Truth and declaration
« En vérité, je vous le dis »
Regimes of truth, the sciences, the social sciences and religion
Régimes de vérité, sciences (sociales) et religion
Published on Wednesday, October 31, 2018
Abstract
Cet atelier vise à réfléchir aux conditions de production des connaissances scientifiques, à partir d’une analyse des relations entre science et religion et avec une attention plus particulière au cas de la sociologie des religions.
Announcement
Atelier du programme PSL « Agenda pour une sociologie critique des religions »
Argumentaire
Cet atelier vise à réfléchir aux conditions de production des connaissances scientifiques, à partir d’une analyse des relations entre science et religion et avec une attention plus particulière au cas de la sociologie des religions. L’autonomie du champ scientifique « n’est pas une donnée mais une conquête historique, qui est toujours à recommencer » (Bourdieu, 2001 : 100) et cette autonomie est aujourd’hui contestée par un ensemble de stratégies qui tendent à relativiser la frontière entre croyance et connaissance. Comme le souligne P. Mirowski, qui s’est intéressé aux circonstances structurelles favorisant la « production de l’ignorance », « la confusion est devenue une stratégie politique » (cité par Girel, 2018 : 201) : elle peut en effet servir des intérêts politiques, économiques (le financement de « recherches » par les industries du tabac ou des pesticides) ou religieux (l’Intelligence Design comme « théorie » alternative à la théorie de l’évolution).
Les sciences sociales sont elles-mêmes exposées à ce type de confusion et la sociologie tout particulièrement, dans la mesure où ce qui s’y joue est la possibilité de « dire la vérité, ou pire, définir les conditions dans lesquelles on peut dire la vérité » sur le monde social (Bourdieu, 2001 : 170). On voit bien aussi en quoi la position de la sociologie des religions est plus périlleuse que d’autres, compte tenu de ses origines historiques – étroitement liées aux institutions religieuses – et de ses difficultés persistantes à trouver la « bonne » distance vis-à-vis des objets religieux qu’elle étudie. L’autonomie d’un champ scientifique dépendant pour une large part de l’instauration d’un « droit d’entrée », toute l’ambiguïté intrinsèque de certaines approches sociologiques de la religion (qui s’apparentent de fait à des sciences religieuses) consiste à transmuer une proximité problématique avec l’objet d’étude en fondement épistémologique d’une science véritable : il serait impossible de comprendre l’expérience religieuse sans une forme ou une autre de « familiarité » personnelle avec celle-ci. En écho à ces stratégies, le fait que des acteurs religieux s’approprient régulièrement le registre des sciences sociales – comme dans les discours chrétiens sur « les invariants anthropologiques » déployés pour s’opposer au mariage pour tous – soulignent l’acuité de ces enjeux et l’intérêt, pour ces acteurs religieux, de trouver dans le champ académique des relais prêts à participer (consciemment ou non) à la conversion des convictions religieuses en « vérités » scientifiques.
Programme
- 14h-14h45. Mathias Girel (ENS, CAPHES), Ignorance, démarcation et confusion, une lecture pragmatiste.
- 14h45-15h15. Discussion
(Pause)
- 15h 30-16h15. Véronique Altglas (Queen’s University Belfast), Une réforme de la sociologie des religions ? Autour du livre Bringing the Social Back into the Sociology of Religion.
- 16h15-17h. Claude Dargent (Université Paris 8, CRESPPA), Sociologie, science et religion. À propos du livre Science et religion.
- 17h-18h. Discussion générale
- Discutant : Philippe Gonzalez (Université de Lausanne, ISS-THEMA)
Résumés des interventions
- Mathias Girel. Ignorance, démarcation et confusion, une lecture pragmatiste
Dans cet exposé, je m’appuie sur une grille d’analyse proposée dans Science et Territoires de l’ignorance pour étudier deux points, liés entre eux, et qui sont également en rapport avec l’objet de l’atelier : (1) le retour de la question de la démarcation tout d’abord. L’ensemble de la littérature dite agnotologique* repose cette question de manière brûlante car elle laisse apparaître que la différence entre un énoncé qui concourt à la croissance de la connaissance et un autre qui tend à la fragiliser ne peut apparaître au niveau de ce seul énoncé. Pour ne prendre qu’un exemple minimal ici, « il faut plus de recherches » peut jouer ces deux rôles ; je tente de donner donc quelques pistes pour sortir de l’indiscernabilité. (2) Le second point surgit lorsque l’on s’intéresse à la « manipulation de l’information », qui est un aspect (et un aspect seulement) du débat actuel sur l’infox (fake news). Faut-il fonder l’analyse de ce phénomène sur la notion d’intention, et alors le rapprocher de l’ignorance stratégique étudiée par certains sociologues évoqués dans le premier point ? Si l’on s’intéresse seulement aux effets, en laissant de côté la question de l’intention, ces effets sont-ils d’abord épistémiques ou comportementaux ? Créent-ils d’« autres » croyances ou principalement de la confusion, et par là de la démobilisation ?
*[science ou connaissance de l’ignorance]
Girel, M. 2017. Science et Territoires de l’ignorance, Versailles : éditions Quae.
European Journal of Pragmatism and American Philosophy. 2009. Dossier “Pragmatism and the Social Articulation of Doubt”
Proctor, R. 1995. Cancer Wars: How Politics shapes what we know and don’t know about Cancer, New York, Basic Books.
Stavo-Debauge J. 2012. Le loup dans la bergerie : Le fondamentalisme chrétien à l’assaut de l’espace public, Genève, Labor et Fides.
- Véronique Altglas. Une réforme de la sociologie des religions ? Autour du livre Bringing the Social Back into the Sociology of Religion.
Cette communication a pour objectif de présenter l’ouvrage Bringing the Social Back into the Sociology of Religion (Brill, 2018) et plus largement de discuter du développement d’une sociologie critique de la religion. Les contributeurs de l’ouvrage explorent la manière dont le fait de « remettre du social dans la sociologie des religions » rend possible une compréhension sociologique plus adéquate de sujets tels que les relations de pouvoir, les émotions, le soi, ou les relations ethniques en terrain religieux. Ils le font en particulier en renouant avec les débats théoriques des sciences sociales, en soulevant des questions épistémologiques et en analysant les conditions d’une véritable réflexivité scientifique en sociologie des religions. Nous ferons l’esquisse d’une sociologie de la sociologie de la religion, et débattrons des faiblesses d’une sociologie qui, trop souvent, a été une sociologie ‘pour’ la religion plutôt que ‘de’ la religion. La question est d’autant plus importante que nous observons un retour d’une sociologie religieuse à proprement parler, dont nous discuterons des nombreuses conséquences épistémologiques.
Véronique Altglas est maitresse de conférences en sociologie à Queen’s University Belfast depuis 2009. Ses travaux concernent la globalisation de la religion, les transformations de la religiosité contemporaine et les réponses apportées à la diversité religieuse, dans une perspective comparative. Elle a mené des recherches sur l’expansion transnationale des mouvements néo-hindous et sur la gestion de la diversité religieuse en France et en Grande Bretagne. Plus récemment, elle a exploré la popularisation de la kabbale en France, Grande Bretagne, au Brésil et en Israël. Ces travaux empiriques s’inscrivent plus largement dans une réflexion concernant les pratiques contemporaines de bricolage et la formation des identités, ainsi que des questions épistémologiques propre à la sociologie des religions.
Ses ouvrages : Le nouvel hindouisme occidental. Paris: Éditions du CNRS, 2005; Religion and Globalization: Critical Concepts in Social Studies. London: Routledge. 2010; Religious Exoticism: The Logics of Bricolage in Contemporary Societies. New York: Oxford University Press, 2014; Bringing the Social Back into the Sociology of Religion. Leiden: Brill, 2018.
- Claude Dargent. Sociologie, science et religion
Le livre collectif Science et religion (2017, CNRS Alpha) présente une série d’enquêtes sur les relations empiriques entre les sciences et les institutions religieuses. Il analyse les lignes d’opposition entre science et religion, et les stratégies mises en œuvre par différents acteurs religieux visant à les assumer, les nier ou les subvertir. Il explore également les compromis et les accommodements, informels ou institutionnels, qui se nouent entre convictions religieuses et connaissances scientifiques.
L’observation de ces relations et de leurs « zones grises » invite à un retour réflexif sur l’histoire de la sociologie des religions et la sociologie de la science. Dans la littérature en sciences sociales, celles-ci ne cessent en effet de se croiser depuis un siècle et demi. À plusieurs reprises, ce sont les mêmes auteurs qui ont fait progresser ces deux sociologies spécialisées. Émile Durkheim, avec les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), a voulu poser les bases des deux sous-disciplines, et cela dans le même ouvrage. À la même époque, Max Weber a proposé des analyses qui restent fondamentales que ce soit en sociologie des religions avec les différents textes rassemblés dans les Gesammelte Aufsätze zur Religionsoziologie ainsi que les pages concernant ce thème dans Économie et Société, et en sociologie des sciences avec les Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Ce double intérêt se retrouve à nouveau dans les années 1960, avec les écrits de Peter L. Berger et Thomas Luckman.
À partir des contributions du livre et en revenant sur cette histoire disciplinaire, il s’agira d’éclairer à la fois les ambiguïtés d’une sociologie de la science qui refuse de choisir entre « le rationnel de la science avec un grand S et l’irrationnel de la Religion avec un grand R (Latour, 2002) et les difficultés d’une sociologie des religions qui peine à trouver la « bonne distance » avec son objet.
Berger P. L. et Luckmann T. 1963. Sociology of Religion and Sociology of Knowledge, Sociology and Social Research, 47 (4) : 417-27.
Dargent C., Fer Y. & Liogier R. 2017. Science et religion, Paris, CNRS Alpha.
Latour B. 2002. Jubiler, ou les tourments de la parole religieuse, Paris, Le Seuil.
Gingras Y., 2013. Sociologie des sciences, Paris, Presses Universitaires de France.
Michel P. 1995. Le retour du religieux : la grande illusion, Projet, 240 : 66-73.
Avon D. et Pelletier D. 2016. Sciences et religions au XXe siècle : introduction, Vingtième Siècle 2016/2 no 130 : 4-15.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Mind and language > Thought > Philosophy
- Society > Science studies > Sociology of science
- Mind and language > Religion > Sociology of religion
- Periods > Modern > Twenty-first century
Places
- ENS, Salle 236 - 29 rue d’Ulm
Paris, France (75005)
Date(s)
- Thursday, November 08, 2018
Attached files
Keywords
- science, religion, ignorance
Contact(s)
- Yannick Fer
courriel : yannick [dot] fer [at] ens [dot] psl [dot] eu - Philippe Gonzalez
courriel : philippe [dot] gonzalez [at] unil [dot] ch
Information source
- Yannick Fer
courriel : yannick [dot] fer [at] ens [dot] psl [dot] eu
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To cite this announcement
« Truth and declaration », Study days, Calenda, Published on Wednesday, October 31, 2018, https://doi.org/10.58079/116y