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Science and the meaning of models
Science et sens des modèles
The uses and methods of models, simulations and systems of representation in the humanities and social sciences
Usages et méthodes des modèles, simulations et systèmes des représentations en sciences humaines et sociales
Published on Friday, September 18, 2020
Abstract
Pour sa dixième édition, le cycle de rencontres Ethnographies plurielles propose de questionner l’usage des modèles en sciences humaines et sociales. En sciences, le modèle semble ambitionner de dire avec autant d’exactitude que possible quelque chose de son objet tout en le manifestant pourtant de manière partielle ou transformée à des fins de manipulation (intellectuelle tant que physique). La plasticité du terme de modèle soutient une approche et une utilisation disciplinaire d’un concept qui est aussi une activité (descriptive ou analogique). Ce colloque invite par conséquent à explorer et questionner les opérations de modélisation et de modalisation des processus sociaux et humains en invitant à dépasser la seule perspective logico-mathématique en questionnant processus et acteurs de la modé(a)lisation.
Announcement
SEF - Ethnographies plurielles #10
Université de Montpellier, – CEPEL – Faculté de droit et de sciences politiques, 5 février 2021
Argumentaire
Pour sa 10ème édition, le cycle de rencontres Ethnographies plurielles, propose de questionner l’usage des modèles en sciences humaines et sociales.
Il a souvent été souligné l’ambivalence du terme « modèle », à la fois objet référent et résultat de sa simulation. Le modèle est en amont et en aval du processus de représentation, d’expérimentation ou d’emprunt qui le saisit Goffman, pour qui « ‘‘Modèle’’ est un terme dont il faut de méfier », invite à distinguer le « modèle de » du « modèle pour »[1]. C’est-à-dire, plus précisément, à distinguer les processus visant à une représentation, de ceux visant une production (« modalisation ») sur la base d’un modèle et pour toute autre chose que lui. Goffman propose cinq types de modalisations : le « faire semblant » (du jeu, du théâtre…), les compétitions sportives, les cérémonies, les réitérations techniques et les reformulations.
On pourrait, intuitivement, penser l’usage du modèle en sciences du côté du « modèle de »[2] par la volonté de fidélité au référent de la démarche scientifique. Pourtant, les réitérations techniques ou les simulations, en tant que processus scientifiques et techniques, l’inscrivent selon Goffman dans la catégorie des « modèles pour ». Par cette distinction, Goffman souligne l’opération de transformation entre le modèle (situation, objet…) et son modèle (simulation, réitération technique) en signifiant la part sélective c’est-à-dire élusive (ou grossie ou concentrée ou simplifiée ou complexifiée…) de toute réitération technique et de toute simulation. Il propose d’appeler « modalisation » ce processus de transformation ou de transcription de la réalité[3]. Ainsi que l’avance Blanckaert[4], l’usage du modèle « affecte les procédures de connaissance autant que ses contenus ». Toutefois, comme le souligne Bateson[5], mobiliser deux types logiques différents (un référent et sa modalisation symbolique, matérielle, analogique…) légitime le recours scientifique au « modèle » car donne à la représentation et à la compréhension une dimension supplémentaire.
En sciences, le modèle semble ambitionner de dire avec autant d’exactitude que possible quelque chose de son objet tout en le manifestant pourtant de manière partielle ou transformée à des fins de manipulation (intellectuelle tant que physique). Par-delà cet apparent paradoxe, il faudrait donc reconnaître ou créditer à son usage une potentialité productive issue de la manipulation même de l’objet par le modèle. Représenter, modéliser, modaliser soutiendrait la visualisation, l’intellection et l’expérimentation en donnant accès, par l’usage d’une forme subsidiaire (simulation, description, reconstitution, schématisation, objet formel…) à une compréhension élargie ou « augmentée » des types, processus, relations, structures, etc. constituant l’objet auquel le modèle se réfère.
La plasticité du terme de modèle soutient une approche et une utilisation disciplinaire d’un concept qui est aussi une activité (descriptive ou analogique). Ce colloque invite par conséquent à explorer et questionner les opérations de modélisation et de modalisation des processus sociaux et humains en invitant à dépasser la seule perspective logico-mathématique en questionnant processus et acteurs de la modé(a)lisation. Trois axes sont proposés :
1er Représenter en sciences : assumer les transformations, négocier sur les pertes, être au clair sur les « intentions » ?
Comme le pose Becker dans Comment parler de la société : « Si l’on faisait – si l’on pouvait faire – une reproduction exacte de ce que l’on veut comprendre, une reproduction dont rien n’aurait été enlevé par rapport à l’original, on se retrouverait, en définitive, avec la chose elle-même. Et l’on ne serait pas plus avancé pour comprendre cet objet qu’on ne l’était avant de créer sa réplique. Ce qui montre bien que le but d’une représentation est de se débarrasser d’une bonne partie de cette réalité, afin d’y voir clair et de se concentrer uniquement sur ce qu’on cherche à savoir, sans se laisser distraire par ce qui nous est égal »[6]. Ces propos font écho à ceux de nombreux autres auteurs, que l’on pense une nouvelle fois à Bateson, avançant que « En fait, une grande partie de l’information présente dans la description est même généralement écartée et seule une partie relativement réduite de ce qui devait être expliqué l’est réellement »[7]. Ou encore à Piette, précisant que « […] de l’observation à la description, en passant par la prise de notes et l’élaboration conceptuelle, le chercheur est bien impliqué dans un processus cumulatif de perte de données »[8].
Cet axe s’intéressera à la négociation sur les pertes. Comment les chercheur.e.s qui décrivent et articulent les données de leur recherche ou tout.e scientifique qui modélise et reconstitue un dispositif socio-technique, un processus social, un système, font-ils avec ce qu’ils écartent ? Comment intègrent-ils les transformations opérées d’un système logique à un autre ? Que font-ils du laissé pour compte ? Comment pensent-ils le système de contraintes induit par le codage en modèle ? De la même manière, que font-ils de « l’intention » sous-jacente aux attendus instrumentaux du modèle et de ses conséquences ?
2e Réitérer et simuler en sciences : du pouvoir créatif des sciences ? et du pouvoir générateur des modèles
Faisant suite à l’axe 1, on peut s’interroger sur la part de créativité et d’inventivité des scientifiques face aux transformations et réinterprétations de leur modèle à des fins de factualisation de l’objet, phénomène ou situation auxquels ils se réfèrent ? Quelles alliances interdisciplinaires la modélisation occasionne-t-elle ? Y compris entre disciplines que l’on pense éloignées les unes des autres ?
Hennion et Latour rappellent ainsi qu’il y a « de nombreux sujets communs à l’histoire de l’art et à l’histoire des sciences — comme la perspective, par exemple, ou la production des couleurs, ou l’acoustique — sujets pour lesquels la collaboration est ancienne et féconde » [9]. Quant à Geertz, il invite à dépasser les « conventions normalisées » pour s’essayer à des « modèles éphémères » et évoque/invoque « la puissance qu’a l’imagination scientifique de nous mettre en contact avec les vies d’étrangers »[10]. Il rejoint ainsi Blanckaert pour qui « les modèles offrent des ‘‘services intermédiaires’’ c’est-à-dire de nouvelles perspectives, l’occasion d’essais ou de tests d’hypothèses, un contexte de découvertes et d’énigmes, un récit cohérent pour aller de l’avant, etc. »[11].
Quels genres, formes, combinatoires, types logiques usuels et d’autres plus audacieux sont mis en œuvre ? Et qu’apportent ces choix ? En particulier, mais pas exclusivement, qu’apportent-ils en profondeur, dans le renouvellement de la compréhension ou de intelligibilité des phénomènes observés et expérimentés ?
Quels usages peuvent être alors faits (et significations prêtées) des simulations, mises en situation, films, dessins… et toute forme modélisante mobilisée ?
3e Etudier les modélisations/modalisations et en particulier les conditions sociales et les contextes de leur production
Comme le souligne Armatte, questionner les modèles focalise plus généralement l’attention sur les objets cognitifs que ceux-ci constituent et éloigne le regard sur les « acteurs qui mobilisent ces objets cognitifs dans des cadres politiques et stratégiques bien définis »[12]. Il invite donc à questionner l’activité sociale de modélisation par l’étude des « différents groupes d’acteurs qui contribuent par la lutte et la collaboration à définir ses objectifs, ses conventions, ses usages, ses limites »[13]. Nouer, comme ce spécialiste de la modélisation y invite, les propriétés structurelles, sémantiques et pragmatiques des modèles constitue par conséquent le projet de ce 3e axe.
Si, comme l’exprime Blanckaert « le modèle vaut par ce – parce – qu’il sert. Le faire du modèle ne peut être dissocié de l’intention »[14], il convient ici d’interroger les modélisateurs, leur socialisation disciplinaire ou professionnelle et leurs intentions tout autant que la matérialisation de ces dernières au travers des techniques qu’ils mobilisent.
Cette question renvoie par conséquent aux métiers, disciplines, inscriptions professionnelles et académiques des modélisateurs et aux parties prenantes : partenaires, enquêtés tant qu’institutions et contextes de ces modélisations.
Cet axe portera aussi sur l’étude, par les sciences humaines et sociales, des modélisations profanes et en particulier mais non exclusivement celle des régimes de représentations. On s’intéressera enfin à l’étude de certaines pratiques professionnelles de modalisation comme le psychodrame, les jeux de rôles, les mises en situation…
Modalités de contribution
Les propositions de communication en sciences sociales, humaines, mais aussi économiques, politiques, de l’ingénieur, de gestion… sont à adresser
avant le 15/11/2020
à emmanuelle.savignac@sorbonne-nouvelle.fr et à pascal.vallet@parisnanterre.fr
Comité d’organisation
- Aurélien Djakouane, Sophiapol, Université Paris Nanterre, membre du conseil de la SEF
- Emmanuelle Savignac, Cerlis, Université de la Sorbonne nouvelle, secrétaire générale de la SEF
- Pascal Vallet, Sophiapol, Université Paris Nanterre, membre du conseil de la SEF
Comité scientifique
- Michel ARMATTE, Université Paris Dauphine, Centre A. Koyre
- Nathalie BULLE, Groupe d’Etude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de La Sorbonne, CNRS
- Céline BRYON-PORTET, SEF, Université Paul Valéry - Montpellier 3
- Philippe COMBESSIE, SEF, Sophiapol, Université Paris Nanterre
- Aurélien DJAKOUANE, SEF, Sophiapol, Université Paris Nanterre
- Yann LE BIHAN, SEF, Sophiapol, Université Paris Nanterre
- Olivier MARTIN, Cerlis, Université de Paris, CNRS
- Albert PIETTE, LESC, Université Paris Nanterre
- Emmanuelle SAVIGNAC, SEF, Cerlis, Université de la Sorbonne nouvelle
- Pascal VALLET, SEF, Sophiapol, Université Paris Nanterre
Notes
[1] Goffman E., 1991, Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, p. 49 (note bas de page).
[2] … et particulièrement en ethnologie où il s’agirait de représenter le plus fidèlement et finement possible son terrain.
[3] Idem, p. 53.
[4] Blanckaert C., 2016, « Une civilisation des modèles ? Cartographie des représentations et Historiographie », Modélisations et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler, dir. Blanckaert C., Léon J., Samain D. (dir.), Paris, L'Harmattan, coll. « Histoire des sciences humaines », p. 422.
[5] Bateson G. 1979, Mind and Nature: A Necessary Unity (Advances in Systems Theory, Complexity, and the Human Sciences, Hampton Press.
[6] Becker, H.S., 2009, Comment parler de la société. Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, p. 104-119.
[7] Bateson, G., op. cit.
[8] Piette, A., 1996, Ethnographie de l’action. L’observation des détails, Paris, Métailié, p. 13.
[9] Hennion A., Latour B., 1993, « Objet d’art, objet de science. Note sur les limites de l’anti-fétichisme », Sociologie de l’art, n°6, Bruxelles, La lettre volée p.7-24.
[10] Geertz, C., 1998, « La description dense. Vers une théorie interprétative de la cuture », Enquête. Anthropologie, Histoire, Sociologie, n°6 « La description I », p. 73-105. (version en ligne : https://doi.org/10.4000/enquete.1443)
[11] Blanckaert, C., 2016, op.cit. p. 441.
[12] Armatte, M., 2005, « La notion de modèle dans les sciences sociales: anciennes et nouvelles significations », Mathématiques et sciences humaines. Mathematics and social sciences, n° 172, p. 117
[13] Armatte, M., 2016, « Pourquoi historiciser et sociologiser la notion de modèle ? », Modélisations et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler, Paris, L'Harmattan, coll. « Histoire des sciences humaines », p. 63
[14] Blanckaert, C., 2016, op.cit. p. 437
Subjects
- Ethnology, anthropology (Main category)
- Society > Sociology
- Society > Science studies
- Society > Geography
- Society > Political studies
Places
- Montpellier, France (34)
Date(s)
- Sunday, November 15, 2020
Attached files
Keywords
- modèle, modélisation, modalisation
Contact(s)
- Emmanuelle Savignac
courriel : emmanuelle [dot] savignac [at] univ-paris13 [dot] fr
Information source
- Emmanuelle Savignac
courriel : emmanuelle [dot] savignac [at] univ-paris13 [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Science and the meaning of models », Call for papers, Calenda, Published on Friday, September 18, 2020, https://doi.org/10.58079/15ax