outils numériques dans l’extension de la disponibilité temporelle des travailleurs qualifiés.

Mais les interactions entre pairs peuvent également, de manière plus insidieuse, engendrer des normes temporelles de facto et des comportements de surenchère. C’est ainsi que dans certains secteurs comme la finance, la naturalisation des durées élevées par les salariés institue une définition des horaires conventionnels comme hors normes. Étudier les durées élevées de travail revient alors à étudier la socialisation à ces durées élevées de travail. En ce sens, la prise en compte des parcours biographiques des individus permettrait de comprendre comment se construit une « carrière de temps de travail », dès la prime socialisation familiale et, par la suite, sous l’influence des institutions scolaire et universitaire, puis au cours du parcours professionnel.

L’extension du temps professionnel suppose des ressources domestiques et familiales qu’il convient d’interroger, en convoquant une analyse en termes de rapports sociaux de sexe : que font les conjoint(e)s des travailleur(se)s à forte disponibilité ? Les longs horaires masculins ne reposent-ils pas sur une surmobilisation domestique des femmes ? Quels modèles familiaux et quels modes de garde des enfants rendent possible l’extension des durées de travail ? Mais à l’inverse, on peut se demander dans quelles conditions la sphère familiale peut faire émerger des résistances à l’allongement des durées de travail. Car l’étude de l’extension de la disponibilité temporelle ne peut se restreindre aux pratiques de consentement à travailler plus, elle doit symétriquement étudier les pratiques de résistance individuelle et collective. Sur quoi reposent-elles ? Quels sont les arguments mobilisés ? En quoi, comment, et dans quel contexte, la présence syndicale permet-elle de limiter, ou non, l’allongement des durées de travail ?

On voit ainsi combien la question des durées élevées a vocation à déployer l’analyse, au-delà des seules « décisions » individuelles, sur tous les niveaux de régulation sociale du travail : la vie sociale et familiale, les dispositifs organisationnels, les relations professionnelles et les politiques publiques.

Ce que « travailler plus » veut dire : effets sociaux du travail extensif

Pour comprendre ce que « travailler plus » veut dire, il faut enfin interroger les effets sociaux du travail extensif. La montée en puissance des régulations d’entreprise au détriment de règles transversales qui ont contribué à l’homogénéisation de l’emploi s’est déjà traduite par une multiplication d’horaires atypiques qui entre en tension avec la notion de durée collective de travail. Cette érosion des règles collectives d’encadrement des temps de travail renforce la dynamique d’individualisation du travail et de division du salariat. Comment impacte-t-elle les collectifs de travail ? Comment ces derniers se structurent-ils sans cadre temporel commun ? Sont-ils en mesure de réagir collectivement à l’injonction à « travailler plus » ?

L’affaiblissement des protections collectives semble également favoriser le modèle de l’employabilité en reportant les décisions sur l’individu sommé d’adapter ses horaires aux demandes de l’entreprise, de se rendre disponible, de moduler son temps de travail. La capacité à « travailler plus », l’apprentissage du changement, la culture du résultat, l’intégration de la logique de l’urgence… ne renvoient-ils pas à une dimension temporelle de l’employabilité attendue dans le régime contemporain de mobilisation de la force de travail ? Quels sont les effets de ce nouveau régime temporel sur le travail et les conditions de travail ?

Parmi les effets des durées élevées de travail, il y a ceux relatifs à la santé. Lorsqu’elles sont effectuées sur de longues périodes, de quelle manière ces durées élevées participent-elles à la dégradation de la santé des individus concernés ? La qualité de vie et l’articulation des temps sociaux sont également en jeu : le recadrage du travail par d’autres activités jugées importantes n’est-il pas plus difficile et le sentiment de manquer de temps au quotidien n’est-il pas plus prégnant ? Quid alors du développement d’un véritable « temps choisi » supposant la possibilité pour le salarié de déterminer de manière autonome la durée et l’aménagement de son travail ? La question est posée de savoir comment l’allongement des durées du travail, qui semble de moins en moins négocié, s’articule à la tendance, à l’œuvre depuis plusieurs décennies, d’un recul de l’uniformisation des temps individuels et collectifs.

Modalités de soumission

Les articles ne doivent pas dépasser les 45 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) et sont à adresser

avant le 6 janvier 2017

à nrtravail@gmail.com en suivant les modalités et les normes de présentation précisées à la rubrique Soumission et évaluation du site de la NRT.

Coordination

  • Lionel Jacquot,
  • Jean-Philippe Melchior,
  • Simon Paye

Dates

  • vendredi 06 janvier 2017

Fichiers attachés

Mots-clés

  • loi Fillion, loi Macron, loi El Khomry, 35 heures, durée du travail

Contacts

  • Arnaud Chabrol
    courriel : nrtravail [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Arnaud Chabrol
    courriel : nrtravail [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« (Faire) travailler plus : vers l’extension des durées de travail ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 22 septembre 2016, https://doi.org/10.58079/vra

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