AccueilQue peut le récit ? Pouvoir des narrations et narrations du pouvoir

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Que peut le récit ? Pouvoir des narrations et narrations du pouvoir

What can narratives do? The power of narration and the narration of power

Perspectives franco-allemandes

Franco-German perspectives

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Publié le mardi 15 janvier 2019

Résumé

À travers cette journée d’études nous souhaitons inviter les participants à la réflexion au sujet tant des pouvoirs des récits que des modalités d’appropriation et de diffusion de ceux-ci de la part des détenteurs du pouvoir. Ce projet vise à trouver un point de rencontre entre l’axe 1 et l’axe 4 de recherche du Centre Marc Bloch, étant la notion de récit applicable tant à la thématique des « Mutations de l’ordre social » qu’à celle de la « Réception des savoirs ». Nous invitons les participants à focaliser leur attention sur des cas liés à l’espace franco-allemand.

Annonce

Berlin, 02 et 03 mai 2019

Centre Marc Bloch, Friedrichstraβe 191, 10117 Berlin, Allemagne

Argumentaire

« Malgré tous les livres anciens sur la narrativité et tous les essais récents sur le storytelling, nul n’est encore parvenu à déterminer ce que peut un récit1» : le constat d’Yves Citton, plutôt que nous décourager, nous invite à renouveler avec plus de conviction nos essais d’éclaircir ce qu’un récit serait capable de réaliser. Ces tentatives sont d’autant plus légitimes de nos jours si on pense qu’on assiste, depuis une trentaine d’années, à ce que Martin Kreiswirth appelle le « tournant narratif » en sciences humaines et sociales2. Ce regain d’intérêt que les études du récit ont connu et continuent à connaître se traduit par une « omniprésence des récits3 » dans tout contexte, académique ou non. En réalité, les thèses de Paul Ricœur et de Hayden White à propos de l’existence d’une « structure pré-narrative de l’expérience4 » ont exercé une influence si grande et si généralisée au point qu’aujourd’hui il ne serait guère possible d’analyser notre rapport avec le monde sans considérer, au préalable, le pouvoir structurant des narrations. À ce propos, dans ses écrits sociologiques et ethnographiques, Bruno Latour souligne à plusieurs reprises le rôle crucial des narrations au sein des sociétés : « de la tragédie grecque à la bande dessinée, les romans, les dialogues de théâtre et les films offrent un vaste domaine où nous apprenons tous à faire des commentaires plus ou moins sophistiqués sur ce qui nous fait agir5 ». Selon Latour le récit représenterait, d’une part, un outil méthodologique fondamental dans l’analyse de ce qui structure et fédère des catégories sociales différentes au sein d’une société et, d’autre part, un objet d’études privilégié pour les sciences sociales, étant donnée sa capacité d’opérer comme un véritable « acteur » au sein du même espace social. Cet intérêt double à propos des narrations aboutirait, selon Latour, à une reconfiguration des méthodes d’analyses des sciences sociales qui, quant à elles, devraient s’inspirer de la narratologie afin de pouvoir saisir les modulations d’une société dans toute leur variété et complexité.

Grâce à ce tournant narratif en sciences humaines et sociales, le récit a donc abandonné les limites exiguës que l’époque structuraliste a voulu lui attribuer, à savoir l’espace d’écriture d’un texte littéraire, pour accéder à des lieux qu’il y a peu de temps on aurait considéré inattendus. Comme le souligne Christian Salmon dans son best-seller Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, l’« art de raconter » s’est désormais imposé dans tous les secteurs, jusqu’à s’insinuer dans les hautes sphères du pouvoir politique et économique. Selon l’auteur français, depuis la campagne présidentielle de George Bush de 2004, les politiciens font un usage régulier de la pratique fabulatrice afin de « conduire les conduites6 » des citoyens dans l’espace politique et social. L’art de raconter se révèle ainsi particulièrement efficace dans la mesure où les histoires conçues en vue de la transmission d’un nombre de règles de conduite favoriseraient l’orientation des gestes et des comportements des électeurs réels et potentiels vers des sentiers préétablis.

À travers cette journée d’études nous souhaitons inviter les participants à la réflexion au sujet tant des pouvoirs des récits que des modalités d’appropriation et de diffusion de ceux-ci de la part des détenteurs du pouvoir. Ce projet vise à trouver un point de rencontre entre l’axe 1 et l’axe 4 de recherche du Centre Marc Bloch, étant la notion de récit applicable tant à la thématique des « Mutations de l’ordre social » qu’à celle de la « Réception des savoirs ». Nous invitons les participants à focaliser leur attention sur des cas liés à l’espace franco-allemand. Les langues de la journée d’études seront le français et l’allemand. Les contributions pourraient s’insérer dans les trois axes qui suivent :

  1. Pouvoir des narrations : Quel est le rôle joué par les récits dans la structuration des champs social et politique ? En quoi leur rôle dépasse le cadre de la simple représentation mimétique d’un statu quo de nos sociétés et comment ? Si on conçoit les narrations comme des « manières de faire des mondes7 », ou comme des dispositifs capables de véhiculer des formes de savoir alternatif, leur dimension éthique en tant que « contre-pouvoir » apparaît clairement. Cet aspect a été notamment exploré par les spécialistes des théories du « care » qui, quant à eux, ne cessent pas de souligner le pouvoir bénéfique des narrations dans l’objectif commun de « réparer le monde8 ». Le récit représenterait donc non seulement un instrument de manipulation politique mais également une des formes de « contre-pouvoir » les plus efficaces, possédant une valeur éthique et social considérable. Nous invitons les participants à réfléchir à l’égard du pouvoir du récit entendu à la fois comme dispositif fédérateur capable de regrouper des collectivités très différentes que comme moyen d’expression favorisant une prise de conscience critique et autoréflexive.

  1. Narrations du pouvoir : En quoi les narrations sont consciemment utilisées en tant que pratique du pouvoir politique, par qui et comment ? Quels sont les types de discours narratifs les plus utilisés par les gouvernants ? Quelles sont les modalités dont les détenteurs du pouvoir se servent afin de forger leurs narrations et pour quels objectifs ? Quel genre de « postures9 » assument les puissants afin de transmettre plus efficacement le contenu de leurs histoires ? L’approche rhétorique adoptée par James Phelan et Peter Rabinowitz10, ainsi que l’approche « méta-herméneutique » proposée par Liesbeth Korthals Altes11 peuvent fournir des appuis méthodologiques intéressants à cet égard.

  2. Narrations et nouvelles méthodologies : Comment les sciences humaines et sociales ont-elles réagi à l’avènement du tournant narratif ? Ont-elles réussi à développer des méthodes d’analyse capables de saisir le pouvoir des narrations dans toute leur variété et complexité ? Lorsqu’on prend en compte les réflexions récentes de Rita Felski et d’autres chercheurs sur la possibilité de « recomposer les sciences humaines », notamment à l’aide d’une approche latourienne12, on peut se demander si un tel renouvellement pourrait être réalisé par le biais de théories narratives.

Si les approches différentielles, pragmatiques et multidisciplinaires nous semblent les plus appropriées afin de rendre compte de la variété des récits et de leurs effets, cela n’exclut nullement les réflexions de type « objectiviste » ou « ontologique ». Toute approche visant à regrouper les perspectives constructiviste et objectiviste sera donc la bienvenue13.

Modalités de soumission

Les propositions de contribution pourront être rédigées en français et en allemand. Veuillez soumettre un résumé de 250 mots ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique

jusqu’au 28/02/2019

aux organisateurs de la journée d’études :

  • Antonino Sorci : antosorci@hotmail.it
  • Eva S. Wagner : es.wagner@gmx.net

Veuillez indiquer « Que peut le récit : proposition » comme objet de vos propositions.

La prise en charge de l’hébergement et le remboursement forfaitaire du transport des participant.e.s sont prévus.

Organisation

Journée d’études organisée par Antonino Sorci et Eva Sabine Wagner

Références

Y. Citton, Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche. Paris, Éditions Amsterdam, 2010, p. 77.

M. Kreiswirth, « Tell Me a Story: The Narrativist Turn in the Human Sciences, », dans Constructive Criticism : the Human Sciences in the Age of Theory, ed. M. Kreiswirth et T. Carmichael, Toronto, University of Toronto Press, 1995, pp. 61-87.

3 Y. Citton, op. cit., p. 67.

P. Ricœur, Temps et récit I, Paris, Seuil, 1983, p. 113.

5 B. Latour, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, « Armillaire », 2005, p. 79.

6 M. Foucault, « Le sujet et le pouvoir », dans Dits et écrits, Paris, Gallimard, tome II, p. 1056.

7 N. Goodman, Manières de faire des mondes, Paris, Gallimard, 2007.

8 A. Gefen, Réparer le monde – La littérature française face au XXIe siècle, Paris, Édition Corti, 2017.

9 Selon Jérôme Meizoz une « posture d’auteur » est « la singularisation d'un positionnement auctorial : une tentative de se présenter comme unique, hors de toute appartenance ». Pour approfondir voir J. Meizoz, La littérature « en personne ». Scène médiatique et formes d’incarnation, Slatkine Érudition, Genève 2016.

10 Voir notamment J. Phelan et al. (ed.), Narrative Theory: Core Concepts and Critical Debates, Columbus, Ohio State University Press, 2012.

11 Voir L. K. Altes, Ethos and Narrative Interpretation: The Negotiation of Values in Fiction, Lincoln, University of Nebraska Press, 2014.

12 Voir la note introductive de Rita Felski dans « Recomposing the Humanities — with Bruno Latour ». New Literary History 47, 2-3 (2016), pp. 215-229.

13 Pour approfondir voir notamment F. Passalacqua, F. Pianzola, « Epistemological Problems in Narrative Theory, Objectivist vs. Constructivist Paradigm » dans Narrative Sequence in Contemporary Narratology, ed. R. Baroni et F. Revaz, Columbus, The Ohio State UP, 2016, pp. 196-217.

Catégories


Dates

  • jeudi 28 février 2019

Mots-clés

  • récit, narration, pouvoir, sociologie, narratologie, littérature

Source de l'information

  • Antonino Sorci
    courriel : antosorci [at] hotmail [dot] it

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Que peut le récit ? Pouvoir des narrations et narrations du pouvoir », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 15 janvier 2019, https://doi.org/10.58079/11s4

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