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« Fake news » ! Savoirs, pouvoirs et conflits dans l’espace public

Fake news : Knowledge, power and conflict in the public space

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Publié le mercredi 16 janvier 2019

Résumé

La revue Études de communication lance un appel à contribution pour un numéro thématique visant à interroger les logiques et les pratiques sociales, individuelles ou institutionnelles, participant à l’émergence, à l’appropriation, à la production et à la mise en circulation des discours à propos des fake news. Largement ouvert aux disciplines constituant les sciences humaines et sociales et aux multiples écoles constructivistes (pragmatiste, interactionniste, relationniste, systémiste, structuraliste…), cet appel souhaite réunir dans un dossier publié par la revue Études de communication des travaux originaux permettant une analyse du phénomène. Des travaux amenant un éclairage de la notion dans son épaisseur historique, juridique et socio-économique seront également appréciés.

Annonce

Coordination

Cyrille Bodin (LISEC, Université de Strasbourg) et Mikaël Chambru (GRESEC, Université Grenoble Alpes)

Argumentaire

Depuis quelques années déjà, le terme fake news est fréquemment évoqué dans les débats publics et semble mobilisé par une grande diversité de champs sociaux, professionnels, militants ou institutionnels. Ce qui apparait comme un mot-valise a, en très peu de temps, investi les espaces publics pour caractériser des phénomènes sociaux pourtant fortement hétérogènes : élections et référendums aux résultats « imprévus », résurgence des actes de terrorisme en Europe, contexte géopolitique perçu selon les catégories héritées de la « guerre froide », contestation de l’expertise officielle lors de multiples controverses sociotechniques ou socioscientifiques, etc.

Profondément ambivalente, cette catégorisation contemporaine apparaît inséparable de ce qui est perçu péjorativement comme une « démocratie d’opinion », rattachée à une conception libérale de l’information régissant le modèle démocratique. Nombre de celles et ceux qui utilisent le terme jugent que l’irruption des fake news marque l’entrée du monde dans une ère nouvelle, celle d’une supposée « post-vérité », d’un « relativisme » ou « d’un retour à l’obscurantisme ». Or, le développement des réseaux socionumériques, aujourd’hui accusés de favoriser l’émergence d’un « nouveau régime » ne distinguant guère le « vrai » du « faux », s’est accompagné idéologiquement, il y a peu encore, d’un discours déterministe, promissif et utopique souvent formulé par les mêmes acteurs (Loveluck, 2015)... Mais, à y regarder de près, les caractéristiques aujourd'hui attribuées aux fake news ne sont pas si nouvelles : les rumeurs, calomnies, mensonges d’État, balivernes, sornettes et autres billevesées relèvent de pratiques aussi anciennes que l’espace public lui-même (Froissart, 2010). Cet appel à communication invite précisément à ne pas céder à la fascination et à la célébration hâtive de la « rupture » et de la « révolution » techniques afin d’identifier les mutations sociales en cours et ses multiples enjeux pratiques.

Prenant place dans la confrontation des savoirs, les énoncés portant sur les fake newsoccultent, sous la forme d’un discours de substitution, un ensemble de phénomènes, de théories ou d’hypothèses issues des Sciences humaines et sociales (SHS). Par exemple, la question d’une modernité réflexive voyant le développement d’une critique sociale tournée contre les formes de la parole officielle et de ses rapports à une tradition épistémologique positiviste (Beck, 2001), la question d’un renforcement des échanges circulaires entre savoirs scientifiques et savoirs militants contribuant à brouiller la distinction instituée entre sciences et sociétés (Ollitrault, 1996), ou encore la question de la reconnaissance sociale des critères de scientificité, de leur apparence et de leur appartenance, permettant d’établir un monopole sur la parole politiquement légitime (Bourdieu, 1984).

Certaines formes de médiations culturelles, issues des sciences et du journalisme notamment, se montrent particulièrement investies dans la production de ces discours au travers des pratiques du « fact checking », de la « street epistemology », de « l’entretien épistémique » ou encore du « débunkage ». Les outils conceptuels alors mobilisés, mêlant conceptions épistémologiques issues d’une tradition héritée des sciences de la nature et des sciences expérimentales, jugements de valeurs naturalisés « au nom de la science » et prises de positions proprement politiques, réduisent la complexité des phénomènes de communication à la lecture unique d’une « transmission » ou d’une « propagation ». Dans ce cadre, afin de se produire socialement selon les contrats relationnels de la vulgarisation, le scientisme militant se substitue aux énoncés contemporains produits par les SHS en général, et par les Sciences de l’information et de la communication (SIC) et de l’épistémologie en particulier (Bodin, 2013).

En ce sens, l’émergence et la circulation des discours à propos des fake news invite à une nécessaire déconstruction critique, notamment en questionnant les usages diversifiés de ce terme. Plus particulièrement les imaginaires portés par les différents champs sociaux en regard des concepts et théories de la communication et de l’épistémologie ainsi que le phénomène d’une professionnalisation et d’une technicisation croissante des champs socioprofessionnels impliquant la construction de délimitations par le discours du « vrai ». Plus largement, cette déconstruction critique invite à penser l’existence et la circulation des fake news, non pas comme une menace intrinsèque pour les discussions démocratiques ou scientifiques, mais au contraire comme dessinant les possibilités de leur renouvellement par la mise en lumière des positions normatives qui leur sont fondamentalement constitutives (Cervera-Marzal, 2019).

Trois axes thématiques, non exclusifs les uns des autres, peuvent servir de repérage aux propositions d'articles pour ce dossier.

Axe 1 – Usages et configurations sémiotiques d’un mot-valise

La notion fake news apparait théoriquement selon la perspective d’une formule, constituant « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire » (Krieg-Planque, 2009). La formule se présente sous la forme apparente d’un discours figé caractérisé par une forte stabilité du signifiant et d’une non-moins forte hétérogénéité de ses signifiés. Elle se pose comme un référent social unique et s’impose comme point de passage obligé dans la discussion des domaines thématiques qui lui sont liés.

En particulier, la formule des fake news embarque avec elle une certaine conception du « vrai » ou de l’évidence, contre lequel il apparaît difficile de lutter, sous peine de « tomber dans le faux », de défendre de « fausses idées », voire de verser dans le « relativisme ». Mais les fakes news ne se présentent-elles pas plus précisément selon la perspective d’une « formule collocative » (Certeau, 1990), dès lors qu’une grande diversité d’acteurs ou de champs sociaux la mobilise, se l’approprie et en réagence les significations selon des dispositions et usages tactiques ou stratégiques ? Manière d’habiter par l’énonciation des territoires communicationnels et symboliques, les discours à propos des fake newsrelèveraient-ils de jeux et d’enjeux de positionnement, d’identité ou de postures prises en fonction d’imageries ou d’imaginaires du « vrai » ?

Axe 2 – Pratiques et professionnalisation de la communication publique et institutionnelle

L’ensemble des structures institutionnelles composant le monde social s’est mis en mouvement, par le discours, au travers de la formule des fake news. Les institutions fondées sur la représentation (politique, scientifique, éducative, sécuritaire, médiatique ou culturelle…) sont contraintes, dans leurs nécessités symboliques, à se positionner au travers d’un ordre du discours vrai (Foucault, 1971). Et si la formule semble répondre à des logiques d’appropriation sociale particulièrement hétéroclites, polysémiques et polychrésiques (Jeanneret, 2014), les discours à propos des fake news ne présentent-ils pas en revanche une certaine unicité, voire une univocité et une unilatéralité, dans le rapport qu’ils instaurent au « vrai » ? Alors nécessités inhérentes à la vie institutionnelle, ne proposent-ils pas des contrats relationnels permettant, implicitement ou explicitement, une sacralisation du représentant et une construction, fictionnelle et néanmoins généralisée, du représenté selon la figure du « profane » (Fromentin & Wojcik, 2008) ?

Questionner les discours à propos des fake news revient ainsi à interroger les conceptions portées par les champs sociaux et professionnels à propos de l’espace public, du rôle et des fonctions qu’ils occupent en son sein. C’est questionner également le phénomène d’une professionnalisation et d’une technicisation croissante des champs socioprofessionnels impliquant la construction de délimitations sociales par le discours « vrai ». C’est aussi interroger les conceptions déterministes, techniques et culturelles, accompagnant les logiques d’une informationnalisation, d’une extension et néanmoins d’une fragmentation des pratiques communicationnelles (Miège, 2007).

Axe 3 – Enjeux et conflictualités des imaginaires du « vrai »

Un énoncé peut-il être « vrai » en soi, ou le devient-il en circulant socialement et en étant accepté comme tel ? Un énoncé est-il, de manière manichéenne, soit « vrai » ou soit « faux », ou alors peut-il être « vrai » et « faux » en même temps, selon les jeux de perspectives parmi lesquels on le mobilise ? Deux énoncés, pourtant opposés, ne peuvent-ils être tous les deux « vrais » ? Parmi ces conceptions, discutées depuis quelques millénaires déjà, le brusque regain d’intérêt pour l’énonciation publique du « vrai », observable au travers du recours à la formule des fake news, semble moins marqué par le questionnement public de l’épistémologie du discours « vrai », que par l’affirmation (ou la réaffirmation) d’une conception positive, naturalisée, naïve et latitudinaire « du savoir vrai », se réalisant au travers d’un « imaginaire du lointain » (Le Marec, 2010). Et dans ce cadre, les collectifs composant le scientisme militant apparaissent particulièrement actifs.

Et malgré les enjeux posés par l’absence de définition claire de la formule, les discours à propos des fake news se matérialisent très concrètement au travers du déploiement d’un ensemble de dispositifs académiques visant leur régulation : foisonnement de conférences, de journées d’études et de séminaires organisés par des institutions scientifiques, scolaires ou parascolaires ; prolifération de formations et d’ouvrages supposés permettre une « auto-défense intellectuelle » ou l’adoption de « bonnes » pratiques afin de résister aux fake news, etc. Émanant d’instances périphériques vis-à-vis des lieux de production des savoirs scientifiques, ces prescriptions normatives ne relèvent-elles pas d’une conversion des positions scientifiques en une posture faite d’arguments d’autorité (Tavernier, 2012) ? Ne participent-elles pas également à invisibiliser la conflictualité liée aux différents types de connaissances recevables dans les arènes scientifiques ?

Répondre à la déconstruction des discours portant sur les fake news

Cet appel à communication vise à interroger les logiques et les pratiques sociales, individuelles ou institutionnelles, participant à l’émergence, à l’appropriation, à la production et à la mise en circulation des discours à propos des fake news. Largement ouvert aux disciplines constituant les SHS et aux multiples écoles constructivistes (pragmatiste, interactionniste, relationniste, systémiste, structuraliste…), cet appel souhaite réunir dans un dossier publié par de la revue Études de communication des travaux originaux permettant une analyse du phénomène. Des travaux amenant un éclairage de la notion dans son épaisseur historique, juridique et socio-économique seront également appréciés.

Sélection des propositions

La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :

  • sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 mots qui présentera les objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi que quelques orientations bibliographiques
  • pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur la base des articles définitifs

Les instructions aux auteurs sont disponibles sur le site de la revue : http://edc.revues.org.

L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité.

L’envoi des résumés au plus tard le 1er février au format Word (.doc) ou PDF se fait aux deux adresses suivantes : cyrillebodin@yahoo.fr et mikael.chambru@univ-grenoble-alpes.fr.

Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français ou en anglais. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.

Calendrier

  • 1er février 2019 : soumission des résumés pour évaluation

  • 10 mars 2019 : notification de l’acceptation ou du refus
  • 10 juin 2019 : remise de la version complète des articles
  • 20 Septembre 2019 : réception des versions définitives
  • Fin décembre 2019 : publication du numéro 53

Comité de lecture

(en cours de constitution)

  • Igor Babou (LADYSS, Sorbonne Universités Cité), 
  • Romain Badouard (CARISM, Université Panthéon Assas), 
  • Sarah Cordonnier (ELICO, Université Lyon 2), 
  • Manuel Cervera-Marzal (FNRS, Université de Liège, Belgique), 
  • Marine Dhermy-Mairal (IPB, Université de Genève, Suisse), 
  • Lise Henric (CEREGE, Université de Poitiers), 
  • Jérôme Lamy (CERTOP, CNRS), 
  • Coralie Le Caroff (GERiiCO, Université de Lille), 
  • Olivier Leclerc (CERCRID, CNRS), 
  • Marieke Muller-Stein (CREM, Université de Lorraine), 
  • Mathieu Quet (CSSP, Jawaharlal Nehru University, Inde), 
  • Roselyne Ringoot (GRESEC, Université Grenoble Alpes),
  • Aurélie Tavernier (CEMTI, Université Paris Lumières)

Appel à articles pour la rubrique Varias

Études de communication lance un appel à articles permanent pour sa rubrique Varias.

Toutes les propositions dans les différents domaines de la recherche en SIC sont les bienvenues.

Les consignes de rédaction sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/.

Bibliographie

Beck U. (2001). La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier.

Bodin C. (2013). « Les dispositifs de publicisation des sciences sous l’emprise de l’idéologie de la vulgarisation : la formation des moniteurs d’enseignement supérieur aux métiers de l’enseignement et de la recherche par la communication opérationnelle et le positivisme ». In Vacher B., Le Moënne C., Kiyindou A. (dir.), Communication et débat public – Les réseaux numériques au service de la démocratie, Paris, L’Harmattan, p.47-56.

Bourdieu P. (1984). Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit.DOI : 10.17323/1726-3247-2017-4-91-119

Certeau (de) M. (1990), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard.

Cervera-Marzal M. (2019). Post-vérité. Pourquoi faut-il s’en réjouir, Lormont, Le Bord de l’eau.

Foucault M. (1971). L’ordre du discours, Paris, Gallimard.

Froissart P. (2010). La Rumeur, Paris, Belin.

Fromentin T., Wojcik S. (2008). Le profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan.

Krieg-Planque A. (2009). La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté.

Jeanneret Y. (2014). Critique de la trivialité. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Paris, Éditions Non Standard.

Le Marec J. (dir.) (2010). Les études de sciences. Pour une réflexivité institutionnelle, Paris, Archives contemporaines.

Loveluck B. (2015). Réseaux, libertés et contrôle. Une généalogie politique d’internet, Paris, Armand Colin.

Miège B. (2007). La société conquise par la communication III. Les Tic entre innovation technique et ancrage social, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble.

Ollitrault S. (1996). « Science et militantisme : les transformations d’un échange circulaire. Le cas de l’écologie française ». In Politix, vol. 36, p. 141-162.DOI : 10.3406/polix.1996.1983

Tavernier A. (dir.) (2012). Dossier « Scientisme(s) et communication ». In Médiation et information, vol. 35.


Dates

  • vendredi 01 février 2019

Fichiers attachés

Mots-clés

  • fake news, savoir, pouvoirs, conflit, espace public, post-vérité, communication, épistémologie, critique

Contacts

  • Mikael Chambru
    courriel : mikael [dot] chambru [at] univ-grenoble-alpes [dot] fr

Source de l'information

  • Mikael Chambru
    courriel : mikael [dot] chambru [at] univ-grenoble-alpes [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« « Fake news » ! Savoirs, pouvoirs et conflits dans l’espace public », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 16 janvier 2019, https://doi.org/10.58079/11ty

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