AccueilLe chez-soi et les limites de l’individualisation

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Le chez-soi et les limites de l’individualisation

Home and the limits of individualisation

Enfances Familles Générations (EFG) - Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine

Enfances Familles Générations (EFG) - the interdisciplinary journal of the contemporary family

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Publié le jeudi 27 août 2020

Résumé

Ce numéro de la revue Enfances Familles Générations a pour objectif, à partir de l’analyse de la notion de chez-soi, d’éclairer et de comprendre les dynamiques sociales complexes que produisent, partout dans le monde, les transformations de la famille et des rapports de générations marqués par une tension entre, d’une part, une demande et une injonction à l’autonomie et, d’autre part, une recherche de maintien des liens étroits de solidarité.

Annonce

Coordination scientifique

  • Emmanuelle Maunaye (Université de Rennes 1, France)
  • Elsa Ramos (Université de Paris, France)

Argumentaire

Ce numéro de la revue Enfances Familles Générations a pour objectif, à partir de l’analyse de la notion de chez-soi, d’éclairer et de comprendre les dynamiques sociales complexes que produisent, partout dans le monde, les transformations de la famille et des rapports de générations marqués par une tension entre, d’une part, une demande et une injonction à l’autonomie et, d’autre part, une recherche de maintien des liens étroits de solidarité. Ce dossier compte plus spécifiquement cerner l’idée du chez-soi comme un espace qui intervient dans la construction d’un « individu individualisé », où chaque membre du groupe familial pourrait ainsi être considéré notamment dans les sociétés individualistes contemporaines. Trois questions guideront en particulier la problématique de ce numéro. Dans quelles situations le chez-soi peut-il perdre cette fonction ? Cette perte révèle-t-elle des contraintes sociales, familiales et personnelles où sont insérés les individus ? Que devient alors l’idée de l’«individu individualisé» par le chez-soi ?

Les espaces du chez-soi

Les espaces des « chez-soi » renvoient à des territoires individuels, mais aussi familiaux. La notion de « chez-soi » peut se référer à plusieurs dimensions spatiales : le domicile ; le « chez-soi » que l’on peut traduire de manière imparfaite par le quartier; le « chez-soi » des « origines » à l’échelle d’une région ou d’un pays. Ces différentes échelles peuvent aussi être mises en lien avec ce que Nicolas Robette appelle la dimension temporelle de l’observation des lieux :

« Par exemple sur une période d’une heure, on pourra appréhender les pratiques dans l’environnement domestique, sur une journée, les déplacements quotidiens dans l’aire urbaine d’habitation, sur plusieurs mois les lieux de séjour et les pratiques résidentielles, ou sur plusieurs années les migrations interrégionales ou internationales » (Robette, 2012, paragraphe 16).

Les « chez-soi » peuvent également être rapprochés des lieux de famille étudiés notamment par Catherine Bonvalet et Eva Lelièvre (2005). Plusieurs formes de territoires peuvent aussi être proposées : le territoire d’origine, le territoire parcouru, le territoire fréquenté au moment de l’enquête, le territoire projeté et le territoire perçu. Ils permettent de reconstruire les différents univers géographiques qui se succèdent au long de la vie des enquêté.e.s (Lelièvre et al., 2002). De fait, étudier les « chez-soi », c’est s’attacher aux différentes temporalités de l’existence humaine, c’est-à-dire, le temps présent du quotidien, mais également le temps long de l’histoire personnelle et familiale. Les dimensions spatiales et temporelles du « chez-soi » s’articulent également à une troisième dimension, la dimension relationnelle entre cohabitants : interactions conjugales et parents/enfant notamment. Si les dimensions spatiales, temporelles et relationnelles peuvent être distinguées pour les besoins de l’analyse, elles sont toujours intimement articulées dans l’expérience des individus.

Chez-soi et individualisation

La réflexion proposée s’inscrit dans une posture qui met au centre l’individu - bien qu’inscrit dans des groupes notamment familial - à travers par exemple l’expérience qu’il a du monde dans lequel il vit et de lui-même. Cette posture « augmente la sensibilité du regard sociologique envers au moins trois choses : le travail sur soi, la singularité et le fait pour l’individu de se donner une certaine cohérence » (Martuccelli et de Singly, 2009, p. 92). Elle postule une conscience réflexive : comment l’acteur social se perçoit-il comme individu ? Comment sa subjectivité intervient-elle dans la construction du chez-soi en le définissant comme acteur de cette construction ? Comment se distingue-t-il de ses liens familiaux ? L’expérience de soi implique ainsi la conscience de soi qui réside dans le « je » : « Dès qu'il y a conscience, en effet, il y a un sujet qui se pense comme distinct de tout ce qui n'est pas lui, un sujet qui dit “je”. » (Durkheim, 1902-1903, p. 151). Les conditions de ce « je », dans les sociétés individualistes, s’incarnent par l’injonction à disposer d’un espace à soi, parmi les autres. Ainsi, un chez-soi peut être posé comme le terreau de la construction d’un « je » : d’une identité personnelle, de l’autonomie de l’individu, de son pouvoir sur soi et de son rapport au territoire (Simard et Savoie, 2009), ainsi que de son espace dans le « nous » familial. Le territoire personnel ne constitue ainsi qu’un des « chez » du chez-soi. En effet, dans la situation de cohabitation des jeunes adultes chez leurs parents, le chez-soi est défini par trois « chez » : « chez-moi », « chez mon-mes parent-s », « chez nous » (Ramos, 2002). Ces trois « chez » peuvent aussi être pensés dans toute autre situation de chez-soi : le premier renvoie aux territoires personnels ; le deuxième aux règles et aux lois qui régissent une cohabitation et l’espace dans lequel est inséré le chez-soi. Dans ce dernier cas, il est défini par un aspect statutaire et hiérarchique, l’individu a une place assignée par son statut. Enfin, le troisième s’incarne par une appartenance et une place dans un groupe ou une communauté où l’individu est considéré comme égal. Si le premier « chez » est principal dans le processus d’individualisation, tout autant le sont les deux autres qui amènent, d’une part, à la mise au jour des limites du chez-soi, d’autre part, à la question de l’inscription de l’individu dans le groupe, notamment familial. Il apparaît alors que la construction du chez-soi se joue aussi dans des rapports d’interaction avec les « autres » ayant également leur propre construction et conception du chez-soi ; lesquelles construction et conception paraissent orientées par la position occupée par l’individu dans « l’ordre familial » (la place dans le groupe familial, l’âge, le sexe…), produisant par là même des rapports différenciés pour ne pas dire dissymétriques au sein du chez-soi.

Ancrages et mobilités

Un autre aspect doit également être pris en compte dans l’étude du chez-soi : l’articulation d’un espace à soi et de la mobilité. Pour que le chez-soi soit un espace d’individualisation, un certain nombre de conditions doivent être remplies : avoir un espace possible que ce soit un coin à soi, une chambre, une adresse, une autorisation de territoire dans le cadre de la migration. Il s’agit d’un espace reconnu par soi et par les autres dans lequel l’individu a une marge de manœuvre. Reconnu par soi au sens où il est un espace repère, de protection, d’autonomie, d’intimité (Serfaty-Garzon, 2003), de propriété de soi (Laé, 2003), un espace d’écart au monde (Chollet, 2015), d’identité individuelle (Larceneux, 2011) et familiale. Reconnu par les autres au sens où il est maitre de l’ouverture et de la fermeture de cet espace. À ces conditions, le chez-soi peut avoir une fonction de construction et de maintien des identités personnelles et familiales. Le chez-soi dans cette dimension est un espace d’ancrage contribuant à la qualité de vie des individus (Simard, 2019).

Il ne peut cependant pas se comprendre sans une deuxième caractéristique, celle de la circulation et de la mobilité. En effet, le chez-soi se définit aussi par l’autorisation d’en sortir. De l’enfant qui a le droit de jouer dans les espaces autres que sa chambre ; de la mobilité quotidienne, c’est-à-dire des allers et retours que font les individus entre leur chez-soi et ailleurs, des lieux professionnels, les lieux de vacances, les loisirs, etc.; de l’autorisation du voyage et de la migration, autant de situations qui permettent d’une part, de rendre compte des différentes échelles du chez-soi (chambre, domicile, quartier, village, nation) et d’autre part, de mettre en exergue à quel point le chez-soi peut être conditionné par la situation et l’espace social et spatial dans lequel s’insère l’individu. Le chez-soi est donc traversé par ces deux caractéristiques, la première, avoir un espace attribué, une adresse ; la deuxième, pouvoir circuler, c’est-à-dire entrer et sortir. L’articulation de ces deux registres met en tension le « trop » ou le « pas » et se dessine entre assignation et errance, l’individu perdant en partie le pouvoir sur soi. Par ailleurs, les formats d’une identité personnelle et familiale tenus par le chez-soi sont plus difficiles à maintenir.

Le numéro sera construit en quatre parties qui rendent compte des articulations possibles de ces deux caractéristiques (avoir un espace à soi et pouvoir circuler) en les analysant au prisme des règles et des lois qui bornent l’espace à soi, et, en discutant leurs inscriptions dans un « chez-nous ».

La première partie aura pour objet la construction de la place de l’individu dans la cohabitation (par exemple la (re)cohabitation familiale, l’accueil d’un étranger chez-soi…) afin d’interroger le processus d’individualisation, notamment dans le « nous familial » ou le « nous groupe », ses conditions et ses limites. La deuxième partie envisagera les cas dans lesquels il y a absence de chez-soi et où l’espace à soi est toujours à inventer et à négocier comme dans les situations où l’espace de vie est réduit et/ou partagé (vivre à plusieurs dans une même pièce, etc.), le numérique est envahissant ou le sans-abrisme… La troisième partie s’intéressera au confinement et à l’immobilité de l’individu assigné à résidence comme dans le cas des jeunes « Hikikomari », des personnes à fortes mobilités réduites ou des personnes âgées en fin de vie. Enfin, la quatrième partie proposera de réfléchir à la construction du chez-soi pour des individus assignés à l’extérieur d’un espace désiré (les migrations clandestines, les migrations climatiques et les déplacements de population…).

Modalités de soumissions

Les propositions (résumés) doivent être soumises sur notre site.

pour le 16 octobre 2020. 

Veuillez sélectionner le titre du numéro thématique dans le formulaire de soumission. Les propositions d’article devront comprendre un titre provisoire, un résumé (1500 à 2000 caractères, espaces compris) et les coordonnées des autrice/teur·s. Les autrice/teur·s des propositions retenues devront remettre leur manuscrit au plus tard le 12 avril 2021. Pour consulter les règles d’édition de la revue. Les manuscrits sont acceptés ou refusés sur la recommandation de la direction de la revue et des responsables du numéro après avoir été évalués à l’aveugle par deux ou trois lectrices/teurs externes.

Bibliographie

Barnier, C. et D. Grais. 2011. « Histoire de chambres ». Une rencontre avec Michelle Perrot », Champ lacanien, vol 1, no 9, p. 155-171.

Bonvalet, C. et E. Lelievre. 2005. « Les lieux de la famille », Espaces et sociétés, vol. 120-121, no 2, p. 99-122.DOI : 10.3917/esp.120.0099

Chollet, M. 2015. Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Paris, La Découverte.

Durkheim E. 1903. L’éducation morale. Cours dispensé en 1902-1903 à la Sorbonne, Paris, Librairie Félix Alcan, URL : http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.due.edu2.DOI : 10.1522/cla.due.edu2

Lae, J.-F. 2003. « L’intimité : une histoire longue de la propriété de soi. » Sociologie et sociétés, vol. 35, no 2, p. 139–147.

Larceneux, F. 2011. J’habite donc je suis. Études foncières, Compagnie d’édition foncière, p. 23- 26.

Lelievre E. et C. Imbert. 2002. « L’entourage des Franciliens de 50 à 70 ans s’étend au-delà des limites de la région », L’atlas des Franciliens, IAURIF/INSEE.

Martuccelli D. et F. de Singly. 2009. Les sociologies de l'individu, Paris, Armand Colin, Coll. 128.

Ramos E. 2002. Rester enfant, devenir adulte. La cohabitation des étudiants chez leurs parents, Paris, L’Harmattan, Logiques Sociales.

Robette N. 2012. « Les espaces de vie individuels : de la géographie à une application empirique en démographie », Cybergeo : European Journal of Geography, [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 605, mis en ligne le 27 avril 2012.

Serfaty-Garzon, P. 2003. Chez soi - Les territoires de l'intimité, Paris, Armand Colin.

Simard, M. et E. Savoie. 2009. «L’impact socioterritorial d’un «nouveau chez-soi» dans la vie des personnes âgées: une étude de cas dans un milieu rural fragile du Nouveau-Brunswick». Revue de l’Université de Moncton, vol. 40, no 2, p. 133-159.

Simard, M. 2019. «Les enjeux et les défis du vieillissement en milieu minoritaire francophone: une analyse sous l’angle des représentations sociales des acteurs. Le cas de Tracadie au Nouveau-Brunswick», Minorités linguistiques et société, no 11, p. 3-28.


Dates

  • vendredi 16 octobre 2020

Mots-clés

  • famille, chez-soi, individualisation, relation sociale, cohabitation, ancrage, mobilité, confinement, immobilité

Contacts

  • Béatrice Lefebvre
    courriel : efg [at] ucs [dot] inrs [dot] ca

Source de l'information

  • Béatrice Lefebvre
    courriel : efg [at] ucs [dot] inrs [dot] ca

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le chez-soi et les limites de l’individualisation », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 27 août 2020, https://doi.org/10.58079/157k

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