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(Pour) une éducation de quel genre ?

Education and gender

Des pédagogies de la cruauté aux pédagogies de l’émancipation

From cruel teaching to emancipatory teaching

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Publié le lundi 07 octobre 2019

Résumé

Avec ce numéro de la revue Genre, éducation et formation, il s’agit de mieux cerner les enjeux et les défis des pédagogies de l’émancipation en nous inspirant des contre-pédagogies, comme le propose Rita Segato, c’est-à-dire des pédagogies à l’encontre du patriarcat néolibéral, hétéronormé, sexiste, cis-genré, classiste et raciste qui consacre l’hégémonie du Nord global face aux Suds, notamment sur le plan du savoir et de l’épistémologie. Parmi les défis à relever, nous prêterons une attention particulière à des approches ou réflexions qui revisitent les apprentissages et les didactiques dans un monde global dont les logiques économiques transnationales, les politiques éducatives internationales ne balayent pas pour autant les défis pédagogiques locaux en matière d’éducation.

Annonce

Coordination

Argumentaire

« (…) par l’usage de la force on peut abaisser les autres, ou empêcher qu’ils ne soient abaissés ; on ne peut les élever que par l’enseignement »[1]

Le XXe siècle a vu naître des mouvements d’émancipation qui ont affecté la conception que l’on pouvait avoir de l’éducation. L’histoire tourmentée par les conflits, l’inégale répartition des richesses à l’ère du capitalisme global a permis de (re)visiter diverses questions brûlantes comme l’illettrisme, l’accès de toutes les personnes à l’éducation (Unesco, 2015), l’accueil des migrant∙e∙s par des États-Nations occidentaux aux cultures libérales, les violences « contre les femmes et de genre » (Femenías, 2014).

Loin des discours s’impose plutôt l’image (ou les projets) de murs érigés aux frontières, d’embarcations qui échouent dans les eaux, de navires empêchés de débarquer les rescapé·e·s, de violences sexistes et sexuelles, allant jusqu’aux féminicides, à l’échelle désormais mondiale. L’anthropologue argentine Rita Segato l’analyse, dans Contre-pédagogies de la cruauté, comme le constat d’échec d’un patriarcat belliqueux et prédateur, armé de ce qu’elle qualifie d’« une pédagogie de la cruauté », « inséparable de l’intensification de la "violence des médias" à l’égard des femmes »[2]. Pour elle, cette pédagogie serait constituée de « tous ces actes et pratiques qui enseignent, habituent et programment les sujets à transformer la matière vivante et vitale en chose » (Segato, 2018, p. 13). Ce sont tous ces actes qui banalisent en définitive la « chosification de la vie » (ibid., p. 13) et l’assujettissement des personnes à la condition de « marchandise » (ibid., p. 14), et qui, loin d’assurer la justice sociale, permettent plutôt de renouveler les inégalités et les rapports de domination. Déjà dans ses précédents textes (Les structures élémentaires de la violence ; La guerre contre les femmes ; L’écriture dans le corps des femmes assassinées de Ciudad Juarez : Territoire, souveraineté et crimes de Second État), cette anthropologue alerte sur l’échec mondial de la gestion patriarcale du politique et des orientations éducatives qui l’accompagnent par une mise en spectacle de la cruauté, et de son impunité, exercée sur le corps des femmes et des enfants (Segato, 2018, p. 53).

Face à cette perpétuation de la violence patriarcale, qui passe notamment par l’éducation, l’enjeu d’émancipation s’impose. Or, il est difficile de penser une éducation à sans une éducation par l’émancipation. La féministe africaine-américaine bell hooks et son appel à une pédagogie critique de sujets radicaux dans sa trilogie éducative (Teaching to Transgress: Education as the Practice of Freedom ; Teaching Community: A Pedagogy of Hope ; Teaching Critical Thinking: Practical Wisdom) et plus largement dans l’ensemble de ses essais, pour encapaciter (« empower ») les femmes noires américaines (hooks, 1992, p. 56) est l’un des modèles d’émancipation freirienne. Ce dernier nous inspire une réflexion critique sur la place des féminismes produits par ces « autres disloquées, ces autres qui refusent d’entrer dans (et d’adopter) les formes et le lieu que les récits hégémoniques leur accordent » pour reprendre les termes de la philosophe féministe argentine María Luisa Femenías (2007, citée par Soriano, 2019), ce qui nous conduit, par-delà les « concepts voyageurs » (Varikas, Clair, & Dorlin, 2017) ou « la "transhumance" des théories » (Femenías & Soza Rossi, 2009), à (re)penser plus particulièrement leur impact sur l’éducation.

Il s’agit donc pour nous aujourd’hui de mieux cerner les enjeux et les défis des pédagogies de l’émancipation en nous inspirant des contre-pédagogies, comme le propose Rita Segato, c’est-à-dire des pédagogies à l’encontre du patriarcat néolibéral, hétéronormé, -sexiste, cis-genré, classiste et raciste qui consacre l’hégémonie du Nord global face aux Suds, notamment sur le plan du savoir et de l’épistémologie.

Si les appels et politiques nationales et internationales visant une éduction à/pour/par l’égalité entre les sexes se sont développées, force est de constater un point aveugle, plus particulièrement dans le contexte français, celui de l’éducation des garçons travaillée par les normes d’une masculinité hégémonique rarement questionnée. C’est ce que Rita Segato analyse finement comme « l’affinité corporatiste de l’éducation patriarcale », entre masculinité et guerre, entre masculinité et cruauté, entre masculinité et distanciation, entre masculinité et faible empathie. L’éducation participe à (re)produire cette affinité qui porte les germes des violences contre les femmes et de genre. Comme le soulignait Madeleine Pelletier, les garçons sont endurcis et mis à l’épreuve sur le plan physique dans une « éducation guerrière », et ils sont formés/socialisés à la pédagogie de la cruauté par le bais des médias, de la rhétorique genrée de la publicité, des jeux vidéos ou des séries, des jeux, jouets, activités physiques et sportives etc.

Les contributions attendues pourront s’inscrire dans l’un des quatre axes de travail recommandés par Rita Segato (2018, p. 17-18), en les pensant spécifiquement dans le monde de l’éducation et de la formation, en France et/ou ailleurs :

  • une réflexion critique des méfaits du patriarcat ;
  • la valorisation de la contribution des femmes à l’histoire de l’humanité. En effet, pour Rita Segato, « L'expérience historique des femmes peut donner l'exemple d'une autre façon de penser et d'agir collectivement » (p. 17) ;
  • une conception de nouvelles masculinités antipatriarcales. Pour Rita Segato, les hommes sont assignés à un « mandat de masculinité » dont ils sont eux-mêmes « les premières victimes » (p. 18). Elle identifie cette injonction comme un décret colonial dans le contexte amérindien, dans une logique corporatiste et mafieuse, mais elle peut se (re)visiter en Europe et ailleurs dans les rapports sociaux existants, dans le contexte de généralisation de la précarité économique, de mise en compétition à l’échelle globale;
  • l’élaboration d’une nouvelle « conscience du lien » (qu’on peut aussi penser en termes de relations, réseaux, complicités, communautés) entre les personnes « pour mettre fin à la chosification des personnes » et des rapports sociaux, assurée par le patriarcat, et mieux se défendre du principe de cruauté qui repose sur l’insensibilisation, la diminution de l’empathie.

Parmi les défis à relever, nous prêterons une attention particulière à des approches ou réflexions qui revisitent les apprentissages et les didactiques dans un monde global dont les logiques économiques transnationales, les politiques éducatives internationales ne balayent pas pour autant les défis pédagogiques locaux en matière d’éducation.

Les articles attendus pourront s’inscrire dans différents champs disciplinaires (toute discipline de sciences sociales, philosophie, études culturelles, littéraires…), présenter des réflexions théoriques ou épistémologiques, reposer sur des méthodes d’enquête ou d’analyse de diverses natures et concerner différents pays ou régions du monde. Ils pourront porter sur l’école, la formation d’adultes, la formation d’enseignant·e·s, de professionnel·le·s de l’éducation et d’autres domaines, l’éducation populaire, les pédagogies féministes, la petite enfance, l’éducation non formelle, autant que sur celui des médias, des représentations dans les arts visuels ou la littérature, par exemple les représentations des masculinités dans des corpus filmiques.

Soumettre une proposition

Les propositions d’articles, d’environ 5000 signes espaces et notes comprises, comprennent un titre, une présentation de l’article, les objets et les méthodes, ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et email de l’auteur ou autrice. Elles doivent être envoyées

pour le 1er décembre 2019

conjointement à Nassira Hedjerassi (Nassira.Hedjerassi@inspe-paris.fr) et Irma Velez (Irma.Velez@inspe-paris.fr) ainsi qu’au comité de rédaction de la revue GEF (comite@revue.gef.org).

Les auteurs et autrices seront avisé·e·s par mail des propositions retenues avant le 10 décembre 2019.

Les articles, nécessairement inédits, devront être envoyés le 2 mars 2020 au plus tard. Les instructions typographiques pour la rédaction des articles sont disponibles en ligne.

Évaluation

Suivant la politique éditoriale de la revue, chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme.

L’acceptation de la proposition ne signifie donc pas acceptation automatique de l’article. Les articles retenus seront publiés dans le numéro à paraître fin 2020-début 2021.

Bibliographie

Clair, Isabelle, Dorlin, Elsa (coord.) (2017). Éléni Varikas, pour une théorie féministe du politique. Paris : Éditions Ixe.

Femenías, María Luisa (2007). El genero del multiculturalismo. Bernal : Universidad Nacional de Quilmes.

Femenías, María Luisa & Soza Rossi, Paula (2009). Poder y violencia sobre el cuerpo de las mujeres, Sociologias, 11 (21), 42-65.

Femenías, María Luisa (2014). Penser et montrer la violence : catégories et modalités, Caravelle 102 [En ligne : http://journals.openedition.org/caravelle/735]

Femenías, María Luisa (2019). « Affirmation identitaire, localisation et féminisme métis » [traduction et présentation : Michèle Soriano]. In : Michèle Soriano (éd.), Territoires dis-loqués : Féminismes latino-américains en traduction. À paraître.

Hedjerassi, Nassira (2017). De l’anomie du social à la guerre : pensée de la violence chez Simone Weil et éducation, Penser l’éducation, 39, 81-100.

hooks, bell (1992). Black looks: race and representation. Boston : South End Press.

hooks, bell (1994). Teaching to transgress: Education as the Practice of Freedom. New York : Routledge.

hooks, bell (2003). Teaching Community: A Pedagogy of Hope. New York : Routledge.

hooks, bell (2010). Teaching Critical Thinking: Practical Wisdom. New York : Routledge.

Pelletier, Madeleine (1978). L’éducation féministe des filles. Paris : Syros.

Segato, Rita Laura (2003). Las estructuras elementales de la violencia. Ensayos sobre género entre la antropología, el psicoanálisis y los derechoshumanos. Buenos Aires : Prometeo.

Segato, Rita Laura (2013). La escritura en el cuerpo de las mujeres asesinadas en Ciudad Juárez. Territorio, soberanía y crímenes de segundo estado. Buenos Aires : Tinta Limón.

Segato, Rita Laura (2016). La guerra contra las mujeres. Madrid : Traficantes de Sueños. (1ère édition).

Segato, Rita Laura (2018). Contra-pedagogías de la crueldad. Buenos Aires : Prometeo Libros.

Segato, Rita Laura (2019). « L’écriture dans le corps des femmes assassinées de Ciudad Juarez : Territoire, souveraineté et crimes de Second État » [traduction et présentation : Irma Velez]. In : Michèle Soriano (éd.), Territoires dis-loqués : Féminismes latino-américains en traduction. À paraître.

Soriano, Michèle (éd.) (2019). Territoires dis-loqués : Féminismes latino-américains en traduction. À paraître.

Unesco (2015). Éducation pour tous 2000-2015 : progrès et enjeux. Paris : éd. de l'Unesco.

Notes

[1] Simone Weil citée par Nassira Hedjerassi (2017).

[2] Toutes les traductions sont les nôtres.


Dates

  • dimanche 01 décembre 2019

Fichiers attachés

Mots-clés

  • contre-pédagogie, femme, masculinité antipatriarcale, pédagogie de l'émancipation

Contacts

  • Giorgia Magni
    courriel : comite [at] revuegef [dot] org
  • Comité de rédaction revue GEF
    courriel : comite [at] revuegef [dot] org

URLS de référence

Source de l'information

  • Giorgia Magni
    courriel : comite [at] revuegef [dot] org

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« (Pour) une éducation de quel genre ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 07 octobre 2019, https://doi.org/10.58079/13it

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