Présentation
Au cours du XXe siècle, le théâtre pour la jeunesse s’est constitué au fil d’expériences pionnières qui ont préexisté, en France, à l’édification d’un répertoire à l’orée des années 2000. À présent que ce répertoire dramatique a pris une place vivante au sein de la littérature de jeunesse, nous proposons de faire retour sur ces expériences pionnières, dans une démarche à la fois historique et esthétique. On s’efforcera notamment de comprendre en quoi les idéologies du XXe siècle ont pu influencer, voire susciter le développement d’un théâtre pour la jeunesse en Europe.
Il s’agira donc de préciser les conditions d’émergence du théâtre pour la jeunesse en Europe depuis l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1950, cette période ayant favorisé l’éclosion de pratiques théâtrales avec et pour les jeunes. En France, on oppose généralement les expériences novatrices menées par Léon Chancerel et Miguel Demuynck à celles, jugées plus commerciales, du Théâtre du Petit Monde. Ces exemples méritent d’être reconsidérés, nuancés. D’autres cas européens demandent à être explorés en détail afin de mieux percevoir ce qui s’est inventé à une époque où les sociétés se préoccupaient tout à coup des loisirs enfantins et où certains états totalitaires utilisaient le théâtre pour les jeunes à des fins idéologiques. Les expérimentations menées en URSS et dans les démocraties populaires suite à l’avènement du régime soviétique méritent une attention particulière : elles ont fasciné autant par leur ampleur (due à la cohérence du projet politique) que par leur exemplarité artistique.
Plusieurs perspectives de réflexion se dessinent :
- On interrogera les fondements idéologiques de ce premier théâtre par et pour la jeunesse : ce qui relève, dans sa conception, d’un idéal démocratique, mais aussi ce qu’il doit à la force lyrique de certaines idéologies totalitaires, du communisme au fascisme.
- Afin de dessiner un « paysage européen » de ce premier théâtre pour la jeunesse, il sera pertinent d’étudier en détail les esthétiques théâtrales qui se sont développées à l’intention des jeunes spectateurs, de l’entre-deux-guerres aux années 1950. Les contributions pourront se focaliser sur un cas précis, mais aussi établir des comparaisons à l’échelle d’un ou de plusieurs pays européens. On n’hésitera pas à faire une place aux entreprises artistiques qui se sont tenues en marge des modèles les plus teintés d’idéologie pour affirmer d’autres préoccupations vis-à-vis du public enfantin.
- Au-delà des créations dramatiques proprement dites, on élargira le questionnement aux pratiques de jeu dramatique initiées par des artistes auprès des jeunes, dans la mesure où celles-ci ont pu alimenter l’imaginaire poétique et théorique d’un théâtre pour la jeunesse à construire.
- La période de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre apparaît a posteriori comme un point de départ décisif pour l’édification ultérieure du théâtre jeune public. Robert Abirached fait de Léon Chancerel le « père fondateur » de ce domaine artistique en France ; le parcours de la metteuse en scène lettonne Asja Lacis, commenté dans les années 1930 par Walter Benjamin, constitue une autre référence clé à l’échelle européenne. Dès lors, on essaiera de déterminer quelle influence cette période fondatrice a pu avoir sur l’utopie d’un théâtre pour la jeunesse telle qu’elle s’est formulée en Europe dans le contexte de l’après 1968.
Modalités de soumission
Les propositions (de 500 mots maximum), en français ou en anglais, doivent être envoyées avant le 14 décembre 2018 à la revue Strenæ : strenae@revues.org, accompagnées d’une courte biographie et bibliographie.
Ces propositions seront examinées par la directrice scientifique du numéro, Sibylle Lesourd, et le comité éditorial de la revue. Les auteurs seront rapidement informés de l’acceptation ou du refus de leur proposition. Les articles complets (30000 signes espaces et notes inclus) seront remis avant le 4 mai 2019. Les langues acceptées sont le français ou l’anglais.
Le numéro sera publié à l’automne 2019.
Comité scientifique de la revue
La revue Strenæ s'appuie sur un comité scientifique pluridisciplinaire et international qui est le garant de la qualité des articles publiés.
Gilles Brougère
Professeur à l’Université Paris 13, Gilles Brougère dirige le laboratoire EXPERICE (Centre de Recherche Interuniversitaire Expérience Ressources Culturelles, Éducation), lié au département des sciences de l’éducation.
Ses principaux thèmes de recherche concernent le jeu et l’éducation, le jouet et la culture enfantine de masse, la sociologie de l’enfance, l’éducation préscolaire comparée, les apprentissages informels.
http://www.experice.fr/wakka.php?wiki=GillesBrougere
Penny Brown
Chercheur à l’Université de Manchester, Penny Brown s’intéresse aux débuts de la littérature d’enfance, en France et en Angleterre, au XVIIIe siècle. Elle a également mené des recherches sur l’image de l’enfant et de l’enfance chez les romancières féminines britanniques au XIXe siècle et a travaillé sur les œuvres pour enfants de Mme de Genlis, de la comtesse de Ségur, de Mary Wollstonecraft et de Maria Edgeworth. Elle s’intéresse aussi au développement des illustrations dans les livres pour enfants et aux rapports entre le texte et l’image et mène actuellement une recherche sur les représentations de l’Holocauste dans les livres pour enfants en France.
http://www.llc.manchester.ac.uk/subjects/french/staff/penny-brown/
Anne-Marie Chartier
Maítre de conférences à l’INRP (Service de l’Histoire de l’Éducation), formatrice à l’École normale puis à l’IUFM, Anne-Marie Chartier est agrégée de philosophie, docteur en sciences de l’éducation.
http://www.inrp.fr/she/pages_pro/chartier.htm
Mariella Colin
Professeur à l’Université de Caen-Basse Normandie, Mariella Colin a fait partie de 2000 à 2007 du centre de recherche IREFI (Identités Représentations Échanges France-Italie) puis, à partir de janvier 2008, du groupe ERLIS (Équipe de Recherche sur les Littératures, Imaginaires, Sociétés) à l’Université de Caen.
Teresa Duran
Professeure à l’Université de Barcelone, Teresa Duran dirige le département de didactique en formation visuelle et plastique. Enseignante, critique, écrivain et illustratrice, traductrice, elle dirige également la revue Faristol.
http://www.escriptors.com/autors/durant/pagina.php?id_sec=1180
Isabelle Nières-Chevrel
Professeur émérite de Littérature générale et comparée de l’Université de Rennes II, Isabelle Nières-Chevrel consacre ses recherches à l’histoire de la littérature d’enfance et de jeunesse, tant sur l’album que sur le roman, étudiant les rapports entre texte et images tout comme les questions de traduction, d’adaptation et de réception. Elle est également spécialiste de Lewis Carroll et de Sophie de Ségur.
Emer O'Sullivan
Emer O'Sullivan est professeur de littérature anglaise à l'Institut of English Studies de l'Université Leuphane de Lüneburg en Allemagne. Elle est spécialiste de littérature comparée, de littérature pour la jeunesse, en particulier sur les questions de traduction, d'analyse de l'image et de didactique. Elle est également l'auteur, avec Dietmar Rösler, de huit romans pour la jeunesse, écrits conjointement en allemand et en anglais.
Membre de plusieurs associations internationales de chercheurs, Emer O'Sullivan a reçu des distinctions prestigieuses primant ses travaux en littérature pour la jeunesse.
http://www.leuphana.de/emer-osullivan.html
Michèle Piquard (†)
Chargée de recherche au CNRS, membre du laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (LAHIC), Michèle Piquard est spécialiste de l'histoire du livre et de la lecture. Elle consacre ses recherches à une analyse historique et sociologique du processus de « patrimonialisation » de la littérature pour la jeunesse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, dans le cadre de l'histoire économique, juridique et institutionnelle de l’édition pour la jeunesse au XXe siècle.
http://www.lahic.cnrs.fr/spip.php?article84
Suzanne Pouliot
Professeure à la Faculté d'Éducation de l'Université de Sherbrooke, Suzanne Pouliot est spécialiste de littérature d'enfance et de jeunesse. Ses champs de recherche sont notamment l’édition littéraire pour l’enfance et la jeunesse, la didactique du français, les représentations de l’Autre et le récit de voyage.
http://www.usherbrooke.ca/chaire_livre/equipe/spouliot/
Annie Renonciat
Professeur à l'Université Paris-Diderot (UFR Lettres, arts, cinéma (LAC)), membre du Centre d’étude de l’écriture et de l’image (CEEI), Annie Renonciat est responsable du pôle scientifique Histoire et Patrimoine de l’Éducation, à l'INRP/Musée national de l’Éducation, à Rouen. Elle est membre associé du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’université de St Quentin en Yvelines.
Ses thèmes de recherche concernent le livre illustré aux XIXe et XXe siècles (art et édition), l'image, le livre, l'édition pour la jeunesse, les questions d'image et de pédagogie, les origines européennes de la bande dessinée, l'imagerie populaire, l'imagerie lumineuse, et l'histoire et le décor de la chambre d’enfant, l'art pour l’enfant.
Valérie Vignaux
Valérie Vignaux est maître de conférences en études cinématographiques à l’université François-Rabelais de Tours et membre de l’équipe de recherche INTRU (Interactions, transferts, ruptures artistiques et culturels). Auteure de monographies (Jacques Becker ou l’exercice de la liberté, Céfal 2001 et Jean Benoit-Lévy ou le corps comme utopie, AFRHC, 2007), d’analyses de films (La Religieuse de Jacques Rivette, Céfal, 2005 et Casque d’or de Jacques Becker, Atlande, 2009), elle est aussi secrétaire d’édition de la revue 1895, dont elle a dirigé trois numéros (« Archives », 2001, « Émile Cohl », 2007, « Marius O’Galop/Robert Lortac », 2009). Elle prépare actuellement une monographie consacrée à l’œuvre du critique et historien Georges Sadoul (avec Clément Chéroux, elle a édité Portes, un cahier de collages surréalistes de Georges Sadoul, Textuel, 2009).
Bibliographie
ABIRACHED, Robert, « Une histoire », dans Théâtre aujourd’hui n°9 : Théâtre et enfance : l’émergence d’un répertoire, Paris, Scéren-CNDP, 2003.
BENEVENTI, Paolo, Introduzione alla storia del teatro-ragazzi, Firenze, La Casa Usher, 1994.
CHANCEREL, Léon, Le Théâtre et la Jeunesse, Paris, Bourrelier, 1941.
LACIS, Asja, Walter Benjamin et le théâtre pour enfants prolétariens, Strasbourg, Le Portique, 2007.
LESOURD, Sibylle, L’Enfant protagoniste : naissance, mouvances et paradoxes d’une figure clé du théâtre contemporain pour la jeunesse en France et en Italie, thèse Paris Sorbonne, 2016.
PAGE, Christiane, Pratiques théâtrales dans l’éducation en France au XXesiècle : aliénation ou émancipation ?, Arras, Artois Presses Université, 2010.
ROMAIN, Marilyne, Léon Chancerel : portrait d’un réformateur du théâtre français, Lausanne, L’Âge d’homme, 2005.
VAN DE WATER, Manon, Moscow theatres for young people : a cultural history of ideological coercion and artistic innovation, 1917-2000, New York, Palgrave Macmillan, 2006.
WINOCH, Michel, Le XXe siècle idéologique et politique, Paris, Perrin, 2009.
YENDT, Maurice, Les Ravisseurs d’enfants. Du théâtre et du jeune spectateur, Arles, Actes Sud-Papiers, 1989.
Presentation
Theatre for young people has come into existence throughout the twentieth century, thanks to pioneering experiences that took place before a dramatic repertoire was properly established. In France, this repertoire has been part of youth literature since the early 2000s. Thus, we propose to look back at those pioneering experiences, through an aesthetic and historical approach. In particular, we will try to understand how twentieth century ideologies may have influenced or even encouraged the development of a theatre for young people in Europe.
The intention is to highlight the conditions for the emergence of theatre for young people from the interwar years to the 1950s, as this period has fostered the emergence of theatrical practices with and for children. In France, Léon Chancerel and Miguel Demuynck’s innovative experiences are generally contrasted with the commercial purposes of the Théâtre du Petit Monde : it is important, however, to paint a more nuanced picture. Other European cases could be explored in depth so as to become more aware of what was created at a time when societies were suddenly preoccupied with children’s leisure activities, and when some totalitarian states used theatre for young people to achieve ideological ends. The experiments which have been conducted in the USSR and in the “people’s democracies” with the advent of the Soviet regime deserve special attention, both for the magnitude of their political project and for their remarkable artistic achievements.
These are possible avenues for reflection :
First of all, it would be interesting to analyze the ideological foundations of this first theatre with and for young people : what refers, in its conception, to a democratic ideal ; but also what it owes to the lyrical strength of certain totalitarian ideologies, like communism or fascism.
To establish a “European landscape” of this first theatre for young people, it would be useful to examine in some detail the theatrical aesthetics dedicated to young audiences that have developed from the interwar period to the 1950s. Some contributions may focus on particular cases, while others may draw comparisons on the scale of a country, or between European countries. One could also shed light on artistic enterprises which have stayed away from ideology and have defended other ways of dealing with young audiences.
Beyond dramatic creation itself, the enquiry can be broadened to the practices of dramatic play that have been initiated by artists towards young people. As a matter of fact, these practices may have enriched the poetic and theoretical imaginary of those who intended to build a theatre for young audiences.
The interwar period and the ensuing post-war years turn out to be a decisive starting point for the history of theatre for young people. According to Robert Abirached, Léon Chancerel was the “founding father” of this artistic sector in France ; another key reference at a European level is the path of Latvian director Asja Lacis, commented on by Walter Benjamin in the 1930s. Therefore, one could try to determine how this foundation period has influenced the utopia of a theatre for young people as it has been formulated in Europe in the post-1968 context.
Submission Guidelines
Proposals (500 words maximum), in English or French should be sent before 14 December 2018 to the journal Strenae: strenae@revues.org, along with a short biography and bibliography.
Proposals will be reviewed by the editor Sibylle Lesourd and the editorial board of the journal. Authors will be promptly notified of the acceptance or rejection of their proposal. Full articles (30,000 characters, including spaces, maximum) are to be submitted by 4 may 2019. Articles will be accepted in English or French.
Publication is scheduled for Fall 2019.
Bibliography
ABIRACHED, Robert, « Une histoire », dans Théâtre aujourd’hui n°9 : Théâtre et enfance : l’émergence d’un répertoire, Paris, Scéren-CNDP, 2003.
BENEVENTI, Paolo, Introduzione alla storia del teatro-ragazzi, Firenze, La Casa Usher, 1994.
CHANCEREL, Léon, Le Théâtre et la Jeunesse, Paris, Bourrelier, 1941.
LACIS, Asja, Walter Benjamin et le théâtre pour enfants prolétariens, Strasbourg, Le Portique, 2007.
LESOURD, Sibylle, L’Enfant protagoniste : naissance, mouvances et paradoxes d’une figure clé du théâtre contemporain pour la jeunesse en France et en Italie, thèse Paris Sorbonne, 2016.
PAGE, Christiane, Pratiques théâtrales dans l’éducation en France au XXesiècle : aliénation ou émancipation ?, Arras, Artois Presses Université, 2010.
ROMAIN, Marilyne, Léon Chancerel : portrait d’un réformateur du théâtre français, Lausanne, L’Âge d’homme, 2005.
VAN DE WATER, Manon, Moscow theatres for young people : a cultural history of ideological coercion and artistic innovation, 1917-2000, New York, Palgrave Macmillan, 2006.
WINOCH, Michel, Le XXe siècle idéologique et politique, Paris, Perrin, 2009.
YENDT, Maurice, Les Ravisseurs d’enfants. Du théâtre et du jeune spectateur, Arles, Actes Sud-Papiers, 1989.