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Prisons du monde et extrémismes violents

Global Prisons and Violent Extremism

Théories critiques, études de cas, méthodologies

Critical Theories, Case Studies, Methodologies

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Publié le vendredi 20 mars 2020

Résumé

Ce colloque international et pluridisciplinaire est consacré à l’analyse de ce que la lutte contre « l’extrémisme violent » fait au fonctionnement des institutions pénitentiaires, sur le plan des pratiques, des expériences et des expertises. Son objectif est de comprendre le traitement par l’État, via l’administration pénitentiaire, de celles et ceux qu’il considère comme des « ennemi·es de l’État » et des « menaces pour la sécurité nationale ». Il vise dès lors i. à comprendre, dans les champs médiatiques, politiques et institutionnels, les débats relatifs aux relations problématiques entre prison et extrémismes violents, ii. à saisir les mutations légales liées au terrorisme et les effets du « droit pénal de l’ennemi » sur l’institution pénitentiaire, iii. à établir un état des lieux et une analyse des modalités multiples de prise en charge de l’extrémisme violent à travers le monde, et à analyser les conditions, défis et obstacles politiques, sécuritaires, méthodologiques et éthiques relatifs à la pratique de la recherche sur ce domaine d’étude.

Annonce

Cet événement a été annulé. L'appel à contribution est clos.

Du 8 au 10 mars 2021

Argumentaire

Ce colloque international et pluridisciplinaire (sociologie, science politique, anthropologie, droit, histoire, géographie) est consacré à l’analyse de ce que la lutte contre «l’extrémisme violent» fait au fonctionnement des institutions pénitentiaires, sur le plan des pratiques, des expériences ou des expertises. Il s’agit de comprendre le traitement par l’État, via l’administration pénitentiaire, de celles et ceux qu’il ne considère et ne désigne pas seulement comme des « délinquant·es » ou des « criminel·les », mais plus fondamentalement comme des « ennemi·es de l’État » et des « menaces pour la sécurité nationale ». Ce faisant, nous proposons de réfléchir à la manière dont les États modifient et reconfigurent leurs politiques de sécurité lorsque leur monopole de la violence légitime est mis à l’épreuve, entre renforcement de pratiques pénitentiaires traditionnelles et mise en œuvre de régimes d’exception.

Dès lors, il ne s’agit pas de se focaliser, à l’instar des nombreux travaux réalisés ces dernières années, sur les trajectoires individuelles de radicalisation violente. Ce projet ne relève donc pas d’une sociologie de l’individu violent, mais d’une sociologie de la prison et des institutions en charge de la défense nationale, la loi et l’ordre (law and order). La notion de « radicalisation », trop souvent associée à l’islamisme intégriste, sera resituée dans le cadre plus général de « l’extrémisme violent ». Dans une perspective résolument internationale (Europe, Amériques, Afrique, Asie), il convient d’interroger les figures principales de l’extrémisme violent et les manières dont elles sont pensées, construites, représentées, identifiées, évaluées et traitées. Loin de se cantonner à celle du « salafiste djihadiste », ces figurent incluent au contraire, selon les contextes nationaux, celles de l’« ultra-droite », de l’« ultra-gauche », des « sectes », des « antispécistes », des « sécessionnistes », des « anti-Balakas ». L’extrémisme violent sera donc étudié en tant que catégorie de l’action publique, appréhendée comme une menace à l’ordre public, à la sécurité nationale ou à la stabilité d’un pays, et faisant l’objet de mesures pénales et pénitentiaires particulières.

Ainsi, ce colloque vise i. à comprendre, dans les champs médiatiques, politiques et institutionnels, les débats, discours et controverses relatifs aux relations problématiques entre prison et extrémismes violents, ii. à saisir les mutations légales liées au terrorisme et les effets du « droit pénal de l’ennemi » sur l’institution pénitentiaire, iii. à établir un état des lieux et une analyse critique des modalités multiples de prise en charge de l’extrémisme violent à travers le monde, et à analyser les conditions, défis et obstacles politiques, sécuritaires, méthodologiques et éthiques relatifs à la pratique de la recherche en sciences sociales sur ce domaine d’étude.

Axe 1 – Prison et extrémisme violent : analyse d’une problématisation

Un premier axe de travail s’inscrit dans la continuité des études critiques sur le terrorisme (critical terrorism studies) et des securitization studies, cherchant à décrire et analyser les truchements politiques, médiatiques et institutionnels par lesquels des groupes ou des individus en sont venus à être considérés comme « radicaux », « radicalisés », « extrémistes » ou « terroristes ». À l’intérieur de ce vaste champ d’analyse, il s’agira plus précisément de saisir les débats, discours et controverses relatifs aux relations problématiques entre prison et extrémismes violents.

Seront ainsi privilégiées les communications intégrant la dimension pénitentiaire dans leur analyse de la problématisation de l’extrémisme violent, notamment autour du traitement des questions publiques qui interrogent les effets et le fonctionnement de l’institution : la prison est-elle perçue comme une école de la radicalisation et un terreau au prosélytisme ? Comment la prison définit-elle les contours des profils à détecter comme autant de menaces à l’ordre pénitentiaire et la sécurité nationale ? Quelles sont les définitions propres ou partagées de la « radicalisation » ou de l’extrémisme violent en prison ? En quoi le traitement pénitentiaire des extrémismes violents est-il novateur ou emprunte-t-il au contraire à la gestion d’autres catégories de détenus ?

Les mécanismes de désignation et de gestion différenciée des extrémismes violents et les discours tenus sur la prison hors de ses murs contribuent à produire ce qui se passe en son sein. Ainsi, les discours politiques, médiatiques ou émanant de différentes ONG et associations du monde humanitaire produisent non seulement les manières de penser les « extrémistes violents », mais impulsent également la mise en œuvre (suivi éventuellement d’un abandon ultérieur) de structures qui leur sont dédiées. Par exemple la création, en France, de structures spécifiques de prise en charge des individus soupçonnés de « radicalisation » est-elle indissociable du débat médiatico-politique qui l’a accompagnée. Par ailleurs, les chercheur·es contribuent aussi, quoique de façon plus modeste, à agir sur les institutions. Qu’il s’agisse de membres influents du champ académique ou d’expert·es niché·es à ses marges, chercheur·es ou consultant·es sont amené·es à mettre en avant leurs compétences (psychologiques, théologiques, pénologiques, sécuritaires) et à préconiser diagnostics, solutions et remèdes pour rafler la mise du marché – national et international – de la radicalisation. Il s’agira de s’intéresser dans ce cadre à ce que la recherche fait à la gestion pénitentiaire des extrémismes violents, et inversement.

Axe 2 – Droit, antiterrorisme et organisation pénitentiaire

Un deuxième axe de travail concerne l’impact des lois antiterroristes sur le traitement des extrémismes violents et sur l’organisation pénitentiaire : émergence, renforcement et extension d’un cadre légal spécifique qui reconfigure les relations entre justice, police, armée et renseignement. Ces relations renouvelées peuvent s’appuyer sur des pratiques pénitentiaires ordinaires ou incarner la mise en œuvre de régimes d’exception. Il convient en outre d’analyser les capacités d’anticipation du législateur dans les stratégies d’identification des menaces et des risques pour la sécurité nationale. En amont, les analyses du cadrage légal des pratiques de contrôle, de surveillance, de détection et de prise en charge des extrémismes violents en prison (ou en lien avec le système répressif) sont valorisées. En aval, les dimensions légales du contrôle de ces pratiques, ou les possibilités de recours face au fichage, à l’évaluation ou au placement en régime spécifique sont autant de pistes d’étude qui seront privilégiées lors de ce colloque.

L’analyse du cadre légal – lois antiterroristes, règlements, doctrine institutionnelle – relatif au traitement des détenu·es considéré·es comme «extrémistes et violent·es» offre un poste d’observation particulièrement heuristique pour saisir, décrire et comprendre les tensions contemporaines de l’institution entre, d’une part, la promotion des droits des personnes détenues – reconnaissance formelle de droits, accès à des recours juridiques – et, d’autre part, la mise en œuvre de dispositifs pénitentiaires (en matière de collecte de renseignements, d’observation individuelle et de consignation de ces observations, d’évaluation criminologique des risques et de la dangerosité, de multiplication des régimes de détention spécifiques, etc.) qui fondent sur de nouvelles bases le pouvoir discrétionnaire de l’administration, et, en conséquence, mettent à l’épreuve ce mouvement de promotion des droits des personnes détenues.

Par quels procédés normatifs ces dispositifs spécifiques sont-ils institués et organisés (circulaires, notes de service, doctrine institutionnelle, référentiels managériaux sujets à adaptations permanentes) ? Comment ces dispositions s’insèrent-elles dans l’ordonnancement juridique classique ? Comment se traduisent les tensions entre le judiciaire et le policier, et dans certains cas l’armée ? Comment la création ou la transformation de prisons dédiées à l’accueil des seuls individus accusés de radicalisation traduit-elle et incorpore-t-elle dans leur fonctionnement quotidien un environnement normatifspécifique, dans un contexte de développement des contrôles hiérarchiques et juridictionnels ? Dans quelle mesure les détenu·es concerné·es peuvent-ils/elles se référer à un texte de droit, qu’il s’agisse d’en revendiquer le respect ou d’en contester la légalité ? Il convient par ailleurs de se décentrer des seuls contextes démocratiques pour réfléchir à ce que la lutte contre les extrémismes fait aux systèmes autoritaires. Est-elle une opportunité pour réifier le rôle de la prison comme instrument politique au service de la censure des oppositions ? Retrouve-t-on des situations d’enfermement extra-légales, reproduisant peu ou prou des régimes d’exception structurels sinon hérités ? Dans quelle mesure les dénonciations par des ONG, ou à l’inverse des collaborations avec des agences et associations internationales, en contexte de conflits et d’urgence humanitaire, reconfigurent-elles l’institution pénitentiaire, au bénéfice d’actions portées et légitimées par un discours de respect des droits humains ? Comment se fait la rencontre entre le monde humanitaire et l’univers carcéral en contexte de lutte contre les radicalismes et pour quels effets (conflits et fermeture, expertise et réforme...) ? Dans cette perspective, on pourra réfléchir aussi à l’hégémonie de certains discours et de certaines expériences érigées en modèles de « bonnes pratiques », et à leur diffusion, souvent des pays occidentaux vers les pays du Sud.

Axe 3 – La prise en charge de l’extrémisme violent en prison : analyses empiriques et défis méthodologiques

Un troisième axe vise à établir un état des lieux critique des modalités multiples de prise en charge de l’extrémisme violent dans les prisons de part le monde. Nous privilégierons les communications issues d’enquêtes ethnographiques, qu’elles soient ancrées dans une sociologie des institutions, une sociologie des professionnel·les, ou encore une sociologie des expériences individuelles de réclusion. Il s’agira d’étudier des configurations spécifiques, propres à chaque système pénitentiaire national, autour de questions transversales. Par exemple : pourquoi et comment les administrations désignent-elles une figure privilégiée de « l’extrémisme violent » ? Les administrations pénitentiaires ont-elles choisi de disperser ou de rassembler les prisonniers soupçonnés (de préparation) d’actes violents ? Comment s’articulent (ou non) l’identification et la reconnaissance de « détenus politiques » aux figures de l’extrémisme violent ? Dans quelle mesure ces choix sont-ils contraints par une condition pénitentiaire spécifique (surpopulation ou sous-occupation, encellulement individuel ou collectif, etc.)? Comment les professionnels s’approprient-ils les outils éventuels de détection et d’évaluation des « risques » et de la « dangerosité » ? Quelles sont les théories savantes, ou plus généralement les différentes représentations mobilisées par les professionnels pour penser les «causes» et la «dynamique» d’une «trajectoire de radicalisation extrême » ? Comment ces savoirs sont-ils mobilisés concrètement en détention ? Ces unités traduisent- elles une radicalisation institutionnelle de mécanismes pénitentiaires déjà existants, ou innovent-elles ? Ces mécanismes institutionnels, nouveaux ou renforcés, ont-ils vocation à se diffuser dans le reste de la détention ?

Ce troisième axe visera également à circonscrire les questions et obstacles méthodologiques et éthiques relatifs aux études sur le traitement pénitentiaire des extrémismes violents. Comment concilier la réponse aux attentes des pouvoirs publics en la matière, la nécessité d’ouvrir des terrains, et celle de mener une recherche libre et indépendante ? Qu’en est-il de la tension entre recherche fondamentale et opérationnelle (recherche-action, etc.) ? Comment concilier les intérêts des différents partenaires et interlocuteurs : administrations pénitentiaires, ONG, associations, partenariats bilatéraux et internationaux ? Les questions d’ordre pratiques (mise en conformité de la recherche avec les exigences des différents comités concernés, autorisations nécessaires, accès ou non aux terrains intra-muros, etc.) permettront d’identifier et analyser les spécificités nationales en la matière. Il s’agira d’observer la recherche se faisant, dans les efforts qu’elle requiert pour protéger des données parfois sensibles, s’adapter à la surveillance institutionnelle, construire une relation de confiance là où la défiance règne, plus encore en contexte autoritaire et parfois avec le statut de chercheur·e étranger·e, etc. De même, lors de la rédaction, comment protéger ses sources, anonymiser les acteurs, écrire ce qui est indicible? Comment penser les pratiques de censure et d’autocensure, les enjeux de protection individuelle et collective, les efforts de résistance face à certaines requêtes institutionnelles ou politiques potentiellement incompatibles avec la déontologie de la recherche en science sociale ? Comment comparer différentes situations nationales lorsque la collecte des données diffère sensiblement d’un pays à l’autre ?

Informations pratiques

Les propositions de communications (maximum 3 000 signes, en français et en anglais, mentionnant l’axe dans lequel la communication pourrait prendre place) doivent être envoyées

avant le 2 novembre 2020

à gilles.chantraine@univ-lille.fr, david.scheer@univ-lille.fr et clement.beunas@univ-lille.fr.

L’annonce des communications retenues aura lieu début juillet 2020.

Comité d’organisation

  • Gilles Chantraine (responsable scientifique)
  • David Scheer et Clément Beunas Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CNRS-CLERSE), Université de Lille

Comité scientifique

  • Évelyne Baillergeau - Université d’Amsterdam (Amsterdam School for Social Science Research)
  • Jean Bérard - École normale supérieure de Paris-Saclay
  • Marc Bessin - CNRS / IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, Paris)
  • Mathilde Darley - CNRS / Cesdip (Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Saint- Quentin-En-Yvelines)
  • Sylvain Faye - Département de Sociologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
  • Alice Jaspart - CAPREV (Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par les Extrémismes et Radicalismes Violents – Bruxelles)
  • Andrew M. Jefferson - DIGNITY (Danish Institute Against Torture, Copenhagen)
  • Frédéric le Marcis - École normale supérieure de Lyon
  • Thomas Max Martin - DIGNITY (Danish Institute Against Torture, Copenhagen)
  • Marie Morelle - Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, UMR PRODIG /IRD, FPAE (Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique)
  • Caroline Touraut - Laboratoire de recherche et d'innovation, Direction de l’administration pénitentiaire
  • Françoise Tulkens - Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, ancienne vice-présidente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

Lieux

  • Maison Européennes des Sciences de l'Homme et de la Société (MESHS), 2 rue des Canonniers
    Lille, France (59)

Dates

  • lundi 02 novembre 2020

Mots-clés

  • extrémismes violents, prisons, radicalisation, terrorisme, théories critiques

Contacts

  • David Scheer
    courriel : davscheer [at] gmail [dot] com
  • Gilles Chantraine
    courriel : gilles [dot] chantraine [at] univ-lille [dot] fr
  • Clément Beunas
    courriel : clement [dot] beunas [at] univ-lille [dot] fr

Source de l'information

  • Clément Beunas
    courriel : clement [dot] beunas [at] univ-lille [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Prisons du monde et extrémismes violents », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 20 mars 2020, https://doi.org/10.58079/14p6

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