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Violences et passions dans le milieu universitaire

Violence and passion in the university environment

« Nouvelle Revue de Psychosociologie » n°33

Nouvelle Revue de Psychosociologie journal no.*33

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Veröffentlicht am Montag, 08. Februar 2021

Zusammenfassung

La violence, les passions, les émotions, la domination, le pouvoir et son exercice parfois brutal dans les institutions sont des thématiques très fréquemment investies par les chercheurs en sciences humaines et sociales, mais aussi par des philosophes, des historiens comme des femmes ou hommes de lettres. Les contributeurs et contributrices de ce numéro sont conviés à penser la nature spécifique du travail universitaire, mêlant des enjeux personnels en dépendance du jugement d’autrui et des normes de ce milieu pour l’acquisition (ou non) de la reconnaissance, de la notabilité ou la notoriété en lien avec le statut et au-delà sur fond d’enjeux liés au savoir… et son autorité. 

Inserat

Argument

La violence, les passions, les émotions, la domination, le pouvoir et son exercice parfois brutal dans les institutions sont des thématiques très fréquemment investies par les chercheurs en sciences humaines et sociales, mais aussi par des philosophes, des historiens comme des femmes ou hommes de lettres. Travaux qui ont donné lieu à des textes remarqués et à des propositions conceptuelles stimulantes. Citons à titre d’exemples : la « banalité du mal » (Arendt, 1963) ou, en France, la « violence symbolique » (Bourdieu et Passeron, 1970), la « maltraitance institutionnelle » (Tomkiewicz et Vivet, 1991) ou encore le « harcèlement moral » (Hirigoyen, 1998) et l’impact, sur le même thème, de l’ouvrage « Souffrance en France » (Dejours, 1998). Des auteurs et autrices reconnus ont ainsi investi ces questionnements comme Aron, Bourdieu, Héritier, Wieviorka, Žižek … pour ne citer qu’eux. De nombreuses recherches et des enquêtes se multiplient sur les processus, les enjeux, les manifestations de la violence et de la passion dans les mondes vécus du travail, à une remarquable exception près pour le cas français : l’université et plus largement l’enseignement supérieur.

Pourtant bien des universitaires s’alertent à juste titre sur la nature des réformes et sur les effets des restructurations libérales des établissements (on pourra ainsi se reporter à Charle, Soulié et al., 2008 qui parlent de « ravages »), la dégradation des conditions de travail des professionnels (Darbus et Jedlicki, 2014), la précarisation croissante (collectif P.E.C.R.E.S. 2011) ou encore le régime de performance universitaire connu sous la fameuse expression « publish or perish » (Insel, 2009 ou Benninghoff, 2011) et lié à des pratiques continues d’évaluation (Brackelaire, Giot et al., 2000 ou encore Fontana, Valentini, 2020) et de mise en compétition (Musselin, 2018). On soulignera également ici le climat d’autant plus dégradé des relations entre pouvoir politique et enseignement supérieur au lendemain du vote de 2020 sur la loi de programmation de la recherche (LPR) mettant notamment fin aux procédures de qualification nationale ou par les attaques dont les sciences sociales font l’objet.

Mais étudier les modalités de la violence dans l’université en tant qu’elle lui serait spécifique ne semble pas encore constituer un sujet ou un objet pour les universitaires en France[1].

Et parce que nombre d’entre eux qualifient leur environnement de travail comme de plus en plus éprouvant, il serait salutaire d’analyser les termes de la dégradation des conditions de travail et de la violence des rapports sociaux au sein des établissements universitaires afin de mettre au jour les constituants de ce qui peut être considéré comme une maltraitance institutionnelle à l’origine de malaises et de souffrances éprouvés.

La souffrance ne saurait cependant occulter les passions qui traversent le champ académique : passion pour le métier, la recherche, l’enseignement, défense de sa propre discipline, confrontations vives autour des objets ou des méthodes… Explorer ce qu’il en est des passions et de leur lien avec la souffrance – dans une institution dont le cœur de l’activité est arrimé sur l’exercice de la raison – peut permettre d’éclairer ce « monde », de l’intérieur, par ses membres, enseignants-chercheurs qui trouveront, à partir de leur propre perspective réflexive, épistémologique et méthodologique, les mots pour dire leur expérience.

Si investiguer – même doté des outils pour le faire – son propre secteur d’activité ou le lieu d’une importante mobilisation de ses investissements n’est pas chose facile, la question se pose de savoir quelles craintes, quels refoulement ou déni président à laisser à la porte de leurs lieux académiques d’appartenance ces questions qui sont au cœur des préoccupations de bien des universitaires. La raison scientifique et la rigueur administrative pourraient-elles venir en place – comme défense ou empêchement – d’une possible considération des logiques et des réalités de ce qui s’effectue au quotidien dans des environnements de travail dont la mission initiale est la création et la passation des connaissances ?

Et s’il s’agit au contraire d’accorder une véritable attention à la réalité au travail, il faudrait pouvoir comprendre dans quelles pratiques ou relations se forgent et se logent ces violences et ces passions : rapports sociaux de hiérarchie ou de sexe, disciplines[2], gouvernance, managérialisation, relations interpersonnelles, composantes d’appartenance… et lors de quels temps (recrutements, campagnes, instances, attribution des responsabilités…). Et aussi il importe de pouvoir élucider dans ces systèmes de relations, quels place, fonction, rôle occupent les étudiant(e)s, à saisir tout aussi bien dans les jeux et enjeux de pouvoir que vis-à-vis du sens et du goût (ou de leur perte) pour la mission.

De même, peuvent-être interrogées les dimensions institutionnelles et politiques des violences et des mobilisations : quelles pressions internes et externes pèsent sur les professionnels devant le constat d’un accroissement d’une charge qui pèse toujours plus sur chacun sans que soit véritablement pensée la construction d’une réponse, d’une réplique collective ? Des logiques sacrificielles seraient-elles à l’œuvre sachant que ne pas se prêter aux multiples évaluations, ne pas se soumettre aux exigences des logiciels de saisies d’informations toujours plus sophistiqués etc. serait censé menacer le renouvellement des diplômes et formations et l’existence même des équipes de recherche ?

Quelles mutations le métier d’universitaire connait-il notamment depuis la loi dite d’autonomie des universités ? Des plaintes nombreuses concernent la détérioration des conditions de travail, le cumul des charges administratives, l’intensification du travail, la non prise en compte des nombreuses tâches invisibles à effectuer, le flux croissant des étudiants, l’absence de moyens en rapport avec cette augmentation, ceci au détriment d’une considération de ce qui constitue le cœur de métier : l’enseignement et la recherche.

Les contributeurs et contributrices de ce numéro sont conviés à penser la nature spécifique du travail universitaire, mêlant des enjeux personnels en dépendance du jugement d’autrui et des normes de ce milieu pour l’acquisition (ou non) de la reconnaissance, de la notabilité ou la notoriété en lien avec le statut et au-delà sur fond d’enjeux liés au savoir… et son autorité. Si la reconnaissance individuelle peut se trouver renforcée par la réputation, cette reconnaissance est toujours questionnée en rapport avec les objets, les disciplines, le taux de publication, la méthode… qui donnent autant d’arguments pour discuter voire disqualifier une figure professionnelle peu séparable de la personne.

Pourront être également questionnés les éléments propices à la violence, constitutifs de l’activité. On pensera ici à la dimension très individuelle de l’enseignement et de la recherche dans certaines disciplines (SHS, humanités…) mais tout autant aux dispositifs de sélection, compétition[3], évaluation individuelle et collective et, globalement, de scrutation de la profession. Comment qualifier le monde vécu de l’université et la nature des liens qui s’y instaurent ? Y a-t-il des fondements socio-culturels qui font obstacle à la solidarité, à la coopération, à la composition d’un lien qui permettrait de se déprendre suffisamment de ces violences ? Ou comment ces liens sont-ils infléchis, gauchis par les modes de gouvernances issues de la Réforme Générale des Politiques Publiques (RGPP) imposant des méthodes de gestion financière et bureaucratique toujours plus performantes et rentables, et malmenant les professionnels qui passent sans transition d’une logique de moyens à une logique de résultat ?

Cette dégradation des conditions de travail souligne un paradoxe : pourquoi nombre de thésards se battent-ils pour entrer dans une profession déqualifiée ?

On notera que beaucoup d’universitaires insistent sur le caractère vocationnel et/ou passionnel de leur engagement : qu’est-ce que cette passion peut conduire à accepter ? Alors que sont censées être satisfaites les revendications d’autonomie, de créativité, d’authenticité des relations qui font glisser des liens professionnels vers des relations plus personnelles et amicales, l’enseignement supérieur est un lieu qui semble favoriser le développement d’inimitiés, de rivalités, de disqualifications réciproques. Des inféodations (liées aux recrutements, par exemple) y ont cours, tout comme des systèmes de dettes (de doctorants, de services rendus lors de votes…) et d’emprise qui se manifestant par des relations très ambiguës ou de harcèlement parfois sexuel. Les passions politiques lors des temps électifs internes et dans les instances y sont par ailleurs fréquemment féroces.

On s’interrogera alors sur le défaut de mobilisation en interne contre les violences tout comme sur la timide réponse, au mieux, faite par les établissements aux cas remontés concernant les Risques Psycho-Sociaux. Défaut de mobilisation qui contraste avec l’énergie de l’engagement pour mener à bien des projets dans des conditions fortement contraignantes vécues souvent comme des courses d’obstacles.

La question du faible traitement des violences conduit à considérer la nature spécifique des organisations universitaires, sans hiérarchie clairement énoncée pour les académiques. Force est de constater donc pour ceux-ci[4] une euphémisation des moyens de sanction et de pression, qui n’est pas sans rapport avec le fait que ces derniers passent par les pairs. La singularité du projet universitaire d’auto-gestion n’interpose aucune instance ou structure de régulation entre les universitaires et favorise les affrontements au travers de « campagnes » afin d’y élire les instances. La question là encore se pose des modalités de traitement de cette tension entre un projet (utopie ?) démocratique propre à l’université particulièrement fort symboliquement et les rapports sociaux de domination qui s’y pratiquent, entre une supposée liberté du travail académique et son coût, sans oublier l’absence de moyens pour l’exercer. Pourra être enfin interrogée la perspective générationnelle de ces questions au moment où la génération soixante-huit qui a contribué à la mise en place des structures existantes quitte l’université.

Ce numéro de la Nouvelle Revue de Psychosociologie invite les universitaires et chercheur(e)s à analyser leurs environnements de travail sous l’angle des violences et des passions qui les traversent en ses lieux matériels (conseils, composantes, salles de cours, laboratoires…), imaginaires et symboliques.

Bibliographie

Arendt, H. (1966), Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Paris : Gallimard.

Benninghoff, M. (2011). « "Publish or perish !" : la fabrique du chercheur-entrepreneur », Carnets de bord, 17, 47-57.

Bourdieu, P., & Passeron, J. C. (1970). La reproduction : éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris : Minuit.

Brackelaire J.-L., Giot J., Kinable J. et Périlleux T., « De ce que l’institution universitaire laisse en souffrance », Le Portique [En ligne], 6 | 2000, mis en ligne le 24 mars 2005. URL : http://journals.openedition.org/leportique/438

Charle, C., & Soulié, C. (2007). Les ravages de la “modernisation” universitaire, Paris : Syllepse.

Darbus, F., & Jedlicki, F. (2014). « Folle rationalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche », Savoir/Agir, (3), 25-34.

Fontana, R., Valentini, E. et al. (ed.), (2020), Conseguenze della valutazione : Idee e pratiche dei docenti universitari nelle scienze sociali. FrancoAngeli.

Gauléjac, La Recherche malade du management, avec Alain Falque, Versailles, Quæ, 2012.

Giroux, D., Karmis, D. (2014). Défaire/refaire l’université Essai de tout dire, Cahiers de l’idiotie n° 6, Canada.

Musselin, C. (2018), “New forms of competition in higher education”, Socio-Economic Review, 16(3), 657-683.

Hirigoyen M.-F. (1998), Le harcèlement moral. Paris : Syros.

Insel, A. (2009), « Publish or perish ! La soumission formelle de la connaissance au capital », Revue Mauss, n° 33, pp. 141-153

P.É.C.R.E.S (2011), « Recherche précarisée, recherche atomisée. Production et transmission des savoirs à l’heure de la précarisation », Paris : Raisons d’agir.

Tomkiewicz S., Vivet P.(1991), Aimer mal, châtier bien. Enquêtes sur les violences dans les institutions pour enfants et adolescents, Paris : Seuil.

Coordination du numéro

  • Florence Giust-Desprairies
  • Emmanuelle Savignac

Echeancier

- Les projets d’article (une à deux pages maximum) sont à adresser

avant le 18 avril 2021

aux personnes suivantes :

A/ Emmanuelle Savignac : emmanuelle.savignac@free.fr (coordinatrice du numéro 33) ; Florence Giust-Desprairies : giustdesprairies@wanadoo.fr(coordinatrice du numéro 33 et rédacteur en chef de la NRP) ; Gilles Arnaud : garnaud@escp.eu (rédacteur en chef de la NRP)

CC/ Secrétaire de rédaction, Caroline Terrasse : revue-nrp@cirfip.org

- Si votre proposition est retenue,

les articles complets devront être remis au plus tard le 1er septembre 2021.

Références

[1] On notera sur ce thème, au contraire, l’existence d’un numéro canadien « Défaire/Refaire l’université. Essai de tout dire » (dir. Giroux, D. et Karmis D., 2014).

[2] Dont on notera qu’au Moyen-Âge elle signifie « massacre, carnage (résultant de l'exercice d'une justice, d'un châtiment) » ou encore « châtiment d’un clerc » imposé par la règle. C’est au XIIe siècle qu’elle prendra le sens de « règle de vie, de conduite, loi morale » et enfin d’ « enseignement, éducation » et au XIVe son sens contemporain de « diverses branches de la connaissance, science » (CNRTL).

[3] La « lutte des places » (Gaulejac, 1994 ) comme l’affrontement politique.

[4] Au contraire des collègues administratifs pour qui une hiérarchie inscrite dans les organigrammes s’observe.

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Daten

  • Sonntag, 18. April 2021

Kontakt

  • Caroline Terrasse
    courriel : revue-nrp [at] cirfip [dot] org

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Informationsquelle

  • Caroline Terrasse
    courriel : revue-nrp [at] cirfip [dot] org

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Zitierhinweise

« Violences et passions dans le milieu universitaire », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Montag, 08. Februar 2021, https://doi.org/10.58079/15xv

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