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Partisan discretion. Tactics and strategies of political anchoring and reanchoring

La discrétion partisane. Tactiques et stratégies d’ancrage et de ré-ancrage politique

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Published on Thursday, January 07, 2021

Abstract

La discrétion a toujours fait partie de la panoplie des entreprises partisanes. Qu’elle soit sociale, idéologique ou institutionnelle, la discrétion semble contribuer à l’ancrage social des partis politiques, favoriser leur légitimation ou contourner la méfiance dont ils peuvent faire l’objet. Elle a peut-être pris ces dernières années, en Europe occidentale, à la faveur d’un niveau de discrédit des partis rarement atteint, une actualité particulière, comme en témoigne la dénomination des entreprises politiques récentes comme « mouvements », ou par des labels sans connotation idéologique (Podemos, En Marche, Cinque Stelle, La France insoumise…). Ce colloque cherchera à interroger l’historicité de ces formes de discrétion, la façon dont elles sont façonnées par le contexte politique, social et institutionnel dans lequel elles s’insèrent.

Announcement

Politix, en collaboration avec le Ceraps et le Clersé (Université de Lille), lance un appel à propositions de communication pour deux journées d’études qui se dérouleront à Sciences Po Lille le 10 et le 11 juin 2021,  sur le thème : La discrétion partisane. Tactiques et stratégies d’ancrage et de ré-ancrage politique.

Coordination

  • Ivan Sainsaulieu (Université de Lille, CLERSE),
  • Frédéric Sawicki (Université Paris 1, CESSP),
  • Julien Talpin (CNRS, CERAPS)

Argument

La discrétion a toujours fait partie de la panoplie des entreprises partisanes. Qu’elle soit sociale, idéologique ou institutionnelle, la discrétion semble contribuer à l’ancrage social des partis politiques, favoriser leur légitimation ou contourner la méfiance dont ils peuvent faire l’objet. Elle a peut-être pris ces dernières années, en Europe occidentale, à la faveur d’un niveau de discrédit des partis rarement atteint, une actualité particulière, comme en témoigne la dénomination des entreprises politiques récentes comme « mouvements », ou par des labels sans connotation idéologique (Podemos, En Marche, Cinque Stelle, La France insoumise…). Ce colloque cherchera à interroger l’historicité de ces formes de discrétion, la façon dont elles sont façonnées par le contexte politique, social et institutionnel dans lequel elles s’insèrent.

La notion de discrétion partisane vise à interroger le « clair-obscur », les ambiguïtés, routinières ou émergentes, et les nuances entre la clandestinité absolue et les mobilisations publiques des partis au grand jour : dissimulation, évitement, euphémisation, entrisme, affichage sélectif… Les nécessités de la conquête du pouvoir, du rassemblement majoritaire ou de l’ancrage social appellent un recours d’intensité et de forme variable à la publicité et à la publicisation dans le déroulement des activités et dans le déploiement des stratégies partisanes.

Proches du « registre de la politique officieuse », les formes discrètes de mobilisations partisanes ne se limitent cependant pas à l’échange particulariste entre une offre de biens politiques (Offerlé, 1989) et des demandes de votes ou de soutiens sociaux ou économiques, qu’il prenne la forme du clientélisme ou de la corruption (Briquet, 1995). Entrisme, contribution active au développement de mouvements de protestation sociale, comme celle du PS à SOS racisme dans les années 1980 (Juhem, 1998), cooptation de représentants de groupes d’intérêt (comme celle d’un ancien président du syndicat agricole CNJA à la tête du parti Les Républicains), soutiens ou subventions accordées à des groupements proches, sollicitation de financements de leur part, euphémisation du programme ou occultation du label… la gamme des stratégies discrètes grâce auxquelles les partis tissent, nationalement et localement, des liens collusifs avec les différents secteurs de la société est vaste. Elle mérite un examen détaillé, non pas seulement pour comprendre comment elles se sont transformées, mais également comment elles sont apparues et se sont inégalement diffusées selon les sociétés et selon les partis.

Si ces pratiques peuvent parfois relever de la « politique informelle », de « la politique sans en avoir l’air » (Le Gall et al., 2012), elles s’en démarquent en effet la plupart du temps par le fait qu’elles relèvent de répertoires bien balisés, variables d’un système politique à l’autre et d’un parti à l’autre, dans lesquels les acteurs puisent pour développer leurs stratégies et leurs tactiques.

Perspective historique

Considérés avec méfiance par les concepteurs et les acteurs des premiers régimes représentatifs qui estimaient que les partis, les clubs ou les sections étaient sources de divisions et de remise en cause de l’indépendance des représentants (on les qualifiait d’ailleurs de « factions » ou de « fractions » lorsqu’il s’agissait de collectifs parlementaires), le développement des partis s’est partout fait en catimini (Pombeni, 1992). D’abord au sein des Parlements, dont les membres, du fait des diverses barrières censitaires qui se sont maintenues dans de nombreux pays européens et américains jusqu’à la Première guerre mondiale, étaient issus pour l’essentiel de la noblesse ou de la bourgeoisie et n’éprouvaient guère la nécessité de créer des organisations pérennes. Quant aux exclus de la compétition politique, en fonction du caractère plus ou moins libéral du cadre juridique en vigueur, ils ont tour à tour été réduits à créer des organisations clandestines (à l’instar du carbonarisme) ou semi-clandestines (à l’instar des premières organisations socialistes), puis à recourir à des pratiques ou à des institutions dont la finalité officielle était toute autre. Les cafés, les clubs, les cercles, les banquets, mais aussi les corporations, les mutuelles, les syndicats, et bien sûr les journaux ont ainsi servi de vecteurs à la formation et à la propagation des premières identités partisanes (républicaine, démocrate, socialiste, anarchiste, communiste, démocrate-chrétienne, social-démocrate…).

Il est constant depuis Max Weber de considérer que l’élargissement du droit de suffrage, comme réponse aux protestations des exclus du jeu politique, aurait conduit à l’émergence d’organisations spécialisées dans la conquête des suffrages qui, par effet de mimétisme et de concurrence, auraient conduit les candidats dits indépendants ou partageant les mêmes orientations idéologiques s’appuyant sur des réseaux labiles de soutiens, à s’organiser à leur tour pour subsister. Ce faisant les dirigeants de ces organisations ont été amenés à renoncer à certains répertoires d’action (e.g. la pétition ou le recours aux actions violentes) et à se centrer pour l’essentiel sur l’organisation des campagnes électorales, la production doctrinale et programmatique, la sélection et la formation des militants et/ou des candidats, et bien sûr les activités de représentation. Ces activités sont le plus souvent publiques et requièrent une forte visibilité pour assurer leur efficacité.

On a cependant souvent confondu spécialisation des activités et autonomisation des champs. Si on laisse de côté les régimes de type communiste ou de type fasciste (où des partis uniques imbriqués dans l’Etat entendent contrôler tous les canaux d’expression et de vie collective) pour se concentrer ici sur les démocraties libérales, la nécessité de mobiliser des militants, des donateurs, des leaders d’opinion ou des électeurs y a toujours conduit les entrepreneurs politiques à tisser et consolider des liens avec d’autres groupements intervenant dans tous les champs de la société. L’accès aux ressources publiques a constitué l’un des principaux biais permettant l’entretien de ces relations collusives, même si le partage d’orientations idéologiques et axiologiques communes sous-tend fréquemment ces échanges et implique de ne pas les réduire à des relations purement instrumentales ou contractuelles.

Perspective comparative

L’emprise partisane sur les ressources publiques provenant de l’Etat et des collectivités locales et, partant, sur diverses autres organisations sociales ou économiques, ainsi que sa reconnaissance et son acceptation publiques varient cependant grandement d’un système politique et d’une époque à l’autre. Dans les régimes de types partitocratiques dont l’Autriche, la Belgique et l’Italie (jusqu’en 1994) constituent les archétypes, mais dont on trouve des traits en Allemagne et en Scandinavie, le partage des postes dans les administrations et les entreprises publiques et la forte articulation entre partis, syndicats et associations diverses se traduisent ainsi par un affichage partisan qui est tout sauf discret. Dans un tout autre contexte, aux Etats-Unis, l’affichage de l’appartenance partisane des citoyens-électeurs et des liens entre groupes d’intérêt et partis politiques et/ou candidats sont tout aussi habituels, en raison des élections primaires et du mode de financement essentiellement privé des activités politiques. Au vu des deux dernières campagnes présidentielles (pro Obama ou anti Trump) on pourrait même dire que non seulement l’affichage partisan, mais la mobilisation militante, sont en nette progression…

Comparativement, la France semble au contraire se caractériser par une forte occultation des collusions et des identités partisanes. L’autonomie précoce de l’administration d’Etat, les réticences du haut clergé à développer un parti catholique, la division du mouvement ouvrier entre une branche anarcho-syndicale et une branche partisane, puis entre socialistes et communistes (voire entre communistes) ont empêché que ne s’y forment, au tournant du XXe siècle et au lendemain de la Première guerre mondiale, des partis de masses analogues à ceux qui se sont formés en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche ou en Europe du Nord. Il faut attendre les années 1930 et surtout le lendemain de la Seconde guerre mondiale pour que ceux-ci apparaissent. Mais à l’exception du parti communiste qui, grâce à son réseau militant, ses écoles, ses municipalités et l’aide de l’Union soviétique parvient à pérenniser un réseau dense et intégré d’organisations sociales (Mischi, 2020), aucun autre parti ne parviendra durablement à adopter ce modèle. Certes, l’affrontement des partis a pu être virulent dans l’après-guerre, et ce jusqu’à la guerre d’Algérie, ou encore dans l’après gaullisme des années 1970, avec un pôle de gauche partisan et syndical (« l’Union de la gauche ») et une droite partisane qui s’affirme (création du RPR et de l’UDF). Mais, d’une part, la centralisation des pouvoirs en France, incarnée par De Gaulle puis ré-instituée par la Vème République, joue un rôle d’arbitrage et de mutualisation des élites politiques au sein d’une haute administration aux larges prérogatives. D’autre part, le clivage droite/gauche, historiquement si prégnant, n’est pas si permanent. Outre les avatars du bonapartisme, les deux ou trois dernières décennies ont été marquées par des hybridations de part et d’autre des partis dits de gouvernement (par exemple la critique de la « fracture sociale » à droite, versus le refus d’héberger « toute la misère du monde » à gauche) et un redimensionnement tripartite de l’offre contestataire (le Front National, le courant écologiste et la mouvance communiste-insoumise). Le tout apparemment sans grand ancrage militant, mais non sans liens avec la société, à rendre explicites.

Perspective contemporaine

Le fort discrédit qui frappe les partis politiques en France semble en effet avoir conduit les responsables et militants associatifs ou syndicaux à cacher leurs liens collusifs avec eux. De leur côté, les partis ont puisé dans des viviers de plus en plus étroits pour recruter leurs cadres et leurs candidats à l’origine d’un processus de professionnalisation précoce de la politique. L’instauration du financement public des partis a rendu moins nécessaires le recrutement et l’encadrement de nombreux adhérents et a renforcé ce processus de désencastrement apparent. Les causes de cette évolution, qui n’est pas propre à la France, sont complexes : elles renvoient schématiquement d’une part à l’érosion des milieux et des identités sociales sur lesquels reposaient les principaux partis (ouvriers d’industrie, salariés des entreprises publiques, catholiques pratiquants, agriculteurs…) et d’autre part à la convergence des programmes d’action publique autour de recettes néo-libérales, les deux processus étant eux-mêmes interdépendants. Face à des électeurs de plus en plus sceptiques ou indécis et de moins en moins attachés à des identités sociales et politiques fortes, les partis semblent être devenus des partis (réellement) attrape-tout. Rappelons en effet que l’inventeur de cette notion à la fin des années 1950, Otto Kirchheimer (1966), caractérisait ainsi non pas l’abandon de tout ancrage des partis occidentaux dans des milieux sociaux bien définis, mais leur diversification et le changement des modalités de cet ancrage. L’adoption d’une rhétorique de l’intérêt général ou national était pour lui la conséquence logique de cette nécessité des partis à s’adresser à des publics élargis, contribuant à euphémiser voire à invisibiliser les clivages idéologiques.

L’érosion des identités sociales et partisanes et la convergence des politiques publiques auraient désormais affaiblis les derniers liens collusifs existant entre organisations. En dehors de partis de niche (dont un exemple récent, sans jeu de mots, est le parti animaliste), il ne resterait désormais qu’un nombre restreint de stratégies partisanes disponibles : une politisation limitée à certains enjeux, assumant que les marges de manœuvre gouvernementales sont désormais restreintes et que la politique consiste principalement à s’adapter aux contraintes de la mondialisation ; une stratégie participationniste visant à associer des publics non militants au choix des candidats et des programmes (Lefebvre et Treille, 2016 ; 2019) ; ou enfin, une stratégie de type populiste, revenant à confier à un leader le soin de simplifier à outrance les enjeux en identifiant un ennemi ou un responsable commun. Le populisme, ici, ne serait pas l’apanage des seules entreprises partisanes subversives et des outsiders, mais l’un des leviers permettant de mobiliser des électeurs aux intérêts divergents sans avoir à trancher a priori (Diamanti, Lazar, 2019). Doit-on pour autant considérer que la communication entre dirigeants ou prétendants politiques et groupes sociaux s’opèrent désormais sans médiation autre que celle des médias et des réseaux sociaux ? Les stratégies d’ancrage sont-elles des archaïsmes voués à disparaître ? C’est là une des hypothèses que l’on souhaiterait voir discuter dans ce colloque.

Axes de l’appel : ancrage social et communication symbolique

En simplifiant, il est loisible de dégager de ce panorama deux grandes formes de discrétion partisane : celle qui porte sur les relations collusives que nouent dirigeants, élus, militants des partis avec les dirigeants ou représentants d’autres champs ou secteurs sociaux et celle qui concerne le discours politique et plus largement la mise en scène du parti et de ses porte-parole, c’est-à-dire sa communication symbolique. Ces deux formes de discrétion varient dans l’espace et dans le temps et bien sûr en fonction de la position occupée par chaque parti dans le champ politique (au gouvernement ou dans l’opposition par exemple).

L’appel à communications se structure en conséquence autour des deux axes suivants – les exemples et les thèmes évoqués ne l’étant qu’à titre purement illustratif. Ces derniers ne doivent en rien dissuader les propositions émanant de chercheur.e.s de toutes disciplines, travaillant sur des sociétés ou des systèmes politiques de tous les continents, passés ou contemporains, et qui pourront porter sur des cas circonscrits ou avancer des réflexions plus larges, comparatives ou théoriques.

Ancrage social, entrisme et euphémisation des liens partisans 

Il s’agit ici de travailler sur les stratégies collusives discrètes qui se nouent entre partis et organisations sociales, qu’elles prennent la forme de cooptations, de financements, de soutiens programmatiques, etc.  Quelles formes ont pris ces stratégies au cours de l’histoire ? Comment ont-elles été dissimulées mais aussi justifiées (auprès des militants et des initiés, notamment quand elles touchent au financement) et parfois délégitimées ?

Une forme traditionnelle de stratégie discrète, peu étudiée, est celle de l’entrisme (Berger, 2007 ; Codaccioni, 2019), d’un courant ou d’un parti vers une organisation non partisane (Dressen, 2000 ; Dereymez, 2005 ; Cossart, Talpin, 2015 ; Pagis, Yon, 2018), ou en sens inverse d’une organisation sociale vers les partis, à l’instar des évangélistes fondamentalistes au sein du parti républicain aux Etats-Unis (Skocpol, Williamson, 2012), des partis de droite brésiliens, de certaines confréries musulmanes en Asie ou en Afrique ou des représentants de des castes défavorisées en Inde (Jaffrelot, 2005).

Quelles formes d’entrisme ou de stratégies d’ancrage ont été privilégiées par les différents partis politiques et comment elles ont évolué dans le temps ? Cette stratégie peut être secrète mais peut aussi revendiquée sans toutefois que ses objectifs soient explicités. Il est ainsi souvent attendu des militants qu’ils adhèrent à d’autres organisations, qu’ils participent à différentes manifestations afin de faire remonter des informations ou d’étendre l’influence de l’organisation. Les attitudes ou les stratégies visant à tenir ces partisans à l’extérieur des organisations ou des mouvements sociaux méritent également attention, comme on a pu le voir lors du mouvement des Gilets jaunes (Ravelli, 2020). La problématique de la discrétion invite ainsi à remettre sur le métier la question des interactions entre partis politiques et mouvements sociaux (Luck, Dechezelles, 2011 ; Sawicki, 2011) et le regain de mobilisations politiques qui empruntent à l’anarchisme ou surgissent spontanément sans lien de partisanisation (Snow, Moss, 2014 ; Sainsaulieu, 2020).

Le cas des régimes politiques illibéraux contemporains interroge également les formes détournées et discrètes que sont contraintes d’y prendre les entreprises politiques contestataires mais aussi les partis soutenant les dirigeants en place qui s’affichent comme les seuls représentants légitimes de l’intérêt national (Tainturier, 2016 ; Fauconnier, 2017 ; Massicard, 2019). De nombreux Etats sont aujourd’hui dominés par des partis hégémoniques qui s’appuient non seulement sur la captation des ressources publiques mais sur des liens anciens avec des organisations religieuses ayant d’importantes ramifications dans la société, à l’instar du BJP de Narendra Modi en Inde (Jaffrelot, 2019) ou de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan en Turquie (Baykan, 2018).

De même, on s’interrogera sur les formes d’entre soi des élites et des classes dominantes : alors que les partis, par leur participation à la compétition politique, cherchent à convaincre et investissent l’espace public, dans quelle mesure cet investissement est redevable et façonné par ce qui se passe en coulisse, hors champ, en « clair obscure » (Cardon, 2010) ou dans les lisières du champ politique (Agrikoliansky, Aldrin, 2019) ? Comment le lobbying économique et l’entre soi politique se redéfinissent-ils, par quelles pratiques de manipulation politique (Ollion, 2015) ? Les groupes dominants font preuve d’une grande discrétion dans le déploiement de leurs activités politiques, leurs stratégies d’influence, leur soutien, parfois financier, devant demeurer discret pour être efficace (Geay, 2014).

Faut-il pour autant y voir une stratégie propre aux groupes dominants, alors qu’on sait que le « texte caché » (Scott, 1990) constitue souvent le seul recours de protestation pour les groupes subalternes ? Dans quelle mesure les ancrages sociaux et les ressources façonnent-ils les styles de participation politique par en bas (De Moor, 2017) et, partant, les usages partisans de la discrétion ? La discrétion permet-elle aux partis de mieux saisir des enjeux de justice sociale, devenus multiformes, éclatées et pragmatiques, en l’absence d’identités sociales et de références progressistes affirmées, notamment en matière d’égalité (Sainsaulieu et al., 2018) ? Les invocations récurrentes des partis de gauche contemporains à « renouer avec les classes populaires » ou avec « les quartiers populaires » sont-elles suivies d’effets ? Quels efforts sont-ils ici entrepris et avec quels effets ?

« Citoyennisme » et invisibilisation des étiquettes : tactiques partisanes de communication symbolique

La discrétion peut également constituer une stratégie de communication symbolique pour les partis politiques. De nombreuses entreprises partisanes ont eu tendance, ces dernières années, sans doute pour répondre à une forme croissante de défiance et disqualification, à ne pas se labelliser comme telles, mettant en avant d’autres catégories comme celles de « mouvement ». Cette stratégie ne saurait pourtant être perçue comme purement symbolique ou discursive, tant elle s’inscrit également dans des transformations pratiques qu’illustre en particulier le rejet de toute organisation, au profit de relations « gazeuses » ou présentées comme horizontales et informelles. Si cette tendance touche tout particulièrement les partis se présentant comme « populistes » (Nez, 2015 ; Cervera Marzal, 2020 ; Tarragoni, 2019), elle semble également affecter d’autres courants, à l’instar de l’entreprise macroniste en France (Dolez et al., 2019). Cet axe visera dès lors à interroger l’éventuelle spécificité du régime de discrétion contemporain des partis politiques en comparaison à celles qui ont pu prévaloir par le passé, et notamment au XIXe siècle, quand les organisations partisanes ont émergé.

L’invisibilisation de la forme « parti » a également des incidences en période électorale. La valorisation de la « citoyenneté », si elle a toujours existé, constitue ainsi un registre de justification croissant du jeu politique, qui contribue à la marginalisation des partis politiques au profit de formes censées plus fluides et moins contraignantes d’engagement, témoignant du passage de la « démocratie des partis » à celle « du public » (Manin, 1997). Les dernières élections municipales françaises ont ainsi donné à voir la multiplication des « listes citoyennes », plus que jamais auparavant (Gourgues et al., 2020), ce qui pourrait constituer un signe de démonopolisation du jeu politique, via l’invisibilisation des drapeaux, des emblèmes et des logos, la fusion dans des listes « citoyennes » ou participatives, voire la remise en cause de la forme parti pour des modes plus évanescents de rassemblement. Jusqu’à quel point ces phénomènes sont-ils récents et constatables au-delà des frontières hexagonales ? Avec quelles conséquences pour les organisations partisanes et les acteurs qui y sont les plus investis ?

Un autre regard sur ce phénomène indique que ces listes citoyennes étaient parfois composées d’un nombre significatif d’adhérents de partis, voire des groupes entiers qui s’y sont ralliés (Lefebvre, 2020). Certaines listes émanant de partis politiques ont, à des fins stratégiques, choisi d’invisibiliser leur étiquette afin de mettre en avant la catégorie plus valorisée de « citoyenneté » ou de « commun ». Ces coups tactiques pourraient apparaître relativement superficiels. Ils pourraient aussi indiquer une évolution plus substantielle du jeu politique, comme le montrent également les transformations des modalités de désignation des candidats ou les formes de délibération et de démocratie partisane (Roger, Lefebvre, 2008). L’investissement croissant par les militants partisans des dispositifs participatifs – de façon le plus souvent discrète, à l’instar des adhérents et élus En Marche à l’occasion du Grand débat national (Baeckelandt, 2020) – atteste là-aussi d’une mutation des modes de régulation politique avec laquelle les partis doivent composer. En Italie, le cas du Mouvement Cinq étoiles apparaît comme un cas extrême de dissolution des liens partisans habituels : récusant tout positionnement idéologique, prétendant n’être qu’au service des citoyens inscrits sur une plate-forme, ce « parti anti-parti » préfigure-t-il l’avenir de la forme partisane ou n’est-il au contraire qu’un mouvement éphémère exprimant un rejet extrême et conjoncturel des partis, propre (ou non) à l’histoire de l’Italie contemporaine ?

Modalités de l’appel à communication

Les propositions de communication peuvent émaner de toutes les sciences sociales du politique (science politique, sociologie, histoire, anthropologie, etc.). Ce colloque, organisé en partenariat avec la revue Politix, réunira des travaux de sciences sociales de préférence ancrés empiriquement, relatifs à différentes situations historiques, contextes nationaux ou locaux, et conjonctures routinières ou critiques. Toutes les approches méthodologiques et théoriques sont les bienvenues, les échanges permettront d’éprouver relationnellement les techniques d’enquête sur ces questions.

Les propositions résumées de communication, d’un maximum de 5.000 signes, présenteront dans l’ordre :

  • 1) les coordonnées personnelles et l’insertion institutionnelle,
  • 2) le titre ainsi que l’axe dans lequel la communication pourrait s’inscrire,
  • 3) la problématique retenue,
  • 4) le terrain d’enquête, le matériau utilisé pour la démonstration,
  • 5) la méthodologie mobilisée.

Adresse d’envoi des propositions : dplille@googlegroups.com

Calendrier

  • Date limite d’envoi des propositions résumées de communication : 15 février 2021.

  • Réponse des organisateurs : 25 février 2021.
  • Envoi du texte complet de la communication : 15 mai 2021
  • Le Colloque se déroulera à l’IEP de Lille les 10-11 juin 2021

Références citées

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  • Tarragoni Federico (2019), L’esprit démocratique du populisme. Une nouvelle analyse sociologique, Paris, La Découverte.

Places

  • Sciences Po Lille
    Lille, France

Date(s)

  • Monday, February 15, 2021

Information source

  • Nadia Belalimat
    courriel : Nadia [dot] Belalimat [at] univ-paris1 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Partisan discretion. Tactics and strategies of political anchoring and reanchoring », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, January 07, 2021, https://doi.org/10.58079/15r4

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