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Esthétique(s) et politique de l'archive en art

The aesthetics and politics of the archive in art

Revue Proteus, n° 17

Proteus journal no.17

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Publié le vendredi 17 juillet 2020

Résumé

Ce numéro portera sur les enjeux politiques de l’archive dans le monde de la création artistique. Nous nous intéresserons au rôle de l’artiste tant dans la création d’archives (réelles ou fictives) que dans leur réactivation et leur transmission. L’affectivité qui peut insuffler ou s’injecter dans ses pratiques pourra être mise en discussion, de même qu’il s’agira de nous interroger sur les processus artistiques par lesquels l’archive peut révéler sa dimension politique. Le regard de l’artiste porté sur les images convoquées dialectise une histoire du regard où les manières de percevoir les images deviennent critiques. La question de l’artification de l’archive se pose alors et les conditions comme les perspectives offertes par celle-ci pourront être interrogées. Il sera aussi possible de poser un regard épistémologique sur le sujet en réfléchissant à la place du document d’archive dans les corpus des chercheur·ses en art.

Annonce

Coordination du numéro

Numéro coordonné par Cyrielle Lévêque et Mélodie Marull

Présentation

Dans « Veils/folds/events, production of face in Space-Time », Suzana Milevska écrit : « Le territoire de l’archive n’est pas un lieu stable où tous les niveaux et segments sont donnés en une fois et pour toujours. Chaque fois qu’un chercheur entre dans une archive, son contenu est remplacé et re-sédimenté, re-voilé/révélé ou démêlé. La force qui influence à chaque fois l’ordre interne préétabli des documents d’archives crée de nouvelles inflexions dans l’interprétation1. » Ce questionnement sur la fluidité de l’archive révélée à son contact avec la recherche – et les difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit de la saisir – est présent dans le champ de l’art. L’évolution, comme l’appropriation récente du concept d’archive et de ses différentes fonctions, poussent à questionner les dispositifs qui y sont attachés.

Nous entendons ici le terme « archive » comme désignant un corpus hétérogène destiné à enclencher des processus de témoignage, de narration et de mémoire. Individuels ou collectifs, ils peuvent éventuellement prendre la forme d’une collection et s’ancrent dans une temporalité par leur capacité à subsister. Si l’archive se définit par trois principes – collecter, conserver, transmettre – son lien avec la création artistique est indéniable. Qu’il soit à l’origine de son contenu ou de sa réunion, qu’il se l’approprie ou la transforme, l’artiste peut être amené à établir un rapport particulier à l’archive. Qu’il s’agisse de médiums d’enregistrements ou plastiques (image, vidéo, témoignage performance), il est envisageable de les analyser au prisme de l’esthétique, comme à celui d’autres disciplines des sciences de l’art.

Ce numéro portera sur les enjeux politiques de l’archive dans le monde de la création artistique. Nous nous intéresserons au rôle de l’artiste tant dans la création d’archives (réelles ou fictives) que dans leur réactivation et leur transmission. L’affectivité qui peut insuffler ou s’injecter dans ses pratiques pourra être mise en discussion, de même qu’il s’agira de nous interroger sur les processus artistiques par lesquels l’archive peut révéler sa dimension politique. Le regard de l’artiste porté sur les images convoquées dialectise une histoire du regard où les manières de percevoir les images deviennent critiques. La question de l’artification2 de l’archive se pose alors et les conditions comme les perspectives offertes par celle-ci pourront être interrogées. Il sera aussi possible de poser un regard épistémologique sur le sujet en réfléchissant à la place du document d’archive dans les corpus des chercheur·ses en art.

Notons que le caractère politique de l’œuvre ne peut se limiter au seul engagement de l’artiste et que, si ce concept prend du sens, c’est justement dans la relation que l’œuvre entretient avec le spectateur.

De même, les actions archivistiques – trouver, accumuler, classer, transformer des images – peuvent être investies par chacun·e. À cet effet, quels dispositifs vont servir de leviers afin de pouvoir lire une image au-delà des limites de sa prise de vue initiale ? Comment renouveler les perceptions faites de ces corpus iconographique, vidéo, textuels… ? L’objectivité de l’archive étant prétention, la manière dont elle est racontée, montrée en modifie le sens. Ainsi, l’archiviste-artiste – celui ou celle qui trouve, accumule, classe ou transforme – y injecte sa propre subjectivité. Quels enjeux politiques découlent alors de ce processus ? Dans quelles conditions l’archive peut-elle se mettre au servir d’un discours ?

L’archive en tant qu’objet est indissociable de son support. Ainsi, les technologies de captations visuelles ou sonores ont révolutionné notre manière de la produire et de l’appréhender : dans le chapitre « Machines affectées3 » de son ouvrage Ce que le Sida m’a fait, Élisabeth Lebovici décrit comment, depuis les années 1960, les outils de captation et de diffusion ont non seulement influencé les manières de communiquer, mais aussi celles de faire archive. Plus loin4, AIDS Timeline, produite par le collectiviste activiste Group Material, fait pénétrer les récits de la lutte contre le sida dans les institutions muséales par l’exposition de ses archives : tracts, affiches, T-shirts et créations artistiques dialoguent le long d’une frise chronologique. Le rapport au support, à ses évolutions comme à ses détournements pourra être sujet de réflexion. De même, l’entrée de l’archive au sein de l’institution artistique5 pourra être questionnée par les auteur·rices. Au delà des « grandes Histoires étatiques » elles mettent en narration des individualités, rendent visibles des groupes minorisées.

La notion d’archive ne peut se défaire de celles de conservation et de transmission. À travers cette dernière, l’expérience individuelle acquiert une portée collective. Dans An Archive of Feelings, Trauma, Sexuality, and Lesbian Public Culture, Ann Cvetkovitch interroge les enjeux de ces appropriations plastiques de l’archive pour les minorités auxquelles elles appartiennent et rapporte les paroles de l’artiste et activiste Zoe Leonard : « […] le témoignage ou le fait d’être témoin se réfère à la compréhension que votre histoire prend part à une histoire plus large, qu’il est vital de transmettre à d’autres personnes, que vous tenez une pièce d’un puzzle, d’une image que d’autres ont besoin de voir6. » Comment la création artistique, en s’appropriant les témoignages (oraux, écrits, visuels), peut leur octroyer une dimension politique ? Par quels mécanismes la dimension personnelle et affective de ces archives va-t-elle trouver un mode d’affirmation dans l’art ? Si le potentiel politique de ces archives est indéniable, leur pertinence et leurs enjeux individuels, au prisme de la création artistique, le sont tout autant et les propositions d’article pourront le souligner.

L’archive offre à l’artiste la possibilité de la réinventer, d’en manipuler la forme et la lecture. Ces procédés, bouleversant la dichotomie fiction/vérité, nous permettent d’interroger les enjeux éthiques, artistiques, épistémologiques de ces modes d’approche de corpus d’archives. Le film de Cheryl Dunye et Zoe Leonard, The Watermelon Woman (1996), se situe à la lisière de la fiction et du documentaire. Assemblées comme un puzzle d’images destiné à produire la biographie de Fae Richards, The Watermelon Woman, les images d’archives employées dans le montage permettent à Cheryl Dunye de réécrire une histoire du cinéma tout en dénonçant l’invisibilisation des femmes noires et lesbiennes. L’archive fictive produite propose une forme de réparation : en racontant l’histoire d’une minorité à travers celle, imaginée, de Fae Richards, elle continue d’être un levier d’émancipation et une force politique.

A contrario, peut-on penser l’absence et l’effacement comme une forme de présence au monde ? Si la disparition est un manquement à la présence, il est intéressant de voir que cette absence contrainte peut induire le renforcement de l’évocation de l’objet manquant. La vidéo IntervistaFinding the Words d’Anri Sala réalisée en 1999 porte sur la mise en scène de la parole entre deux membres d’une même famille : une mère, Valdet Sala et son fils, l’artiste, Anri Sala. Rapidement, un problème se pose : la bobine contenant la bande sonore a été égarée. Il s’agit alors d’enquêter par le biais d’un échange oral auprès de sa mère afin d’en extraire les propos manquants. L’enquête familiale et personnelle bascule vers la création d’une production plastique en quête de réponses.

Puisqu’il s’agira aussi de questionner les enjeux d’une soustraction à celui-ci, nous pouvons nous demander sous quel régime de visibilité nous nous plaçons dans nos sociétés.

Les thématiques convoquées permettront de mettre en lumière les enjeux à la fois esthétique et politique des corpus d’archives (textuels, oraux, visuels) relatifs à des individus, des communautés, des évènements, réels ou imaginaires, ainsi que de leur conservation et de leur transmission. Dans cette dynamique, la question de leur réception pourra également être un sujet de réflexion.

Modalités de soumission

Les propositions d’articles, entre 300 et 500 mots,

sont à nous envoyer pour le 6 septembre 2020 à l’adresse suivante :

contact@revue-proteus.com

Coordination du numéro : Cyrielle Lévêque & Mélodie Marull

Nous vous rappelons que la revue Proteus accueille également des articles hors-thèmes que vous pouvez envoyer en dehors des dates limites fixées pour les articles sur thème. Tous les numéros parus sont téléchargeables gratuitement sur le site de la revue.

Bibliographie indicative

— Isabelle Alfonsi, Pour une Esthétique de l’émancipation, Paris, B42, 2019.

— Anne Bénichou, Ouvrir le document. Enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains, Paris, Les presses du réel, collection « Perceptions », 2010.

— Emmanuelle Chérel et Fabienne Dumont (dir.), L’Histoire n’est pas donnée, Art contemporain et postcolonialité en France, Rennes, PUR, 2016.

— Ann Cvetkowich, An Archive of feelings. Trauma, sexuality and lesbian public cultures, Duke University Press, Durham & London, 2003.

— Guillaume Désange, François Piron, (dir), L’Esprit français, Contre-cultures 1969-1989, Paris, La Découverte/La Maison Rouge, 2017.

— Nicolas Heimendinger et Gabriel Zacarias (dir), Marges – dossier sur les archives, no 25, 2017/2.

— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Lotte Arndt, Catalina Lozano, Crawling Doubles: Colonial Collecting and Affect, Paris, Éditions B42, 2016.

— Jacinto Lageira, Diane Dufour, Christine Vidal (dir), Usages géopolitique des images, Paris, Les carnets du Bal 07, coédition Le Bal, Éditions Textuel, centre National des Arts Plastiques, 2016.

— Élisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait : Arts et activisme à la fin du XXe siècle, Zurich, JRP Ringier, Éditions Maison Rouge, 2017.

— Patrick Nardin, Catherine Perret, Soko Phay et Anna Seider, Archives au présent, Paris, PUV, 2017.

— Renate Lorenz, Marie-Mathilde Bortolotti, Art queer : une théorie freak, Paris, B42, 2018.

— Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 2004.

— Sarah Schulman, La Gentrification des esprits, Paris, B42, 2018.

— James C. Scott, La Domination et Les Arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.

— Estelle Sohier, Olivier Lugon, Anne Lacoste (dir), « Musées de photographies documentaires », Transbordeur photographie – Histoire société, no 1, 2017.

— Daniel Vander Gucht, Art et Politique. Pour une redéfinition de l’art engagé, Bruxelles, Labor, 2004.

— Giovanna Zapperi, L’Avenir du passé. Art contemporain et politiques de l’archive, Presses Universitaires de Rennes, École supérieure d’art de Bourges, 2016.

1« The territory of archive is not a stable site where all the levels and segments are given at once and forever. Whenever a researcher enters an archive, the content of the archive is replaced and re-sedimented, re-veiled/revealed, or unravelled. The force that influence the internal preestablished order of the archival material each time creates new inflections in the interpretation. » [notre traduction] in Suzana Milevska, « Veils/folds/events, production of face in Space-Time » dans Renate Lorenz (dir.), Not Now! Now! Chronopolitics, Art & Research, Berlin, Sternberg Press, 2014, p. 104-127.

2Nathalie Heinich, Roberta Shapiro, De l’artification : enquête sur le passage à l’art, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2012.

3Élisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait : Arts et activisme à la fin du XXe siècle, Zurich, JRP Ringier, Éditions Maison Rouge, 2017, p. 23-37.

4Ibid., p. 123-159.

5Nathalie Heinich, Roberta Shapiro, De l’artification : enquête sur le passage à l’art, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2012.

6« […] testimony or being witness is about understanding that your story is part of a larger story that is vital to pass on to other people, that you hold a piece of a puzzle that’t part of a picture that other people need to see. » [notre traduction], in Ann Cvetkowich, An Archive of feelings. Trauma, sexuality and lesbian public cultures, Duke University Press, Durham & London, 2003, p. 202.


Dates

  • dimanche 06 septembre 2020

Mots-clés

  • esthétique, politique, archive, mémoire, arts, arts plastiques, image, témoignage

URLS de référence

Source de l'information

  • Mélodie Marull
    courriel : melodie [dot] marull [at] univ-lorraine [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Esthétique(s) et politique de l'archive en art », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 17 juillet 2020, https://doi.org/10.58079/154f

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