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Bandes dessinées hors-champs

Comics On the Outside

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Publié le lundi 14 décembre 2020

Résumé

Dans sa thèse de doctorat La Bande dessinée et son double, Jean-Christophe Menu avance l’idée de « corpus hors-champ de la bande dessinée » pour décrire « tout un corpus d’œuvres relevant […] indéniablement de son domaine mais qu’elle [la bande dessinée] n’intègre pas dans son Histoire, et donc qu’elle ne reconnaît pas comme partie intégrante de son champ » (2011, 432). Ce colloque a pour ambition de se saisir de cette notion de « corpus hors-champ ». Celle-ci est apte à catalyser divers intérêts de recherche et à faire émerger de nouveaux objets d’études jusqu’alors tenus en marge des discours sur la bande dessinée. 

Annonce

3-4 juin 2021, Université libre de Bruxelles

Argumentaire

Dans sa thèse de doctorat La Bande dessinée et son double, Jean-Christophe Menu avance l’idée de « corpus hors-champ de la bande dessinée » pour décrire « tout un corpus d’œuvres relevant […] indéniablement de son domaine mais qu’elle [la bande dessinée] n’intègre pas dans son Histoire, et donc qu’elle ne reconnaît pas comme partie intégrante de son champ » (2011, 432). Ce colloque a pour ambition de se saisir de cette notion de « corpus hors-champ ». Celle-ci est apte à catalyser divers intérêts de recherche et à faire émerger de nouveaux objets d’études jusqu’alors tenus en marge des discours sur la bande dessinée.

Elargir un corpus

Le hors-champ invite ainsi à élargir un corpus à une série d’objets, d’œuvres, de pratiques situées aux limites et aux marges de ce qui est établi comme champ. Les effets de démarcation, de hiérarchisation et de légitimation liés à la « constitution du champ de la bande dessiné » (Boltanski 1975) sont apparus d’avantage en « demi-teinte » (Maigret 1994), autant que l’unité du champ ne fait plus nécessairement valeur commune. Plutôt que de s’essayer à de vaines tentatives de redéfinir le périmètre d’un champ, ce colloque invite à une acception large et fluctuante de celui-ci, défini par effet de contraste : le « hors-champ » est ici envisagé dans une tension dynamique avec le « champ », les deux termes s’impliquant mutuellement. Ces catégories sont en effet mouvantes ; une œuvre, une pratique, un objet pouvant glisser du champ vers le hors-champ et inversement. La focale choisie et la méthode d’approche participent pleinement de la construction de ce « corpus hors-champ ».

À la suite des pistes ouvertes par Jean-Christophe Menu, on peut s’interroger sur des œuvres non-publiées, produites dans une sphère de l’intime et du privé ou transmises par des circulations souterraines. Les « sympathies réciproques » entre art brut et bande dessinée (Dejasse 2020) forment un point d’ancrage pour cette réflexion. Ces « sympathies » font saillir des contextes de production et des profils de créateurs et créatrices en marge des constructions socio-professionnelles habituelles. Elles décrivent aussi des rapports d’affinités avec des productions graphiques qui exhibe le « dessin sans filet », hors des apprentissages, ou par le biais d’un désapprentissage, voire d’une forme de « deskilling » (Roberts 2010). Ces sympathies s’étendent également aux dessins d’enfants, comme ceux que Lynda Barry « sauve de la poubelle » pour composer ses manuels (Barry 2014; 2019). Petits bonhommes, gribouillis, et graffitis forment d’ailleurs autant de figures convoquées par Rodolphe Töpffer dans ses réflexions critiques, dont Thierry Smolderen (2009) a étudié les longues ramifications pour l’histoire de la bande dessinée. Les productions enfantines, les albums gribouillés, les dessins de marge, les fanzines adolescents constituent autant d’appropriations ou de prolongations de lectures de bandes dessinées qui restent largement invisibles car peu accessibles.

Se tiennent également hors-champ, des espaces de circulation et de canaux de diffusion où la bande dessinée occupe une place modeste, discrète, périphérique, ne faisant pas le cœur du propos : revues professionnelles, circulaires d’information, bulletins de paroisse, pochettes de disques et cassettes, cahiers politiques, tracts militants ou religieux, fanzines queer et féministes, posters et objets imprimés éphémères. On peut aussi par exemple évoquer ce qu’on pourrait appeler des bandes dessinées orphelines, pour reprendre le statut légal ambivalent attribué à des œuvres dont les ayant-droits ne sont pas identifiables. D’autres pratiques, enfin, ont tout intérêt à habiter un certain dehors : l’édition pirate et clandestine, la contrefaçon, le plagiat – des entreprises qui en outre tirent parti de zones géographiques et juridiques. On pourra ici suivre la typologie de « l’édition hors édition » (Habrand 2016) pour décrire et qualifier les gestes et techniques, lieux et contextes propres à différentes manières de faire en dehors de l’institution éditoriale.

Annexions rétrospectives

À l’identification d’œuvres, d’objets et de pratiques hors-champs peut suivre leur annexion, récupération ou intégration, s’échelonnant sur des temps et des distances plus ou moins longues. Un des objectifs de ce colloque est donc aussi de saisir ces processus par lesquels certaines bandes dessinées « hors-champ » se voient déplacées, recontextualisées, mises au centre ou justement renvoyées à la marge. Ces jeux de passages entre champ et hors-champ soulèvent des questions fondamentales de méthode, qui nous renvoie à nos propres regards disciplinaires.

Dans une perspective historiographique, Sylvain Lesage a montré à quel point l’album et la construction du « neuvième art » ont eu pour effet de renvoyer aux « enfers culturels » une série de productions qui faisaient néanmoins pleine part de son expérience : « illustrés pour filles, pockets d’horreur, “romans dessinés”, bandes quotidiennes » (Lesage 2019, 419). Si retracer les processus de légitimation et de canonisation nous aident à comprendre la construction d’un champ (Beaty & Woo 2016), envisager l’histoire de la bande dessinée par ses laissés pour compte peut aussi être une manière d’interroger nos définitions courantes comme les œillères d’un regard rétrospectif.

Constituer un corpus hors-champ de la bande dessinée invite ainsi à une réflexivité redoublée, l’étude des « cas particuliers » nécessitant de trouver la « bonne focale » (Becker 2016). L’identification de corpus hors-champ et la re-contextualisation de ses objets peuvent également soulever d’importants enjeux éthiques, politiques et idéologiques de ces appropriations.

En mettant en lumière des créations qui ne sont jamais ou rarement prises en compte dans les études dédiées à la bande dessinée, nous ambitionnons certes d’enrichir le spectre des réalisations qui sont susceptibles d’intégrer ces études. Toutefois, notre espoir est aussi que ces objets nouveaux, inhabituels, méconnus ou laissés pour compte invitent par leurs singularités (esthétiques, réseaux de diffusion, statut de l’auteur) à réévaluer les méthodes d’analyses, les points de vue adoptés, les disciplines convoquées pour étudier la bande dessinée. Livio Belloï et Fabrice Leroy ont par exemple montré à quel point l’œuvre de Pierre La Police constitue un « mauvais objet », sorte d’« anti-bande dessinée » qui « oblige pourtant […] à redoubler d’efforts en matière d’inventivité conceptuelle » (2018, 124). Ce colloque, donc, comme invitation à rassembler autant de « mauvais objets » posant de bonnes questions.

Modalités pratiques

Ce colloque invite à l’analyse de cas particuliers et d’exemples parlant, sans restriction géographique ou temporelle et avec un intérêt pour les perspectives comparatistes et intermédiatiques. Les propositions de communications, d’une longueur de 300 mots maximum, seront à envoyées aux adresses suivantes : erwin.dejasse@ulb.ac.be benoit.crucifix@ugent.be

avant le 25 janvier 2021.

Comité organisateur

  • Maaheen Ahmed (UGent)
  • Benoît Crucifix (UGent)
  • Erwin Dejasse (ULB)
  • Fabrice Preyat (ULB)

Comité scientifique

  • Jan Baetens (KULeuven)
  • Laurent Gerbier (Université de Tours)
  • Simon Grennan (University of Chester)
  • Maud Hagelstein (ULiège)
  • Sarah Lombardi (Collection d’Art Brut, Lausanne)
  • Benoît Majerus (Université de Luxembourg)
  • Jean-Matthieu Méon (Université de Lorraine)
  • Elizabeth Nijdam (University of British Columbia)
  • Denis Saint-Amand (Université de Namur)
  • Greice Schneider (Universidade Federal de Sergipe)
  • Tadashi Hattori (Konan University, Kobe)

Références

Baetens, Jan. 2016. “Composer ‘avec’ la folie : La réinvention du récit dans Après la mort, après la vie d’Adolpho Avril et Olivier Deprez.” Neohelicon 43 (1): 147–58.

Barry, Lynda. 2014. Syllabus: Notes from an Accidental Professor. Montreal: Drawn & Quarterly.

———. 2019. Making Comics. Montreal: Drawn & Quarterly.

Beaty, Bart, and Benjamin Woo. 2016. The Greatest Comic Book of All Time: Symbolic Capital and the Field of American Comic Books. New York: Palgrave Macmillan.

Becker, Howard S. 2016. La bonne focale. De l’utilité des cas particuliers en sciences sociales. Translated by Christine Merllié-Young. Paris: La Découverte.

Belloï, Livio, and Fabrice Leroy. 2018. “Mimer le savoir pour mieux le miner : le pseudo-encyclopédisme de Pierre La Police.” Revue des sciences humaines, no. 330: 123–45.

Boltanski, Luc. 1975. “La constitution du champ de la bande dessinée.” Actes de la recherche en sciences sociales 1 (1): 329–51.

Crucifix, Benoît, and Pedro Moura. 2016. “Bertoyas dans la jungle. Bande dessinée et édition sauvage.” Mémoires du livre 8 (1).

Dejasse, Erwin. 2020. “Art brut et bande dessinée alternative : sympathies réciproques.” Études francophones, no. 32: 94–109.

Habrand, Tanguy. 2016. “L’édition hors édition : vers un modèle dynamique. Pratiques sauvages, parallèles, sécantes et proscrites.” Mémoires du livre 8 (1): 1–53.

Lesage, Sylvain. 2019. L’Effet livre: métamorphoses de la bande dessinée. Tours: Presses Universitaires François-Rabelais.

Maigret, Eric. 1994. “La reconnaissance en demi-teinte de la bande dessinée.” Réseaux 12 (67): 113–40.

Menu, Jean-Christophe. 2011. La bande dessinée et son double: langage et marges de la bande dessinée: perspectives pratiques, théoriques et éditoriales. Paris: L’Association.

Roberts, John. 2010. “Art After Deskilling.” Historical Materialism, no. 18: 77–96.

Smolderen, Thierry. 2009. Naissances de La Bande Dessinée: De William Hogarth à Winsor McCay. Bruxelles: Les Impressions Nouvelles.

Lieux

  • Bruxelles, Belgique

Dates

  • lundi 25 janvier 2021

Mots-clés

  • bande dessinée, hors-champs, art brut, dessin, historiographie

Contacts

  • Benoît Crucifix
    courriel : benoit [dot] crucifix [at] kuleuven [dot] be
  • Erwin Dejasse
    courriel : erwin [dot] dejasse [at] ulb [dot] ac [dot] be

URLS de référence

Source de l'information

  • Benoît Crucifix
    courriel : benoit [dot] crucifix [at] kuleuven [dot] be

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Bandes dessinées hors-champs », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 14 décembre 2020, https://doi.org/10.58079/15ot

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