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Ambivalence(s) des frontières

The ambivalence(s) of borders

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Veröffentlicht am Dienstag, 25. Mai 2021

Zusammenfassung

Ce colloque aura pour objectif d’étudier la nature ambivalente des frontières, qui sont autant des points de contact que des obstacles (ce dont atteste l’origine militaire du mot, tiré du latin « frons », « frontis »), qui oscillent entre ouverture et fermeture, inclusion et exclusion. Il étudiera aussi l’évolution des perceptions et représentations entourant une notion complexe et multidimensionnelle, exprimée par la richesse sémantique de la terminologie (en anglais « frontier », « bounds », « boudary », « limits »…), dont l’usage reste parfois flou dans les sciences humaines et sociales. Les contributions pourront aussi effectuer une analyse critique de l’utilisation de cette notion par les sciences sociales qui, en la soustrayant à la dimension concrète qu’elle possède en géographie, opèrent souvent, à travers elle, « par analogie », « par glissement métaphorique », au risque d’une banalisation et d’un dévoiement scientifique.

Inserat

14 et 15 octobre 2021 à Epinal

Argumentaire

Pour sa troisième édition, le CERII (Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires sur l’Imaginaire), dirigé par Céline Bryon-Portet et co-dirigé par Georges Bertin, en partenariat avec les IM&E, la direction des Affaires culturelles de la ville d’Epinal et la Société d’ethnologie française, organise un colloque scientifique sur le thème « Ambivalences des frontières », les 14 et 15 octobre 2021.

Les frontières sont omniprésentes, dans nos vies comme dans nos sociétés, dont elles délimitent les territoires, précisent les identités et régulent les flux. Elles permettent de distinguer, de séparer, de définir, d’établir des contours et de déterminer des périmètres d’action. Extérieures ou intérieures, elles semblent donc consubstantielles à toute existence humaine.

À l’instar de la porte, telle qu’elle fut analysée par Georg Simmel, la frontière a cette double fonction de fermer et d’ouvrir, d’interdire le passage ou au contraire de l’autoriser, d’éloigner ou de réunir : « parce que l’homme est l’être de liaison qui doit toujours séparer, et qui ne peut relier sans avoir séparé – il nous faut d’abord concevoir en esprit comme une séparation l’existence indifférente de deux rives, pour les relier par un pont. Et l’homme est tout autant l’être-frontière qui n’a pas de frontière » (Simmel, 1988). C’est dire toute l’ambivalence dont la notion de frontière est investie. Une ambivalence qui se traduit également par les valeurs contradictoires qui lui sont attachées : considérées comme négatives ou positives, néfastes ou bénéfiques, honteuses ou protectrices, selon les situations, les individus, les pays et les époques, « en fonction des anxiétés collectives » (Fassin, 2012), les frontières sont tour à tour élevées et levées, encensées et critiquées.

Les sociétés modernes occidentales ont été progressivement tentées d’opérer un dépassement de toutes les frontières, matérielles et immatérielles, concrètes ou virtuelles, physiques ou symboliques. Le préfixe « trans » est d’ailleurs à la mode : transnational, transgenre, transidentité, transsexualité, transdisciplinarité, transhumanisme, transculturel… Selon Bruno Chaouat, le « désir TRANS » serait le propre de l’homme si l’on admet, aux côtés d’Albert Camus, que « l’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est » (Chaouat, 2019) ; un désir « TRANS » qui paraît s’être emballé au cours des dernières décennies… Au point que le trans-frontiérisme se mue en sans-frontiérisme.

Pourtant, on n’a peut-être jamais autant parlé des frontières que depuis qu’on a prétendu vouloir les abolir. Ainsi, après avoir rêvé d’habiter, aux côtés de Marshall McLuhan, un « village planétaire », puis réalisé la libre circulation des personnes grâce à la création de l’espace Schengen, certains de nos concitoyens se sont insurgés – aux côtés de Régis Debray (2010) – contre le sans-frontiérisme. D’aucuns ont même bâti des murs entre les pays et aujourd’hui la pandémie de Covid-19 pousse les gouvernements à rétablir des contrôles aux frontières pour enrayer la propagation du virus.

La question du frontiérisme ne saurait se cantonner à une dimension spatiale : les débats autour de la laïcité, les études sur le genre, les communautarismes, l’antispécisme, la crise des identités sociales et culturelles, le posthumanisme, la promotion de la transdisciplinarité, sont autant de sujets qui interrogent les limites, les barrières, les territoires, la dialectique entre le dedans et le dehors, les marqueurs du même et de l’autre…

Ce colloque aura précisément pour objectif d’étudier la nature ambivalente des frontières, qui sont autant des points de contact que des obstacles (ce dont atteste l’origine militaire du mot, tiré du latin « frons », « frontis »), qui oscillent entre ouverture et fermeture, inclusion et exclusion. Il étudiera aussi l’évolution des perceptions et représentations entourant une notion complexe et multidimensionnelle, exprimée par la richesse sémantique de la terminologie (en anglais « frontier », « bounds », « boudary », « limits »…), dont l’usage reste parfois flou dans les sciences humaines et sociales. Les contributions pourront aussi effectuer une analyse critique de l’utilisation de cette notion par les sciences sociales qui, en la soustrayant à la dimension concrète qu’elle possède en géographie, opèrent souvent, à travers elle, « par analogie », « par glissement métaphorique », au risque d’une banalisation et d’un dévoiement scientifique (Mathieu et Rossel, 2019, p.6).

Interdisciplinaire, le colloque explorera trois axes principaux :

Frontières spatiales et matérielles

Parler des frontières spatiales, ce n’est pas tant parler de l’espace que de la façon dont les hommes organisent l’espace pour y faire société. La géographie porte l’empreinte de l’histoire et du droit. Et comme le précise Simmel, « la nécessité des fonctions spécifiquement psychiques des configurations spatiales particulières de l’histoire reflète le fait que l’espace n’est jamais qu’une activité de l’esprit, que la manière humaine de réunir en visions cohérentes des sensations en soi sans lien » (Simmel, 2013, p.600). Aussi faut-il « penser ensemble borders et boundaries, démarcation physique et délimitation sociale » (Fassin, 2012).

Les sociétés traditionnelles se définissaient comme des mondes assez cloisonnés, tant au plan territorial qu’au plan scientifique. Elles privilégiaient une sociabilité de type communautaire caractérisée par une relative clôture vis-à-vis du dehors, des formes plus ou moins accusées d’autarcie et de repli identitaire ; de la même manière, elles transmettaient les savoirs des Anciens sans grande remise en question, comme en témoigne la scolastique, qui reprenait largement la pensée antique d’Aristote durant le moyen âge. La modernité a inversé la tendance, passant d’un « monde clos à l’univers infini » (Koyré, 1973). Les révolutions scientifiques (Galilée, Newton, Leibniz…) et le triomphe du rationalisme, invitant à se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes), les grandes découvertes géographiques (les Amériques), l’idéologie du progrès et les innovations technologiques (les nouveaux moyens de transport qui réduisirent le temps des déplacements et par conséquent les distances, ainsi que les nouveaux moyens de communication), ont ouvert un horizon jadis borné.

Dans ce mouvement d’expansion, les sociétés modernes occidentales ont d’abord oscillé entre un cosmopolitisme qui ambitionnait de transcender les barrières étatiques afin de réaliser les vieilles utopies planétaires, porteuses d’un rêve d’unité et de paix perpétuelle (Mattelart, 2009), et un nationalisme pourvoyeur de frontières. Lorsque s’affaiblirent les logiques impérialistes qui avaient entraîné la colonisation de nombreux territoires et que commença à s’effriter la forme de l’Etat-Nation, ne sembla subsister que le projet de fondation d’une République universelle où chacun deviendrait citoyen du monde…

Création de la Société des Nations, construction de l’Union Européenne, facilitation de la circulation des produits, des biens et des personnes à l’échelle de la planète, internationalisation de la langue anglaise en guise d’espéranto, la mondialisation a pris divers visages, s’est exprimée dans des domaines aussi différents que la défense, l’économie, le politique, la technologie ou encore la culture. Mais la levée des frontières spatiales en a été la pierre angulaire. À cet égard, la chute du mur de Berlin, signant en 1989 la fin d’un monde bipolaire, a représenté un symbole important, puisque pour certains intellectuels, la disparition du « rideau de fer » et l’émergence d’une nouvelle géopolitique marquaient également « la fin de l’histoire », au sens de Fukuyama (1992).

L’homme aurait été désormais appelé à vivre dans un « borderless world » (Ohmae, 1994), un « monde plat » (« the world is flat », Friedman, 2005), si bien qu’on a pu annoncer « la fin de la géographie » (O’Brien, 1992). « Le marché est en passe de réussir là où ont échoué les grands empires et les grandes religions : fusionner l’ensemble des êtres humains dans une communauté globale », déclarait Armand Mattelart (2009). Mais c’est peut-être internet, le réseau des réseaux, cet héritage de l’ARPANET militaire développé par des partisans de la contre-culture américaine, qui a longtemps constitué la véritable utopie libertaire et planétaire (Turner, 2012), l’outil permettant de s’affranchir des frontières géographiques et des restrictions gouvernementales. Comme Bertrand Badie l’a bien résumé, « la modernisation, c’est l’essor du transnational, cette formidable ascension des réseaux transnationaux qui irriguent la scène mondiale en contournant les États-nations, en cisaillant leur souveraineté, en ignorant leur bornage, en transcendant leurs particularités. » (Badie, 1995).

Cependant, l’euphorie sans-frontiériste a fait long feu. La mondialisation, qui n’aurait pas tenu ses promesses, a de nombreux détracteurs. Contestant les thèses de O’Brien, Robert D. Kaplan évoque, dans son livre éponyme, « la revanche de la géographie » (2012) et anticipe des conflits à venir à partir de l’analyse des cartes territoriales et d’une répartition inégale des ressources naturelles. L’utopie numérique, elle aussi, prend des tours dystopiques : trafics d’armes et d’êtres humains sur le dark net ; imposition d’interdits gouvernementaux qui réintroduisent des bornes restrictives et des contrôles techniques (la Chine) ; fracture numérique qui limite l’accès de tous au « global village »…

Au plan international, la problématique des frontières est sensible, notamment avec l’arrivée massive de migrants : ceux de Calais ont provoqué la polémique en France, tandis que l’immigration clandestine a fait germer dans l’esprit de Donald Trump l’idée d’ériger un mur entre le Mexique et les Etats-Unis… La pandémie de Covid-19 modifie également notre rapport aux frontières. Les relations interétatiques ne sont évidemment pas les seules à être en jeu : en 2020 et 2021, nos domiciles mêmes sont devenus de véritables forteresses, avec un confinement (mot tiré du latin « cum », avec, et « finis », limites) qui, lorsqu’il s’applique à des personnes âgées accueillies dans des EHPAD, accentue davantage encore les frontières intergénérationnelles déjà existantes. La gestion de l’espace public – soumis à des règles spécifiques – et des liens que ce dernier entretient ou non avec l’espace privé, est une autre illustration des questions complexes et évolutives dont les États doivent s’emparer : l’exemple relatif au port du voile, interdit à l’école mais autorisé à l’Université, montre bien que plusieurs espaces coexistent, qui délimitent des zones juridiquement distinctes.

Frontières sociales et culturelles

La notion de frontière se trouve au cœur des problématiques identitaires. Les lignes de démarcation entre les individus ou les groupes humains – « nous » versus « eux » –, se révèlent mouvantes et poreuses : les êtres dialoguent, échangent, voyagent ; les cultures se croisent, se mêlent, s’hybrident (Gwiazdzinski, 2016), produisent des créations collectives (Bertin, 2014) ; les groupes ethniques, tout en se distinguent et en s’opposant, interagissent (Barth, 1969, 1995). Pourtant, nombreux sont ceux qui tentent d’essentialiser ces lignes. Nécessaires à toute construction identitaire (Barth, 1969, 1995), ces dernières peuvent devenir dangereuses et destructrices quand elles se figent, se font exclusives et excluantes, promeuvent la haine de l’autre – dont le racisme est l’une des expressions paroxystiques – ou le refus des brassages socioculturels au nom d’une prétendue pureté originelle (Fassin, 2012). La stigmatisation des différences ethniques ou religieuses est source de discriminations voire de massacres, de la St Barthélémy à la guerre du Rwanda, en passant par les camps d’extermination nazis et les génocides du Kosovo (Bruslé et Michalon, 2016).

L’ennemi n’apparaît donc pas toujours comme se tenant à l’extérieur des frontières. « L’ennemi de l’intérieur » (Simmel, 2019) est celui qui, étranger ou natif, est rejeté par sa propre société. Inversement, des groupes peuvent faire le choix de se mettre à l’écart du reste de la société ou être tentés d’édicter des règles spécifiques, contrevenant aux principes et lois constitutionnelles. En France, bon nombre d’enquêtes mettent en évidence des comportements communautaristes (Bacqué et Chemin, 2018) menaçant les fondements de la République dite « une et indivisible ». Des « territoires perdus de la République » (Bensoussan, 2002) au « séparatisme » dont parlent nos politiques, les frontières se transforment parfois en murs au sein d’une même nation.

Moins visibles peut-être, les frontières infranationales n’en sont donc pas moins clivantes : plafond de verre ; logiques corporatistes (Bourdieu, 1989) ; barrières de classes ou de castes (Goblot, 1925 ; Bourdieu et Passeron, 1964 ; Lallement, 2015) également, décelables dans des manières de se vêtir, de s’exprimer, de juger les œuvres culturelles (Bourdieu, 1979), mais probablement plus poreuses, multiformes et complexes qu’on a bien voulu le croire, puisque l’individu, « pluriel », influencé par plusieurs instances socialisatrices et vivant des expériences multiples tout au long de son existence, n’est guère figé dans un rôle unique (Lahire, 1998, 2004).

Frontières spatiales et frontières socioculturelles se confondent souvent, comme cela est le cas avec la ghettoïsation, où espaces fermés, absence de mixité sociale et misère se superposent. Citons encore un exemple : la gestion de l’espace public se heurte à la détermination de normes ayant trait à des pratiques culturelles ; les débats houleux qui ont entouré l’installation de crèches de Noël dans des mairies, gares ou places de villages, au regard du principe de séparation des Eglises et de l’Etat qu’impose la laïcité, prouvent que la frontière entre le domaine cultuel et le domaine culturel est labile, difficile à définir. Enfin la mondialisation, qui fut d’abord envisagée comme un effacement des frontières nationales censé aboutir à une homogénéisation, sinon à une uniformisation des cultures, semble au contraire engendrer, de façon réactionnelle et compensatoire, la réaffirmation des protectionnismes, la résurgence des particularismes locaux, l’enracinement (Bertin, 2014, p.99) et les crispations identitaires.

Mais tandis que perdurent voire se durcissent les barrières socioculturelles et que certains craignent une fragmentation de la société, des mouvements antispécistes luttent pour abattre le « mur entre les espèces » (Lapointe, 2010) tandis que des philosophes examinent déjà les conditions d’avènement du posthumanisme et la rencontre avec l’autre, qu’il soit cyborg ou machine (Besnier, 2012).

Plus que jamais peut-être, la société actuelle, entre cloisonnements et décloisonnements, entretient donc des rapports paradoxaux avec la notion de frontière. Omniprésente, cette dernière est pourtant victime de son succès car celui-ci s’est « accompagné d’un certain brouillage du sens de la notion, au risque d’un amoindrissement de son potentiel heuristique » (Mathieu et Roussel, 2019, p.5).

Frontières symboliques et imaginaires

Les frontières socioculturelles croisent également des frontières symboliques et imaginaires, toute vie sociale étant constituée de rapports, de représentations et de reconnaissance de nature symbolique (Mauss, 1966), toute nation étant le fruit d’un « imaginaire national » (Anderson, 2006) qui en définit les contours.

Les gender studies par exemple, qui distinguent les frontières biologiques, identitaires et socioculturelles (Alessandrin, 2012, 2018), s’intéressent au passage ou à la transgression de ces dernières avec les « transfuges de sexe » (Beaubatie, 2017), ou encore à la violence symbolique des rapports de genre (Delphy, 2007, 2013). Le concept d’« intersectionnalité » introduit en sciences sociales par Kimberlé Crenshaw et présenté comme « croisement des oppressions » (Crenshaw et Bonis, 2005), concernant le genre et la race, met au jour des formes de domination et de discrimination qui résulteraient de l’érection de barrières en partie symboliques. Au sein de l’Université française, ces thèses, associées aux mouvements décolonialistes et indigénistes, sont pourtant loin de faire l’unanimité, les anti-intersectionnalistes accusant à leur tour les chercheurs qui s’en réclament d’être animés par une idéologie racialiste. Les frontières symboliques, en effet, se déplacent en fonction des points de vue adoptés et apparaissent ambivalentes (la controverse et les débats intellectuels qui ont récemment accompagné la parution de l’ouvrage de Stéphane Beaud et de Gérard Noiriel, Race et sciences sociales, en est la preuve).

De cette ambivalence témoigne aussi la figure de l’étranger. Ni d’ici ni d’ailleurs, ni errant ni barbare, dedans et pourtant considéré comme faisant partie du dehors (« extraneus »), installé dans une société tout en y restant à la marge, l’étranger, tel que l’a décrit Simmel (2019), est « cette synthèse de proximité et de distance » qui trace des frontières ambiguës et révèle les rapports symboliques que nouent les membres d’un groupe.

Même les « mondes de l’art » (que Howard Becker refuse de considérer comme un espace clos ou un champ bourdieusien où s’affrontent nécessairement les forces en présence), sont stabilisés par des conventions d’ordre esthétique et matériel qui en définissent les contours symboliques. Et les artistes, dont on pourrait croire que la créativité s’affranchit de tout cadre et de toutes limites, se tiennent plutôt dans une position de négociation permanente avec les autres acteurs et les conventions, balançant entre respect et transgression des normes qui organisent leur monde. Le champ scientifique, lui aussi, se divise en une multitude de disciplines et de sous-disciplines autonomes et délimitées (en dépit de quelque exhortation à pratiquer l’interdisciplinarité, voire à abolir les frontières disciplinaires (Hert et Fleury-Vilatte, 2003 ; Nicolescu, 1996) ), mais dont les lignes évoluent au gré des courants qui les dominent puis s’épuisent, notamment en fonction des échanges culturels. Ainsi des chercheurs notent-ils une actuelle décolonisation des savoirs qui s’inscrit dans une « critique de l’occidentalocentrisme » et qui a « des effets sur le statut des sciences sociales » (Dufoix et Macé, 2019).

Enfin, on ne peut traiter des frontières symboliques sans évoquer le sacré, les deux notions étant intimement liées. Etymologiquement, est « sacré » ce qui est « séparé » (« sacer »), délimité, mis à distance, inviolable ; le « templum » devant lequel se tiennent, sans pouvoir y entrer, les profanes (« pro-fanum ») en atteste. Inversement, le dieu romain des bornes, gardien des limites territoriales et des propriétés foncières, était tellement sacré aux yeux des latins qu’une légende, rapportée par Tite-Live, veut que lorsque Tarquin le Superbe projeta d’expulser du Capitole les divinités qui s’y trouvaient afin d’honorer le seul Jupiter, Terme ou Terminus aurait refusé de quitter les lieux consacrés, demeurant alors aux côtés du dieu souverain ; un signe qui fut interprété comme annonciateur de la stabilité de l’Empire.

Or là encore, les frontières marquant ce qui est sacré de ce qui ne l’est pas sont ténues et fugaces, la limite imaginaire entre le pur et l’impur, le faste et le néfaste, se déplace en permanence (Durkheim, 1912). « Si les dieux chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes nous voyons par contre les choses humaines, mais sociales, la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine y entrer l’une après l’autre » (Hubert et Mauss, in Mauss, 1968, p.16-17). Il convient donc de s’interroger, autant que sur ses permanences, sur les nouvelles frontières du sacré, en ce début de XXIe siècle. On questionnera aussi l’efficacité symbolique des rites qui balisent la société, tracent des seuils imaginaires, imposent des principes d’inclusion / exclusion, transformant ainsi les relations interpersonnelles et les individus, modifiant « le réel en agissant sur la représentation du réel » (Bourdieu, 1982), à l’instar des rites d’institution ou des rites de passage (Van Gennep, 1909), tel le rite initiatique qu’impose la franc-maçonnerie (Bryon-Portet, 2018).

Seront également bienvenues les contributions qui proposeront de penser ensemble les frontières matérielles et les frontières institutionnelles, socioculturelles et symboliques, qui interagissent souvent, comme cela est le cas avec les institutions totales notamment (armées, prisons, hôpitaux psychiatriques…), que certains étudient d’ailleurs aujourd’hui dans la perspective d’une relative « détotalisation » (Rostaing, 2009). Dans ce cadre, il convient de se demander « ce que l’enfermement fait aux processus de catégorisation et, réciproquement, comment les logiques de classification sont transformées, mises à mal ou au contraire renforcées en situation de réclusion » (Bruslé et Michalon, 2016, p.18)

Modalités de soumission et calendrier

Les propositions devront comporter entre 3000 et 5000 signes (espaces compris), être accompagnées d’une bibliographie indicative ainsi que des titres, fonctions et appartenances institutionnelles de leur(s) auteur(s). Les textes sont à adresser à celine.bryon-portet@univ-montp3.fr

avant le 03 juillet 2021.

Ils seront évalués par le comité scientifique, qui livrera le résultat de ses expertises avant le 15 juillet 2021. Une publication des actes est prévue à l’issue du colloque, après évaluation des versions définitives des textes.

Responsabilité scientifique

  • Directrice : Céline Bryon-Portet
  • Co-directeur : Georges Bertin

Comité d’organisation

  • Professeur Céline Bryon-Portet
  • Docteur Jacques Oréfice, co-Président des IM&E, relations extérieures
  • Patrice Lhote, co-Président des IM&E, relations intérieures
  • Stéphane Wieser, directeur du Festival des Imaginales d’Epinal et directeur des Affaires culturelles de la Ville d’Épinal.

Président d’honneur

  • Jean-Jacques Wunenburger (Professeur émérite)

Comité scientifique

  • Georges Bertin (Docteur et chercheur HDR)
  • Jean-Michel Besnier (Professeur émérite, Université Paris-Sorbonne)
  • Christian Bromberger (Professeur émérite, Université d’Aix-Marseille)
  • Céline Bryon-Portet (Professeur des universités à Montpellier, Société d’ethnologie française)
  • Bruno Chaouat (Professeur des universités, University of Minnesota – USA)
  • Yves Chevalier (Professeur émérite, Université de Bretagne Sud)
  • Florence Dravet (Professeur émérite, Université catholique de Brasilia, Brésil)
  • Lauric Guillaud (Professeur émérite, Université d’Angers)
  • Audrey Higelin (Docteure, Société d’ethnologie française)
  • Damien Karbovnik (Maître de conférences, Université de Strasbourg)
  • Bernard Lahire (Professeur des universités, Ecole normale supérieure de Lyon)
  • Yann Le Bihan (Chercheur HDR, Société d’ethnologie française)
  • Véronique Liard (professeur des universités, Université de Bourgogne)
  • Éric MacÉ (Professeur des universités, Université de Bordeaux)
  • Armand Mattelart (Professeur émérite, Université de Paris 8)
  • Anne Monjaret (Directrice de recherche CNRS, Société d’ethnologie française)
  • Emmanuelle Savignac (Maître de conférences HDR, Université de Paris 3 Sorbonne)
  • Annamaria Rufino (professeur des universités, Université de Naples – Luigi Vantivelli, Italie)

Partenariat

IM&E

Société d’ethnologie française (Audrey Higelin)

Bibliographie

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Orte

  • Mairie
    Épinal, Frankreich (88)

Daten

  • Samstag, 03. Juli 2021

Schlüsselwörter

  • frontière spatiale, frontière imaginaire, frontière sociale, frontière culturelle

Kontakt

  • Céline Bryon-Portet
    courriel : celine [dot] bryon-portet [at] univ-montp3 [dot] fr

Informationsquelle

  • Céline Bryon-Portet
    courriel : celine [dot] bryon-portet [at] univ-montp3 [dot] fr

Lizenz

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Zitierhinweise

« Ambivalence(s) des frontières », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Dienstag, 25. Mai 2021, https://doi.org/10.58079/16p5

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