Argumentaire
Dans la première de ses méditations métaphysiques, Descartes commence par mettre en doute les principes de ses anciennes opinions. Il espérait ainsi qu’en détruisant leurs fondements, il parviendrait à construire une connaissance « ferme et constante dans la science »1. Néanmoins, la ruine des fondements entraîne-t-elle nécessairement avec elle le reste de l’édifice ? Lors de ces journées d'étude, nous vous proposons de vous approprier ce questionnement à travers les notions de construction et déconstruction dans la démarche de recherche en sciences humaines. Construire et déconstruire ne doivent donc pas être compris ici comme des artifices rhétoriques, mais bien comme le fil directeur des réflexions.
Journées thématiques 22 et 23 mars 2018 à l’Université de Poitiers
Ces journées d'étude sont exclusivement réservées aux jeunes chercheurs et jeunes docteurs.
Axes thématiques proposés
Axe 1 : Prémices de la recherche : une nécessaire déconstruction du savoir ?
La question de la (dé)construction dans la recherche en sciences humaines se pose en premier lieu en termes épistémologiques. La démarche initiale du chercheur consiste à questionner son objet de recherche en se défaisant des préjugés. Bourdieu explique ce processus en ces termes : «construire un objet scientifique, c'est, d'abord et avant tout, rompre avec le sens commun, c'est-à-dire avec des représentations partagées par tous, qu'il s'agisse des simples lieux communs de l'existence ordinaire ou des représentations officielles, souvent inscrites dans des institutions, donc à la fois dans l'objectivité des représentations sociales et dans les cerveaux. Le pré-construit est partout. »2 Cette démarche de déconstruction d'un préjugé, d'une hypothèse, d'une vérité ou encore d'un fait établi est-elle une étape obligée de la construction d'un objet ?
Cette question de la rupture se pose également par rapport à ce qui a été fait antérieurement. Est-il alors nécessaire de rompre avec la tradition de sa discipline pour pouvoir élaborer une réflexion scientifique, pour pouvoir asseoir son raisonnement, le rendre légitime ? Doit-on systématiquement déconstruire ce qui a été fait pour mieux reconstruire ?
Ces quelques questions ne visent pas à circonscrire les propositions, bien au contraire. À travers cet axe, nous souhaitons que les jeunes chercheurs puissent s’exprimer sur les démarches, les volontés qui les animent à travers une réflexion historiographique et épistémologique. Qu’ils puissent réfléchir au moment initial de leurs recherches leur ayant permis d’aller vers la production ou la reconstruction des savoirs.
Axe 2 : Les sources : fondations du savoir
Dans cet axe, on cherche avant tout à réfléchir à la fondation de la recherche à travers l’élaboration d’un corpus. Chaque recherche est fondée sur l’identification et l’étude de sources, de données inédites qui se présentent au chercheur comme un « terreau », un matériau qu’il convient de modeler, de travailler.
Le choix de ces sources est déterminé par l'objet d'étude que l'on se donne et par les objectifs de recherche que l'on se fixe. Mais en retour, ce choix contribue aussi à construire l'objet de recherche.
À partir de ces sources, chaque chercheur reconstruit une histoire, une cohérence entre elles, permettant de palier l’aspect généralement lacunaire des documents étudiés. En outre, une même source peut donner lieu d'abord à différents types de lectures et ensuite à différentes interprétations. Ainsi, un manuscrit médiéval ne sera pas perçu de la même façon par l'historienne, l'historienne de l'art, la littéraire ou encore la philosophe, qui se saisiront de cette même source avec les outils et les pratiques de leur discipline. Ensuite, les interprétations de cette source seront propres à chaque chercheur.
Les communications pourront donc s'interroger sur la légitimité des sources, leurs rapports, l'interprétation qu'on en fait, autant d'étapes qui participent à l'élaboration de la recherche et sont à la fois transversales et propres à chaque discipline.
Axe 3 : Construction et déconstruction dans les objets d'étude
La construction et la déconstruction sont envisagées dans ce troisième axe en tant qu'objet d'étude des sciences humaines. On s’intéresse donc aux formes qu’elles peuvent prendre dans les mondes occidentaux et orientaux. Il s’agit de réfléchir au rapport construction / déconstruction, voire destruction, tel qu'il peut être saisi par les différentes disciplines des sciences humaines : histoire de l'art, histoire, littérature, science politique, sociologie, philosophie, linguistique, etc.
Ainsi, une réflexion sur la (dé)construction dans le champ de la littérature pourra porter sur le rapport des courants littéraires entre eux : ils ont évolué, muté et même disparu au fil des siècles, laissant derrière eux un héritage plus ou moins palpable. Le plus souvent les tendances littéraires naissent d’un sentiment de frustration qui pousse à créer un nouveau mouvement radicalement opposé au précédent. Les idées contestées point par point donnent ainsi naissance à quelque chose de totalement nouveau. Cette déconstruction des notions antérieures remplace-t-elle l'existant, ou cette déconstruction doit-elle être perçue comme un prolongement des idées précédentes, permettant sa croissance et son enrichissement ?
En histoire, la notion de patrimoine est étroitement liée à la notion de « déconstruction », de « destruction ». Dès la fin du XVIIIème siècle, la France est marquée par un grand nombre de pillages, de destructions contestataires face au pouvoir monarchique qui se poursuivent jusque dans les années 1830. Face à ce vandalisme plusieurs hommes de lettres et d’État se sont insurgés, on pense ainsi à Victor Hugo et son texte « Guerre aux démolisseurs » 3. Le développement de la notion patrimoniale en France est donc essentiellement associé à une prise de conscience face à la destruction, au vandalisme, à la perte d’une mémoire, d’une histoire, voire d’une identité. À partir de cette destruction patrimoniale s'est donc posée la question de la conservation des édifices, des objets, des coutumes qui font l'histoire. Pourtant aujourd'hui, la patrimonialisation et la conservation "à outrance" sont à débattre : doit-on restaurer, conserver ou détruire pour reconstruire ? Refuser de conserver revient-il à détruire ?
On pourra également être amené à se questionner sur la destruction comme base de la construction d’un peuple, d’une culture, d'une identité individuelle ou collective, d’une société, d’un état, d’une religion, ou encore d’une idéologie.
À travers ces exemples, il s'agit de susciter des communications sur la façon dont construction et déconstruction apparaissent dans divers sujets de recherche, et comment les doctorant-e-s s'approprient ces notions. Les présentations pourront alors montrer en quoi ces notions sont fertiles pour la pensée, ou au contraire quelles en sont les limites.
Journées thématiques 22 et 23 mars 2018 à l’Université de Poitiers
Ces journées d'étude sont exclusivement réservées aux jeunes chercheurs et jeunes docteurs.
Modalités de soumission et calendrier
Les propositions de contribution (3000 à 4000 signes) sont à envoyer
avant le 10 janvier 2018
aux adresses figurants ci-dessous.
- Formats des propositions : 3000 à 4000 signes, soit entre 500 et 600 mots (hors bibliographie) ;
- Le texte devra être accompagné d’une bibliographie et d’une courte biographie de l’auteur ;
- Les candidats devront préciser l’axe dans lequel s’inscrira leur communication.
- Notification de l’acceptation des propositions : 1er février 2018
Comité d’organisation
- Camille Conte (camille.conte@univ-poitiers.fr)
- Daniel Mateo Ramirez Cubaque (daniel.mateo.ramirez.cubaque@univ-poitiers.fr)
- Clémence Fourton (clemence.fourton@univ-poitiers.fr)
- Adelina Laurence (adelina.laurence@univ-poitiers.fr)
- Velimir Mladenovic (velimir.mladenovic@univ-poitiers.fr )
Comité scientifique
- Elvire Diaz
- Susan Finding
- Jérôme Grévy
- Pierre Loubier
- Marie-Luce Pujalte Fraysse
- Sylvain Roux
Notes
[1] René Descartes, Méditations métaphysiques, méditation première, Garnier Flammarion, Paris, 2009, p.80.
[2] Pierre Bourdieu, Réponses, Seuil, Paris, 1992, p.207.
[3] HUGO Victor, « Guerre aux démolisseurs », Revue des Deux Mondes, Période Initiale, tome 5, 1832, p. 607-622.