AccueilDes contrats de plus en plus courts ?

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Des contrats de plus en plus courts ?

Shorter and shorter contracts?

Mesurer et comprendre la diversité des usages des contrats courts, par les employeurs et les salariés

Measuring and understanding the diversity of use of short contracts, by the employers and salaried

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Publié le lundi 01 mars 2021

Résumé

Alors que le contrat à durée indéterminée (CDI) reste, en France, prédominant dans l’ensemble des emplois, la majorité des embauches s’effectue sur des formes d’emploi à durée limitée. Le raccourcissement de la durée s’accompagne d’un accroissement des cas de réembauche par un ancien employeur, la majorité de ces contrats étant donc concentrée sur une minorité de travailleurs, renforçant la dualité du marché du travail français. Dans cette perspective, la revue Travail et Emploi souhaite interroger cet accroissement de contrats courts, et dont la durée diminue, en s’intéressant à la fois à la diversité des pratiques des employeurs et à ses conséquences sur les parcours professionnels des salariés en les situant dans des contextes législatifs et institutionnels changeants.

Annonce

Argumentaire

Alors que le contrat à durée indéterminée (CDI) reste, en France, prédominant dans l’ensemble des emplois, la majorité des embauches s’effectue sur des formes d’emploi à durée limitée. Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’accentue nettement : les contrats de moins d’un mois représentaient 70 % des embauches en 2017, contre 64 % en 2010 et 48 % en 2000[1]. Surtout, les durées de ces contrats sont de plus en plus courtes : la durée médiane des contrats à durée déterminée (CDD) a ainsi été divisée par quatre entre 2000 et 2017, passant de plus de 20 jours à 5 jours. Ce raccourcissement de la durée s’accompagne d’un accroissement des cas de réembauche par un ancien employeur, la majorité de ces contrats étant donc concentrée sur une minorité de travailleurs, renforçant la dualité du marché du travail français[2]. Si plusieurs publications et rapports récents[3] ont commencé à explorer les origines de ces évolutions, leurs résultats invitent surtout à poursuivre la réflexion. Dans cette perspective, la revue Travail et Emploi souhaite interroger cet accroissement de contrats courts, et dont la durée diminue, en s’intéressant à la fois à la diversité des pratiques des employeurs et à ses conséquences sur les parcours professionnels des salariés en les situant dans des contextes législatifs et institutionnels changeants.

Axes thématiques

De manière non exhaustive, plusieurs axes de questionnement pourront être développés dans le cadre de cet appel à contributions ouvert du point de vue disciplinaire (sociologie, économie, droit, sciences de gestion, science politique, histoire), et méthodologique (entretiens, observations, archives, données quantitatives).

1. Droit du travail, réformes de l’assurance chômage et politiques de l’emploi

Si la conjoncture économique joue un rôle dans la croissance du recours aux différents types de contrat, des facteurs institutionnels doivent être pris en compte pour comprendre l’évolution des flux et de la durée des contrats courts depuis le début des années 2000. Deux de ces facteurs tiennent aux spécificités du droit du travail français : les possibilités de recours aux CDD d’usage (CDDU) ont été étendues à de nouvelles branches d’activité au cours des années 2000 (Coquet et Heyer, op. cit.) ; la rigidité des règles juridiques entourant l’utilisation notamment des CDI inciterait les employeurs à embaucher en CDD[4]. Ce dernier argument pourrait être mobilisé pour comprendre plus spécifiquement la croissance des contrats CDD de moins d’un mois. Mais audelà du contrat de travail, d’autres réglementations de l’emploi ne joueraient-elles pas un rôle dans ces évolutions, telles que les règles encadrant la durée légale du travail, le temps de repos, ou encore les heures supplémentaires ?

Du côté des politiques publiques, les principales réponses apportées jusqu’ici portent sur l’assurance chômage, et s’inscrivent dans la sphère de la protection sociale plutôt que dans celle des politiques d’emploi. La généralisation récente de l’expression « contrats courts » dans les publications de la statistique publique reflète d’ailleurs sans doute à la fois l’explosion de leur part dans les recrutements et leur mise à l’agenda des politiques publiques en tant que « problème » contribuant au déficit de l’assurance chômage[5] que des travaux d’économie politique, de science politique ou de sociologie des acteurs publics pourraient expliquer. Par ailleurs, des analyses en termes de qualité de l’emploi se sont aussi développées durant la même période : comment cette perspective rend-elle compte de ces contrats courts ? Des contributions pourraient ainsi interroger des dispositifs de politique de l’emploi – le portage salarial en est l’un des avatars – en tant que réponses, plus ou moins efficaces, aux risques liés à la qualité des emplois salariés.

2. Diversité des pratiques des employeurs

Si les CDDU expliquent une partie des recours aux contrats courts dans les secteurs d’activité où ils peuvent être utilisés (arts, spectacles et activités récréatives ; hébergement et restauration), il reste qu’ils ne s’appliquent pas à d’autres secteurs pourtant fortement contributeurs à cette croissance, comme les activités pour la santé humaine, ou les services administratifs et de soutien. C’est donc le contexte structurel des entreprises et des administrations qu’il faut interroger, avec l’objectif de différencier leurs pratiques selon leurs caractéristiques – en premiers lieux, le secteur d’activité et la taille. Du côté des variations sectorielles, partiellement documentées sur le plan statistique[6], des enquêtes de terrain pourraient s’intéresser plus précisément aux mécanismes du recours aux contrats de moins d’un mois. Sans exclure l’existence de pratiques hétérogènes au sein d’un même secteur, l’hébergement médico-social et l’action sociale, les arts, spectacles et activités récréatives, l’hébergement et la restauration, et les activités de services administratifs et de soutien, qui représentent 80 % de la croissance de ces contrats entre 2000 et 2017, ont-ils des points communs en termes de niveau d’incertitude de la demande, de type de main-d’œuvre ou d’activités de travail ? Le recours aux contrats d’une durée relativement courte dans le secteur public pourrait par ailleurs être l’objet d’un développement particulier pour en identifier des spécificités. Concernant la taille, les recherches académiques et les politiques publiques opposent souvent « petites » et « grandes » entreprises, mais cette répartition recouvre en réalité deux catégories bien plus hétérogènes, tant sur le plan des caractéristiques que des pratiques – les petites entreprises, les plus nombreuses, étant souvent exclues du champ des grandes enquêtes de la statistique publique. Au-delà du secteur et de la taille, d’autres caractéristiques des entreprises et des administrations pourraient être mises en avant pour comprendre la diversité de leurs pratiques : spécificités du territoire en termes de main-d’œuvre ou de contextes socio-productifs, ou encore politiques territoriales différentes face à ces enjeux, etc.

3.  Stratégies de GRH et gestion des contrats courts

Pour dépasser ces différences en termes de tailles et secteurs, prises isolément, des approches socio-économiques et/ou de sciences de gestion articulant ces caractéristiques structurelles avec des dimensions de l’ordre de la stratégie économique et des politiques de gestion de la maind’œuvre, permettraient d’enrichir la compréhension de l’usage des contrats par les employeurs privés et publics. En particulier, les stratégies de gestion des ressources humaines (GRH) et le recours à tel ou tel type de contrat répondent à des environnements économiques et des besoins variés. Les contrats temporaires répondent-ils à des besoins ponctuels ou limités dans le temps – et donc non substituables aux emplois en CDI[7] ? Les contrats courts sont-ils l’une des formes les plus récentes de la recherche de flexibilité et de réduction des coûts pour les entreprises et les administrations ? Traduisent-ils la réticence des employeurs vis-à-vis d’une relation salariale stable dans un environnement plus contraignant et incertain ? Il semble que le recrutement en CDD ou en intérim répond également, et parfois en même temps, à d’autres usages, eux aussi communément répandus. On pourrait ainsi se demander s’ils font office de période d’essai étendue, destinée à évaluer les compétences des salariés comme cela est fréquemment évoqué dans la littérature[8], ou bien s’ils correspondent parfois à des façons de recruter spécifiques à certains métiers, voire ancrées dans des « habitudes »[9] comme pourrait le laisser penser le poids des réembauches évoqué plus tôt.

Une perspective en termes de GRH vise aussi à étudier les contrats courts parmi les autres outils de flexibilité externes (emplois aidés) ou internes (heures supplémentaires) qui sont à disposition des employeurs. Sont-ils complémentaires, ou au contraire mobilisés de manière exclusive ?

Dans quelles mesures des pratiques alternatives aux contrats courts, comme les entreprises en temps partagé ou les groupements d’employeurs, ou encore les « pools » de remplaçants internes, sont-elles mobilisées par les entreprises et collectivités publiques ? Enfin, on peut enquêter sur la gestion concrète des salariés en contrats courts par les responsables des ressources humaines. Comment un « petit patron » gère-t-il par exemple sa main-d’œuvre, notamment ses salariés en contrats courts, par rapport à un service de GRH structuré, dans une entreprise plus grande ? D’après les exploitations de l’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer)[10], ainsi que celles de l’enquête du Credoc[11], lorsque l’usage est intense, les salariés en contrats courts (moins de trois mois ou moins d’un mois) sont recrutés dans l’urgence en puisant dans un « vivier » de salariés déjà testés et prêts à l’emploi ; ils sont aussi gérés à court terme, de manière standardisée. Mais comment ces viviers sont-ils constitués et entretenus, en pratique ? Quels sont les profils recherchés selon les secteurs, et sont-ils disponibles parmi la main-d’œuvre vacante sur les marchés du travail locaux ? Quelles relations les entreprises entretiennent-elles avec Pôle emploi dans leurs pratiques de recherche et de recrutement de cette main-d’œuvre ?

4. Parcours professionnels des salariés en contrats courts

Finalement, la crise sanitaire actuelle nous rappelle avec force que les salariés en contrats courts constituent le premier levier d’ajustement des effectifs pour les entreprises et les collectivités publiques, et donc la population touchée la première en temps de crise. Dans la continuité de la littérature tant économique que sociologique, peut-on identifier des conséquences particulières des contrats de courte durée sur les trajectoires ou parcours professionnels des salariés ? Quelle place occupent-ils dans ces parcours : tremplin, trappe, revenu d’existence ou complémentaire, etc ? Si l’on peut faire l’hypothèse d’une forte hétérogénéité dans la population des salariés en contrats courts, encore faut-il la documenter précisément par des données quantitatives ou qualitatives, en identifiant notamment des variations par âge, par sexe ou par niveau de qualification ou encore par ancienneté sur le marché du travail. Une approche compréhensive plus qualitative viserait aussi à saisir les expériences des travailleurs concernés par ces contrats courts. Le sens attribué à ces contrats précaires par nature est nécessairement différent selon le moment de la vie active d’un individu : « job alimentaire », emploi « d’attente » sur un marché segmenté ou pour un autre motif, emploi « choisi » pour diverses raisons, emploi « de transition », etc.[12]. Cela questionne plus fondamentalement le rapport subjectif de chaque individu à l’emploi et au travail. Pourquoi ces travailleurs acceptent ces emplois de courte durée : forment-ils un nouveau « précariat[13] » aux marges du marché du travail, « version 2020 » des outsiders ; ou certains sont-ils de nouveaux « sublimes[14] » qui font le choix de leurs employeurs et de leurs contrats et tirent profit de tensions sur certains marchés du travail qualifié ? En lien avec le contexte institutionnel mentionné dans le premier axe, un intérêt particulier pourra être porté dans ces questionnements sur la place de ces travailleurs enchaînant, si ce n’est cumulant, contrats courts et chômage indemnisé – souvent qualifiés de « permittents ».

Modalités de réponse et calendrier

Les contributeur·trices sont invité·es dans un premier temps à proposer une intention d’article de 5 000 à 7 000 signes environ (3 à 4 pages) présentant clairement la question de recherche étudiée, les sources et matériaux utilisés, les outils d’analyse mobilisés et les résultats attendus. Ces intentions sont à envoyer

pour le 21 juin 2021

par courriel, en pièce jointe, à la rédaction de la revue travail.emploi@travail.gouv.fr et aux coordinatrices :  aurelie.peyrin@univ-amu.fr ; camille.signoretto@u-paris.fr ; carine.ollivier@univ-rennes2.fr.

Une réponse leur sera apportée au plus tard à la fin du mois de juillet 2021 et les auteurs et autrices dont les projets auront été retenus devront ensuite envoyer leur article complet au format Word (ou équivalent) pour le 22 novembre 2021. Pour plus de détails sur le format des articles et les attendus de la présentation, vous pouvez consulter les articles « Recommandations aux auteurs » et « Normes graphiques » sur le site de la revue.

Les articles feront l’objet d’une évaluation par des rapporteur·trices extérieur·es au comité de rédaction, selon la procédure en vigueur (voir la rubrique « Procédure d’évaluation »).

Coordination scientifique

  • Aurélie Peyrin (LEST, Aix-Marseille Université),
  • Camille Signoretto (LADYSS, Université de Paris ; CEET ; LEST)
  • Carine Ollivier (LiRIS, Université Rennes 2)

Références

[1] Sur le champ des DPAE (déclarations préalables à l'embauche) hors intérim adressées aux Urssaf, cf. Bornstein A. et Perdrizet W. (2019), « Le développement des contrats de très courte durée en France », Trésor-éco, n°238.

[2] En moyenne, en 2012, 82 % des embauches en CDD de moins d’un mois (hors contrats d’intermittence du spectacle) étaient des réembauches ; et 3 % des personnes embauchées en 2012 concentrent 50 % de la réembauche ; cf. Benghalem H. (2016), « La majorité des embauches en contrats courts se font chez un ancien employeur », Éclairages, n° 14, janvier.

[3] Crédoc-Unédic (2018), « Le recours aux contrats courts, enquête qualitative auprès des employeurs menée en 2017-2018 », enquête réalisée par le Crédoc, Éclairage Unédic, octobre 2018 ; Coquet B. et Heyer E. (2018), Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l'assurance chômage, Rapport rédigé à la demande de la Délégation sénatoriale aux entreprises, Paris, OFCE, Sénat, décembre 2018.

[4] Cahuc P. et Kramarz F. (2004), De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, Rapport au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie et au ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, Paris, La Documentation française.

[5] Baghioni L., Lamanthe A., Louit-Martinod N., Méhaut P., Peyrin A. et Signoretto C. (2020), Employeurs et salariés au cœur de l’usage croissant des contrats courts : une enquête dans trois secteurs sur trois territoires en région PACA, Rapport pour la Dares, LEST.

[6] Coquet et Heyer, 2018, op.cit.

[7] Bergeat M. et Rémy V. (2017), « Comment les employeurs recrutent-ils leurs salariés ? », Dares analyses, n° 064 ; Rémy V. (2017), « Pourquoi les employeurs choisissent-ils d’embaucher en CDD plutôt qu’en CDI ? », Dares analyses, n° 070 ; Crédoc-Unédic (2018), op.cit.

[8] Givord P., Wilner L. (2015), « When does the stepping stone work? Fixed‐term contracts versus temporary agency work in changing economic conditions », Journal of Applied Econometrics, vol. 30, n° 5, pp.787‐805.

[9] Rémy (2017), op. cit.

[10] Rémy (2017), op. cit.

[11] Crédoc-Unédic (2018), op.cit.

[12] Nicole-Drancourt C. (1992), « L’idée de précarité revisitée », Travail et Emploi, n° 52, pp. 57-70 ; Cancé R. (2002), « Travailler en contrat à durée déterminée : entre précarité contrainte, espoir d'embauche et parcours volontaire », Travail et Emploi, n°89, pp. 29-44.

[13] Castel R. (2007), « Au-delà du salariat ou en deçà de l’emploi ? L’institutionnalisation du précariat ? », in Paugam S. (dir.), Repenser la solidarité : l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, pp. 415-433 ; Standing G. (2017), Le Précariat. Les dangers d’une nouvelle classe, Paris, Les Éditions de l’Opportun.

[14] Gazier B. (2003), Tous « sublimes ». Vers un nouveau plein-emploi, Paris, Flammarion.


Dates

  • lundi 21 juin 2021

Mots-clés

  • travail, emploi, contrats courts, interim, CDD

Contacts

  • Aurélie Peyrin
    courriel : aurelie [dot] peyrin [at] univ-amu [dot] fr
  • Carine Ollivier
    courriel : carine [dot] ollivier [at] univ-rennes2 [dot] fr
  • Magali Marcille
    courriel : travail [dot] emploi [at] travail [dot] gouv [dot] fr
  • Camille Signoretto
    courriel : camille [dot] signoretto [at] u-paris [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Carine Ollivier
    courriel : carine [dot] ollivier [at] univ-rennes2 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Des contrats de plus en plus courts ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 01 mars 2021, https://doi.org/10.58079/1650

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