Rights and procreative duties: from norms to practices
Droits et devoirs procréatifs : des normes aux pratiques
Enfances Familles Générations (EFG) journal - no. 38
Revue Enfances Familles Générations (EFG) - No 38
Published on Tuesday, May 12, 2020
Abstract
Ce numéro ambitionne d’actualiser l’analyse des normes procréatives afin d’éclairer les continuités entre différents contextes et groupes sociaux, et de révéler par contraste leurs singularités. Trois axes d’analyses seront privilégiés : Les lois du travail procréatif ; Les adhésions et résistances (extra)ordinaires aux règles ; Les mobilisations pour faire changer le droit. Les articles originaux attendus favoriseront une réflexion triptyque des normes légales encadrant le travail procréatif, les injonctions sociales et les pratiques des acteur.trice.s en la matière, et ce dans des contextes sociaux pluriels.
Announcement
Coordination scientifique
- Irène-Lucile Hertzog (Université de Caen, France)
- Marie Mathieu (Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris, France)
Argumentaire
Une analyse contemporaine des normes procréatives
La procréation implique un ensemble de tâches : la régulation de la fécondité, l’entretien et la surveillance sanitaire des sexualités, le suivi gynécologique, l’accouchement, les « échecs » reproductifs (avortements – IVG/IMG – et fausses-couches), tout comme l’élevage et l’éducation des enfants. Cependant, ce n’est que récemment que ces multiples activités sont de nouveau appréhendées de manière globale, notamment à travers la notion de « travail procréatif » (Mathieu et Ruault, 2017). Actualisant une réflexion amorcée il y a de nombreuses années, par les féministes matérialistes (notamment Christine Delphy, Paola Tabet, Nicole-Claude Mathieu) et prolongée, entre autres, par des collectifs (celui de l’ouvrage Le Sexe du travail et plus encore par l’Atelier Production-Reproduction : APRE, 1985-1988), la réémergence tardive de ce champ de recherche peut s’expliquer en partie par les divisions opérées au sein de nos disciplines (sociologie, anthropologie, droit, science politique…) entre les recherches sur le travail et celles dédiées à la famille. En effet, malgré une contestation déjà ancienne de la frontière établie entre activité productive et travail reproductif à travers le concept de rapports sociaux de sexe, les sous-disciplines n’ont guère évolué, pérennisant un découpage du réel selon des grilles pourtant montrées caduques et cristallisant l’opposition androcentrée entre deux sphères inextricables. Mais on peut penser que le caractère éminemment genré du travail procréatif a fortement contribué à la mise en suspens durable de son appréhension globale. En effet, ce sont encore bien souvent les femmes qui en assument la charge, de même que la naturalisation de ces tâches a fortement contribué à leur invisibilisation.
Si la réunion de différentes « séquences » de ce travail quasi invisible et le plus souvent gratuit a permis d’identifier certaines normes assurant sa régulation, il importe d’appréhender les formes plurielles de son encadrement social – et notamment légal – ainsi que leurs fluctuations dans l’espace et dans le temps. Bien entendu, ces normes ne peuvent être pensées indépendamment des contextes politico-juridiques établissant les configurations légitimes du « faire famille » (Robcis, 2013 ; Marguet, 2018), des diverses modalités existantes d’entrée dans la parentalité (PMA, GPA, adoption…) et des « bonnes » conditions de l’exercice de cette dernière (familles monoparentales et/ou homoparentales…). Elles doivent aussi être appréhendées en tenant compte de la diversité des ordres juridiques où cohabitent, selon des configurations singulières, les droits coutumiers et/ou religieux et les cadres législatifs.
L’objectif de ce dossier est de questionner les normes contemporaines du travail procréatif dans les différentes sociétés à partir de l’analyse des pratiques actuelles des différent·e·s actrice/eur·s impliqué·e·s dans ce travail – et donc dans la (non)production de nouveaux êtres humains –, dans son accompagnement et sa supervision au sein des familles. Il s’agira de mettre en lumière, dans des pays des Suds et des Nords, les injonctions légales et sociales encadrant les différentes activités relativement à la procréation, de donner à voir comment les lois et les règles sociales évoluent, la façon dont elles se renforcent ou se contredisent dans des contextes sociohistoriques donnés, tout comme les formes de résistance développées face à ces normes par les personnes impliquées dans les différentes tâches dissimulées derrière la notion de maternité (et plus largement celle de parentalité) ou par celles investies dans son suivi.
Bien que les textes juridiques façonnent incontestablement l’horizon des (im)possibles en matière de « procréation », et tout spécifiquement les conditions du « faire famille », ce dossier portera attention à la manière dont les différents domaines et sous-champs du droit encadrant ce travail procréatif (droit de la famille, droits sexuels et reproductifs, droits des femmes, droit du travail…) se combinent et à la façon dont les acteurs/trices composent, contournent et parfois contestent en paroles et/ou en actes les lois et les règles socialement édictées que ce soit par une pratique spécifique ou de manière plus globale.
De plus, si l’on sait que le travail procréatif est genré et intimement lié à des modèles familiaux, il est toujours socialement situé dans des contextes historiques et traversé par des rapports de classe économique, de race et d’âge. C’est cette imbrication des différents rapports sociaux, que nous souhaitons saisir afin de faire apparaître les rapports de pouvoir à l’œuvre dans la (non)production d’enfant(s), dans son encadrement normatif et leurs multiples configurations de part et d’autre du globe. La régulation de la procréation par les États met en jeu des asymétries de pouvoir entre les actrice/eur·s – patient·e·s, médecins, parents, « tierces parties » (donneur/se·s, gestatrices), associations, ONG, employeur/se·s, etc. – qui ne disposent pas des mêmes ressources matérielles et symboliques pour imposer et légitimer leurs idées, leurs expériences et leurs conduites en la matière.
L’analyse des tensions entre régulations juridiques, normes sociales et pratiques nous paraît ainsi pouvoir éclairer les contours contemporains – locaux ou internationaux – du travail procréatif et esquisser ceux à venir, à partir d’objets comme l’IVG, la procréation médicalement assistée, l’adoption, l’accouchement, l’allaitement, la gestation pour autrui, la prise en charge des enfants dans des situations de pluriparentalité, etc.
À travers ce dossier, nous souhaitons en somme actualiser l’analyse des normes procréatives pour éclairer les continuités entre différents contextes et groupes sociaux, mais aussi révéler par contraste leur singularité. Ces dernières pourront être appréhendées selon trois axes.
Les lois du travail procréatif
Questionner ce que dit le droit, dans différents contextes sociohistoriques et nationaux –éventuellement selon une approche comparative – peut être l’occasion de dévoiler les principes sous-jacents aux lois consacrées au travail procréatif (Brunet et Guyard-Nedelec, 2018 ; Reysoo et Bos, 2011 ; Mignot, 2016 ; Rozée et al, 2016 ; Gautier et Grenier-Torres, 2014) car, rappelons-le, créer et élever de nouveaux êtres humains passe toujours par un encadrement politique du (non) « désir d’enfant » et de la parentalité (Tahon, 2011 ; Delphy, 2002). Cela peut aussi révéler les différentes stratégies ayant conduit à l’élaboration de ces textes, ce qu’elles indiquent des sociétés concernées et leurs implications sur le temps long.
Les lois n’étant pas les seules limitations objectives à la réalisation des tâches gravitant autour de la (non) production d’enfant(s), ce premier axe cherchera aussi à mettre en lumière les obstacles concrets faisant barrière à l’application pratique des droits procréatifs. Le recours à la clause de conscience par les praticien·ne·s dans le cadre des IVG, ou encore les difficultés des femmes souhaitant allaiter leur enfant sur le lieu de leur activité salariée en France en sont des exemples révélateurs.
Face aux règles : de l’adhésion aux résistances (extra) ordinaires
Un deuxième axe s’intéressera à la manière dont les individus adhèrent, respectent, critiquent ou contournent les « lois du travail procréatif », au regard notamment des différentes ressources dont ils/elles disposent, du contexte dans lequel leur décision s’insère et des marges de manœuvre qu’ils/elles perçoivent alors. Il s’agira de renseigner la manière dont certain·e·s déjouent les règles en usant des brèches légales, de situations d’exception ou d’une tolérance factuelle quant au non-respect des textes de loi (Côté, Lavoie et Courduriès, 2018). Il conviendra de questionner les différentes ressources mobilisées tant à un échelon local que transnational, par des actrice/eur·s confronté·e·s à des règlementations qu’elles et ils vivent comme trop restrictives. Comment, par exemple, les femmes célibataires se débrouillent-elles pour avoir des enfants quand elles sont exclues légalement de l’accès à la procréation médicalement assistée dans leur société ? Quelles stratégies sont développées pour pouvoir vivre un accouchement à domicile ou moindrement médicalisé ? Quelles sont alors les femmes qui y ont accès ? Comment adopter un enfant et faire famille quand on est un homme célibataire dans un contexte social où le couple parental est la condition sine qua non pour devenir père ?
Se mobiliser pour faire changer le droit
Si le droit régule les pratiques procréatives, pose des interdits sociaux et participe de la construction des représentations dominantes, il est aussi le reflet de ce qu’une société juge acceptable en matière de procréation et de filiation (Boillet et al., 2018). Quels sont dès lors les individus en capacité de voir leurs positions entendues et légitimées ? Comment certains groupes sociaux s’accordent-ils pour obtenir une modification des lois relatives à l’encadrement du travail procréatif ? Quelles sont les alliances et les oppositions autour des revendications menées au nom des droits procréatifs ? Les articles pourront ainsi s’intéresser aux acteur/trice·s des nouvelles mobilisations en matière de justice procréative, à leurs motivations, aux luttes de pouvoir, tensions et enjeux caractérisant leurs actions. Si l’on pense bien entendu aux récentes mobilisations au Brésil, en Argentine, en Irlande ou aux États-Unis sur le droit à l’avortement, il s’agira d’explorer ces différentes luttes politiques autour des multiples tâches qu’englobe le travail procréatif. Les propositions d’article pourront aussi revenir sur les processus dynamiques de construction des juridictions, notamment dans l’articulation entre les échelles locale, nationale, européenne ou internationale.
Modalités de soumissions
Les propositions (résumés) doivent être soumises sur notre site (http://www.efg.inrs.ca/formulaire-soumettre-proposition/)
pour le 15 juin 2020
Veuillez sélectionner le titre du numéro thématique dans le formulaire de soumission.
Les textes originaux sollicités pour le présent numéro doivent favoriser une réflexion du triptyque normes légales encadrant le travail procréatif, injonctions sociales en la matière et pratiques des acteur/trice·s, et ce dans des contextes sociaux pluriels. Les propositions d’article devront comprendre un titre provisoire, un résumé (1500 à 2000 caractères, espaces compris) et les coordonnées des autrice/teur·s. Les autrice/teur·s des propositions retenues devront remettre leur manuscrit au plus tard le 23 novembre 2020. Pour consulter les règles d’édition de la revue. Les manuscrits sont acceptés ou refusés sur la recommandation de la direction de la revue et des responsables du numéro après avoir été évalués à l’aveugle par deux ou trois lectrices/teurs externes.
Bibliographie
APRE (1985-1988). Cahiers de l’Atelier Production-Reproduction, no 1-7.
Boillet V., M. Roca i Escoda et E. de Luze (coor.). 2018. La gestation pour autrui. Approches juridiques internationales. Anthemis et Helbing Lichtenhahn Verlag.
Brunet L. et A. Guyard-Nedelec (dir.). 2018. « Mon corps, mes droits ! » L’avortement menacé ? Panorama socio-juridique : France, Europe, États-Unis. Paris, Mare et Martin.
Collectif. 1984. Le sexe du travail. Structures familiales et système productif, Grenoble, PUG.
Côté, I., K. Lavoie et J. Courduriès. 2018. Perspectives internationales sur la gestation pour autrui. Expériences des personnes concernées et contextes d’action, Québec, PUQ.
Delphy C. 2002. « La maternité occidentale contemporaine : le cadre du désir d’enfant ». dans Espaces et temps de la maternité, sous la dir. De F. Descarries et C. Corbeil, Montréal, Remue-ménage, pp. 68-82
Gautier, A. et C. Grenier-Torres (dir.). 2014. « Les droits reproductifs 20 ans après le Caire », Autrepart, vol. 70, no 2.
Mathieu, M. et L. Ruault. 2017. « Une incursion collective sur un terrain éclaté pour une approche matérialiste des activités liées à la production des êtres humains ». Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 48, no 2. URL : http://journals.openedition.org/rsa/1871
Marguet, L. 2018. Le droit de la procréation en France et en Allemagne : étude sur la normalisation de la vie. Thèse de droit et science politique, Université Paris 10, (dir.) Stéphanie Hennette-Vauchez, soutenue le 5 décembre 2018.
Mignot, J.-F., 2016. « L’adoption plénière en France et en Angleterre-Galles : une histoire comparée du droit et des pratiques (1926-2015) », Droit et société, vol. 2, no 93, p. 417-435.
Reysoo, F. et P. Bos. 2011. « N’est pas mère qui veut. Le paradoxe de l’adoption internationale », Nouvelles Questions Féministes, vol. 30, no 1, p. 28-43.
Robcis, C., 2013. The Law of Kinshi. Anthropology, Psychoanalysis, and the Family in France, Ithaca, N.Y., Cornell University Press.
Rozée, V., S. Unisa, et É. de La Rochebrochard. 2016. « La gestation pour autrui en Inde », Population & Sociétés, vol 9, no 537.
Tahon, M.-B. (dir.). 2011. « La loi, l’engendrement, la filiation », Enfances, Familles, Générations, no 14.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Sociology > Gender studies
- Society > Sociology > Sociology of health
- Society > Law
Date(s)
- Monday, June 15, 2020
Attached files
Keywords
- famille, droits, normes, procréation, contraintes, résistances, mobilisations citoyennes
Contact(s)
- Béatrice Lefebvre
courriel : efg [at] ucs [dot] inrs [dot] ca
Reference Urls
Information source
- Béatrice Lefebvre
courriel : efg [at] ucs [dot] inrs [dot] ca
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To cite this announcement
« Rights and procreative duties: from norms to practices », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, May 12, 2020, https://doi.org/10.58079/14wr