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Penser les négociations pour penser l’entreprise

Thinking negotiations for thinking business

Revue « Négociations »

Négociations journal

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Publié le mercredi 10 février 2021

Résumé

Ce numéro propose de prendre les négociations collectives comme un ensemble de pratiques permettant de penser l’entreprise. En tant qu’« être collectif », qui ne se réduit pas à une organisation marchande en quête de profit, l’entreprise est fréquemment présentée comme le support de collectifs de travail et des relations professionnelles. L’analyse des négociations d’entreprise – au cœur de réformes récentes dans les pays européens – implique ainsi de s’interroger sur l’existence et les contours de l’entreprise dans un jeu complexe d’externalisation, de filialisation et de sous-traitance qui brouille l’identité, les frontières et les missions de l’entreprise. L’enjeu est ici de voir en quoi la négociation collective (son périmètre, ses objets, ses résultats) redessine, ou non, les contours de l’entreprise en tant que dispositif de création normative. La négociation délimite ainsi son propre objet en fixant le périmètre de l’entreprise.

Annonce

Présentation

La revue Négociations lance un appel à contributions pour un numéro spécial autour de négociations et entreprises : "Penser les négociations pour penser l'entreprise". Les propositions d'articles, permettant d’interroger, conceptualiser ou revisiter les contours contemporains de l’entreprise, sont attendues pour le 1er juin 2021.

La revue Négociations s’intéresse aux enjeux de négociation dans la diversité de ses dimensions. Elle favorise la confrontation disciplinaire entre sociologie, économie, sciences de gestion, sciences politiques, droit, relations industrielles... Elle est ouverte à des contributions en français sur des cas nationaux (français et étrangers) et/ou proposant des comparaisons internationales.

Argumentaire

Alors que la survie d’une partie des entreprises (et de son corollaire, l’emploi) est au cœur des plans de relance économique conduits actuellement à travers le monde dans le contexte de la crise économique qui accompagne la crise sanitaire, le concept flou que recouvre l’ « entreprise » continue à interroger : tout à la fois communauté de travail dominée par la figure de l’employeur, œuvre collective et unité légale. Il n’existe pas de définition précise et unique de l’entreprise. Dans son travail fondateur, R. Sainsaulieu définit l’entreprise non pas comme « un simple appareil de production » mais comme « l’institution centrale d’une société » (1990, 15). Or, juridiquement, c’est le terme « société » qui est utilisé pour désigner la collectivité des détenteurs du capital. Ainsi, en France, « le droit ignore l’entreprise » dans son ensemble, mais il organise la « société » (Lyon-Caen, 2014, 24) et détermine pour les salariés liés à un même employeur le droit à une représentation collective, le comité d’entreprise devenu aujourd’hui le comité social et économique (Jeammaud, Kirat et Villeval, 1996). Si à l’étranger, l’entreprise est définie pas le droit, ses contours restent flous. Par exemple, au Canada, la jurisprudence établit qu’une entreprise est un « un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d'activités précises» (affaire Bibeault, 1988), tandis qu’en Belgique, le code de droit économique la définit comme « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations », sans plus de précision sur sa nature. Ainsi, si la notion d’entreprise reçoit dans ces cas un contour juridique, le développement de formes de plus en plus complexes et diverses d’organisations soulève des questions sur la délimitation même de ses contours. Dès lors, au-delà de l’enjeu juridique, c’est l'épaisseur sociale de l'entreprise que révèle son analyse comme lieu de production, tout à la fois organisation et institution (Segrestin, 1996; Thuderoz, 1997). Pour saisir la dimension collective de l’entreprise, on est alors conduit à envisager les travailleurs d’une « société » ou d’un « établissement » comme agissant en vue d’une « entreprise » commune dont l’employeur peut-être lointain, comme c’est par exemple le cas pour les travailleurs des plateformes.

Cette entité qu’est l’entreprise est mouvante. Prenant acte des transformations du visage des entreprises, notamment sous l’effet de la mondialisation, l’Institut national de la statistique française a élargi sa définition de l’entreprise, autrefois centrée sur les « unités légales » (établissements et sociétés), pour y intégrer « les regroupements économiquement pertinent d’unités légales appartenant à un même groupe de sociétés » (INSEE, 2019, 13). Plus généralement, pour saisir ce qu’est l’ « entreprise », de nombreux travaux en sociologie, économie, sciences de gestion, droit, sciences politiques ou histoire ont cherché à ouvrir la « boîte noire » de l’entreprise, qualifiée de « point aveugle du savoir » (Segrestin et al., 2014). Pour définir cette entreprise, est alors proposé de « penser le travail pour penser l’entreprise » (Favereau et al., 2016).

Dans le même mouvement, ce numéro spécial de la revue Négociations propose de prendre les négociations collectives comme un ensemble de pratiques permettant de penser l’entreprise. En tant qu’« être collectif », qui ne se réduit pas à une organisation marchande en quête de profit (Segrestin & Hatchuel, 2012, 15), l’entreprise est fréquemment présentée comme le support de collectifs de travail et des relations professionnelles. L’analyse des négociations d’entreprise – au cœur de réformes récentes dans les pays européens – implique ainsi de s’interroger sur l’existence et les contours de l’entreprise dans un jeu complexe d’externalisation, de filialisation et de sous-traitance qui brouille l’identité, les frontières et les missions de l’entreprise. L’enjeu est ici de voir en quoi la négociation collective (son périmètre, ses objets, ses résultats) redessine, ou non, les contours de l’entreprise en tant que dispositif de création normative. La négociation délimite ainsi son propre objet en fixant le périmètre de l’entreprise.

Les négociations sont d’abord les négociations collectives qui portent sur l’organisation, les conditions du travail et plus généralement sur la vie collective dans l’entreprise. En France comme ailleurs dans le monde, la négociation collective se déploie de manière croissante au niveau de l’entreprise, au détriment des niveaux sectoriels et nationaux (Jobert et al., 2017). Mais les dispositifs juridiques encadrant la négociation d’entreprise sont imprécis : si, en Amérique du Nord, la négociation part des « unités de négociation » (bargain units) dans les établissements, au contraire en France, les « accords d’entreprises » peuvent se conclure à des niveaux différents, du groupe multinational entier au seul établissement. Ils sont, de plus, définis de manière négative : ils ne sont pas des accords de branche ou nationaux. Par ailleurs, se pose la question des périmètres : les salariés en sous-traitance, mis à disposition ou encore en prestation de service, et tous les travailleurs qui concourent à travailler au sein d’une entreprise sans que leur contrat de travail ne les relie à celle-ci comme employeur appartiennent-ils à une même collectivité de travail – autre forme de l’entreprise ? Dès lors, les négociations annuelles obligatoires, mais aussi celles conduites lors de restructurations (Didry, Jobert, 2010 ; Dupuy, 2010), interrogent les missions, les contours et les formes de l’entreprise. Certaines négociations sur des objets relatifs au travail et à l’emploi font ainsi apparaître des questionnements sur ce qui constitue l’entreprise.

En dehors des conditions de travail, on peut également identifier des formes de négociations collectives sur la gouvernance de l’entreprise, relancées notamment en France depuis la loi pour la croissance et la transformation des entreprise (PACTE) de 2019 qui réforme le droit des sociétés en introduisant un statut nouveau d’ « entreprise à mission » par l’insertion d’une « raison d’être » dans les statuts de la société. Cette forme nouvelle de société pose la question des parties prenantes en mesure de prendre part à cette détermination de la « raison d’être », d’en contrôler la mise en œuvre, en interrogeant là encore qui est à l’intérieur et qui est à l’extérieur de l’entreprise, qui concourt au bien commun dont entend se revendiquer l’entreprise et qui doit, à cet égard, bénéficier de ses fruits. Les négociations autour de la participation salariée (Crifo & Rebérioux, 2019), des pouvoirs conférés aux salariés dans les conseils d’administration en envisageant les entreprises comme des « entités politiques » (Ferreras, 2017), mais aussi des autres parties-prenantes dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises, sont autant de moments de délibérations sur les contours de l’entreprise et ses acteurs. On peut également se demander jusqu’à quel point les relations entre une filiale et sa holding font l’objet de négociation sur le gouvernement de l’entreprise (corporate governance), entre les représentants des actionnaires au sein de la holding, et les managers de la filiale. C’est donc ici le contour même de l’entreprise, et de ce qui la compose, qui constitue l’objet, mais aussi l’enjeu, des négociations.

Enfin, dans une dynamique de globalisation et plus particulièrement d’européanisation des acteurs économiques, l’entreprise peut devenir le lieu de négociations collectives transnationales portant sur les cadres et les fonctions d’un futur comité d’entreprise européen ou encore, à une échelle plus large, sur des seuils minimaux internationaux en matière de conditions de travail. Alors que les négociations ne sont pas obligatoires au sein des groupes internationaux à une échelle internationale, certains groupes mettent en place des espaces délibératifs au niveau mondial (Edwards et al., 2016) qui conduisent à l’adoption d’accords- cadres mondiaux ou européens (Hennebert & Bourque, 2010). Ces accords-cadres interrogent, là encore, les contours de l’entreprise en rapprochant des établissements aux géographies, cultures et législations variées, conduisant à dessiner l’entreprise au niveau international sur la base d’un socle commun de droits vu parfois comme l’esquisse d’une «constitutionnalisation» de l’entreprise au-delà de l’État-nation (Kirat 2020). Celle-ci, toutefois, peut être perçue comme concurrente à l’égard de l’entreprise inscrite dans un cadre légal et conventionnel établi au sein d’un État. Se pose alors ici la question du périmètre pertinent au sein duquel peuvent ou non se déployer les rapports entre pouvoir et contre- pouvoir.

La revue Négociations publiera en 2021 un numéro spécial « Penser les négociations pour penser l’entreprise ». Dans cette perspective, elle lance un appel à des contributions qui, analysant des processus de négociation et s’inscrivant dans un ou plusieurs de ces axes, permettent d’interroger, conceptualiser ou revisiter les contours contemporains de l’entreprise.

La revue Négociations s’intéresse aux enjeux de négociation dans la diversité de ses dimensions. Elle favorise la confrontation disciplinaire entre sociologie, économie, sciences de gestion, sciences politiques, droit, relations industrielles... Elle est ouverte à des contributions en français sur des cas nationaux (français et étrangers) et/ou proposant des comparaisons internationales. Les articles articulant plusieurs ancrages (disciplinaires ou géographiques) et reposant sur des enquêtes empiriques sont particulièrement les bienvenus. La revue Négociations est destinée tant aux cadres et aux praticiens qu’aux chercheurs et aux enseignants.

Modalités pratiques d'envoi de propositions

Les articles, d’une longueur de 45 000 signes, sont à adresser aux coordinateurs du numéro spécial : Claude Didry (claude.didry@ens.fr) ; Camille Dupuy (camille.dupuy@univ- rouen.fr) ; Denis Giordano (giordano.denis@gmail.com) ; Jules Simha (jules.simha@parisdescartes.fr),

pour le 1er juin 2021

pour une publication à l’automne 2021.

La revue accueille des articles académiques, des articles issus de praticiens et praticiennes, des grands entretiens ainsi que des recensions d’ouvrages et notes critiques. La revue accueille également des articles hors dossier thématique autour des relations d’emploi et des relations internationales, à adresser à arnaud.stimec@sciencespo-rennes.fr.

Les consignes relatives à la mise en forme des manuscrits sont consultables ici : https://www.cairn.info/docs/Conseils_aux_auteurs-Negociations_2020.pdf. La taille maximale est portée de 35 000 à 45 000 signes.

Coordinateurs du numéro

  • Claude Didry (claude.didry@ens.fr) ;
  • Camille Dupuy (camille.dupuy@univ- rouen.fr) ;
  • Denis Giordano (giordano.denis@gmail.com) ;
  • Jules Simha (jules.simha@parisdescartes.fr),

Références

  • Crifo P., Rebérioux A., 2019, La participation des salariés, Paris, Presses de Sciences Po. Didry C., Jobert A., 2010, L’entreprise en restructuration, Dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, Rennes, Presses universitaires de Rennes. Dupuy C., 2010, « L’entreprise de presse en conflit. Libération et Le Monde en restructuration », Travail et Emploi 124, 29-42.
  • Edwards T., Sanchez-Mangas R., Jalette P., Lavelle J., Minbaeva D., 2016, “Global Standardization or National Differentiation of HRM Practices in Multinational Companies? A Comparison of Multinationals in Five Countries”, Journal of International Business Studies 47(8), 997-1021.
  • Favereau O. (dir.), 2016, Penser le travail pour penser l’entreprise, Paris, Presses des Mines. Ferreras I., 2017, Firms as Political Entities. Saving Democracy through Economic Bicameralism, Cambridge University Press.
  • Hennebert, M., Bourque, R., 2010, «Mondialisation et négociation sociale dans les entreprises multinationales : la négociation de l'accord mondial Quebecor World», Négociations, 14(2), 5-20. INSEE, 2019, « Les entreprises en France », INSEE Référence, en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4256020.
  • Jeammaud A., Kirat T., Villeval M.-C., 1996, « Les règles juridiques, l’entreprise et son institutionnalisation : au croisement de l’économie et du droit », Revue internationale de droit économique, 99-140.
  • Jobert A., Combrexelle J.-D., Legrand H.-J., 2017, « Loi et négociation collective : un débat (encore) d’actualité », Négociations 28 (2), 73-98.
  • Kirat T., 2020, « L’entreprise, le nouveau constitutionnalisme et les pouvoirs privés. Nouveaux regards (critiques) sur l’entreprise et le droit », Chassagnon V., Dutraive V. (dir.), Économie politique institutionnaliste de l’entreprise. Travail, démocratie et gouvernement, Paris, Garnier, 287-301
  • Lyon-Caen A., 2014, « Le droit sans l’entreprise », Segrestin B., Roger B., Vernac S. (éd.), L'entreprise: Point aveugle du savoir, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 21-31.
  • Sainsaulieu R. (dir.), 1990, L’entreprise, une affaire de société, Paris, Presses de Sciences Po.
  • Segrestin D, 1996, Sociologie de l'entreprise. Paris, Armand Colin.
  • Segrestin B., Hatchuel A., 2012, Refonder l'entreprise, Paris, Seuil.
  • Segrestin B., Roger B., Vernac S. (éd.), L'entreprise: Point aveugle du savoir, Auxerre, Éditions Sciences Humaines.
  • Thuderoz C., 1997, Sociologie des entreprises, Paris, La Découverte.

www.cairn.info/revue-negociations.htm


Dates

  • mardi 01 juin 2021

Mots-clés

  • négociation collective, dialogue social, entreprise

Contacts

  • Denis Giordano
    courriel : giordano [dot] denis [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Denis Giordano
    courriel : giordano [dot] denis [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Penser les négociations pour penser l’entreprise », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 10 février 2021, https://doi.org/10.58079/15zx

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