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Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

Droit et temporalités

Law and temporalities

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Publié le mercredi 14 octobre 2020

Résumé

Cette journée d’étude part de la conviction que les recherches sur le droit gagneraient à accorder une place plus importante à sa dimension temporelle, pour saisir la manière dont il se construit dans les pratiques des acteur·ices et, réciproquement, comment il oriente les pratiques et contribue à constituer la réalité sociale. Elle s’intéresse non seulement aux temporalités des pratiques des tribunaux, mais aussi à celles des usages ordinaires du droit, tel qu’il est mobilisé dans des activités sociales relevant de domaines variés (travail, logement, famille, loisirs, politique, genre, immigration, etc.). Elle s'articule autour de trois axes : droit et encadrement des temporalités ; droit, temporalités et action collective ; temporalités et rapports ordinaires au droit. C'est le mouvement de va-et-vient et d’interactions entre droit et activités sociales, saisis tous deux dans leurs dimensions temporelles et dans leur construction mutuelle, que nous souhaitons placer au cœur de cette journée d’étude.

Annonce

Jeudi 15 avril 2021, CSO, 19 rue Amélie, Paris

Argumentaire

Cette journée d’étude part de la conviction que les recherches sur le droit gagneraient à accorder une place plus importante à sa dimension temporelle, pour saisir la manière dont il se construit dans les pratiques des acteur·ices et, réciproquement, comment il oriente les pratiques et contribue à constituer la réalité sociale[1]. Des travaux – colloques, ouvrages, dossiers et articles de revue – ont déjà abordé la question des temporalités du droit sous plusieurs facettes[2]. La question du temps pourrait même être consubstantielle à l’analyse du droit et de la justice, tant elle traverse de très nombreux travaux. L’association de ces deux termes – droit et temporalités – n’a cependant pas donné naissance, comme c’est le cas pour l’analyse des relations entre droit et espace, à un sous-champ de recherche en tant que tel[3]. Dans l’espace francophone, on peut certes souligner récemment le programme d’un colloque prévu (mais non tenu) en 2018 intitulé « Justice : état des savoirs. Les temporalités », qui s’intéressait à deux types de temporalités de la justice : celle des parcours de ses professionnel·es et celle des réformes. Cette double focalisation, au cœur des nombreuses recherches qui se sont intéressées récemment à la « managérialisation » ou à la « rationalisation » du droit et aux trajectoires de ses réformateur·ices[4], a toutefois laissé de côté bon nombre d’autres dimensions que ce projet de dossier entend explorer. Par ailleurs, les crises ont suscité et alimenteront de nombreux travaux analysant l’articulation entre droit et temporalités, en particulier concernant les crises récentes, de la crise économique de 2008[5] à la crise épidémique liée à la Covid19, en passant par celle liée au terrorisme en 2015 qui a présidé à un état d’urgence qui s’est pérennisé juridiquement[6].

Notre projet se démarque cependant de la plupart de ces travaux, en tant qu’il s’intéresse non pas seulement aux temporalités des pratiques des tribunaux, mais aussi à celles des usages ordinaires du droit, tel qu’il est mobilisé dans des activités sociales relevant de domaines variés. Il ne se focalise pas non plus spécifiquement sur les périodes de crises, mais s’intéresse avant tout aux temporalités ordinaires de la vie sociale, telles qu’elles interagissent avec celles du droit. A l’articulation entre sociologie du droit et sociologie des temporalités, cette journée d’étude vise ainsi également à contribuer aux débats contemporains qui constatent d’un côté des phénomènes d’accélération et d’urgence dans les sociétés de la modernité tardive[7] et dans la construction contemporaine de l’action publique[8], de l’autre la persistance des phénomènes de lenteur et d’attente comme mode de gouvernement des populations pauvres[9]. Particulièrement attentif aux relations entre temps et domination[10] et temps et pouvoir[11], ce projet se fonde sur la conviction qu’une approche attentive aux temporalités du droit et de ses usages constitue une entrée privilégiée pour contribuer théoriquement et empiriquement à ces questionnements, qui animent les sciences sociales depuis leurs gestes fondateurs[12] et qui ont été plus que jamais remis au cœur des préoccupations de nos disciplines par les recherches contemporaines qui promeuvent une approche processuelle des phénomènes sociaux.[13].

En effet, le droit s’inscrit dans des temporalités singulières, que l’on s’intéresse aux arènes législatives – qui s’articulent avec des temporalités politiques (mobilisations, élections, agendas politiques) – ou aux arènes judiciaires (jurisprudence, procédures, pratiques des professionnel·les du droit). Il est sous certains aspects explicitement limité dans le temps (mesures d’urgence, prescriptibilité des crimes et des délits en droit pénal), sous d’autres indéfini temporellement (droits fondamentaux, imprescriptibilité). Il peut permettre de définir et de circonscrire les temps sociaux (temps de travail, fréquence et durée des droits de visite et d’hébergement d’un enfant par exemples), mais aussi voir ses usages être circonscrits par les temporalités de l’action sociale (nécessité de stabiliser des relations et des engagements, usages de la procédure judiciaire pour « gagner du temps » ou à l’inverse « accélérer les choses », ou encore pour clore une affaire en s’en « remettant au verdict de la justice »). Lorsque des acteur·ices judiciarisent leurs négociations, leurs réclamations ou leurs conflits, la trajectoire des litiges est alors dépendante de la temporalité du droit et, réciproquement, la trajectoire judiciaire des affaires est dépendante des temporalités d’action de ses usager·es. L’enjeu est ainsi d’enquêter sur l’articulation entre les temporalités du droit et de la justice et celles d’autres activités sociales. Trois axes d’analyse peuvent être proposés, au sein desquels les propositions de communication devront se situer.

Premier axe : le droit comme cadre des temporalités

Le droit peut prendre explicitement pour objet les temporalités. Il s’agit alors d’étudier comment les temps sociaux (du travail, des affaires, de la famille, des loisirs, de la politique, de la religion, etc., mais aussi les temps biographiques) sont régulés par le droit, et comment ces régulations peuvent faire l’objet de conflits sociaux, éventuellement judiciarisés. Le droit peut par ailleurs définir des types de temporalités spécifiques, comme l’urgence ou la comparution « immédiate » par exemple, qui entrent en jeu dans les décisions judicaires ou non (placement d’enfant, logement de personnes vulnérables, projets urbains, procédures en référés, etc.). Il convient alors d’enquêter sur la manière dont les acteur·ices mobilisent ces cadrages juridiques des temporalités, qu’il s’agisse de les dénoncer, de les mobiliser pour réclamer justice, d’en faire usage pour servir les intérêts ou la cause d’une organisation, etc.

Deuxième axe : droit, temporalités et action collective

L’action collective organisée peut mobiliser stratégiquement les temporalités du droit. On peut penser aux entreprises qui usent du droit des brevets non pas pour tirer bénéfice de l’issue judiciaire de la judiciarisation, mais pour temporiser et s’assurer un monopole temporaire[14] ; ou encore au parti politique ou à l’équipe de campagne qui refuse de prendre position vis-à-vis d’un scandale le concernant au nom de l’attente de sa résolution en justice – le temps judiciaire servant d’échappatoire au temps médiatique. Par ailleurs certaines organisations internalisent les temporalités judiciaires dans la construction de leurs agendas d’action, dans une forme « d’endogénéisation du [temps du] droit » pour reprendre la formule de Lauren Edelman[15]. Ainsi en est-il par exemple des aménageurs urbains qui construisent le rétro-planning de leurs projets d’aménagement en fonction des temporalités d’action de la juridiction d’expropriation. Il s’agira donc d’étudier l’articulation entre les temporalités législatives, judiciaires, et celles des organisations qui mobilisent le droit. 

Troisième axe : temporalités et rapports ordinaires au droit

Enfin, la dimension temporelle est cruciale pour cerner les rapports ordinaires au droit et les inégalités d’accès et de traitement en justice. Cette entrée méthodologique a pu être utilisée pour montrer comment les changements dans les rapports au temps résultant de la mise en place des 35h contribuaient à révéler et à transformer des formes de légalité quotidienne dans le travail[16]. Dans l’arène judiciaire, les justiciables font l’expérience d’une temporalité incertaine, placé·es dans l’attente de décisions dont les durées de traitement et les réceptions ne peuvent être saisies que relativement aux dotations inégales des justiciables en capitaux procéduraux[17] et à leurs positions au sein des rapports sociaux de classe, de genre et de race. La variété des rapports ordinaires au droit gagnerait ainsi à être analysée en mettant au cœur de l’enquête la dimension temporelle – et pas seulement spatiale – du « filet à large maille » qu’est le droit si on reprend la métaphore proposée par Bruno Latour[18]. Les séquences de nombreuses trajectoires biographiques sont en effet rythmées par des décisions judiciaires[19], et ce d’autant plus pour les personnes placées en positions subalternes dans nos sociétés, comme les personnes détenues, sans papiers, ou bénéficiaires d’aides sociales. Réciproquement, les tactiques ordinaires d’usages du droit jouent avec les temporalités judiciaires pour résister face à certaines situations (comme repousser l’expropriation par un aménageur ou prolonger un délai d’occupation précaire d’un lieu par exemple).

Ainsi, les acteur·ices – organisations, justiciables individuel·les ou organisé·es collectivement, intermédiaires du droit, professionnel·les de la justice – sont plus ou moins doté·es de ressources leur permettant de jouer avec les temporalités du droit, ou les amenant au contraire à les subir. En tant que joueur·ses occasionnel·les ou répété·es, certain·es acteur·ices envisagent une affaire comme un cas singulier et ponctuel tandis que d’autres l’inscrivent dans une série d’actions construite sur le temps long[20]. Les acteur·ices sont alors plus ou moins doté·es pour faire face aux perturbations que le droit provoque dans leurs temporalités de vie, qu’il s’agisse de leurs trajectoires biographiques ou résidentielles, de leurs pratiques professionnelles, de leurs investissements économiques, etc. Réciproquement, leurs temporalités d’action sont plus ou moins constitutives des temporalités du droit, et par là de la réalité légale. C’est ce mouvement de va-et-vient et d’interactions entre droit et activités sociales[21], saisis tous deux dans leurs dimensions temporelles et dans leur construction mutuelle, que nous souhaitons placer au cœur de cette journée d’étude.

Modalités de contribution

Résumé (3000 à 5000 caractères maximum espaces compris) à envoyer

pour le 11 décembre 2020

à je.droitettemporalites@gmail.com avec en objet du mail « Droit et Temporalités ».

Retour des organisateur·ices avant le 23 décembre 2020.

Envoi des supports écrits de communication à destination des discutant·es : le 3 avril 2021

Contact : je.droitettemporalites@gmail.com ; charles.reveillere[at]sciencespo.fr ; lucie.prauthois[at]dauphine.psl.eu ; jerome.pelisse[at]sciencespo.fr

Organisation

  • Charles Reveillere (CSO),
  • Lucie Prauthois (IRISSO, CSO),
  • Jérôme Pélisse (CSO)

Notes

[1] Sur l’approche constitutive en sociologie du droit, voir Alan Hunt, Explorations in Law and Society: Towards a Constitutive Theory of Law, Routledge, 1993 ainsi que Patricia Ewick et Susan Silbey, « La construction sociale de la légalité », Terrains et travaux, 2004, vol. 6, p. 112–138.

[2] Voir par exemple l’article classique de Carol J. Greenhouse, « Just in Time: Temporality and the Cultural Legitimation of Law”, Yale Law Journal, vol. 98, No. 8, Symposium: Popular Legal Culture, 1989, pp. 1631-1651, ou, plus récemment, les innovations théoriques proposées par Marianne Valverde, Chronotopes of Law. Jurisdiction, Scale and Governance, London, Routledge, 2015.

[3] Voir par exemple, Franz von Benda-Beckman et Keebet von Benda-Beckman, Spatializing Law: An Anthropological Geography of Law in Society (Law, Justice and Power), Routledge, 2009. Voir aussi le dernier numéro des Annales de Géographie, « Le droit : ses espaces et ses échelles », n°733-734, vol. 3-4, 2020.

[4] Cécile Vigour, Réformes de la justice en Europe. Entre politique et gestion, De Boeck Supérieur (Ouvertures sociologiques), 2018 ; Antoine Vauchez, Laurent Willemez, La justice face à ses réformateurs (1980-2006), Paris : PUF, coll. « Droit et justice », 2007. Voir aussi les nombreux articles parus sur la question dans Droit et Société, par exemple « Le management dans la pénalité : pénalité managériale ou management du système pénal ? », n°90, vol. 2, 2015.

[5] Voir le dossier « Le droit et les crises », Droit et Société, n°104, vol. 1, 2020.

[6] Voir par exemple Didier Bigo et Laurent Bonelli, « Ni État de droit, ni État d’exception. L’état d’urgence comme dispositif spécifique ? Introduction », Cultures & Conflits, vol. 112, no. 4, 2018, pp. 7-14.

[7] Harmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte, 2012.

[8] Jacques Commaille, Vincent Simoulin et Jens Thoemmes, « Les temps de l’action publique entre accélération et hétérogénéité », Temporalités, no. 19, 2014. Voir aussi la journée d’étude qui s’est tenue le 22 novembre 2013 à l’ENS Cachan. « L'État réactif : acteurs, politiques et temporalités de l'urgence », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 26 avril 2013, http://calenda.org/245804.

[9] Javier Auyero, Patients of the state: The politics of waiting in Argentina, Duke University Press, 2012. Emilia Schijman, A qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté, LGDJ, 2019.

[10] Michel Postone, Temps, travail et domination sociale, Fayard/Mille et une nuit, 2009.

[11] Voir le récent dossier publié dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales, « Temps et pouvoir », n°226-227, vol. 1-2, 2019.

[12] Thomas Hirsch, Le temps des sociétés. D’Emile Durkheim à Marc Bloch, Paris, Editions de l’EHESS, coll. « En temps & lieux », 2016.

[13] Andrew Abbott, Time Matters: On theory and method, University of Chicago Press, 2001. Voir aussi Claire Bidart et Ariel Mendez, Processus : Concepts et méthode pour l'analyse temporelle en sciences sociales, Editions Academia, 2010.

[14] Isaac Lambert, « À qui perd gagne ? Retour sur 8 années de procès sur les médicaments au tribunal français des brevets », communication à la journée d’étude « Se faire concurrence, de quel droit ? », CSO, 16 janvier 2020.

[15] Lauren Edelman, Working Law: Courts, Corporations, and Symbolic Civil Rights, University of Chicago Press, Chicago and London, 2016, 312 p.

[16] Jérôme Pélisse, « Consciences du temps et consciences du droit chez des salariés à 35 heures », Droit et société, vol. 53, no. 1, 2003, pp. 163-186.

[17] Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d'initiés ? Les inégalités d'accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et société, 2011/3 (n° 79), p. 689-713

[18][18] Bruno Latour, La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’Etat, La découverte, 2002.

[19] Voir par exemple François Buton, « Le droit comme véhicule. Portrait sociologique d’un justiciable », in Liora Israël, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez et Laurent Willemez (dir.), Sur la portée sociale du droit, Paris, PUF-CURAPP, 2004, p. 127-144

[20] Marc Galanter, « Why the “Haves” Come out Ahead: Speculations on the Limits of Legal Change », Law & Society Review, 1974, vol. 9, no 1, p. 95‑160., traduit Par Liora Israël et Liliane Umumbyey dans Droit et Société n°85 (3), pp. 575-640.

[21] Par exemple dans une perspective telle que proposée par Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, « Le droit comme activité sociale : pour une approche wéberienne des activités juridiques », Droit et société n°9, 1988, p. 165-187.

Lieux

  • 19, rue Amélie
    Paris, France (75007)

Dates

  • vendredi 11 décembre 2020

Mots-clés

  • droit, temporalité, temps, justice, sociologie du droit

Contacts

  • Jérôme Pélisse
    courriel : jerome [dot] pelisse [at] sciencespo [dot] fr
  • Lucie Prauthois
    courriel : lucie [dot] prauthois [at] dauphine [dot] psl [dot] eu
  • Charles Reveillere
    courriel : charles [dot] reveillere [at] sciencespo [dot] fr
  • JE Droit et temporalités
    courriel : je [dot] droitettemporalites [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Lucie Prauthois
    courriel : lucie [dot] prauthois [at] dauphine [dot] psl [dot] eu

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Droit et temporalités », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 14 octobre 2020, https://doi.org/10.58079/15ep

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