Ce dossier entend initier une discussion et une réflexion sur l’utilisation des méthodes visuelles, et en particulier des images fixes et animées, dans la recherche en sciences sociales qui rend compte du phénomène à la fois ancien mais très contemporain de la migration. Plusieurs pistes de réflexions sont proposées : heuristique, méthodologique, éthique. Une dimension comparative, mettant en relation l'usage des méthodes visuelles avec la production d'images médiatiques, peut être ajoutée à ces différentes pistes de réflexion.

Coordination

Christine Larrazet, Isabelle Rigoni, Myriame Alioualla

Argumentaire

La conjoncture migratoire caractérisant l’Europe et la France des années 2010 est singulière, marquée par une augmentation du nombre de demandeurs d’asile en provenance de zones de conflits anciens (en Afrique subsaharienne, Irak, Afghanistan) et plus récents (guerre en Syrie), et de pays secoués par de puissants mouvements socio-politiques (Tunisie, Egypte). Dans l’Europe des 28, le nombre de demandes d’asile est passé de 309 040 en 2011 à 705 680 en 2017[1]. En France, l’OFPRA enregistre depuis 2016 un nombre record de dossiers de demandes d’asile, battant celui de 1989 au moment de l’effondrement du mur de Berlin et de l’éclatement du bloc soviétique. En 2017, la barre des 100 000 demandes d’asile est franchie et la France devient le troisième pays d’enregistrement des demandes dans l’Union, derrière l’Allemagne et l’Italie. Cette situation et sa forte emprise dans le débat public ont conduit à de nombreuses crispations sociales et politiques dans la plupart des pays européens. Cette crise de l’accueil a été largement documentée, notamment du point de vue de sa couverture médiatique (Georgiou, Zaborowski, 2017). Pour autant, les problématiques liées aux migrations apparaissent comme récurrentes, et les sciences sociales s’interrogent depuis un siècle (Thomas, Znaniecki, 1919) sur les méthodes et les outils pouvant être mobilisés pour rendre compte au plus près des expériences migratoires (Berthomière, 2012 ; Clavé-Mercier, Rigoni, 2017), en particulier en s’appuyant sur les méthodes visuelles qui ont historiquement été utilisées dans le cadre de travaux sur les personnes marginalisées ou minorisées (Becker, 1963 ; Collier, 1967 ; Suchar, 1997 ; Chauvin, Reix, 2015).

Ce dossier entend initier une discussion et une réflexion sur l’utilisation des méthodes visuelles, et en particulier des images fixes et animées, dans la recherche en sciences sociales qui rend compte du phénomène à la fois ancien mais très contemporain de la migration. Plusieurs pistes de réflexions sont proposées.

Réflexion heuristique. Quel peut être l'apport ajouté des méthodes visuelles dans l'enquête sur la migration internationale ? Quels aspects de l'expérience migratoire, ignorés ou dissimulés par d'autres outils des sciences sociales, les méthodes visuelles peuvent ou ont pu révéler ? Quels sont les atouts et les limites de l'usage des images fixes ou animées pour témoigner des parcours migratoires tout autant que pour contribuer à l’analyse des effets socio-politique de ces mouvements ? La réflexion devra s'appuyer sur des exemples concrets de pratiques d'enquêtes et de résultats apportés par l'emploi de méthodes visuelles, combinées ou non avec d'autres méthodes.

Réflexion méthodologique. Quels outils visuels peut-on mobiliser dans nos pratiques de recherche afin de mieux appréhender et de mieux restituer les données quantitatives et qualitatives liées aux migrations ? Photo elicitation, documentaires, approches participatives, dessins, cartes mentales, etc. ? Quelles nouvelles expérimentations sont possibles ? Comment et pourquoi mobiliser ces outils, auprès des migrants mais aussi aveceux, pour témoigner des parcours migratoires et des agencements que ceux-ci font au quotidien à la fois dans leur espace privé et dans l’espace public ? Ici, sont attendus des comptes rendus d'enquête comportant une dimension réflexive centrée sur les outils et leur utilisation.

Réflexion éthique. L'appréhension de l'expérience migratoire, son analyse ou sa restitution par le biais des méthodes visuelles engage-t-elle un questionnement éthique particulier ? Les questions de sécurité, d'intime, de respect du droit à l'image se déclinent-elles différemment dans ce champ d'étude ? Ou se posent-elles plus fortement ? Quelle posture occupe le chercheur sur l'échelle allant de la recherche de l’objectivation au subjectif assumé ?

Une dimension comparative, mettant en relation l'usage des méthodes visuelles avec la production d'images médiatiques, peut être ajoutée à ces différentes pistes de réflexion car se re-pose aujourd'hui avec acuité la question du cadrage médiatique de l'immigration. Quel apport particulier peuvent avoir les méthodes visuelles en sciences sociales en contrepoint des cadrages médiatiques parmi lesquels "l'ordre public" et "l'humanitaire" dominent (Benson, 2018), où "l'économique" accompagne la « sécuritisation » du sujet (Caviedes, 2015), voire une « crimmigration » (Brouwer, van der Woude, van der Leun, 2017) ?

Calendrier

15 février 2019 : envoi des propositions d'articles

sous forme d’un résumé de 1500 à 3000 signes, espaces comprisprécisant bien la question centrale, le cadrage théorique et/ou méthodologique, et la contribution de l'article, aux coordinatrices du numéro :

• myriame.alioualla@gmail.com
• christine.larrazet@u-bordeaux.fr
• isabelle.rigoni@inshea.fr

15 mars 2019 : sélection des propositions. Les auteurs seront informés de la sélection

15 juin 2019 : réception des articles pour relecture en double aveugle pour publication envisagée au premier trimestre 2020

Rappel des consignes aux auteurs :https://rfmv.fr/ecrire-dans-la-revue/

Références citées

BECKER Howard (1963), Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance, London, Free Press of Glencoe.

BENSON Rodney (2018), L'immigration au prisme des medias,Presses Universitaires de Rennes.

BERTHOMIÈRE William (2012), En-quête de signes : Migrations, Places et Continuité(s), Université de Poitiers, HDR.

BROUWER Jelmer, VAN DER WOUDE Maartje, VAN DER LEUN Joanne (2017), "Framing migration and the process of crimmigration: A systematic analysis of the media representation of unauthorized immigrants in the Netherlands", European Journal of Criminology, 14(1), p.100-119.

CAVIEDES Alexander (2015), "An emerging ‘European’ portrayal of immigration?", Journal of Ethnic and Migration Studies, 41(6), p.897-917.

CHAUVIN Pierre-Marie, REIX Fabien (2015), Sociologies visuelles (Dossier), L’Année sociologique, 65(1).

CLAVÉ-MERCIER Alexandra, RIGONI Isabelle (2017), Enquêter sur les migrations (Dossier), Migrations Société, 29(167), janvier-mars.

COLLIER John, COLLIER Malcolm (1986 [1967]), Visual anthropology. Photography as a research method, UNM Press.

GEORGIOU Myria, ZABOROWSKI Rafal (2017), Couverture médiatique de la « crise des réfugiés » : perspective européenne, Rapport du Conseil de l’Europe, DG1(2017)03.

SUCHAR Charles (1997), “Grounding Visual Sociology Research in Shooting Scripts”, Qualitative sociology, 20(1), p.33-55.

THOMAS William I., ZNANIECKI Florian (1998 [Chicago, 1919]), Le paysan polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie d’un migrant, Paris, Nathan.

[1]HCR, données Eurostat, http://www.europarl.europa.eu/external/html/welcomingeurope/default_fr.htm, consulté le 28 septembre 2018.