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Frontières et régions frontalières

Frontiers and Border Regions

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Publié le jeudi 12 avril 2018

Résumé

La notion de limite d’État est présente dès l’Antiquité. En effet, l’Empire romain est bordé, à partir du Ier siècle, par un limes, ligne de postes fortifiés permettant de contrôler et de repousser les populations « barbares » vivant de l’autre côté. Par endroit, il s’agit d’une ligne continue. Ainsi, entre 122 et 127, l’empereur Hadrien fait édifier un mur de 117 kilomètres entre l’Angleterre et l’Ecosse actuelles. Au VIe siècle, l’historien byzantin Procope de Césarée distingue bien la romaion gè (terre des Romains) et les autres régions situées au-delà. Le mot « frontières » apparaît en français au XIIIe siècle. Il dérive du terme militaire « front » désignant la zone de contact avec une armée ennemie. L’acception actuelle se fixe progressivement à partir du XIVe siècle, à mesure que les pouvoirs étatiques se renforcent et qu’ils soumettent les territoires dépendant d’eux à des lois et à des impôts. Le progrès des techniques cartographiques et les travaux des ingénieurs topographes qui se développent à l’époque moderne permettent aux dirigeants de mieux définir les limites de leurs territoires et de mieux les contrôler. Cependant la fixation des frontières n’est pas uniforme dans le temps et, au XXe siècle, certains pays, en proie à des difficultés politiques ou économiques, n’ont pas encore exactement précisé l’emplacement de leurs confins.

Annonce

Argumentaire

Tunisian-Mediterranean Association for Historical, Social and Economic Studies & Tunisian World Center for Studies, Research, and Development organiseront le 28, 29, et 30 novembre 2018 le 11ème colloque international sur le thème : Frontières et Régions frontalières.

La notion de limite d’Etat est présente dès l’Antiquité. En effet, l’Empire romain est bordé, à partir du Ier siècle, par un limes, ligne de postes fortifiés permettant de contrôler et de repousser les populations « barbares » vivant de l’autre côté. Par endroit, il s’agit d’une ligne continue.  Ainsi, entre 122 et 127, l’empereur Hadrien fait édifier un mur de 117 kilomètres entre l’Angleterre et l’Ecosse actuelles.  Au VI° siècle, l’historien byzantin Procope de Césarée distingue bien la romaion gè (terre des Romains) et les autres régions situées au-delà.

Le mot « frontières » apparaît en français au XIII° siècle. Il dérive du terme militaire « front » désignant la zone de contact avec une armée ennemie. L’acception actuelle se fixe progressivement à partir du XIV° siècle, à mesure que les pouvoirs étatiques se renforcent et qu’ils soumettent les territoires dépendant d’eux à des lois et à des impôts [1]. Le progrès des techniques cartographiques et les travaux des ingénieurs topographes qui se développent à l’époque moderne permettent aux dirigeants de mieux définir les limites de leurs territoires et de mieux les contrôler [2]. Cependant la fixation des frontières n’est pas uniforme dans le temps et, au XX° siècle, certains pays, en proie à des difficultés politiques ou économiques, n’ont pas encore exactement précisé l’emplacement de leurs confins.

Les frontières : définitions

La frontière est une ligne juridique qui marque la limite du territoire national et le sépare soit du territoire d’un autre Etat, soit d’un espace international. Elle permet la délimitation spatiale des compétences de l’Etat dont elle assure l’exclusivité [3]. Telle est la définition juridique classique de la frontière. En mer, la limite fut située jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale à 3 milles marins, ce qui correspondait à la portée des canons au XVIII° siècle, à 12 milles aujourd’hui, à partir de la laisse de basse mer [4]. Quand la largeur d’un détroit est inférieure à 24 milles, la frontière entre les deux Etats bordiers se trouve à équidistance des côtes. La zone économique exclusive dans laquelle l’Etat possède seul un droit de gestion des ressources s’étend jusqu’à 200 milles des côtes [5]. L’espace aérien national correspond à l’élévation verticale des frontières terrestres d’un Etat. Le traité de l’Espace (27 octobre 1967), négocié sous l’égide de l’ONU, garantit le libre accès à l’espace extra-atmosphérique ; les activités célestes doivent conserver un caractère pacifique et scientifique ; l’envoi d’armes nucléaires est interdit sur l’orbite de la terre, sur la lune ou sur tout autre corps céleste.

Les frontières terrestres peuvent être artificielles, apparemment arbitraires, surtout dans les zones de plaine [6]. Dans certaines régions peu peuplées, les frontières ont été dessinées selon un tracé géométrique, suivant généralement les méridiens et les parallèles, ainsi au Sahara et dans plusieurs secteurs des Etats-Unis. Les frontières naturelles sont délimitées par des montagnes, des fleuves et des mers, selon la théorie exprimée, devant la Convention, par Danton dans un célèbre discours, le 13 janvier 1793. Mais les frontières dites naturelles peuvent se révéler tout aussi arbitraires que les autres. En vérité, même si les limites interétatiques relèvent du droit international, même si elles sont réputées rationnelles et intangibles, elles résultent d’un rapport de force plus ou moins ancien et, bien souvent, de préoccupations géostratégiques. En effet elles peuvent être déterminées par l’avancée d’une armée ennemie qui préfigure une annexion ou par la volonté d’un vainqueur imposée à un vaincu, comme ce fut le cas pour le traité de Versailles en 1919. Dans le même ordre d’idée, la colonisation traça des frontières sur l’emplacement desquelles les autochtones n’eurent pas leur mot à dire. Dans le cas de l’Afrique, près de 90% des limites entre Etats furent imposées par les puissances européennes, notamment à la conférence de Berlin en 1885 où se réunirent douze Etats européens, ainsi que les Etats-Unis et l’Empire ottoman [7] ; des groupes ethniques présentant une réelle unité culturelle et habitués à une vie commune furent ainsi séparés [8]. Des pays bigarrés naquirent, pays juxtaposant des populations amies, mais aussi rivales ou ayant jadis pratiqué l’esclavage entre elles.  La Côte d’Ivoire qui compte aujourd’hui un peu plus de 20 millions d’habitants possède, selon les auteurs, de 60 à 87 groupes ou sous-groupes ethniques parlant autant de langues et dialectes différents [9]. Au Burkina Faso, possédant moins de 20 millions d’habitants, sont recensées une soixantaine de langues. Au Liberia, qui possède, 4,3 millions d’habitants, une vingtaine cde langues sont parlées [10].

A l’époque contemporaine, est parfois invoqué le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui conduit à l’organisation de plébiscites sanctionnant des changements territoriaux opérés par la voie pacifique. Mais le principe de l’autodétermination apparaît souvent difficile à appliquer dans les régions qualifiées de « mosaïques de peuples », c’est-à-dire dans les secteurs où les minorités nationales sont imbriquées les unes dans les autres de manière étroite, parfois inextricable. Ce fut le cas en Europe après les Première Guerre mondiale. De bons exemples des problèmes posés par les pays multinationaux furent administrés par la Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie dans les frontières de laquelle voisinaient Tchèques, Slovaques, Ruthènes, Polonais, Allemands et Hongrois. Les peuples qui sont attachés à leur unité culturelle et qui sont fractionnés en minorités au sein d’autres Etats se révèlent souvent facteurs de troubles politiques quand ils sont le sentiment que leurs droits ne sont pas reconnus. Ainsi, un courant séparatiste est apparu chez les anglophones du Cameroun qui s’estiment brimés par la majorité francophone.

Pour assurer la sécurité, pour empêcher le passage des envahisseurs, des terroristes et des migrants illégaux ou pour maintenir la cohésion de l’Etat, les pays établissent des contrôles plus ou moins rigoureux. Ponctuant les lignes frontalières, des postes de douanes et de police établis sur les routes ou parfois les voies fluviales, dans les gares, les aéroports, les ports surveillent le passage des individus et des marchandises. Dans certains cas sont bâtis des forts comme le fit Vauban sur les confins du royaume de France au temps de Louis XIV. Des murs plus ou moins fortifiés, plus ou moins étanches sont élevés, ainsi la Grande Muraille de Chine, édifiée durant plusieurs siècles, sur plus de 8 000 kilomètres ou 21 000 si l’on compte les parties aujourd’hui détruites. D’autres murs courent entre les Etats-Unis et le Mexique, Israël et le Liban, Israël et la Cisjordanie, l’Arabie saoudite et l’Irak, l’Espagne et le Maroc à Ceuta et Melilla, l’Inde et le Bangladesh… Sur les 250 000 kilomètres de frontières, comptabilisées dans le monde, existeraient aujourd’hui environ 70 murs [11]. L’un des modèles les plus connus de ce type de séparation interétatique fut le rideau de fer, isolant jadis les puissances communistes face aux occidentaux ; cette « frontière épaisse », pour reprendre la formule de l’historienne Sabine Dullin, comprenait des ouvrages fortifiés, des miradors, des barbelés, des champs de mines, de nombreux militaires accompagnés de chiens [12]. Aujourd’hui une frontière du même genre sépare les deux Corées.

Partout, que la frontière soit « épaisse » ou légère, se trouvent, en nombre plus ou moins important, des fonctionnaires chargés de la surveillance : policiers, et gardes divers, militaires, douaniers. Ces hommes sont armés ou non, munis de matériel de transport et de transmission plus ou moins performant, secondés parfois par des chiens. Selon qu’ils sont originaires de la région, qui, dès lors, leur est familière, ou venus de loin, les rapports qu’ils nouent avec les autochtones se révèlent différents.

Contestation et dépassement de la frontière

De part et d’autre des frontières, les désordres se révèlent fréquents, sur terre, en mer, dans l’air : incidents divers, revendications territoriales, plaintes des minorités nationales qui se disent brimées, déplacements subreptices de bornes pour « grignoter » de l’espace, passage d’espions et de saboteurs, parfois incursions militaires, contrebande, contestations sur les repères naturels servant de limites ou sur les dispositions fiscales… A la suite des changements de frontières, il arrive que certains frontaliers soient propriétaires de terrains se trouvant enclavés dans le pays voisin ; ce dernier, en cas de dégradation des rapports, peut gêner ou même interdire les déplacements et la mise en valeur des parcelles concernées. Dans certaines régions, la gestion de l’eau pour l’irrigation et l’approvisionnement des populations engendre des conflits : la Turquie, la Syrie et l’Irak ne parviennent pas à s’accorder sur le partage des eaux de l’Euphrate ; l’Iran et l’Irak se sont affrontés de 1980 à 1988 pour le contrôle du Chatt-el-Arab où se rejoignent le Tigre et l’Euphrate. Dans ces conflits, chaque partie avance des arguments pour soutenir ses prétentions : théorie des frontières naturelles, principe des nationalités, nécessités économiques, sanction du plébiscite, considérations linguistiques… Mais il apparaît que ces démonstrations peuvent être secondes, circonstancielles, contingentes et masquent en fait des vues impérialistes [13].

Dans un certain nombre de cas, les Etats, motu proprio ou sous l’égide des organisations internationales, entament des négociations pour essayer de régler les litiges frontaliers. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), considérant que les frontières héritées de la colonisation constituent une réalité et ont même acquis une valeur identitaire, a posé pour principe, lors de la conférence du Caire (1964), l’intangibilité de ce découpage ; aussi, pour maintenir la paix, l’OUA délimite-t-elle précisément les confins de chaque pays  et, malgré son échec au Soudan, essaie de préserver la cohésion politique du continent[14]. Mais l’histoire montre que, bien souvent, la guerre n’est pas évitée ; dans ce cas, la rationalité, les équilibres et les accords patiemment construits en temps de paix se trouvent bouleversés. Les populations vivant dans les régions frontalières sont alors particulièrement éprouvées par les combats, les violences, les pillages et réquisitions, la mobilisation forcée dans des milices, parfois l’internement ou la proscription des ressortissants du pays ennemi. Aussi les civils choisissent-ils souvent la fuite et grossissent le flot des réfugiés, entassés dans des camps réputés « provisoires », en fait pérennes. Les médias multiplient les reportages sur ces personnes ayant perdu leur biens, vivant sous des tentes ou dans des baraquements précaires, tributaires de distributions de nourriture, soumises au bon vouloir des pays étrangers.

Les affrontements peuvent être évités quand existe une réelle volonté de coopération qui, dans certains cas, permet de relativiser ou même d’effacer la frontière. Les pays qui obéissent à une même philosophie politique ou économique, ceux qui se sentent proches par le partage de valeurs communes nouent des accords. Avec la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957, six Etats d’Europe occidentale, France, Allemagne, Italie, Benelux créèrent le Marché commun qui, enrichi de nouvelles adhésions, est devenu l’Union européenne au sein de laquelle les membres visent à harmoniser les législations et à faciliter la libre circulation des personnes, des produits économiques, des services. La Convention européenne de coopération transfrontalière, signée à Madrid le 21 mai 1980, permet une gestion concertée sur certaines questions d’intérêt commun de part et d’autre d’une même limite interétatique. Les zones franches qui constituent des exceptions aux règles douanières habituelles offrent des avantages fiscaux pour attirer les investissements et favoriser le commerce. Elles sont souvent situées dans des ports et des micro-Etats attirant de nombreux touristes. Type particulier, les boutiques hors taxes (duty free shops), présentes dans la plupart des aéroports, sur les avions et bateaux effectuant des liaisons internationales, vendent des produits détaxés.

A l’époque contemporaine, les satellites d’observation, les missiles à tête nucléaire, les transmissions par internet se jouent des frontières qui se trouvent ainsi relativisées. Mais ce dépassement des limites nationales apparaît beaucoup plus ancien. Au XIX° siècle, Victor Hugo avait lancé sa célèbre formule : « En art, point de frontière » [15]. En fait dans le domaine de la culture, des idées, des activités artistiques, les frontières ne constituent pas une limite pertinente. L’exemple des langues et des littératures qu’elles inspirent se révèle particulièrement éclairant. Ce que les spécialistes nomment isoglosses sont des lignes imaginaires, sans lien avec les frontières politiques, lignes séparant deux régions qui se distinguent par un caractère linguistique particulier. La frontière entre langues romanes et germaniques, faisant fi des limites étatiques, traverse les territoires de la France, de la Belgique, de la Suisse et de l’Italie. L’Afrique du nord constitue une mosaïque en matière linguistique : s’y juxtaposent, entre autres, le tamazight ou berbère, l’arabe classique, des dialectes nationaux comme le tunisien ou l’algérien, des sous-dialectes régionaux tels que le tunisois, le cairote, le fessi, l’hassaniyya parlé en Mauritanie, au Sahara, dans certaines régions subsahariennes, le touareg, sans oublier le français… Les chercheurs observent aussi des dialectes de transition ou groupes de langues liées non par une origine commune, mais par l’influence mutuelle qu’exercent les locuteurs, ainsi les langues balkaniques, caucasiennes, asiatiques de l’Est influencées par le chinois. Les langues transfrontalières sont parlées de part et d’autre d’une même limite et empruntent des éléments à leur voisin [16].

De même que les langues, la musique et les arts plastiques ignorent les limites juridiques tracées par les guerriers et les diplomates. André Malraux cherchait la transcendance dans l’expression artistique et, notamment dans Les Voix du silence (1951), confrontait les œuvres pour mettre en valeur des relations inattendues dans le temps et dans l’espace. Les influences se révèlent innombrables : les Gaulois ont eu les Celtes pour professeurs, les Romains se sont instruits au contact des Etrusques et des Grecs, ce qui justifie la fameuse formule d’Horace rappelant que les Romains ont conquis la Grèce et furent conquis culturellement par les Grecs : Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio (La Grèce vaincue vainquit son farouche vainqueur et introduisit les arts dans le Latium agreste). Les aires artistiques ne coïncident pas avec les frontières interétatiques, comme le montrent la diffusion des œuvres de la Renaissance, du classicisme, du baroque, du modern style… Les arts de l’islam embrassent une vaste région allant de l’Espagne à l’Inde ; au XIX° siècle ont été construits des bâtiments mauresques en Europe, comme la synagogue de Besançon ou l’ancien hôtel Alhambra de Nice surmonté de deux minarets.

Autre forme de relativisation, voire de contestation des frontières : les théories utopistes. Celles-ci demandent souvent la suppression des limites séparant les Etats afin d’instituer une seule et même patrie terrestre qui serait gage de paix et de fraternité. C’était la proposition romantique que formulait avec emphase Lamartine en 1841 :

 « Et pourquoi nous haïr et mettre entre les races

Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu ?

Des frontières au ciel voyons-nous quelques traces ?

Sa voûte est-elle un mur, une borne, un milieu ?

Nations ! Mot pompeux pour dire : Barbarie !

L’amour s’arrête-t-il ou s’arrêtent vos pas ?

Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie :

L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie ;

La fraternité n’en a pas ! » [17]

C’est une autre forme de négation des frontières qui est formulée par les théologiens catholiques. Ceux-ci rappellent que Dieu a voulu l’unité du genre humain et qu’il existe, comme dit le pape François, « une seule famille humaine » [18], ce qui rend absurde le concept de races distinctes et impose donc la fraternité et la solidarité entre les hommes. Selon les théologiens, les frontières sont une création humaine qui contrarie le projet de Dieu qui a donné la terre à ses créatures. Une telle conception implique que le droit de migration est naturel, d’autant plus que l’homme est fondamentalement un migrant comme le fut Abraham, un migrant cheminant sur terre vers un au-delà où il rencontrera Dieu. Jean-Paul II a résumé ces idées dans une formule lapidaire : « Dans l’Eglise, nul n’est étranger » [19]. A la fin de sa vie, il définit même une « citoyenneté mondiale » [20]. Les papes insistent particulièrement sur l’importance du droit d’asile qui doit ignorer les frontières, surtout quand la vie des personnes est menacée.

Réhabilitation de la frontière

En même temps qu’elles tendent à s’effacer, les frontières gardent ou retrouvent une certaine vitalité car les décideurs, sensibles à leur utilité, leur confient des fonctions importantes.

Les frontières ont toujours joué un rôle dans la protection sanitaire. Les maladies franchissent tous les obstacles, comme l’illustra l’épidémie de peste noire au XIV° siècle ou la grippe espagnole au sortir de la Première Guerre mondiale. Les limites interétatiques ne constituent certes pas une barrière étanche, mais elles peuvent limiter la contagion. C’est pourquoi les autorités imposaient traditionnellement des quarantaines dans les ports et des cordons sanitaires sur terre. Plus récemment, en temps d’épidémies, furent mis en place des examens médicaux dans les aéroports et l’usage de pédiluves.

La recrudescence contemporaine du terrorisme conduit également les responsables à multiplier les contrôles, à interdire l’embarquement d’objets jugés dangereux dans les cabines des avions, à placer des policiers jouant le rôle de voyageurs ordinaires sur certaines lignes réputées à risque. La peur de recevoir un surcroit de migrants entraîne un examen tatillon des étrangers qui se présentent aux frontières, à créer des zones de rétention et à expulser ceux qui ne répondent pas aux critères. Les militants des droits de l’homme qui, dans les régions frontalières, apportent une aide aux clandestins sont poursuivis par la justice. La lutte contre la délinquance de droit commun, particulièrement le trafic de stupéfiants, justifie la mise en place d’autres mesures de police dans les lieux d’entrée sur le territoire national ; les douaniers reçoivent le droit d’effectuer des contrôles-surprises loin des frontières.

La frontière n’exerce pas seulement une fonction négative pour les étrangers. Dans certains cas, soigneusement définis par la loi, elle offre dans les pays démocratiques une protection suprême, la survie physique, au bénéfice des réfugiés politiques. En France a été créé en 1952 l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), office public rattaché aujourd’hui au ministère de l’Intérieur, qui accorde l’asile aux personnes persécutées pour leurs idées, leur origine ethnique ou religieuse, leur orientation sexuelle, des menaces diverses comme un mariage forcé ou l’excision. Encore faut-il que les personnes concernées, auditionnées par des fonctionnaires nommés officiers de protection, fournissent la preuve des dangers par lesquels elles se disent menacées.

Les frontières peuvent jouer un rôle unificateur. Ainsi, dans les régions frontalières apparaît parfois une identité particulière, duale, généralement ouverte sur le pays voisin dont les habitants connaissent les ressortissants, fréquemment rencontrés, la culture, la langue, les traditions. Les échanges parfois quotidiens créent une familiarité entre les deux Etats, un lien, une solidarité [21]. Eclairant apparaît le cas de l’Europe : les « pères de l’Europe », Robert Schuman, Lorrain né à Luxembourg, Konrad Adenauer, Rhénan de Cologne, Alcide De Gasperi, originaire de Trente, étaient tous des hommes originaires de régions frontalières, ayant connu les deux guerres mondiales et vu les dévastations multiformes qui en avaient été la conséquence, rompus aux changements de nationalité, catholiques fervents, ce qui les conduisait à une certaine forme d’universalisme. En somme, on peut dire à juste titre qu’à travers l’expérience de ces hommes, les régions frontalières furent le laboratoire de l’unité européenne.

Dans un essai très remarqué, Eloge des frontières, le philosophe Régis Debray, ancien compagnon d’armes de Che Guevara dans les années 1960, explique que la frontière revêt une fonction positive en tant que facteur de civilisation et de paix. L’auteur, s’élevant contre l’utopie d’un « village global planétaire », d’une culture ouverte dans laquelle toutes les productions intellectuelles et artistiques se valent, estime que l’instauration de limites constitue un progrès et une garantie. Recourant au symbole, il rappelle que le fondateur de Rome, Romulus, ayant tracé un sillon marquant le périmètre de la ville nouvelle, punit sévèrement son frère qui avait violé le sillon sacré, ce qui signifie, selon Debray, que la civilisation amène une démarcation, qu’éduquer les enfants consiste à leur prescrire des bornes, que faire régner l’ordre revient à imposer des limites aux malfaiteurs, aux trafiquants, aux financiers. Le barbare ignore les contraintes. Régis Debray pense, in fine, que la frontière évite les excès ; elle inocule même « un vaccin contre l’épidémie des murs » : « Le mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer » [22].

En définitive, il faut souligner la force de la frontière. Elle marque la puissance étatique et la volonté des gouvernants. Elle se concrétise par des lois, des règles juridiques impérieuses, une recherche de gestion rationnelle. Elle traduit son poids décisif par des actes solennels, des plébiscites, des contrôles attentifs et incessants. Mais, en second lieu, la frontière se révèle fragile. Elle est contournée par les passages clandestins et la contrebande ; les activités frontalières sont régulièrement bouleversées par les tensions diplomatiques, les guerres, les règlements tatillons peu au fait des réalités humaines ou économiques. Pourtant la frontière peut jouer un rôle unificateur quand les pays limitrophes ou proches se rendent compte qu’ils sont objectivement solidaires en raison de la complémentarité des activités, de la communauté des intérêts de chacun, de l’existence d’une identité transfrontalière.

Le thème « Frontières et Régions frontalières » pourrait être abordé selon les axes suivants :

  1. Histoire de la frontière et des régions frontalières
  • Antiquité
  • Moyen-âge
  • Époque moderne
  • Époque contemporaine
  1. Définition et types de frontières
  • Frontière terrestre
  • Frontière maritime
  • Frontière céleste
  • Frontière naturelle
  • Frontière artificielle
  • Frontière invisible
  • Frontière intérieure « matérielle » (ex. Afrique du Sud sous l’apartheid) ou  « immatérielle »  (ex. Chine)
  • Frontière matérialisée : postes de police, ligne douanière, fortifications, murs...
  1. Fixation de la frontière
  • Conquête
  • Colonisation
  • Traité
  • Autodétermination
  • Plébiscite....
  1. Contrôle de la frontière
  • Formalités de passage
  • Policiers, gendarmes et autres militaires, douaniers…
  • Externalisation du contrôle à la frontière
  • Expulsion
  • Extradition
  1. Contestations et conflits frontaliers
  • Revendications territoriales
  • Frontières et incompatibilités identitaires
  • Espionnage et sabotage
  • Gestion de l’eau
  • Incursions militaires
  • Guerre et violences
  • Question des réfugiés et droit d’asile
  • Négociations
  1. Économie de la frontière
  • Propriétés enclavées dans le pays limitrophe
  • Échanges légaux et contrebande
  • Zones franches
  • Frontière et fiscalité
  • Frontières et fronts pionniers
  • Régions frontalières et activités pastorales (ex. Afrique)
  1. Dépassement de la frontière
  • Moyens modernes de communication, satellites, internet, télécommunications, réseaux sociaux, musées virtuels…
  • Frontière et santé publique
  • Institutions et coopération internationales
  • Regroupements territoriaux
  • Frontières linguistiques, isoglosses, langues de transition et transfrontalières…
  • Frontières artistiques, arts plastiques, musique…
  • Régions frontalières et patrimoine (matériel et immatériel)
  • Identité frontalière
  • Théories de l’État mondial et de la citoyenneté universelle
  • Frontières et théologie.
  • Frontière et mondialisation
  • Frontières et mouvements migratoires
  • Frontière et libre circulation à l’intérieur d’ensemble sous régionaux (ex. CEDEAO) ou des « communautés » supra-étatiques (ex. Union européenne)
  • La position frontalière est un facteur d’ouverture et de dynamisme, ou un facteur d’isolement et de stagnation.

Dates importantes

  • 10 juillet 2018 : Date limite pour les soumissions à l’adresse suivante :

  • tunisian.mediterranean.associ@gmail.com
  • 10 juillet 2018: La sélection des communications par le comité scientifique sera rendue publique + information sur les frais d'inscription au colloque.
  • 15 novembre 2018 : Date limite pour l’envoi du Texte Final
  • 28, 29, et 30 Novembre 2018 : 11ème Colloque international  à Béja – TUNISIE.

Modalités de soumission

  • Proposition individuelle : un sujet nouveau qui n'a pas été déjà publié ou présenté dans un colloque scientifique.
  • Résumé détaillé: une page au minimum (Police : Times New Roman 12 ; Page: Marges 2,5 cm ; Interligne : simple), avec un C.V. scientifique mis à jour.
  • Les propositions de communication pourront être soumises en Arabe, en Anglais, en Français,  ou en Espagnol.
  • Pour les résumés en Français ou en Espagnol, une traduction détaillée en Anglais est obligatoire (une page au minimum : Police : Times New Roman 12 ; Page: Marges 2,5 cm ; Interligne : simple).
  • Pour les résumés en Arabe, une traduction détaillée en Anglais ou en Français est obligatoire (une page au minimum).
  • Une publication est envisagée à l’issue du colloque après l’évaluation des textes par le comité scientifique.

Comité scientifique 

  • Ibrahim Muhammed Saadaoui (University of Tunisia / T.M.A. for HSES),
  • Abdul Hakim al-Kabi (University of  Basrah, Iraq),
  • Adel Ben Youssef (University of Sousse. Tunisia)
  • Adel Zyada (Cairo University, Egypt),
  • Anne-Claire Bonnevillle (I.N.L.C.O. Paris. France)
  • Antonio Garrido Almonacid (University of Jaén. Spain),
  • Darlene Miller (Wits School of Governance Johannesburg. South Africa),
  • Edinam Kola (University of Lomé. Togo),
  • Elizabeh Bishop (Texas State university. USA),
  • Florentine AGOH (University of Bouake, Ivory Coast),
  • Habib Belaid (University of Manouba. Tunisia),
  • Habib Jammoussi (University of Sfax. Tunisia)
  • Hassan Amili (University of Hassan II. Mohammedia. Morocco),
  • Idrissa BA (Cheikh Anta Diop University of Dakar, Senegal),
  • Idrissa Soïba Traore (University of Bamako, Tchad),
  • Jamila Saïdi (University of Hassan II. Mohammedia. Morocco),
  • Jann Pasler (University of California, San Diego. USA),
  • John Chircop (University of Malta),
  • Jomaa Ben Zarwal (University of Batna. Algeria)
  • Khalifa Hammache (University of Constantine. Algeria)
  • Landitiana Soamarina Miakatra (IPS. University of Madagascar),
  • Laurence Marfaing (University of Hamburg. Germany)
  • Laurence Michalak (University of California, Berkeley. USA)
  • Lodugnon-Kalou H. Evelyne Liliane (Felix Houphouet Boigny University, Abidjan. Ivory Coast)
  • Mabrouk Chihi (University of Jendouba. Tunisia),
  • Marie-Christine Allart (University of Lille3, France),
  • Marina Bertoncin (University of Padova. Italy),
  • Mayéda Ningui Wénssowa (University of Lomé. Togo)
  • Mbida Onambele Max Zachée Saintclair (University of Buea. Cameroon),
  • Minoti Chakravarty-Kaul (New Delhi University. India)
  • Mohammed Arnaout (Al- al Bayit University, Jordan),
  • Mohammed Bazi (University of Marrakesh, Morocco),
  • Mohammed Bdiwi (University of Asyut, Egypt),
  • Mohammed Chadly (University of Algiers, Algeria)
  • Mohammed Ratoul (University of Hassiba ben Bouali, Chlef. Algeria)
  • Mustafa Ozturk (Fırat Üniversitesi. Elazığ. Türkiye)
  • Nawal Moutazakki (University of Hassan II. Casablanca. Morocco),
  • Nelly Hanna (American university in Cairo. Egypt)
  • Oumarou Gnebora (University of Douala. Cameroon),
  • Pierre-Éric Fageol (University of Reunion)
  • Rafael Valenci (University of Seville. Spain),
  • Ralph Schor (University of Nice-Sophia Antipolis. France),
  • Sahar ar-Rifai (Mustansiriya University, Baghdad. Iraq),
  • Salah Haridy (University of Damanhour. Egypt),
  • Talal Hmud al-Mikhlafi (University of Ataz. Yemen)
  • Tanoh Raphael Bekoin (University of Bouake, Ivory Coast).
  • Thierry Vanelslander (University of Antwerp. Begium),
  • Yves Guillermou (Toulouse University 3. France)

Bibliographie

[1]. Lucien FEBVRE, « Frontière : le mot et la notion », Revue de Synthèse historique, XLV, juin 1928.

[2]. Michel FOUCHER, L’invention des frontières, FED, Paris, 1986. M. FOUCHER, Fronts et frontières, Fayard, Paris, 1988. Gabriel WACKERMANN, La Frontière dans un monde en mouvement, Ellipses, Paris, 2003.

[3]. Maurice TORRELLI, « La Frontière et le droit international », La Frontières des Alpes-Maritimes, Serre, Nice, 1992.

[4]. Georges LABRECQUE, Les Frontières maritimes internationales. Essai de classification pour un tour du monde géopolitique, L’Harmattan, Paris, 2005.

[5]. Daniel BARDONNET, « Frontières terrestres et frontières maritimes », Annuaire français de droit international, vol. 33, n° 7, 1999.

[6]. B. REITEL et alii, Villes et frontières, Economica-Anthropos, Paris, 2002. Joël KOTEK (dir), L’Europe et ses villes-frontières, Complexe, Bruxelles, 1996.

[7]. Henri WESSELING, Le Partage de l’Afrique, Gallimard, coll. Folio Histoire, Paris, 2002.

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Lieux

  • I.S.E.T., salle des réunions. - Route de Tunis
    Béja, Tunisie

Dates

  • mardi 10 juillet 2018

Mots-clés

  • frontière, région frontalière, contrebande, discrimination, migration, violence, résistance, relation internationale, patrimoine, front pionnier, développement durable, environnement

Contacts

  • Ibrahim Muhammed Saadaoui
    courriel : saadaoui_brahim [at] yahoo [dot] fr

Source de l'information

  • Ibrahim Muhammed Saadaoui
    courriel : saadaoui_brahim [at] yahoo [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Frontières et régions frontalières », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 12 avril 2018, https://doi.org/10.58079/100t

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