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Les périphéries

Peripheries

146e congrès national des sociétés historiques et scientifiques

146th national congress of historical and scientific societies

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Publié le lundi 05 juillet 2021

Résumé

Étymologiquement parlant, le terme de périphérie renvoie à une circonférence, donc une ligne. Par extension, il peut se définir comme une surface ou comme une épaisseur en bordure d’un objet. Dans une vision territoriale, deux acceptions cohabitent : les parties de territoire les plus proches de ses limites externes ou les parties de territoire éloignées d’un centre. Toutes ces définitions renvoient à une réalité objectivable et mesurable. La relation centre-périphérie est complexe et loin d’être à sens unique selon les logiques de dépendance et la dissymétrie des relations généralement mises en avant. Les périphéries peuvent aussi développer un dynamisme qui leur est propre, car leur position les place aussi au contact avec d’autres influences dont elles peuvent tirer profit. La notion de périphérie est elle-même évolutive puisqu’elle peut être relativisée en changeant d’échelle (par exemple, Strasbourg, périphérie française mais centralité rhénane voire européenne). Elle évolue dans le temps, avec le concept très intéressant de centralité périphérique forgée par les géographes urbains.

Annonce

Présentation

Chaque année, le Comité des travaux historiques et scientifiques organise le Congrès national des sociétés historiques et scientifiques. Lieu de rencontre et d’échange unique dans le paysage de la recherche française, il rassemble environ six cents participants parmi lesquels des universitaires et des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines : histoire, géographie, sciences, ethnologie, anthropologie, préhistoire et protohistoire, archéologie, philologie, histoire de l'art, histoire des sciences, environnement. Il accueille également des jeunes chercheurs (dont c’est parfois la première intervention publique) et des membres de sociétés savantes et associations locales. Le partage des regards, des expériences et des approches méthodologiques explique la singularité des congrès du CTHS.

Argumentaire

Caractérisation des périphéries

étymologiquement parlant, le terme de périphérie renvoie à une circonférence, donc une ligne. Par extension, il peut se définir comme une surface ou comme une épaisseur en bordure d’un objet. Dans une vision territoriale, deux acceptions cohabitent : les parties de territoire les plus proches de ses limites externes ou les parties de territoire éloignées d’un centre. Toutes ces définitions renvoient à une réalité objectivable et mesurable.

Par ailleurs, la périphérie existe pour des objets d’échelles multiples, du local (finages, massifs forestiers ou montagneux, ressources utilisées par les sociétés anciennes, etc.) au mondial (marges des continents ou des océans). Elle vaut aussi bien pour des approches physiques, environnementales qu’humaines. On peut se situer à la périphérie d’objets territoriaux mais aussi de sociétés humaines. Si l’on examine le cas de la France, les périphéries sont multiples : celles des villes-centres (faubourgs, banlieues, zones suburbaines diverses), celles des agglomérations (zones périurbaines) auxquelles il convient d’ajouter les périphéries des départements et celles des régions ainsi que des anciennes provinces, ou encore les marges frontalières du pays ; tous ces espaces présentent des caractéristiques particulières et des évolutions démographiques et socio-économiques spécifiques.

La relation centre-périphérie est complexe et loin d’être à sens unique selon les logiques de dépendance et la dissymétrie des relations généralement mises en avant. Les périphéries peuvent aussi développer un dynamisme qui leur est propre, car leur position les place aussi au contact avec d’autres influences dont elles peuvent tirer profit. La notion de périphérie est elle-même évolutive puisqu’elle peut être relativisée en changeant d’échelle (par exemple, Strasbourg, périphérie française mais centralité rhénane voire européenne). Elle évolue dans le temps, avec le concept très intéressant de centralité périphérique forgée par les géographes urbains. On peut donc avoir une première approche conceptuelle et fonctionnelle.

Thématiques associées :

-Caractériser les situations périphériques, la périphéricité

-Les relations centre-périphérie, entre dépendance et complémentarité

-Périphéries d’un lointain passé, d’hier et d’aujourd’hui

-Zones-tampon, glacis et autres périphéries défensives

Formation des périphéries

L’un des phénomènes majeurs de l’urbanisation contemporaine réside dans le développement de gigantesques agglomérations. Celles-ci ont attiré et attirent encore en masse des migrants venus des campagnes, des villes plus petites ou de l’étranger. Se sont constituées ainsi des banlieues périphériques où s’amassent en nombre les pauvres. L’on pense immédiatement aux grandes métropoles d’Asie du Sud (Bombay, Calcutta, Karachi, New Dehli) et du Sud-Est (Bangkok, Chengdu, Chongqing, Djakarta, Grand Manille, Ho Chi Minh-Ville), d’Afrique (Lagos, Le Caire, Johannesburg) et d’Amérique latine (Bogota, Buenos Aires, Lima, Mexico, Rio de Janeiro, Sao Paulo). Mais les grandes cités nord-occidentales n’ont pas été et ne sont pas exemptes, à l’instar de Paris (banlieue rouge), de Berlin (quartier turc du Kreutzberg) ou d’Amérique du Nord (Nouvelle-Orléans, Saint-Louis). En revanche, les grandes cités ont eu tendance (et l’ont toujours) à absorber leurs périphéries (Paris en 1860, constitution de la Randstadt, connurbation de la Ruhr, développement du grand Londres). Ce qui est vrai en Europe l’est aussi en Amérique du Nord (New York, Grands Lacs, « Zona Metropolitana del Valle de México »), mais aussi en Asie (Tokyo, Séoul, Shanghai, delta de la Rivière des Perles, Pékin-Tianjin, etc.).

Dans la genèse du centre et des périphéries, le rôle des moyens de transport et, de façon plus large, de communication apparaît déterminant, quelle que soit l’échelle considérée. L’effet de désenclavement ou d’ouverture opéré par les voies romaines sur les territoires relevant de l’Empire ou plus tard, par la constitution en France, au XVIIIe et XIXe siècle, d’un très vaste réseau routier est bien connu. L’unité initiale de l’Empire russe, du Canada et des États-Unis doit beaucoup pour sa part au développement des grandes lignes ferroviaires transcontinentales. ll en va de même plus récemment pour les autoroutes, comme le montrent les exemples allemand ou italien, américains ou, plus tardivement français ou espagnol ou, maintenant, chinois. Ce rôle de désenclavement par la route se poursuit aujourd’hui, renforçant par contrecoup la périphérisation des zones ignorées. Le cas de la voie d’eau est lui aussi démonstratif ; qu’il s’agisse du grand canal en Chine à partir de l’époque des Printemps et des Automnes, des canaux anglais au XVIIIe siècle, puis du Mitteland Kanal allemand ou plus près de nous de la canalisation de la Volga.

Cet effet de désenclavement est devenu plus évident encore avec le chemin de fer. On sait combien celui-ci a été déterminant dans l’essor de l’économie américaine (Simon Kuznets, même si Robert Fogel en a relativisé la portée), mais aussi dans celles de la Grande-Bretagne, puis de l’Allemagne. A contrario, l’Afrique a longtemps souffert de son sous-équipement. Les oppositions centre-périphérie ont été accentuées par l’arrivée de trains à grande vitesse (renforcement de l’Europe médiane, développement japonais, puis sud-coréen, constitution par la Chine du plus vaste réseau mondial de l’espèce) et par la fermeture de lignes secondaires dans les pays occidentaux (l’exemple britannique est démonstratif, mais les Gilets Jaunes ont montré que la France n’y échappe pas). De tels raisonnements peuvent être noués à propos des transports urbains (l’extension des lignes de métro va de pair avec la spéculation immobilière, renforçant ainsi souvent la ségrégation urbaine). Le développement d’infrastructures dans les périphéries conduit à un phénomène de sélection des territoires, en générant des densités différentes selon le type de desserte, voire dans certains cas en qualifiant les portions de territoires appelées à être urbanisées (cf. les plans de développement des agglomérations comme Copenhague ou Helsinki). On pourra ajouter les débats sur l’usage des transports publics en site propre (généralement le tramway) pour « désenclaver » des quartiers d’habitat social excentrés et mal desservis, ou l’usage de corridors ferroviaires pour densifier des périphéries insuffisamment structurées (transit-oriented development).

Thématiques associées :

-périphéries, migrations internationales et exode rural

-infrastructures de transport et périphérisation (à toutes les échelles)

-périphéries gagnantes vs. périphéries perdantes (à toutes les échelles)

-périphéries structurées / déstructurées / restructurées

Situations de périphéries

Plus récemment, les périphéries sont devenues des objets ou des qualifications spécifiques.

Au-delà du concept géographique et fonctionnel, la périphérie est aussi une qualification qui peut devenir péjorative. Les ouvrages récents sur la France dite périphérique (cf. par exemple ceux de Christophe Guilluy) témoignent de territoires mis à l’écart des dynamiques métropolitaines, donc ayant peu d’interactions avec un supposé centre (les métropoles ?), lieux de mal-être et de déprise. Ils portent cependant une vision plutôt en contradiction avec les acceptions antérieures qui mettaient plutôt l’accent sur des relations de dépendance : un centre dominant s’impose à des périphéries qui ne peuvent exister sans ses apports. Ici, la périphérie est vue comme abandonnée, déconnectée, en dehors des réseaux de relations. Ce qui ne l’empêche pas d’être desservie ou traversée par ailleurs.

Le centre peut être le lieu du pouvoir par rapport à des périphéries qui ne peuvent lui tenir tête. Historiquement, la centralisation représente l’éradication des contre-pouvoirs et des spécificités territoriales ou des pratiques qui y sont associées. L’intégration (ou l’assimilation) des périphéries peut donc constituer un projet politique, marqueur d’expansions et de conquête, de diffusion culturelle …).

La périphéricité peut être un ressenti négatif pour des populations qui subissent leur situation, avec parfois le cumul de la marginalité géographique, de la marginalité économique et de la marginalité sociale ; elle peut être aussi une situation volontairement recherchée par rapport à un centre qui incarne des visions, des courants ou des croyances dominants. Il y a donc lieu de s’interroger sur les populations qui vivent ou ont vécu dans les différents espaces périphériques, sur leurs dynamiques et les acteurs qui les animent, leurs vécus et leurs points de vue vis-à-vis du (des) “centre (s)”. Inversement, on peut examiner le regard porté par les populations de ce (ces) dernier (s) sur les périphéries : regard des acteurs politiques, regard des voyageurs, des écrivains et des artistes.

L’ensemble peut s’inscrire dans une gouvernance et faire l’objet d’une planification. Les politiques d’aménagement du territoire ou de rééquilibrage territorial à toutes échelles visent à lutter autant que possible contre des tendances jugées trop néfastes pour les espaces périphériques. S’y ajoutent de grands projets urbains au sein des métropoles pour créer de nouvelles centralités, comme ceux soutenus par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) en France. On peut aussi vouloir lutter contre un étalement trop marqué, après avoir lutté contre l’habitat indigne ou les carences en équipements collectifs.

Thématiques associées :

-Les relations centre-périphérie, forcément inégales ?

-De la périphérie à la marge

-Les périphéries, lieux de contestation ?

-Les voies de l’intégration des périphéries : grands projets urbains, grands projets d’infrastructures

-La périphérie : zone de contacts entre deux cultures/sociétés/entités ou zone de culture originale ?

Identités et mutations des périphéries

La question de l’identité des périphéries se forge du fait de leurs évolutions successives qui démontrent qu’elles ont une histoire et que des cultures spécifiques ont pu s’y développer. Le cas d’Aubervilliers est éclairant à ce sujet car on part d’une origine industrielle aujourd’hui difficile à détecter pour passer à la banlieue dortoir avec des cités propices à la relégation de certaines populations, puis de nouvelles mutations vers le tertiaire et des fonctions intellectuelles plutôt inédites, de la même façon que Saint-Denis est devenue une ville universitaire, une capitale de l’audiovisuel et du spectacle sportif (en conservant tout de même sa basilique qui nous éclaire sur une centralité passée). En grossissant, les métropoles absorbent leurs périphéries anciennes tout en en générant de nouvelles très différentes. Les périphéries peuvent s’autonomiser et devenir des relais de la centralité principale. C’est le cas notamment des villes nouvelles qui sécrètent leur propre attractivité et génèrent des bassins de vie dont on ne ressent pas forcément le besoin de sortir pour rejoindre le centre initial de la métropole. Les périphéries peuvent donc être des lieux dynamiques, des territoires créatifs et attractifs, à toutes les époques.

Dans cette optique, il serait intéressant d’interroger les périphéries comme lieux d'innovation, de pensées nouvelles, à l'écart des centres de décisions politiques officiels. Cela paraît assez notable notamment dans l'histoire de la spiritualité chrétienne : sans même insister sur la fondation du christianisme dans un territoire périphérique de l'empire romain, on pense à l’exemple de l'installation des premiers moines à Lérins dans une petite île d'une côte provençale à l'écart des grandes cités. François d'Assise aussi a fondé son ordre à la périphérie des institutions de l'Église du XIIIe siècle, et Assise n'était pas une ville très importante (il est vrai en revanche qu’elle était géographiquement assez centrale). Parmi les universités, Oxford et Cambridge étaient un peu périphériques par rapport à Paris ou Bologne, ce qui a peut-être favorisé des pensées plus libres par rapport à une tradition scolastique. A ses débuts, l'émirat de Cordoue était périphérique dans le monde musulman.

Les mutations des territoires, notamment institutionnels, peuvent remettre en cause le statut de périphérie ou le relativiser du fait de l’apparition de périphéries plus éloignées. Les élargissements successifs de l’Union européenne ont transformé d’anciennes périphéries en territoires de droit commun du fait de leur richesse relative par rapport aux nouveaux entrants. Les fusions de régions transforment des périphéries en territoires barycentraux, avec des enjeux de connexion ou d’articulation non négligeables.

Les dynamismes économiques, politiques, ou culturels entrainant une évolution de ce qui est défini comme périphérique s’observent aussi dans les sociétés anciennes (phénomène campaniforme, diffusion des vases grecs, extension de l’empire romain, …).

Les périphéries peuvent également entrer en résonance avec la question des minorités et plus largement de la « question régionale ». Le modèle de la minorité, ethnique, linguistique, n’est pas un concept monolithique. Les périphéries dans ce contexte se caractérisent notamment par des constructions référentielles qui se présentent soit en opposition soit en dépendance de celles existantes au niveau des capitales ou des États.

Plusieurs approches peuvent être évoquées, sans prétendre à l’exhaustivité :

-Différents degrés de périphéries seraient à identifier : séparatisme, irrédentisme, autonomisme, régionalisme, etc. dans une posture pouvant être comprise sur une échelle allant de la dénonciation à l’intégration, de l’assimilation à l’aspiration à une reconnaissance au sein de la communauté nationale.

-L’identité de ces périphéries se caractérise notamment par une autoproduction symbolique. Ces élaborations peuvent se situer au stade de la reconstruction d’un destin partagé ou d’une mémoire historique sublimée, à celui d’une célébration de pratiques collectives ou d’une révélation/manifestation de sentiments d’appartenance, de valeurs communes, enfin, éventuellement,  à celui d’une reprise de stéréotypes imposés depuis les capitales mais qui ont été assumés et dont la valeur s’est en quelques sortes inversée.

-Selon quelles logiques se forgent les images de ces périphéries ? En quoi renouvellent-elles leurs rapports avec les capitales, avec les États ? En quoi consistent les échanges de ces périphéries avec d’autres périphéries à l’intérieur et à l’extérieur de leur périmètre national respectif, mais aussi en leur sein par rapport à leurs propres marges : en matière d’harmonisation, d’exclusions, d’articulations internes ?

Thématiques associées :

-Comment les périphéries se forgent-elles une identité ? Ont-elles une mémoire spécifique ?

-Des lieux de contre-culture ? de contre-acculturation ? Des lieux d’innovation ?

-Des lieux paradoxalement centraux (accueil de grands équipements déconcentrés par exemple) ?

-Modalités d’intégration des périphéries (diffusion, colonisation, conquête, …)

-Périphéries délaissées, périphéries reconquises ?

-Processus de patrimonialisation des périphéries

-Identité vs. standardisation des périphéries

-Périphéries, séparatisme et irrédentisme

Compte-tenu de la tenue du congrès à Aubervilliers, on peut envisager des sessions spécifiquement consacrées à l’agglomération parisienne, qui permettraient de mettre en œuvre des partenariats avec des sociétés savantes locales. Quelques propositions de thèmes :

-que reste-t-il de la banlieue rouge ?

-Infrastructures, grands équipements et autres coupures majeures : la banlieue au service de la ville-monde ?

-Forêts, bois, parcs et jardins : les trames vertes de la banlieue

-Autour du projet de Métro du Grand Paris

etc.

Visions et analyses des périphéries

1. Approche épistémologique des travaux scientifiques sur les périphéries. Comment les archéologues, les historiens et les géographes ont parlé et pensé les situations périphériques avant d'avoir recours à ce terme-notion : l'orbis de l'urbis, marges mais aussi marche, confins, faubourgs, banlieues. Dans certaines sociétés anciennes, ce qui est dans la périphérie définit le centre (sanctuaires, zones funéraires, bornes territoriales, …).

Les travaux de géographes ont porté principalement sur la caractérisation et les modalités de développement des périphéries : mutations du rural vers l’urbain, gradients de périphérie (en allant jusqu’à l’ultra-périphérique), mesure des complémentarités (notamment sous forme de flux) et des dépendances. L’insularité a également fait l’objet d’analyses spécifiques du fait d’un enclavement réel ressenti comme tel et de la demande de statuts spécifiques ou de facilités de desserte comme par exemple la « continuité territoriale » (double dimension de modération tarifaire et de permanence de l’offre). On ne peut pas manquer de s'interroger sur les îles comme laboratoires, y compris pour chaque État en particulier (par exemple le statut Joxe pour la Corse).

La notion de périphérie implique de s'interroger sur les centralités supposées des phènomènes observés. Ces centralités peuvent être constituées par l'origine géographique d'une espèce (comme dans le cas de l'expansion d'Homo sapiens ou de la diffusion des espèces domestiques), le lieu de production d'objets importés depuis des mines et des ateliers (sources de matières premières lithiques, commerce d'objets méditerranéens), un secteur géographique concentrant les vestiges d'une activité (l'art pariétal franco-cantabrique, le mobilier laténien) ou une entité définie par les préhistoriens pour classer les vestiges qu'ils étudient (les cultures archéologiques).

La notion de périphérie peut donc servir tout à la fois à examiner les systèmes de relation entre la zone d'origine ou de production et les populations réceptrices, à questionner la nature de la zone de concentration maximale des vestiges conservés et par ricochet celle des zones périphériques ou à s'interroger sur la finalité des entités à travers lesquelles le pré-proto-historien met en relation les vestiges qu'il étudie. Or ce modèle conceptuel centre-périphérie est aussi lié à l’équivalence culture-identité, mais désormais, on essaye de prendre davantage en compte la multiplicité et la souplesse des identités.

2. Approches économiques des périphéries

2.1. Périphérie et émergence dans un contexte de mondialisation (ou plutôt de globalization). Ici deux niveaux peuvent être distingués :

- le niveau macroéconomique, celui des nations (qui ne se limitent pas deux États)

- le niveau microéconomique, celui, par exemple, des global players ou global challengers ou EMNE (entreprise multinationales émergentes) ou encore des clusters et districts industriels (Michael Porter)

2.2. La théorie des échanges internationaux : elle fournit des interprétations commodes des phénomènes de « périphérisation » : Adam Smith et la théorie de la spécialisation internationale, David Ricardo et la théorie de la spécialisation relative, ou la théorème Heckscher-Ohlin-Samuelson de spécialisation internationale en fonction du coût des facteurs.

Elle implique de prendre en compte les flux et les stocks :

 - de marchandises. Exemple : la stratégie d’exportation des pays d’Asie orientale (ou modèle asiatique, en vol d’oie sauvage, a permis au Japon, puis aux « Quatre Dragons », enfin aux « Tigres », dont la Chine, de s’arracher à la périphérie pour devenir le centre ;

 - de services (échanges invisibles). Le passage du statut de nation émergente à celui de nation industrielle avancée s’accompagne souvent d’un glissement de l’industrie aux services (Royaume-Uni, États-Unis). À l’inverse, une tertiarisation sans industrialisation peut enfermer dans la périphérie les pays les moins avancés ;

 - de capitaux. Les bourses de valeur sont devenues les centres du monde qui redistribuent les capitaux en direction des périphéries. il en va de même des banques (anglo-saxonnes, chinoises et japonaises, allemandes et françaises). Les marxistes ont pu développer ainsi la théorie du capital financier (Lénine, Hilferding, Rosa Luxembourg) et opposer le centre à la périphérie (Samir Amin). À cet égard, les institutions multilatérales mondiales (FMI, World Bank) et régionales (FED, Banque Asiatique de Développement) jouent un rôle majeur dans l’aide au développement des périphéries. Il en va de même des structures alternatives, telles que la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures conçue pour financer « les Nouvelles Routes de la Soie » ou la Nouvelle Banque de Développement des BRICs. Sans nécessairement adhérer à la thèse marxiste du nouveau capitalisme monopoliste d’État, les États constituent des acteurs essentiels de la réduction de l’écart centre-périphérie sur leur territoire (DATAR), mais aussi au niveau mondial (MAE français, MITI japonais, Mofcom chinois) ;

 - d’hommes. Ici se trouve posée le question des migrations internationales (le raisonnement vaut pour celles intranationales ou intrarégionale). Elles peuvent avoir des effets plus (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), ou moins (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, etc.) positifs sur le développement. Ces effets peuvent aussi s’avérer négatifs en renforçant la « périphérisation » (Syrie, Liban, Libye, Yémen, Afrique sahélienne) soudan, somalie, Éthiopie ;

 - de technologie. La capacité ou non à transférer la technologie détermine dans une large mesure celle à s’engager dans la voie du développement économique (exemple de l’Asie orientale). Elle peut conduire à l’inverse au décrochage technologique (cas de l’Allemagne nazie ou de l’URSS stalinienne), par choix de l’autarcie. Il en va de même des connaissances scientifiques. Les retards pris par l’Europe en matière d’effort de recherche et développement (R&D) menace d’Europe de « périphérisation », mais aussi d’un clivage accru en son sein (entre pays du Nord et de arc alpin d’une part, du sud et Royaume-Uni de l’autre). C’est ce que montre l’évolution des publications scientifiques et, dans une moindre mesure, des dépôts de brevets ;

 - d’information. L’on connaît bien aujourd’hui la réalité d’une dépendance grandissante de nombreux pays du monde par rapport aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone et Microsoft). Tel est le cas notamment des pays d’Europe occidentale et centrale, d’Afrique ou d’Amérique latine. En revanche, comme le montre l’exemple des robots, le Japon, la Corée du Sud ou, surtout, la Chine (Huawei, Alibaba, Tencent) jouent un rôle éminent.

2.3. L’économie régionale

La notion de périphérie est au cœur des approches spatiales de l’économie.

Elle l’aborde notamment à travers les notions d’industrialisation et de désindustrialisation, souvent sous la forme de vagues ou de cycles (première, deuxième, troisième, voire quatrième industrialisation). Ces notions ont été abordées et discutées par de nombreux auteurs tels que Karl Marx, Walter W. Rostow, Raymond Aron, Alexander Gerschenkron, Paul Bairoch, David S. Landes. Ils rejoignent partiellement, autour de la problématique du Tiers monde, les théories de la dépendance. Ouvertes dans une certaine mesure par les thèses marxistes (Samir Amin, vide supra), elles ont été beaucoup développées par des auteurs latino-américains tels que Fernando Henrique Cardoso, Celso Furtado, Raul Prebisch et Theoronios des Santos, mais aussi, récemment, par Dieter Sanghas.

La question de la planification régionale et des politique de rééquilibrage territorial rejoint en grande partie les interrogations autour de la notion de périphérie. L’on connaît l’œuvre fameuse de J.-F. Gravier, Paris et le désert français et la genèse de la DATAR nées en 1963 autour d’Olivier Guichard. La France s’est ainsi constituée en modèle avec l’institution des tranches régionales du Plan (Ve Plan), des régions de programme, des métropoles d’équilibre des sociaux d’aménagement régional. Mais d’autres pays s’en sont également très tôt préoccupé d’aménagement du territoire : ainsi les États-Unis (Tennessee Valley Authority) et le Royaume-Uni dans les années 1930 ou l’Italie, à partir des années 1950 avec la Cassa del Mezzogiorno. L’URSS hier ou la Chine d’aujourd’hui offrent l’exemple d’expériences comparables.

Pôles de croissance et périphérie : Des auteurs comme François Perroux ou Sydney Pollard ont mis en lumière la notion de pôles de croissance. Ceux-ci ont pris des formes diverses, dont la typologie s’est précisée avec le temps : districts industriels tels que définis par Alfred Marshall, systèmes productifs locaux chers aux économistes de l’école de la régulation ou clusters, tels qu’étudiés par Michael Porter. Les économistes du Tiers monde ont bien mis en évidence le fait qu’ils pouvaient se limiter à des kystes de développement plus tournés vers l’extérieur, à l’instar de Sao Paulo ou Belo Horizonte au Brésil, pour les besoins de l’exportation que bénéficient du développement interne du pays.

Le rôle des intégrations régionales en tant que voie du développement pour les pays de la périphérie a été bien mis en évidence. Tel est le cas pour l’Union Européenne, au profit de pays tels que l’Irlande, le Portugal, la Slovénie ou la Pologne, mais aussi les pays baltes ou, dans une moindre mesure, l’Espagne. L’ALENA entre les États-Unis, le Canada et le Mexique a été considérée comme profitable en première approche pour ce dernier, où les entreprises états-uniennes ont largement délocalisé leurs activités de production. L’ASEAN offre un exemple identique, avec la montée en puissance de pays comme la Malaisie et, dans une moindre mesure, la Thaïlande, puis celle de l’Indonésie, du Vietnam et, quoique de façon plus chaotique, les Philippines. Tel est le cas enfin du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, EAU, Oman, Qatar). D’autres exemples sont moins convaincants : le Mercosur ou le Pacte Andin, s’ils ont favorisé une accélération de la croissance des pays concernés n’ont pas réduit beaucoup les inégalités préexistantes entre les métropoles et les périphéries (Nordeste, Amazonie par exemple).

3. Approches sociales et sociétales des périphéries

3.1. Religion, société et périphéries : Au-delà des « périphéries » désignées comme terrain de présence pour l’Église par le pape François, l’histoire sociale des XIXe et XXsiècles montre comment, au fur et à mesure que l’État créait une compétence d’assistance sociale, instaurait la gratuité scolaire, développait l’hôpital public, le SAMU social, etc., tous domaines investis originellement par des congrégations religieuses (les sœurs hospitalières furent les seules à être maintenues à l’hôpital pendant la Révolution), celles-ci et des mouvements d’Église se sont dédiés à ceux qui restaient en marge de l’assistance publique et du secours aux indigents. Au XIXe siècle, dans la suite de l’Ancien Régime, la congrégation du Bon Pasteur se voue au « redressement » des prostituées et filles de mauvaise vie. Au XXe siècle, les Instituts régionaux du travail social, notamment en Lorraine, sont fondés et portés pendant des années par des congréganistes. Jean Rodhain se charge, avec le Secours catholique, de l’assistance aux prisonniers de guerre en Allemagne, en organisant l’acheminement de colis et en visitant Oflags et Stalags. On retrouve des figures de l’Église et des mouvements chrétiens en première ligne dans la lutte contre la précarité au lendemain de la guerre (l’abbé Pierre et Emmaüs, le père Joseph Wresinski et ATD Quart-Monde), puis dans le développement de structures d’accueil et d’accompagnement des handicapés mentaux (l’Arche, Foi et lumière), des victimes d’addictions (Le Village Saint-Joseph, par exemple), des prostituées (Le Nid) ou encore des « loubards » (Guy Gilbert), des familles et amis de prisonniers en attente de parloir (l’association pionnière Le Didelot, fondée à Nancy en 1984 ou Aux captifs), la libération des migrants (le Jesuit refugee service, JRS).

Les autres religions n’ont pas été en reste, avec le développement des œuvres protestantes au XIXe siècle, dont la Cimade demeure une représentante active pour le soutien aux migrants contemporains, des œuvres et organisations de secours judaïques et islamiques.

Parallèlement aux initiatives de ces organisations d’essence religieuse, les Organisations non gouvernementales se multiplient dans la seconde moitié du XXe siècle afin de porter secours, soin et assistance à ceux qui échappent à tous les systèmes d’aides publiques, partout dans le monde. Enfin, mais ce n’est pas négligeable, il est important de s’intéresser aux acteurs laïques et privés, parmi lesquels des municipalités, même dans des villes moyennes, des notables traditionnels, des négociants, des industriels, des chambres de commerce, des particuliers, engagés dans le secteur scolaire marchand – autant d’interlocuteurs locaux, départementaux, régionaux, pour les représentants de l’État ou des institutions nationales, donc autant de cibles intéressantes pour une réflexion historique sur les interactions, complexes, entre centre et périphéries.

3.2. Dimensions relationnelles des périphéries : La notion de périphérie ne semble prendre sens, en première approche, que dans le creux de phénomènes et processus de centralisation et d’émergence de lieux, physiques mais aussi immatériels ou abstraits, jouant un rôle majeur dans la structuration des rapports de pouvoir, dans l’organisation des relations de production et d’échange, dans l’agencement des espaces.

Si cette notion est donc par essence relationnelle au titre des rapports entretenus avec celle de centre, elle mérite cependant que cette nature relationnelle soit examinée, de façon à faire ressortir l’ensemble des gammes qui la composent et à interroger le, ou les modèles d’analyse qui lui sont liés, ou qu’elle sous-tend.

Ouvertes à toutes les sections du CTHS, les sessions qui s’inscrivent dans la thématique « Dimensions relationnelles des périphéries » visent ainsi à proposer une approche transversale de la périphéricité. Il s’agira de cette façon de réfléchir collectivement sur les enjeux analytiques et épistémologiques relatifs à l’approche par les périphéries.

Peut-on penser ainsi la périphérie au-delà des lectures en termes d’asymétrie de relations et d’organisation de rapports de dépendance ? Quelle autonomie les marges trouvent-elles ou peuvent-elles négocier au cœur ou au travers des mécanismes de polarisation du monde ?

La prise en compte des poly-centralités, la fragmentation des systèmes-mondes - finalement active à toutes les époques dès lors que fusion et fission sont toujours à l’œuvre, l’analyse de la disjonction des flux - d’hommes, d’informations, d’idées, de marchandises et d’argent, etc. ou de la structuration des rapports d’interdépendances, les approches « par le bas », par les marges ou les « frontières épaisses », ne remettent-elles pas en cause les lectures en termes de périphéries ?

À l’inverse, ces considérations alternatives ne tendent-elles pas à dissoudre la prégnance des rapports de pouvoir et la tendance, présente au sein des sociétés humaines, à « faire centre », à ordonner le monde, à créer des foyers et donc à susciter dans le même temps des périphéries ?

Comment ainsi dépasser le dualisme de la relation centre-périphérie et la tendance au « centrisme » qui s’y manifeste parfois, en naturalisant l’évidence de cette relation et en appréhendant les périphéries selon le seul point de vue que l’on s’en forge « au centre », mais sans pour autant diluer les rapports sociaux, historiques et symboliques dans l’éloge d’un monde fluide et ouvert, soustrait aux dissymétries structurelles qui s’y manifestent pourtant ?

3.3. Les forces de l’ordre à l’interface entre l’état et les territoires périphériques : La problématique des relations entre centre et périphérie croise l’histoire de la construction de l’État, envisagée comme un long processus de centralisation administrative et d’encadrement du pays, de la société et des individus. En France, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe au XIXe siècle, l’appareil policier contribue à cette intégration nationale des provinces et à cette normalisation des comportements. Selon l’analyse ancienne de Clive Emsley, pionnier de l’histoire des polices européennes, la seule présence de ces institutions, lorsqu’elles dépendent d’un pouvoir central, rappelle aux communautés rurales leur appartenance à un ensemble plus vaste, nation ou empire, qui attend d’elles des impôts et des soldats.

Les gendarmeries jouent un rôle essentiel dans cette entreprise nationalisante. En France, et jusqu’en 1941, ce corps constitue la seule police nationale, à savoir une force publique de l’État implantée sur l’ensemble du territoire, dont elle assure le quadrillage à travers un réseau de brigades, créées (une par canton, au moins) entre les années 1790-1840. Dans d’autres pays d’Europe, évoqués ici seulement à titre d’exemples, d’autres gendarmeries, souvent organisées selon le modèle français, contribuent elles aussi à étendre ou à préserver l’autorité d’un État national ou impérial. Dans le cas français, le réseau des commissariats et des services de police judiciaire de la Sûreté, devenue Police nationale, s’ajoute, par étapes, à la matrice gendarmique.

Les progrès de la recherche ont montré la complexité, longtemps ignorée, des interrelations entre les agents de la force publique et les populations, en particulier dans des régions périphériques mal intégrées à l’ensemble national.

Dès lors, la diversité et l’évolution des interactions entre les agents de la force publique et leurs administrés offre un autre observatoire, original, des rapports entre le pouvoir central et des régions éloignées. La prise en compte de la chronologie est ici un bon moyen – légitimement cher aux historiennes et aux historiens – de se prémunir contre des globalisations erronées. Même dans des provinces méfiantes envers l’autorité centrale, la perception du gendarme comme mandataire d’un État prédateur n’est pas structurelle et figée. Elle recule, à des periodes différentes selon les territoires, devant l’image d’un militaire garant d’un ordre local apprécié et auxiliaire d’une police judiciaire de proximité bien adaptée, comme Jean-Claude Farcy l’a montré, au monde rural.

3.4. L’imaginaire des périphéries : Au Moyen Âge, les encyclopédies, les récits de voyage et les représentations cartogra­phiques du monde ont volontiers imaginé les contrées les plus lointaines comme étant peuplées d’êtres monstrueux : blemmyes, sciapodes, cynocéphales… Du sculpteur de Vézelay qui les a placés sur le tympan de la Pentecôte – certes en « périphérie », mais néanmoins dignes de recevoir la parole de Dieu – à Marco Polo, qui affirme les avoir rencontrés, voyageurs, auteurs et artistes médiévaux, héritiers du « merveilleux » antique, ont été fascinés par les pays exotiques. Ils ont éprouvé une particu­lière prédilection pour ces peuples des marges forcément différents d’eux-mêmes, qui habitaient les confins du monde connu, ces terres de légendes propres à exciter leur curiosité, soit qu’ils partent sur la mer pour aller au-devant d’eux, soit qu’ils voyagent en esprit dans la quiétude de leur studium ou de leur atelier d’artiste, mais tous en quête de lointains fabuleux, des contrées où vivent en liberté le phénix et la licorne, à la recherche peut-être du Paradis terrestre ou du mystérieux royaume du Prêtre Jean.

Vouloir découvrir les périphéries implique ainsi chez certains penseurs médiévaux, au-delà de la simple curiosité, une réflexion sur « l’autre » et sur la création divine, tout en révélant la force de leur imaginaire.

La fascination pour les périphéries du monde habité a été le moteur de nombreuses explorations au fil de l’Histoire et elle demeure toujours à l’heure actuelle, suscitant des formes de tourisme spécifiques, mêlant aventure, exploration, prise de risque calculée et encadrée, sans forcément renoncer à certains aspects du confort moderne…

4. Approches linguistiques des périphéries 

la relation centre-périphérie pourrait être utilement étendue aux notions de communauté linguistique, de marché linguistique (Bourdieu, Labov) et d'imaginaire ethno-socio-linguistique. En France, par exemple, la dynamique linguistique tend à l'imposition d'une norme légitime débouchant à la fois sur l'unilinguisme (marginalisation et illégitimation des langues dites régionales) et sur l'uniformisation et l'homogénéisation de la langue française elle-même. Ainsi, sur le plan phono-prosodique, certains accents – qu’ils soient régionaux ou sociaux – sont marginalisés, illégitimés et sanctionnés, car ils ne sont pas conformes à l'accent dit "standard" qui n'est autre que "la prononciation récente des locuteurs urbains éduqués d'Île-de-France et de régions voisines" (Petit Robert, édition 2002, préface).

Plus généralement, si l'espace francophone se définit comme une unité spatiale discontinue fédérée par la pratique d'une même langue, sujette à variation comme toute langue vivante, cet espace est de fait dominé par un centre rayonnant concentrant les pouvoirs, l'Île-de-France, auquel s'oppose un ensemble périphérique dominé : c'est en effet la variété centrale du français, et plus exactement, l'une des variétés du français d'Île-de-France – le français standard, l'une des variétés sociospatiales du français– qui fait figure de français de référence et de prestige et en France et au sein de la francophonie. Il existe donc des francophones de périphérie, habités par un sentiment d'infériorité linguistique ou par un sentiment d'insécurité linguistique par rapport à une norme arbitraire.

Les sociétés savantes, les sciences et leurs périphéries

La problématique de la « périphérie » soulève en épistémologie et en histoire des sciences les rapports entre savoirs amateurs et savoirs académiques, les premiers ayant été construits au XIXe siècle comme la périphérie des seconds, y compris à travers le CTHS, au moins après 1861 et la mise en place des Congrès. Il y aurait là matière à une réflexion sur l’histoire de l’histoire des sciences et comment cette réflexivité s’est construite à partir de la logique de lieux centraux en France, ce qui n’est certes pas le cas de la même façon en Allemagne ou en Italie (avec une perspective d’histoire comparée en fonction des cultures administrative et politique de la centralisation).

Dès le XVIIIe siècle, les membres des sociétés savantes encyclopédiques ont eu des correspondants qui, ne résidant pas sur place et ne pouvant assister à leurs réunions, étaient en relation épistolaires avec eux pour participer à leurs débats scientifiques, à des enquêtes, par des mémoires divers …

Toute société savante d’importance (académies, sociétés nationales) et même celles qui ont un objet purement local, dispose dans ses statuts de différentes catégories de membres qui permettent la construction à partir d’un centre de périphéries savantes plus ou moins importantes et étendues (locales, nationales ou internationales) : membres titulaires ou résidents et membres libres ; membres associés français ou étrangers ; correspondants français ou étrangers etc. On peut passer d’un statut à un autre en cas de changement de résidence. Il existe pour chaque société des modalités et des intitulés particuliers. La façon dont une société à une époque donnée construit sa périphérie de correspondants traduit sa politique scientifique. Ainsi, au début du XIXe siècle par exemple, l’Académie de médecine a établi un réseau de correspondants français qui quadrillait les départements et qui était chargé de faire remonter des observations, des pratiques et des résultats sur la lutte contre les épidémies. Ces correspondants posaient aussi des cas pour demander les avis éclairés de l’Académie qui en débattait en séance. La façon dont ces sociétés construisent leur périphérie et la font évoluer est le reflet de leur dynamisme et aussi de l’évolution de leur objet scientifique. Outre les membres, les politiques d’échanges de publications ou d’objets (plantes, silex pas exemple) contribuent à la constitution de ces périphéries. Leur étude permet de connaître de l’intérieur les échanges et les débats scientifiques, de mettre en valeur le cadre de la circulation des idées et apporte une contribution indispensable à l’élaboration des disciplines.

Le rôle de la « périphérie » dans la genèse de théories scientifiques d’importance majeure ne peut être ignoré également. C’est le cas de la théorie de la dérive des continents : Alfred Wegener était un météorologue, donc en position plutôt « périphérique » par rapport à la géologie, qu’il a pourtant révolutionnée. Il va de soi que l’on pourrait tenir ce raisonnement pour des figures de « précurseurs » en matière d’histoire des savoirs, avec toute l’ambiguïté de cette notion (on pense ici par exemple à Boucher de Perthes, littéralement en position de périphérie géographique et académique dans les années 1850-1850 – en tant que douanier et « amateur »).

Cette question est d’autant plus aiguë que la géographie est en principe un lieu de convergence et de dialogue entre sciences humaines et sciences naturelles, autour de la question du « milieu » notamment. Une séquence du congrès consacrée à la question des branches périphériques des classifications successives des sciences ou des savoirs, et ensuite de la convergence ou recentralisation serait bienvenue – ainsi du parcours de la géographie elle-même, périphérie du savoir historique au cours de la première moitié du XIXe siècle et qui parvient à se mettre un temps au centre des rapports entre sciences humaines et naturelles (il s’agit du « moment vidalien », qui sera suivi d’un retour en force des approches physiques voire morphologiques). Un questionnement équivalent, mais avec une logique différente serait intéressant à conduire du côté de l’anthropologie physique, aux marges des sciences médicales au cours du second XIXè siècle, puis prétendant ensuite à une centralité dans la science de l’homme, etc.

En matière d’histoire des techniques, la position « périphérique » n’est pas un handicap, bien au contraire. Les liens qui existent dans le système technique entre les techniques dominantes et toutes les autres (qu’on pourrait éventuellement considérer comme périphériques ; il faut bien s’entendre sur la définition de « périphérique ») seraient peut-être à explorer. On peut évoquer comme exemple les relations entre une catégorie de moyen de production d’énergie, technique dominante et d’autres techniques s’y rapportant.

Modalités pratiques d'envoi de propositions

Le congrès est ouvert à tout public.

Les propositions de communications doivent être adressées avant le 30 septembre 2021

- directement en ligne sur le site du CTHS en cliquant sur « Congrès annuel », « 146e congrès, Aubervilliers, du mercredi 4 au vendredi 7 mai 2022 », « inscriptions »

à la page http://cths.fr/co/formulaire.php?ca=12

- ou

envoyez le résumé de votre communication (1 000 signes, soit une demi-page, attention : tout texte dépassant 1000 signes sera renvoyé), en fichier doc ou rtf,  avec la fiche d'inscription (téléchargeable page http://cths.fr/co/congres.php#)

à congres@cths.fr

et un chèque de règlement des droits d’inscription de 25 €, à l’ordre de l’ASCSHS (Association de soutien aux congrès des sociétés historiques et scientifiques) par courrier postal à CTHS - Campus Condorcet – Bât Recherche Nord

14, cours des Humanités

93 322 AUBERVILLIERS Cedex

- ou

remplissez une fiche d'inscription (téléchargeable page http://cths.fr/co/congres.php#)

en lettres capitales et envoyez la, avec votre règlement de 25 € à l’ordre de l’ASCSHS (Association de soutien aux congrès des sociétés historiques et scientifiques).

à CTHS - Campus Condorcet – Bât Recherche Nord

14, cours des Humanités

93 322 AUBERVILLIERS Cedex

La gratuité est accordée aux membres d’une société savante de la région Île-de-France, aux étudiant-e-s, aux membres du CTHS et aux personnes sans emploi.

Le Comité étudiera en novembre 2021 toutes les propositions de communication. Il peut écarter celles ne lui paraissant pas convenir, sans avoir à motiver sa décision.

Les droits d'inscription pourront alors remboursés, sur demande, avant le 1er mars 2022 (de même si un congressiste annule sa participation).

Les communications acceptées seront affichées sur le site cths.fr, début 2022, par thème, par jour, par auteur.

Vous serez également informé-e-s personnellement par messagerie électronique.

Les frais de déplacement et d'hébergement ne sont pas pris en charge par le CTHS.

Le temps de parole est fixé à 15 minutes par communication, de manière à laisser place ensuite aux débats (5-10 minutes).

Contact : congres@cths.fr – 01 88 12 02 46 – 07 56 99 06 23

Le secrétariat du congrès est fermé le vendredi

Comités 

  • BACCHUS Michel, Ingénieur en chef honoraire des Ponts, des Eaux et des Forêts (IGN), Société française d'onomastique ; Association française de topographie
  • BART François, Professeur retraité de l'université Bordeaux-Montaigne, membre du laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM, UMR 5115, IEP/CNRS), Société de géographie de Bordeaux ; Association géographique du pays de Salignac ; Académie des sciences d'Outre-Mer ; Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans les régions intertropicales ; Centre de recherche et d'échanges sur la diffusion et l'inculturation du christianisme
  • BERTONCELLO Brigitte, Professeur des universités Aix-Marseille Université, Institut d'urbanisme et d'aménagement régional, Faculté de droit et science politique, Membre du Laboratoire Interdisciplinaire Environnements Urbanisme (LIEU)/FDSP-AMU
  • BORREDON Étienne Rémi, Docteur en géologie, Société des explorateurs français ; Société linnéenne de Provence ; Société de géographie
  • CANEILL Jacques, Professeur d'agronomie à Agrosup Dijon, département agronomie agroéquipements élevage environnement, Caribaea initiative ; Association française d'agronomie
  • FRÉROT Anne-Marie, Professeur émérite des universités en géographie, enseignante à l'École supérieure d'édition numérique (ESTEN), Tours
  • HECKER Anne, Maître de conférences en géographie à l'université de Lorraine (Site de Nancy)
  • JOLY Gérard, Ingénieur de recherche émérite au CNRS, Société des explorateurs français
  • MOUFFLET Jean-François, Conservateur du patrimoine aux Archives nationales, département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime
  • NADIRAS Sébastien, Conservateur aux Archives nationales, département du Moyen Âge et de l’Ancien régime  /  Centre d’onomastique)
  • NETCHINE Ève, Directrice du département des Cartes et plans à la Bibliothèque nationale de France
  • PUYO Jean-Yves, Professeur des universités en géographie à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, chargé de mission Coopération transfrontalière, membre du laboratoire Passages (UMR 5319, CNRS), Association de géographes français ; Société des sciences, lettres et arts de Pau et du Béarn ; Société d'économie et de sciences sociales ; Comité national de géographie ; Groupe d'histoire des forêts françaises
  • RAYNAL Jean-Claude, Docteur en géographie, coordinateur scientifique de l'Observatoire Hommes / Milieux du bassin minier de Provence, Membre du laboratoire Écosystèmes continentaux et risques environnementaux (ECCOREV, FR3098, CNRS)
  • RICHARD Hélène, Conservateur général honoraire des bibliothèques, inspecteur général honoraire, Association des amis du CTHS et des sociétés savantes ; Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté ; Société des antiquaires de l'Ouest ; Comité français de cartographie ; Association d'histoire et d'archéologie du 20e arrondissement de Paris ; Société française d'histoire maritime ; Société de l'École des chartes
  • RIEUTORT Laurent, Professeur des universités - Université Clermont-Auvergne, Association d'histoire des sociétés rurales
  • SOUCHON Cécile, Conservateur général honoraire du patrimoine, Société de l'histoire de Paris et de l'Île-de-France ; Société historique de Haute-Picardie ; Centre d'études et de recherches prémontrées ; Association d'histoire et d'archéologie du 20e arrondissement de Paris
  • SOUMAGNE Jean, Professeur émérite des universités en géographie et aménagement urbain, membre du laboratoire Espaces et sociétés (ESO, UMR 6590, université d'Angers / CNRS), Société historique et scientifique des Deux-Sèvres ; Société historique et archéologique du Val de Sèvre ; Association des géographes français ; Société des lettres, sciences et arts du Saumurois
  • TISSIER Jean-Louis, Professeur émérite de géographie humaine de l'université Paris I - Panthéon-Sorbonne, Société de géographie,
  • ZEMBRI Pierre  Professeur des universités à l'Université Gustave Eiffel (EUP-École d'urbanisme de Paris), directeur du Laboratoire ville, mobilité, transport (LVMT, UMR T 9403), Rails et histoire - Association d'histoire du chemin de fer ; Association des géographes français ; Comité national français de géographie

Lieux

  • Campus Condorcet - Centre des colloques - 10 rue des Fillettes
    Aubervilliers, France (93)

Dates

  • jeudi 30 septembre 2021

Mots-clés

  • périphérie, associations, sociétés savantes, banlieue, territoires, région

Contacts

  • Christophe Marion
    courriel : secretariat [dot] general [at] cths [dot] fr
  • Francine Fourmaux
    courriel : congres [at] cths [dot] fr
  • Agnès MacGillivray
    courriel : secretariat [at] cths [dot] fr

Source de l'information

  • Francine Fourmaux
    courriel : congres [at] cths [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les périphéries », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 05 juillet 2021, https://doi.org/10.58079/16x2

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