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Did you say “gentrification policies”?
Vous avez dit « politiques de gentrification » ?
“Métropoles” Journal
Revue « Métropoles »
Published on Wednesday, May 26, 2021
Abstract
Ce numéro thématique vise à réunir des analyses qui interrogent comment et par qui se construisent des politiques visant à mettre en place, à l’échelle locale, les conditions de possibilité de processus de gentrification, sur un plan matériel, juridique ou symbolique. C’est en ce sens que nous proposons de poser la notion de 'politiques de gentrification' comme catégorie de politique urbaine – de la même manière qu’un numéro antérieur de Métropoles l’avait fait pour les politiques de peuplement (Desage, Morel Journel et Sala Pala, 2013).
Announcement
Argumentaire
Dans la désormais très vaste littérature internationale consacrée aux processus de gentrification, « l’idée que les pouvoirs publics jouent un rôle crucial dans la promotion ou l’empêchement de la gentrification des quartiers est aujourd'hui devenue un fait communément admis » (Bernt, 2012, p. 3045). Pour autant, beaucoup de questions restent ouvertes au sujet des relations entre gentrification et politiques publiques. L’analyse de ces relations pose d’emblée une difficulté importante : comment comprendre en termes de gentrification des politiques publiques qui, sauf rares exceptions, n’en affichent jamais l’intention, voire s’en défendent explicitement ? Ainsi, Chabrol et al. (2016, p. 169) soulignent que « [s]i nous nous en tenons à ce que les acteurs publics en disent, il semble difficile de parler de ‘stratégies politiques de gentrification’ dans les trois villes considérées [dans leur analyse, à savoir Grenoble, Lisbonne et Barcelone] ». Leur recherche, comme d’autres (Kim & Wu, 2021 par exemple), se consacre dès lors à analyser les effets de diverses politiques publiques ou projets urbains au prisme de la gentrification, interrogeant l’évolution du peuplement, des structures commerciales ou des attributs symboliques d’espaces locaux concernés par ces actions publiques. Leurs conclusions permettent d’établir que « de nombreuses politiques urbaines, menées à des époques différentes, contribuent à l’émergence de processus de gentrification, sans que cet objectif soit assumé explicitement » (ibidem, p. 189).
En revanche, cette approche ne permet pas de s’interroger sur l’intégration de logiques de gentrification en amont de la mise en œuvre des politiques publiques, dans la définition de leurs destinataires, de leurs instruments ou de leurs périmètres d’intervention (voir Colomb, 2006 ; Clerval et Fleury, 2009 ; Rousseau, 2010 ; Miot, 2013 ; Van Criekingen, 2013 par exemple). En ce sens, ce dossier thématique propose de rouvrir la question des relations d’ordinaire implicites entre politiques publiques et gentrification en concevant la possibilité de « politiques de gentrification », même en l’absence d’explicitation d’intentions de gentrification dans les discours des acteurs. Dans une approche similaire, Lees, Shin & López‐Morales (2016, p. 114) parlent de « gentrification policies without that name ». Il s’agit, en d’autres termes, de compléter l’analyse de la gentrification comme effet de politiques urbaines par l’analyse de la gentrification comme option de politiques urbaines.
De la state-led gentrification aux politiques de gentrification
Les analyses des processus de gentrification ont très tôt souligné le rôle d’accompagnement voire d’accélération joué par certaines politiques publiques (N. Smith 1979 ; Zukin, 1982 ; A. Smith, 1989). Néanmoins, ce n’est qu’au début des années 2000 qu’émerge l’idée de logiques de gentrification intégrées à l’action publique (Hackworth & Smith, 2001; Aalbers, 2018), en parallèle à l’essor des travaux sur la néolibéralisation des politiques publiques (Brenner & Theodore, 2002 ; Pinson, 2020). Un jalon important est alors posé par le géographe Neil Smith, qui formule la thèse de la généralisation d’une conception de la gentrification comme solution politique à une série de problèmes publics (concentration spatiale de populations précaires ou racisées, déficit d’attractivité métropolitaine, sentiment d’insécurité…) (Smith, 2002 ; Albet & Benach, 2017). Neil Smith conçoit en ce sens l’existence de stratégies de gentrification et en détaille les contours singuliers – qu’il qualifie de « revanchistes » – dans le cas de New York au cours des années 1990 (Smith, 1996).
Par ailleurs, le début des années 2000 a également marqué l’entame d’une forte internationalisation du champ des gentrification studies, nourrie par la multiplication de travaux menés dans des contextes urbains très différents de ceux à partir duquel le concept fut initialement forgé. La notion de « state-led gentrification » y est couramment mobilisée pour documenter comment des processus de gentrification sont instrumentalisés ou institutionnalisés dans le cadre de projets, de plans ou de programmes d’action publique (La Grange & Pretorius, 2016 ; Yetiskul & Demirel, 2018 ; Mösgen et al., 2019 ; Shmaryahu-Yeshurun & Ben-Porat, 2020 par exemple). Définie comme « une forme de gentrification planifiée, dirigée ou soutenue par des organismes publics de niveau national, régional, métropolitain ou municipal dans le cadre d’un programme de restructuration à l’échelle nationale ou locale visant à créer des conditions urbaines et foncières spécifiques telles qu’une gentrification puisse se produire » (López‐Morales, 2019 – notre traduction), cette notion n’a pas, à notre connaissance, d’équivalent francophone. Ainsi posée, elle permet donc de nommer une forme de gentrification activement soutenue par l’action publique. Elle paraît toutefois moins opérante s’il s’agit de cerner une catégorie de politique urbaine. C’est cette dernière perspective que nous désirons privilégier pour ce dossier thématique.
En d’autres termes, ce dossier vise à réunir des analyses qui interrogent comment et par qui se construisent des politiques visant à mettre en place, à l’échelle locale, les conditions de possibilité de processus de gentrification, sur un plan matériel, juridique ou symbolique. C’est en ce sens que nous proposons de poser la notion de politiques de gentrification comme catégorie de politique urbaine – de la même manière qu’un numéro antérieur de Métropoles l’avait fait pour les politiques de peuplement (Desage, Morel Journel et Sala Pala, 2013).
Directions de recherche
Nous voulons rassembler dans ce dossier thématique des analyses qui permettent d’éprouver la catégorie de politique de gentrification ainsi posée, à partir d’analyses situées dans différents contextes urbains. Plusieurs entrées peuvent être envisagées pour ce faire.
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Entrée par les acteurs
Qui sont, parmi les acteurs publics, les protagonistes des politiques de gentrification ? Qui les conçoit, les construit ou les administre, et comment ? Avec quels autres acteurs ceux-ci interagissent-ils pour l’élaboration ou la conduite de ces politiques (entreprises, acteurs de la finance ou de l’immobilier, fondations, associations, collectifs…) ? Au-delà de l’identification des acteurs concernés, il s’agit d’interroger la gouvernance des politiques de gentrification. S’établissent-elles comme des stratégies réfléchies, voire planifiées, ou plutôt par la pratique, au gré d’opportunités ou de circonstances particulières ? Reposent-elles systématiquement sur la constitution de « coalitions de croissance » (Rousseau, 2010) ? Peut-on observer des influences exogènes sur la mise en politique de la gentrification à l’échelle locale (modèles d’urbanisme, bonnes pratiques, cas exemplaires…) ?
Une entrée par les acteurs pourra également mener à interroger la généalogie de politiques de gentrification, dans divers contextes. Comment ces politiques sont-elles construites et selon quelles temporalités ? Quel est leur degré de pérennité ou, au contraire, d’instabilité ?
De même, on pourra proposer une analyse des assises électorales de ces politiques : quels liens peut-on établir entre des structures électorales locales et leurs recompositions, et l’élaboration, le développement ou l’abandon de politiques de gentrification ?
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Entrée par les modes d’action publique
Quels sont les instruments et les domaines d’action publique mobilisés dans les politiques de gentrification ? Plusieurs travaux ont souligné le caractère souvent décisif d’interventions sur le domaine foncier (révisions de plans de zonage, levée de contraintes urbanistiques, expropriations…) (Charnock, et al., 2014). D’autres ont pointé le rôle de programmes de rénovation urbaine (La Grange & Pretorius, 2016), de grands projets culturels (Vicario & Martinez Monje, 2003), politiques d’attractivité touristique (López‐Gay, et al., 2021) ou de grands événements (Watt, 2013). D’autres encore ont souligné le rôle de mécanismes de financiarisation des politiques urbaines (Weber, 2010 ; Guironnet, et al., 2016). De même, on pourra s’interroger sur le rôle de politiques environnementales (en matière de végétalisation, d’agriculture urbaine…), de programmes d’équipement (transports publics, stades…) ou d’occupations temporaires de sites désaffectés, d’opérations de réaménagement d’espaces publics (mise en piétonnier, aménagements cyclables…), de politiques du patrimoine ou encore des dispositifs mêlant urbanisme et police.
Des analyses interrogeant la mise en cohérence, dans une optique de gentrification, de différents registres d’action publique (logement, commerce, environnement, patrimoine, culture, tourisme…) sont également bienvenues, de même que des travaux questionnant les paradoxes ou les contradictions entre différentes politiques menées de concert sur les mêmes espaces dans des contextes de gentrification.
Plus en amont, il s’agit aussi de s’interroger sur les raisonnements qui guident l’élaboration de politiques de gentrification. Quelles transformations urbaines sont-elles précisément recherchées et en vue de quels effets attendus ? Ces raisonnements tablent-ils sur le déplacement d’une partie des populations ou des activités en place ou misent-ils plutôt sur une « adaptation » des subjectivités et des comportements de celles-ci (Paton, 2014) ? Plus généralement, quelles articulations existe-t-il entre politiques de gentrification et politiques de peuplement (Desage, Morel Journel et Sala Pala, 2013) ou politiques de métropolisation (Collectif Degeyter, 2017) ?
On pourra aussi analyser les discours des acteurs publics. Quels thèmes, principes ou mots d’ordre sont-ils mobilisés pour inscrire symboliquement des politiques de gentrification dans le champ de « l’utilité publique » ? Plusieurs travaux ont déjà souligné à ce propos la récurrence des thèmes de la mixité sociale (Tissot, 2011; Bridge, Butler & Lees, 2012) et du développement urbain durable (Checker, 2011), tandis que d’autres ont mis en lumière l’articulation entre lutte contre des stigmates territoriaux et soutien de processus de gentrification (Kallin & Slater, 2014). Il s’agit ici de comprendre par quelles rhétoriques des logiques de gentrification sont constituées en solution de politique publique, en réponse à quels enjeux et à partir de quelles représentations de la gentrification. Par ailleurs, on pourra également proposer des analyses s’attelant à repérer les intentions des acteurs dans des discours plus discrets (documents préparatoires de politiques publiques, compte-rendu de réunions, entretiens…).
Enfin, on pourra s’interroger sur la réflexivité des acteurs publics. Notamment, qu’est-ce qui empêche l’évolution des politiques quand, alors même que les acteurs se défendent explicitement d’objectifs de gentrification, de tels processus sont bel et bien constatés dans les périmètres sujets à l’action publique ?
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Entrée par les espaces
Si certains espaces apparaissent comme des « cibles faciles » pour la gentrification, par leur localisation ou les qualités de leur patrimoine bâti notamment, d’autres aimantent beaucoup moins spontanément les investisseurs, sauf si les risques pris par ceux-ci sont atténués par des interventions externes, sur l’équipement ou l’image des lieux par exemple. L’action publique peut être décisive à cet égard, quand et là où elle permet d’abaisser des barrières matérielles, réglementaires ou symboliques isolant des espaces considérés comme difficilement « gentrifiables » (Hackworth, 2006 ; Loopmans, 2008; Mösgen, Rosol & Schipper, 2019). On pourra ainsi s’interroger sur les dimensions spatiales des politiques de gentrification : quels espaces sont-ils établis en zones prioritaires de l’action publique, à quel moment, au moyen de quels outils et diagnostics, sur la base de quels raisonnements stratégiques, et qui en décide ?
Dans une démarche comparative, on pourra également interroger ce qui différencie, ou rapproche, des politiques de gentrification menées dans des cadres métropolitains ou des villes d’envergure régionale, petites ou moyennes, ou dans des contextes de croissance ou à l’inverse de déclin. Les types d’espaces prioritaires et les catégories de populations ou d’activités ciblées par ces politiques varient-elles d’une ville à l’autre ?
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Entrée par les échecs et les oppositions
Produire les conditions de possibilité de processus de gentrification à l’échelle locale n’implique pas nécessairement, encore moins automatiquement, que ces possibilités soient effectivement saisies. Autrement dit, des politiques de gentrification peuvent échouer, faute de produire un changement urbain effectif. Cette entrée invite donc à interroger les ratés des politiques de gentrification. Qu’est-ce qui peut venir gripper la construction ou la mise en œuvre de telles politiques ? Pourquoi certaines politiques de gentrification ne produisent-elles pas leurs effets attendus ? Quels freins existe-t-il dans le champ de l’action publique (divergences entre acteurs, rivalités entre élus ou administrations…) ?
De même, on pourra interroger les oppositions aux politiques de gentrification. Quelles mobilisations collectives suscitent-elles, sur quelles bases et avec quels résultats ? Ou dans quelle mesure, au contraire, ces politiques produisent-elles du consensus, suscitent l’adhésion, le fatalisme ou l’indifférence parmi les habitants des espaces concernés, en dépit de probables effets néfastes pour une grande part de ceux-ci ?
(les référencces bibilographiques sont à retouver dans la version pdf de l'appel)
Coordination du dossier
L’appel est ouvert à des propositions ancrées dans les différentes sciences sociales qui s’intéressent à la dimension spatiale des sociétés, sans limitation d’aire géographique.
Les textes comprendront entre 8 000 et 10 000 mots, notes et références bibliographies incluses. Chaque article doit être accompagné d’un résumé et de mots-clefs et se conformer aux normes de présentation de la revue (à retrouver ici).
Seuls les articles complets seront pris en compte et évalués selon les modalités d'application pour la revue Métropoles. Néanmoins, les auteurs et autrices qui s’interrogent sur la recevabilité de leur proposition peuvent contacter pour avis les responsables du dossier. N’hésitez pas à nous contacter.
Les articles peuvent être soumis
jusqu’au 15 novembre 2021,
en version électronique par courriel aux deux adresses suivantes : Mathieu.Van.Criekingen (at) ulb.be et anne.clerval (at) univ-eiffel.fr.
Coordination du numéro
Appel à articles pour un dossier thématique de la revue Métropoles coordonné par Anne Clerval (Université Gustave Eiffel) et Mathieu Van Criekingen (Université libre de Bruxelles)
Subjects
Date(s)
- Monday, November 15, 2021
Keywords
- gentrification, politiques urbaines
Contact(s)
- Mathieu Van Criekingen
courriel : Mathieu [dot] Van [dot] Criekingen [at] ulb [dot] be
Reference Urls
Information source
- Mathieu Van Criekingen
courriel : Mathieu [dot] Van [dot] Criekingen [at] ulb [dot] be
License
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To cite this announcement
« Did you say “gentrification policies”? », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, May 26, 2021, https://doi.org/10.58079/16o4