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Identités désirées

Desired Identities

Métamorphoses et nouvelles technologies au Japon

New technology-based metamorphosis in Japan

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Publié le lundi 02 décembre 2019

Résumé

Au Japon le phénomène estampillé kyara-ka – « se transformer en personnage » – donne maintenant naissance à ce que Nozawa Shunsuke (2013) nomme « un art émergent de l’auto-modélisation ». Basé sur des techniques de déguisement élaborées, le phénomène kyara-ka recouvre une grande variété de stratégies et de pratiques liées à la présentation de soi : cosplay, kigurumi, V-tubing, banques de voix synthétiques, utilisation de filtres vocaux-graphiques pour mettre en ligne des vidéos où les humains ressemblent à des personnages… En explorant les différentes manifestations de ce processus social de « chosification de l’humain », le colloque entend questionner les raisons pour lesquelles un nombre croissant de personnes se customisent en personnages. L’objectif du colloque est de traiter dans leur complexité les questions que soulèvent ces actes volontaires, et peut-être ironiques, d’oblitération. Quel est le profil de ces hommes et ces femmes qui se métamorphosent en créatures produites par infographie ? Comment vivent-ils le fait d’être aimés non pas pour eux-mêmes mais pour leur alter-ego numérique ? Quels récits, petits ou grands, accompagnent la production de ces doubles fictifs ? Est-il toujours pertinent d’analyser le phénomène en termes d’authenticity (original) ou d’artificialité (copie) ? Quelles négociations, quels refus sous-tendent l’usage des personnages comme masques sociaux ?

Annonce

Argumentaire

En 2019, le Japon compte 124,9 millions d’habitants natifs. Mais combien si l’on inclut les « habitants fictifs » que sont les personnages ? Comme pour compenser la baisse de la natalité, les personnages prolifèrent. Ils vous font signe à l’entrée des restaurants. Ils vous invitent à faire du tourisme. Ils sourient sur les porte-clés, les cartes de transport, les sacs, les écrans et les affiches géantes. Jouant le rôle d’interfaces entre les gens, les objets et les espaces, ils envahissent maintenant les réseaux sociaux. À l’aide de logiciels qui permettent de se camoufler en personnage, les internautes eux-mêmes se présentent sur la toile sous les allures de créatures sorties tout droit de jeux vidéo. Comment comprendre cet effet de tropisme ? De quelles évolutions sociales se fait-il à la fois l’agent et le miroir ?

Ce colloque international invite les chercheurs à partager leurs expériences et leurs résultats de terrain au Japon (mais aussi en Corée ou sur des terrains similaires) concernant ce phénomène estampillé kyara-ka – « se transformer en personnage » (Aihara Hiroyuki, 2007) – et qui donne maintenant naissance à ce que Nozawa Shunsuke (2013) nomme « un art émergent de l’auto-modélisation ». Basé sur des techniques de déguisement élaborées, le phénomène kyara-ka recouvre une grande variété de stratégies et de pratiques liées à la présentation de soi. La plus connue est bien sûr le cosplay, qui permet à des hommes et de femmes d’occulter leur identité et de se comporter comme des personnages de fiction. Le kigurumi – version radicale du cosplay – requiert la fabrication artisanale d’une seconde peau, d’une tête semblable à un casque et, plus récemment, d’un vocoder. Il s’avère que le kyara-ka a également contribué à l’apparition d’un mouvement : celui des personnes qui enregistrent leur voix en utilisant des logiciels de synthèse dans le but de devenir ce qu’ils appellent des utaloid (chanteurs artificiels). Le phénomène se trouve aussi à l’origine de tendances très fortes : des filtres graphiques et vocaux sont massivement utilisés pour mettre en ligne des séquences virales TikTok dans lesquelles des humains apparaissent sous la forme de personnages animés. Des applications vidéo sont développées en masse pour filmer un humain et le commuter en avatar. Les VirtualTubers – qui sont de vraies personnes dissimulées sous les traits de héros ou d’héroïnes de manga – sont suivis par des millions d’abonnés sur YouTube. La plus célèbre prétend n’être qu’une intelligence artificielle. Il se peut que certains VTubers ne soient effectivement que l’équivalent d’Idoles Virtuelles (c’est-à-dire des produits conçus par des agences) mais leur popularité est telle que plusieurs d’entre eux sont devenus les personnages d’un jeu de simulation amoureuse. Étant donné que personne ne connaît leur visage, ils pourraient tout aussi bien n’être que des fictions.

En explorant les différentes manifestations de ce processus social de « chosification de l’humain », le colloque entend questionner les raisons pour lesquelles un nombre croissant de personnes se customisent en personnages. Dans les sociétés contemporaines, où chacun doit se distinguer (Pierre Bourdieu, 1979), le besoin de singularité aboutit paradoxalement à l’adoption d’identités d’emprunt et de corps numériques formatés, que se partagent en masse les consommateurs de TIC. On pourrait bien sûr s’en moquer et dénoncer cette « société du spectacle » (Guy Debord, 1967) où le fait de construire son image de marque est une forme de salut, mais ce serait faire l’impasse sur la dimension singulière de ces pratiques de transformation en personnage. Le phénomène kyara-ka présente ceci d’original qu’il témoigne du désir d’être effacé en tant qu’être mortel et de renaître comme membre d’une fantasmagorie collective. Il ne s’agit pas seulement d’un jeu de rôle ou d’une technique d’auto-promotion, il s’agit d’un nouveau cadre de perception : le kyara-ka permet de voir le monde depuis un point de vue spectral ou flottant, celui d’une personne (d’une chose ?) qui se trouve dans la coquille du personnage. Dans quelle mesure ce phénomène ne peut-il être considéré comme le signe annonciateur de la vraie révolution numérique, celle que Dominique Boullier (2016) décrit en termes d’« immersion » ?

L’objectif du colloque est de traiter dans leur complexité les questions que soulèvent ces actes volontaires, et peut-être ironiques, d’oblitération. Quel est le profil de ces hommes et ces femmes qui se métamorphosent en créatures produites par infographie ? Comment vivent-ils le fait d’être aimés non pas pour eux-mêmes mais pour leur alter-ego numérique ?  Comment gèrent-ils le fait que cet alter ego ne soit pas forcément du même sexe ? Quels filtres utilisent-ils pour distordre la voix/l’image et dans quels cadres ? Quels récits, petits ou grands, accompagnent la production de ces doubles fictifs ? Est-il toujours pertinent d’analyser le phénomène en termes d’authenticity (original) ou d’artificialité (copie) ? Dans quelle mesure ce phénomène affecte-t-il les sociabilités en ligne ? Quelles négociations, quels refus sous-tendent l’usage des personnages comme masques sociaux ?

Pour les Sciences Humaines et Sociales, le kyara-ka constitue un objet de recherche privilégié, offrant la possibilité de penser des notions clés telles que la construction des identités numériques et le marché de la gamification.  

Le colloque (qui aura lieu mercredi 29 – jeudi 30 avril 2020 au musée du quai Branly à Paris) est organisé par le projet de recherche européen EMTECH (Emotional Machines: The Technological Transformation of Intimacy in Japan), à Freie Universität Berlin, en partenariat avec  le Département de la Recherche et de l’Enseignement du musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Conditions de soumission

Les propositions de contributions devront être envoyées AVANT LE 23 DECEMBRE 2019 sous forme d’un résumé en anglais en format PDF à agnes.giard@fu-berlin.de. Ces résumés de 2 à 3 pages doivent inclure un titre et une courte biographie de l’auteur (avec son nom et ses affiliations). 

Comité scientifique

  • Elena Giannoulis
  • Agnès Giard
  • Berthold Frommann

Références

  • Aihara Hiroyuki, Kyara-ka suru Nippon [Le Japon qui se transforme en personnage]. Tōkyō: Kōdansha, 2007.
  • Boullier Dominique, Sociologie du numérique. Paris: Armand Colin, 2016.
  • Bourdieu Pierre, Distinction: A Social Critique of the Judgment of Taste. Cambridge: Harvard University Press, 1984 (1979).
  • Debord Guy, The Society of the Spectacle. New York: Zone books, 1995 (1967).
  • Nozawa Shunsuke, “Characterization”, in: Semiotic Review, n°3, 2013.

Lieux

  • Paris, France (75)

Dates

  • lundi 23 décembre 2019

Mots-clés

  • characters, identity, avatar, game, cosplay, digital

Contacts

  • Agnès Giard
    courriel : aniesu [dot] giard [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Agnès Giard
    courriel : aniesu [dot] giard [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Identités désirées », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 02 décembre 2019, https://doi.org/10.58079/13zx

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