AccueilPenser les commémorations comme des espaces de pratiques ritualisées

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Penser les commémorations comme des espaces de pratiques ritualisées

Pensar as comemorações como espaços de práticas ritualizadas

Thinking commemorations like ritualised practical spaces

Au croisement d’une approche historique et anthropologique

No cruzamento de uma abordagem histórica e antropológica

At the crossroads of history and anthropology

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Publié le mardi 02 juillet 2019

Résumé

C’est à partir des pratiques commémoratives et des luttes politiques et sociales auxquelles elles sont associées que nous aimerions repenser les temps et les espaces des colonialités contemporaines. En nous interrogeant, sur les modalités pratiques d’exposition et de ritualisation des mémoires politiques en proie à des hégémonies qui leur sont exogènes. De nombreux événements historiques survenus dans le monde, par exemple au Chiapas au Mexique, ou bien au Brésil, ici et là en Afrique par exemple en Algérie, pays qui a présenté des commémorations politiques par la négative, ou bien encore en Europe (Irlande du Nord, Portugal, Catalogne) tout comme la récente contestation sociale et politique en France, fournissent de nombreux arguments pour penser dans ce sens. L’objectif de ce colloque sera de décrire et de comprendre les modalités de fonctionnement de certaines pratiques mémorielles contre-hégémoniques, dans leurs diversités, et l’institution des traditions qui en découlent.

Annonce

Argumentaire

Ce qu’il y de spécifique dans la dimension conceptuelle de la découverte impériale c’est l’idée d’infériorité de l’autre, qui se transforme en point de mire de la violence physique et épistémique.

Boaventura Sousa de Santos, A gramática do tempo, 4ème vol., p.169

Dans cette ligne d’analyse, la « différence coloniale » a transformé la différence culturelle en valeurs et hiérarchies : raciales et patriarcales, d’un côté, et géopolitiques de l’autre, donnant forme, par conséquent, à une stratégie fondamentale pour amenuiser des populations et des régions du monde (Mignolo, 2000).

Cette subalternisation conceptuelle des personnes opérée par le geste impérial, nous apparait telle la condition politique la mieux partagée au monde. En effet, quelle portée politique ont les citoyens ou quelques participants d’une entité socio-administrative qualifiée d´État-nation, parmi les démocraties dites représentatives, qui constituent le régime politique hégémonique des temps présents, si ce n’est de déléguer leurs puissances politiques à des représentants qui pourront l’exercer contre eux.

Certes, toutes les citoyennetés à travers le monde ne s’équivalent pas et donnent accès à un nombre plus ou moins restreints de droits. Cependant, les résistances locales aux politiques nationales et hégémoniques sont-elles l’unique voie d’accès à une autodétermination politique des « peuples » par eux-mêmes ? Malgré l’hétérogénéité sémantique de la notion de peuple, liée à la diversité des savoirs qui la prennent pour objet, l’ethnologie du fait de l’étymologie même de son nom, peut légitimement revendiquer une acception de ce terme. Ainsi, l’ethnologie serait un discours sur une classe d’êtres de même origine ou de condition commune. Et ce que les ethnologies nous enseignent, c’est que ces classes divergent du point de vue des logiques politiques qu’elles mettent en œuvre. En somme, du point de vue de l’ethnologie, il y aurait autant de potentialités et de mode d’agir politiques qu’il y a de groupes humains.

Compte tenu de la désoccupation (partielle) des territoires exogènes aux puissances colonisatrices, on pourrait à bon droit déclarer la fin des colonialismes. Cependant, les États coloniaux et post-coloniaux continuent et/ou perpétuent le recours à une violence empirique et coercitive en vue de maintenir des ordres politiques favorables à l’exploitation économique. Ce qui est un trait saillant des colonisations, c’est-à-dire du mode de production capitaliste. Dès lors, quelle effectivité pratique encourt ce décret, puisque l’une des composantes corrélatives des colonisations, se veut toujours prégnante à travers l’usage par les puissances colonisatrices de ce mécanisme répressif, notamment contre une partie de leurs populations en continuant à produire son principal effet à l’endroit de la majorité qui l’alimente, à savoir les peuples subalternisés du dit Sud global[1]? De leur côté, les États post-coloniaux fondent leurs assises répressives sur des ressorts administratifs et institutionnels coloniaux.

Selon la « théorie moderne de la colonisation » la propriété du sol se doit d’être arrachée aux mains de la masse[2], les mouvements collectifs d’appropriation du foncier sont donc par essence décoloniaux, ainsi du Mouvement des Sans Terre à la Zad de Notre Dame des Landes, il nous semble exister une multiplicité de terreaux favorisant ces pratiques.

Les pouvoirs politiques qui condamnent les actes de violence des mouvements de résistance sociale occultent, que d’un point de vue historique, la chute des dictatures dans le monde fut accomplie, dans certains cas, au moyen de la lutte armée (Isabel do Carmo, 2017). Dès lors, peut-on s'étonner du recours à une violence politique en réponse aux violences dites légitimes qui sont faites à ces mouvements de résistance sociale, dont les revendications ne sont généralement pas prises en compte par les pouvoirs politiques ou simplement ignorées au nom d’un soi-disant réalisme politique ? Sachant que celles-ci sont la conséquence d´inégalités sociales et politiques, historiquement instituées, et/ou d'une préférence des pouvoirs politiques accordée aux classes économiquement favorisées.

Autrement dit, la considération plénière de la structure paradigmatique des colonisations et colonialismes permettrait d’une part d’en mesurer les effets politiques, sociaux et cognitifs, contemporains. Et d’autre part, d’en déceler l’actualisation à travers les pratiques de pouvoir, faisant des modes de gouvernance étatiques des rejetons assumés de ces régimes historiques sensément dépassés.

Si dans le cas français, l'expansion coloniale s'est faite à travers l'élargissement territorial de la répression d'État (de la dissidence politique vers les colonies)[3] , il semblerait dans le cas portugais, que l'expansion coloniale se soit faite au détriment des conditions de vie de sa population[4], c'est à dire dans un mouvement inverse (des colonies vers la dissidence politique). Cette dialectique nous apparaît participer de la structure paradigmatique du colonialisme, et de celle constituée par l'action décoloniale, à travers ce va et vient constant de la violence hégémonique et contre-hégémonique entre un dit centre impérial et sa périphérie.

C’est, donc, au cœur du processus politique de production de sujets subalternes, (essentiellement de prolétarisation et de paupérisation aujourd’hui mondialisées), et des contextes d’oppression au sein desquels ils évoluent, traçant les linéaments d’une diversité de chemins émancipateurs selon le réel de leurs situations historiques et politiques, que nous voudrions réinscrire une écologie des savoirs émancipateurs. Partant du présupposé qu’un-e opprimé-e qu’il/elle soit d’une société en voie de développement ou d’une société capitaliste avancée, reste un-e opprimé-e.

Ce qui n’empêche pas de considérer la singularité historique de leurs contextes d’oppression. Sachant qu’historiquement les opprimé-e-s se sont pensées au travers de catégories racialisées à l’intérieur d’un processus d’émancipation politique et culturelle (Eduardo Dos Santos, 1968), dans lequel l’hégémonie est centrée sur l’homme blanc, hétérosexuel et européen (Lugones, 2008, 2014) pour, au final, s’étendre jusqu’au féminisme civilisationnel (Vergès, 2019). Cette dialectique de l'oppression coloniale était déjà subvertie par le mouvement de la Négritude, du Consciencisme et de leurs affidés. Dans son texte sur les idéologies politiques africaines, Eduardo dos Santos emploie le terme de mística afin de désigner des modes d'agir (tant linguistiques que kynésiques) différenciés, ainsi l'autorité, la démocratie, l'africanité auraient chacune leurs mystiques et la gouvernance s'en trouverait associer à un droit divin. Cet argument nous oblige à tenir compte de la dimension religieuse de l’oppression et de l’émancipation. Ainsi, quelle incidence et quelle ampleur, a pu avoir le processus de légitimation religieux[5] dans les mouvements d'émancipation culturelle et politique, et quelle place continue-t-il à avoir ?

Il nous paraît urgent de réaffirmer le primat des conditions cognitives de production de l’existence plutôt qu’une racialisation biologique ou métaphorique hâtive, qui ne dit rien des inégalités générées par la condition cognitive des personnes[6]. Dans la mesure où tous les mouvements décoloniaux s’appuient sur des substrats cognitifs nécessaires à la déconstruction des rapports dits de domination, étant évident, que l’un des rôles de l’idéologie raciste est de conditionner l’accès aux savoirs critiques. En somme, l’accès aux savoirs est bien l’un des enjeux du rapport de force à maintenir contre le capitalisme avancé.

C’est donc à partir de certaines pratiques commémoratives et des luttes politiques et sociales auxquelles elles sont associées que nous aimerions repenser les temps et les espaces des colonialités contemporaines. En nous interrogeant, sur les modalités pratiques d’exposition et de ritualisation des mémoires politiques en proie à des hégémonies qui leur sont exogènes. De nombreux événements historiques survenus dans le monde, par exemple au Chiapas au Mexique, ou bien au Brésil, ici et là en Afrique par exemple en Algérie, pays qui a présenté des commémorations politiques par la négative, ou bien encore en Europe (Irlande du Nord, Portugal, Catalogne) tout comme la récente contestation sociale et politique en France, fournissent de nombreux arguments pour penser dans ce sens.

Du point de vue pragmatique, adopté par les mouvements décoloniaux au sein des espaces dits lusophones, au contraire d’une définition générale et nécessairement située du décolonialisme, il y aurait autant de décolonialités que de mouvements de libération (Ermida 2018). Le décolonial est ici saisi à travers la concrétude de sa pratique, telle la subversion d’une hétéronomie politique. Il nous apparaît donc légitime de nous demander si cette observation n’est pas extensible à tous les mouvements politiques, revendiquant pour eux-mêmes une forme d’autonomisation. Nous souhaiterions ainsi identifier les formes de l’impérialisme politique tel qu’il s’exerce au XXIème siècle. Ce qui suppose la mise en place d’un décentrement épistémique permettant d’identifier les espaces de subalternité politique, portant les traces de la colonialité (dont il s’agit de considérer la totalité du concept soit la colonialité du pouvoir, du savoir et de l’être) (Quijano, 2000) et les modalités d’action développées en leurs seins et les représentations de l’histoire qu’ils véhiculent. Ainsi, il s’agira de cerner comment s’exerce la décolonialité, à travers des pratiques ritualisées mémorielles dont l’un des principaux paradigmes est la manifestation (à entendre dans tous les sens du terme), en réponse aux contextes que constituent leurs oppressions. Ce qui nous offrira un aperçu des fissures auxquelles est confronté l’effacement des voix subalternes qui accompagne les processus oppressifs.

De plus, du fait de la substantialité réciproque du colonialisme et du mode de production capitaliste[7], une action, visant l’un des avatars du mode production capitaliste, ou de contestation d’un système politique qui le favorise, s’avère du même coup décolonial. Déroger au mode de production capitaliste et à ses modes de conformation légalistes, c’est historiquement encourir le joug d’une féroce répression. Dès lors, quelle critique anthropologique et historique peut-on faire de la notion évolutionniste de progrès et de sa conséquence tangible qui réside dans la prolétarisation et la paupérisation du monde ? L’existence de modes traditionnelles de subordination ou de systèmes d’oppression internes aux cultures, dans le monde, dont certains ont été renforcés par l’introduction du mode de production capitaliste, ne requiert pas l’amenuisement des ressources vernaculaires (qu’elles soient religieuses et/ou cognitives et/ou politiques) en vue d’y contrevenir.

L’objectif de ce colloque sera de décrire et de comprendre les modalités de fonctionnement de certaines pratiques mémorielles contre-hégémoniques, dans leurs diversités, et l’institution des traditions qui en découlent, au sens qu’en donne F. Eboussi Boulaga[8].

Dès lors, qu’est-ce que ces pratiques nous apprennent de la dynamique du politique qui se tient dans la dialectique entre pouvoir et résistance ? Quels dispositifs d’énonciation et kynésiques accompagnent ces pratiques et comment s’y construisent les sujets de ces actions politiques et les altérités sociales et/ou oppressives qui les motivent ? Comment le processus et la dynamique, de transformation d’un sujet passif en un sujet politique actif, y opèrent ? Quelles métaphysiques ou ontologies y sont associées ? Quels types de non-humains mobilisent-ils ? Ce succinct questionnement ne vise qu’à établir les composantes et les agencements, par essence, relationnelles des collectifs supportant une action ritualisée et politique, en écartant l’idée de définitions segmentaires et fragmentées de la notion de « peuple ». Sachant ces définitions comme informant un certain état du dit « peuple », selon les circonstances et les espaces politiques auxquelles une commune condition politique, nécessairement située, est acculée, ou qu’elle s’est octroyée.

Ghali Beniza Sari et Vera Lúcia Ermida Barbosa

Modalité de participation 

Les propositions de participation de trois pages maximum sont à envoyer aux adresses suivantes benizaghali@gmail.com , vera.ermida@outlook.com préférentiellement en langue française ou portugaise, mais les langues anglaise et espagnole sont admises,

au plus tard le 31/12/19.

Les participations retenues recevront une attestation des organisateurs afin que les intervenant-e-s soient défrayé-e-s de leurs voyages et de leur hébergement par leurs laboratoires. Le colloque se déroulera en avril 2020, à l’université de Coimbra (Portugal).

Évaluation

Les résumés seront présélectionnés par les organisateurs du colloque Ghali Beniza Sari, IMAF et Vera Lúcia Ermida Barbosa, Institut de Recherche Interdisciplinaire de l’université de Coimbra. Les organisateurs se réservant le droit de recourir à l’avis de spécialistes des domaines, des résumés reçus.

Bibliographie

Do Carmo, I. (2017) Luta Armada- As brigadas revolucionárias, a Ara e a Luar contadas pelos próprios protagonistas. E os dias de fúria da Europa rebelde da segunda metade do século XX. Publicações Dom Quixote.

Dos Santos, E.  (1968) Ideologias políticas africanas. Centro de estudos político-sociais.

De Sousa Santos, B. (2011) Épistémologies du Sud. Revue Études rurales.

Engels F. et Marx K.  (2018) Le Colonialisme. Éditions critiques.

Eboussi Boulaga (1977) La crise du Muntu. Édition Présence Africaine.

Lugones, M. (2008). Colonialidad y género. Tabula Rasa, 73-101. Recuperado em 2 agosto de 2016. Obtido de http://www.revistatabularasa.org/numero09/colonialidad-y-genero/

Lugones, M. (2014). Rumo ao feminismo descolonial. Estudos Feministas, Florianópolis, 22(3) : 320, pp. 935-952. Recuperado em 2 agosto de 2016. Obtido de https://periodicos.ufsc.br/index.php/ref/article/view/36755

Mignolo, W. (2000). Diferencia Colonial y razón postoccidental. Introdución. Em CASTRO-GÓMEZ, La reestructuración de las ciencias sociales en América Latina (pp. 3-28). Bogotá: Universidad Javeriana. Pensar, Instituto de Estudios Sociales y Culturales.

Vergès, F. (2019) Un féminisme décolonial. Édition la Fabrique

Notes

[1] Concept qui selon sa définition recouvre les luttes sociales des travailleurs pauvres du nord de l’Europe et d’ailleurs.

[2] Ibidem, p. 24

[3] http://www.rfi.fr/emission/20190519-france-revolution-francaise-1789-gilets-jaunes-doleances-referendum-grand-debat, consulté le 01/06/19.

[4] http://www.jornalmapa.pt/2013/03/26/a-revolta-do-manuelinho/, consulté le 01/06/19.

[5] Par le terme de religion nous entendons toutes les religions, et pas seulement celles détenant un référentiel livresque.

[6] De Sousa Santos, B. Épistémologies du Sud. Études rurales (187-2011), p.40.

[7] R. Herrera (2018), Introduction de l’ouvrage le Colonialisme de F. Engels et K. Marx, Éditions critiques, p. 8

[8] F. Eboussi Boulaga (1977), La crise du Muntu, Édition Présence Africaine, p.154 « … une tradition fondatrice se doit de garder en elle-même la mémoire de ce contre quoi elle s’instaure. »

Lieux

  • Coimbra, Portugal

Dates

  • mardi 31 décembre 2019

Mots-clés

  • pratique mémorielle, rite

Contacts

  • Ghali Beniza
    courriel : benizaghali [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Ghali Beniza
    courriel : benizaghali [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Penser les commémorations comme des espaces de pratiques ritualisées », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 02 juillet 2019, https://doi.org/10.58079/134b

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