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Secrets de familles

Family secrets

Comment enquêter sur l’espace privé ?

How to investigate the private space?

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Publié le lundi 04 janvier 2021

Résumé

La famille est un objet difficile à appréhender par le chercheur ou la chercheuse en sciences sociales, dans la mesure où ce qu’il s’y passe et les relations entre ses membres restent de l’ordre de l’intime, dissimulés derrière les murs du foyer. L’ordinaire de la vie familiale ne laisse que peu de traces et de documents. Recueillir des matériaux d’enquête consiste alors souvent à collecter la parole des intéressé·es, par le biais d’entretiens, de sources écrites personnelles ou institutionnelles. Cependant, d’autres méthodes peuvent être mobilisées par les chercheur·ses pour « voir » la famille plutôt que pour l’entendre se raconter. L’objectif de cette journée d’étude est de discuter des difficultés méthodologiques inhérentes aux enquêtes sur l’objet « famille », d’entrer dans « les cuisines de la recherche » afin de découvrir certaines des méthodes originales mobilisées par des enquêteur·ices pour percer les secrets des familles.

Annonce

Argumentaire

La famille est un objet difficile à appréhender par le chercheur ou la chercheuse en sciences sociales, dans la mesure où ce qu’il s’y passe et les relations entre ses membres reste de l’ordre de l’intime, dissimulé derrière les murs du foyer. L’ordinaire de la vie familiale ne laisse que peu de traces et de documents. Recueillir des matériaux d’enquête consiste alors souvent à collecter la parole des intéressé.es, par le biais d’entretiens, de sources écrites personnelles ou institutionnelles. Cependant, d’autres méthodes peuvent être mobilisées par les chercheur.ses pour “voir” la famille plutôt que pour l’entendre se raconter. L’objectif de cette journée d’étude est de discuter des difficultés méthodologiques inhérentes aux enquêtes sur l’objet “famille”, d’entrer dans “les cuisines de la recherche” afin de découvrir certaines des méthodes originales mobilisées par des enquêteur.ices pour percer les secrets des familles.

Sont bienvenues toutes propositions de chercheur.euse en sciences humaines portant sur une enquête sur/relative à la famille, qui soit ont mobilisé d’autres matériaux que l’entretien ou les sources souvent utilisées pour écrire l’histoire ou le quotidien de la famille, soit offrent une relecture originale des corpus en question. Trois axes principaux de réflexion sont privilégiés.

1. Ethnographier la famille

L’observation directe des pratiques familiales est souvent exclue d’emblée par le chercheur ou la chercheuse : d’invité.e, iel peut vite devenir intrus.e s’iel s’attarde au domicile pour observer les pratiques familiales. Pourtant, négocier une ethnographie familiale est possible, pour peu que l’enquêteur.ice adapte son enquête aux contraintes de ses informateur.ices. Martine Croteau (2011) a ainsi réalisé plusieurs séances d’observation des repas (de la préparation au rangement) dans les familles. L’enquête peut aussi prendre la forme d’une ethnographie d’une famille unique, comme celle menée par Alain Cottereau et Mokhtar Mohatar Marzok (2012), qui se sont employés à répertorier et à quantifier au jour le jour le mode de vie d’une famille andalouse d’origine marocaine, par des séances d’observation, des entretiens, mais aussi par la reconstitution des dépenses et des emplois du temps des membres de la famille. Plus indirectement, l’ethnographie de la famille peut aussi passer par le recueil de traces des pratiques, qu’elles soient produites par les membres de la famille ou construites à la demande de l’enquêteur.ice (arbres généalogiques, cartes des déplacements, emplois du temps...). Cette récolte peut également prendre la forme de la collecte de sources privées directement auprès des familles pour les historien.nes, qui sont ainsi confronté.es à des enjeux éthiques comme le respect de l’intimité des familles et le devenir du matériau recueilli. Au terme de son étude sur le lien conjugal à l’épreuve de la Grande Guerre, Clémentine Vidal-Naquet (2014) s’interroge ainsi sur le devenir des correspondances entre les soldats et leurs épouses, qu’elle étudie, de l’intime à l’objet d’histoire. Etudier la famille peut enfin prendre la forme d’une ethnographie du domicile, comme le propose Perla Serfaty-Garzon (2003), qu’il s’agisse de rendre compte du rapport des membres de la famille au temps passé chez soi et aux différentes pièces, de leurs trajectoires résidentielles, du caractère “ouvert” ou “fermé” du domicile sur l’extérieur ou encore de la “culture du chez-soi” et du travail d’investissement du domicile (bricolage, rénovations, décoration, etc.) par ses habitant.es.

Comment alors négocier l’ethnographie des familles, selon quelles modalités, et quels sont les avantages et les limites de ce mode d’enquête ? Comment rendre compte du quotidien des familles et des relations qui unissent ses membres autrement que par les discours des intéressé.es sur la question ? Comment prendre en compte la dimension spatiale du domicile dans les enquêtes sur la famille ? Quelle posture adopter lorsque l’on est à la fois étranger et intégré au quotidien familial ? Enquêter sur le domicile peut-il être une porte d’entrée vers l’intimité des familles ? Quels types de traces peuvent être collectés, quels sont les apports et les limites de ces matériaux d’enquête ? Quels en sont les enjeux éthiques ? Comment se positionnent alors les chercheur.ses au sein de ce terrain en milieu privé ?

Un autre moyen d’étudier la famille est de l’observer à travers les supports visuels ou matériels produits par les familles elles-mêmes et pour elles-mêmes, ou pour l’enquête. Ce peut être des photos du domicile ou d’activités quotidiennes, des albums ou des films de famille, etc. Par exemple, Manuel Charpy (2011) a étudié ensemble les images et le journal de Jules-Émile Scrive, patron lillois, en montrant comment les photographies de famille et les objets ayant appartenu à ses membres (jusqu’aux mèches de leurs cheveux) sont investis d’un récit et d’une mémoire familiale et participent de la production des liens familiaux. De même, Marion Braizaz (2019) a demandé à ses enquêtées préadolescentes de prendre en photo quotidiennement leurs repas afin de mieux comprendre leurs rapports au corps et à la nourriture. Une équipe de chercheur.euses a par ailleurs filmé des familles dans leur vie quotidienne pendant une semaine grâce à un ensemble de caméras installés au sein du domicile (Relieu, Zouinar, La Valle, 2007). Cependant, le caractère contraignant et parfois intrusif de ces méthodes peut décourager.

2. Observer la famille à travers la lentille : méthodologies visuelles, approches matérielles

Quels types d’images ou d’objets peuvent alors servir dans le cadre d’une enquête sur la famille ? Comment négocier avec les familles l’accès par l’enquêteur.ice à ces images ou objets intimes ? Comment constituer un corpus de documents privés de familles “ordinaires” dans les enquêtes d’archives ? Comment traiter et classifier ces matériaux ? Comment prendre en compte les contraintes dans la production des photos ou des vidéos par la famille elle-même, en fonction des possibilités techniques et de l’accessibilité matérielle des appareils d’enregistrement ? En prolongeant les réflexions de Jitske Jasperse (2020) sur l’objet comme unique trace d’un pouvoir féminin absent des sources écrites médiévales, on se demandera si les approches visuelles et matérielles peuvent renouveler les questionnements ou compléter les recherches menées à partir de sources écrites et/ou orales.

3. Les NTIC comme accès à l’intimité des familles ?

La diffusion d’Internet et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) constitue pour les sciences sociales un nouveau champ de recherche sur la famille, en tant qu’objet et en tant que terrain d’enquête (cyber-ethnographie ou netnographie) (Bjork-James, 2015). Les approches possibles sont multiples : analyse des contenus textuels, photographiques ou vidéos des messages, posts, commentaires ou articles publiés sur des forums en ligne, sur des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram ou Youtube, sur des blogs ou sur des listes de diffusion. Il peut également s’agir d’analyses de contenus spécifiques à Internet ou aux NTIC comme les hashtags, les métadonnées, les memes, etc. Les blogs, les comptes de réseaux sociaux ou les forums centrés sur la parentalité ont largement été étudiés en tant que mise en scène d’une posture parentale spécifique, de la “réussite” familiale ou domestique ou comme diffuseur/prescripteur de normes parentales (Tiidenberg, Baym, 2017 ; Vincent, 2017). Comment les enquêteur.ices peuvent collecter et constituer une base de données à partir de ce type de sources ? Comment les analyser ? Quels sont les apports de l’utilisation de ce matériau à la compréhension de la famille ?

Internet et les NTIC peuvent également fournir aux enquêteur.ices de nouveaux moyens d’enquête. Il peut s’agir d’un accès plus facile à des catalogues de sources ou de données, ou de contacter le plus largement possible les détenteur.ices de sources privées utiles pour l’historien.nes (voir le projet “Le goût de l’archive à l’ère numérique” 1 ). Les chercheur.euses en sciences sociales disposent également de moyens renouvelés de faire de l’ethnographie, par exemple en recrutant des enquêté.es via des annonces en ligne, par le biais des appels vidéos ou par l’utilisation d’applications comme Indeemo qui permettent de faire de “l’ethnographie mobile”, afin que les informateur.ices documentent leur vie de tous les jours en envoyant à l’enquêteur.ice des photos, des vidéos ou des entrées de journaux personnels via l’application. Cette méthodologie d’enquête a par exemple été mise en place pour la recherche Fact-Covid 2 . Comment Internet et les NTIC peuvent-ils renouveler les méthodes et les questionnements des enquêtes ethnographiques ou d’archives ? Permettent-ils l’accès à de nouveaux publics ou de collecter des données sur les aspects les plus difficiles à documenter de la vie des familles ? Quelles sont les limites de l’utilisation de ces outils comme moyen de collecter des matériaux ?

Ces trois axes ne sont que des suggestions et une proposition n’a pas à s’inscrire strictement dans l’un ou l’autre. Toute communication portant sur les difficultés à “entrer” dans les familles peut être proposée, qu’il s’agisse de terrains ou d’objets pour lesquels il est difficile d’accéder au domicile ou à la parole d’un ou de plusieurs membres de la famille, ou encore aux archives de famille en raison d’obstacles politiques, institutionnels, matériels, culturels... Plus largement, toute communication présentant la méthodologie d’une enquête originale sur la famille est bienvenue, par exemple à travers la relecture de matériaux fréquemment utilisés pour étudier la famille, ou l’utilisation de sources ou de matériaux ethnographiques plus inhabituels.

Organisation

La journée d’étude se déroulera le 8 avril 2021, en distanciel ou en présentiel suivant l’évolution de la situation sanitaire. Elle aura lieu à l’Ined, au campus Condorcet (Aubervilliers).

Modalités de contribution

Si vous souhaitez intervenir, merci d’envoyer à l’adresse de RePPaMa (reppama.contact@gmail.com ) une proposition de communication d’une ou deux pages au format Word, OpenOffice ou pdf (intitulé Secrets_Prénom Nom_Titre de la communication) présentant le cadre de la recherche et la nature de l’enquête ou du matériau utilisé, ainsi que la méthodologie de la collecte des matériaux de recherche, ses enjeux, et les questionnements ou difficultés rencontrées

avant le 20 janvier 2021.

Les propositions en français et en anglais sont les bienvenues. Les réponses aux communicant.es potentiel·les seront envoyées dans le courant du mois de février.

Il sera par la suite demandé aux participant.es d’envoyer au plus tard le 8 mars 2021 une présentation détaillée de la recherche sur laquelle portera l’intervention (présentation de l’enquête, éventuellement quelques éléments contextuels ou des résultats si l’intervenant.e le souhaite) qui sera mise en ligne sur le carnet Hypothèse de RePPaMa afin de permettre aux auditeur.ices de la journée d’étude de se familiariser avec les modalités des enquêtes des communicant.es. L’objectif de cette présentation préalable est de permettre aux communicant.es de se concentrer dans leur exposé oral sur les enjeux méthodologiques de l’enquête sur la famille, les difficultés rencontrées, les solutions proposées, les limites de ces matériaux, etc.

Comité d’organisation

(les coordinatrices du REPPaMa et du laboratoire junior: Parentalités plurielles et genre) :

  • Inès Anrich (Paris 1 Panthéon- Sorbonne),
  • Myriam Chatot (EHESS-Iris-CMH),
  • Marie-Caroline Compans (Ined, Paris 1-CRIDUP),
  • Anaïs Mary (Paris Descartes-CERLIS),
  • Alexandra Piesen (Paris Descartes-CERLIS),
  • Marine Quennehen (Ined-UVSQ-Printemps),
  • Zoé Yadan (Paris Descartes-CERLIS).

Bibliographie

Braizaz Marion, Préadolescence, rapport au corps et relations familiales : ce que la photo-elicitation apporte à l’enquête qualitative, 8ème Congrès de l’AFS, Aix-en-Provence, 2019.

Bjork-James Sophie, Feminist ethnography in cyberspace: Imagining families in the cloud, Sex Roles 2015, vol. 73, p. 113-124.

Charpy Manuel, Matières et mémoires. Usages des traces de soi et des siens dans une grande famille bourgeoise de la seconde moitié du XIXe siècle, Revue du Nord, vol. 390, n°2, 2011, p. 395-432.

Cottereau Alain et Mohatar Marzok Mokhtar, Une famille andalouse. Ethnocomptabilité d’une économie invisible, Paris, Bouchène, 2012.

Croteau Martine, Le repas familial : être en famille autour d'un menu rassembleur : étude de cas des repas familiaux de deux familles de la région de Québec, mémoire présenté à l’université de Laval, 2011.

Jasperse Jitske, Mevieval Women, Material Culture and Power. Matilda Plantagenet and her Sisters, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020.

Relieu Marc, Zouinar Moustafa,, La Valle Natalia, At home with video cameras, Home Cultures, vol. 4, n°1, 2007, p. 45-68.

Serfaty-Garzon Perla, Chez soi - les territoires de l’intimité, Paris, Armand Colin, 2003.

Tiidenberg Katrin, Baym Nancy, Learn It, Buy It, Work It: Intensive Pregnancy on Instagram, Social Media + Society, 2017.

Vidal-Naquet Clémentine, Couples dans la Grande Guerre : le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les Belles Lettres, 2014.

Vincent Justine, Analyse des fils de discussion d'un forum dédié aux beaux-parents : quels apports de l'outil pour saisir les normes en famille recomposée ?, Journée transversale des doctorants du Centre Max Weber, 2017.

Lieux

  • 8 cours des Humanités
    Aubervilliers, France (93)

Dates

  • mercredi 20 janvier 2021

Mots-clés

  • famille, paternité, maternité, parentalité, méthode

Contacts

  • Inès Anrich
    courriel : ines [dot] anrich [at] gmail [dot] com
  • Réseau d'études pluridisciplinaires sur les paternités et maternités REPPaMa
    courriel : reppama [dot] contact [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Inès Anrich
    courriel : ines [dot] anrich [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Secrets de familles », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 04 janvier 2021, https://doi.org/10.58079/15ra

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