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Le texte et la pratique

The text and practice

Dialogues pluridisciplinaires sur le statut du traité d’agriculture

Pluridisciplinary dialogues on the status of the agricultural treaty

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Publié le vendredi 09 juillet 2021

Résumé

« Il ne voulait pas instruire les agriculteurs mais plaire à ses lecteurs » : comme l’indique ce jugement bien connu de Sénèque sur les Géorgiques de Virgile, la valeur pratique de la poésie didactique a pu être remise en cause dès l’Antiquité. Les traités en prose en revanche semblent épargnés par une telle critique, même si Palladius, par exemple, reproche aux auteurs qui l’ont précédé leur excès de recherche littéraire. Selon lui, cette dernière nuirait à l’intelligibilité du propos, et en cela Palladius rejoint les préjugés contemporains selon lesquels les qualités techniques et scientifiques d’un texte seraient inversement proportionnelles à son degré de littérarité. De fait, le traité technique, en tant qu’œuvre de prose non fictionnelle, relève essentiellement du « régime conditionnel » de littérarité et donc, in fine, de la perception du lecteur. Outre la question de l’inscription dans une tradition littéraire, celle du destinataire et du lectorat est donc essentielle pour définir le statut du traité technique en prose.

Annonce

1er – 3 juin 2022, Lyon (France)

Argumentaire

« Il ne voulait pas instruire les agriculteurs mais plaire à ses lecteurs[1] » : comme l’indique ce jugement bien connu de Sénèque sur les Géorgiques de Virgile, la valeur pratique de la poésie didactique a pu être remise en cause dès l’Antiquité. Les traités en prose en revanche semblent épargnés par une telle critique, même si Palladius, par exemple, reproche aux auteurs qui l’ont précédé leur excès de recherche littéraire[2]. Selon lui, cette dernière nuirait à l’intelligibilité du propos, et en cela Palladius rejoint les préjugés contemporains selon lesquels les qualités techniques et scientifiques d’un texte seraient inversement proportionnelles à son degré de littérarité. De fait, le traité technique, en tant qu’œuvre de prose non fictionnelle, relève essentiellement du « régime conditionnel » de littérarité et donc, in fine, de la perception du lecteur[3]. Outre la question de l’inscription dans une tradition littéraire, celle du destinataire et du lectorat est donc essentielle pour définir le statut du traité technique en prose[4].

Ce statut est actuellement discuté par plusieurs courants critiques, issus des études de littérature ou d’anthropologie, qui remettent en cause le lien des textes d’agriculture avec la pratique agricole et nient même l’intention technique des auteurs de textes scientifiques ou techniques. Dans le cas de l’agriculture, L. Kronenberg a ainsi analysé récemment les Res rusticae de Varron comme une satire où l’idée même de science agronomique, pourtant défendue par les personnages du dialogue, serait profondément contestée par Varron[5]. Pour justifier une telle analyse, l’auteur convoque plusieurs types d’arguments, dont celui des erreurs dans l’information technique. À propos du De re rustica de Columelle, sans aller jusqu’à dénier au traité toute intention de transmettre des connaissances agronomiques, Lars Mielke, dans une thèse récente[6], défend toutefois l’hypothèse que l’objectif principal de l’auteur est la formation intellectuelle et morale du propriétaire d’un domaine, par le biais de stratégies rhétoriques passant notamment par la « Praxissimulation », une fiction d’apprentissage pratique. Il s’agit donc d’un courant de remise en cause plus ou moins radicale de la valeur pratique et technique de ces textes qui, tout en en donnant une lecture plurielle et en leur conférant de ce fait un « régime de lecture littéraire », leur dénie toute ou partie de leur portée scientifique ou technique.

Ce nouveau type d’analyse des traités techniques soulève ainsi de nombreuses questions, qui nécessitent un dialogue avec d’autres disciplines, sur l’autorité de ces œuvres, leur rapport à la pratique et leur validité scientifique.

Axes thématiques

Plusieurs points pourront ainsi être abordés, sans que cette liste soit exhaustive :

- la question de l’autorité sur laquelle se fondent les auteurs de textes techniques sur l’agriculture, de l’Antiquité à nos jours : s’agit-il uniquement de connaissances acquises par l’expérience, celle de l’auteur lui-même ou de praticiens contemporains ?  Dans quelle mesure les traités techniques s’appuient-ils sur la tradition littéraire ou savante ?

- la question du destinataire de ces textes, qui n’est pas nécessairement un praticien, et celle du rôle éventuel de vulgarisateur ou d’intermédiaire entre le discours scientifique et le grand public que peut assumer ou non l’auteur de textes d’agriculture.

- l’histoire de la réception des textes d’agriculture de l’Antiquité, qui ont amené parfois les philologues et les éditeurs à s’interroger sur les techniques des Anciens, et qui ont pu servir de modèles pour concevoir de nouveaux traités ou être rejetés au nom de l’efficacité et de la rationalité pratiques[7].

- la question de la réception pluridisciplinaire de ces textes, considérés souvent comme des autorités en raison de leur valeur scientifique et pratique, notamment dans le domaine des études historiques ou pour des disciplines qui ont besoin d’interpréter des restes archéologiques (archéologie, archéobotanique, histoire des techniques). Lors de notre précédent colloque, Guillaume Huitorel s’était ainsi interrogé sur cette relation complexe, à la suite de la controverse entre Alain Ferdière et Philippe Leveau à propos de l’interprétation des restes archéologiques des bâtiments agricoles[8]. Cette question appelle également celle de l’expérimentation en archéologie, qui se nourrit des textes techniques[9].

- la question de la valeur technique et scientifique de ces textes, dont les « erreurs » sont parfois pointées du doigt : dans quelle mesure peut-on parler d’erreur ? Comment expliquer, par des raisons pragmatiques, anthropologiques ou ethnobotaniques par exemple, certaines recommandations sur les pratiques culturales qui paraissent sans fondement aujourd’hui, voire allant à l’encontre des connaissances scientifiques actuelles ? C’est le cas par exemple de l’idée répandue dans les traités latins selon laquelle le pois chiche épuiserait le sol[10], ou du fait qu’il faille choisir les boutures de vignes au milieu de la plante, parce que, par analogie avec le corps humain, les êtres vivants possèdent leurs parties reproductives au centre de leur corps[11].

- dans le cadre du rapport du texte à la pratique, les questions relatives aux usages de sélection variétale des plantes de culture. Ces dernières nous semblent constituer un bon exemple d’objet susceptible d’approches croisées : qu’en disent les auteurs (tant pour les semences que pour les greffons) ? Leur façon de présenter leurs pratiques (tri, comparaison avec l'animal...) permettent-elles de comprendre leur concept de la sélection comme analogue du nôtre ? Les observations des archéo-botanistes peuvent-elles confirmer ou infirmer ce que l’on suppose d’après les traités techniques ?

- la question de l’édition de ces textes et du traitement des informations techniques, qu’il s’agisse d’une édition scientifique ou du traitement numérique des données techniques.

Toutes les disciplines scientifiques sont donc conviées (littérature, agronomie, anthropologie, botanique, archéologie, ethnobotanique, etc.), pour des discussions en diachronie large jusqu’à l’époque moderne, voire contemporaine. Il est possible également de soumettre des panels associant plusieurs disciplines. Par ailleurs, en raison des travaux de l’équipe AgroCCol, même si les communications pourront inclure des questions relatives aux cultures fruitières ou viticoles, les organisateurs du colloque souhaitent mettre l’accent si possible sur les cultures de plein champ (céréales et légumineuses).

Modalités pratiques d'envoi de propositions

Les propositions de communication, sous forme d’un résumé de 300 mots environ, sont à envoyer

avant le 15 septembre 2021

à Maëlys Blandenet (maelys.blandenet@ens-lyon.fr), Marine Bretin-Chabrol (marine.bretin-chabrol@univ-lyon3.fr) et Pascal Luccioni (pascal.luccioni@univ-lyon3.fr). Sont acceptées les propositions en français et en anglais. Le colloque se tiendra à Lyon du 1er au 3 juin 2022, sans frais d’inscription, et les frais de transports et d’hébergement pourront être pris en charge.

Ce colloque est organisé dans le cadre du projet AgroCCol, financé par l’Agence Nationale de la Recherche (2018-2022). Ce projet réunit une équipe pluridisciplinaire travaillant sur la constitution du savoir agronomique dans l’Antiquité gréco-romaine à partir des textes consacrés aux cultures de plein champ (céréales et légumineuses).

Organisateurs

  •  Maëlys Blandenet (Langue et littérature latines ; ENS de Lyon – UMR 5189 HiSoMA, Lyon) 
  •  Marine Bretin-Chabrol (Langue et littérature latines ; Université Jean Moulin Lyon 3 – UMR 5189 HiSoMA, Lyon) 
  •  Pascal Luccioni (Langue et littérature grecques ; Université Jean Moulin Lyon 3 – UMR 5189 HiSoMA, Lyon)

Comité scientifique

  •  Laurent Bouby (Archéobotanique ; Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM), UMR 5554, Montpellier)
  •  Michel Chauvet (Ethnobotanique ; ancien ingénieur de l’INRA, Montpellier)
  •  Jean-Yves Durand (Ethnologie ; Universidade do Minho, Centro em Rede de Investigação em Antropologia, Braga, Portugal)
  •  Thorsten Fögen (Littérature latine ; Université de Durham, UK, Department of Classics & Ancient History ; IZAW, Berlin)
  •  Guillaume Huitorel (Archéologie ; chargé de projet valorisation du patrimoine archéologique/archéosite de la Haute-Île, Département de la Seine-St-Denis – UMR 7041 ArScAn, Paris)
  •  Michel Jourde (Littérature française du XVIe siècle ; ENS de Lyon – UMR 5317 IHRIM)
  •  Georges Raepsaet (Archéologie ; Université libre de Bruxelles – CReA, Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine, Bruxelles)
  •  Véronique Zech-Matterne (Archéobotanique ; CNRS-MNHN – UMR 7209 AASPE ; Paris)

Références dans le texte

[1] Sénèque, Lettres à Lucilius, 86, 15 : […] nec agricolas docere uoluit sed legentes delectare.

[2] Palladius, Traité d’agriculture, I, 1, 1.

[3] G. Genette, dans Fiction et diction (Seuil, 1991), distingue un « régime constitutif » de l’œuvre littéraire, fondée sur des conventions génériques et des traditions culturelles, et un « régime conditionnel » reposant sur une appréciation du lecteur, susceptible d’évolution.

[4] Sur la question de l’importance des modèles et de l’inscription dans une tradition littéraire, voir notamment T. Fögen (éd.), Antike Fachtexte/ Ancient technical Texts (2005).

[5] L. Kronenberg (2009), Allegories of Farming from Greece and Rome, Philosophical satire in Xenophon, Varro, and Virgil, p. 76-93 et p. 108-125.

[6] L. Mielke, Spaliere für Silvinus. Charakterschulung in Columellas Werk über die Landwirtschaft, Dissertation sous la direction de C. Reitz, soutenue le 19 oct. 2019, Université de Rostock.

[7] Pour une mise en perspective de la réception des traités d’agriculture de l’Antiquité à l’époque moderne, voir l’exposition virtuelle Le ménage des champs. Du savoir agricole antique aux livres d’agriculture de la Renaissance (https://www.bm-lyon.fr/expositions-en-ligne/agriculture_antique_renaissance/).

[8] G. Huitorel, « Columelle, les équipements agricoles et les archéologues. Approche heuristique et pratique », in Blandenet M. et Bretin-Chabrol M. (éd.), La terre et le grain. Lectures interdisciplinaires de Columelle De re rustica, I et II, Lyon, éditions CEROR, 2020, p. 189-198 ; A. Ferdière, « Interprétation fonctionnelle des bâtiments et structures dans les parties productives des établissements agro-pastoraux des Gaules : historiographie et questions méthodologiques », in Trément (éd.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines. Problèmes d’interprétation fonctionnelle et économique des bâtiments d’exploitation et des structures de production agro-pastorale, éd., Bordeaux, Aquitania, p. 23-50 ; P. Leveau, « Certitudes et incertitudes dans l’interprétation des structures archéologiques : une réponse à Alain Ferdière », in Trément (éd.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines. Problèmes d’interprétation fonctionnelle et économique des bâtiments d’exploitation et des structures de production agro‑pastorale, Bordeaux, Aquitania, p. 51-65.

[9] Le colloque « TECHNO – L’expérimentation en archéologie », qui aurait dû se tenir en novembre 2020 et a été annulé en raison de la crise sanitaire, avait précisément pour but de traiter la question de l’expérimentation dans le cadre d’une réflexion sur l’histoire des techniques : cf. https://ager.hypotheses.org/2185.

[10] Cette idée toutefois est encore indiquée dans le Jardinier Provençal d’Eugène Gueidan en 1914.

[11] Cf. Columelle, De re rustica, III, 10.

Lieux

  • ENS de Lyon - 15, parvis René Descartes
    Lyon, France (69007)

Dates

  • mercredi 15 septembre 2021

Fichiers attachés

Mots-clés

  • agriculture, littérature technique

Contacts

  • Maëlys Blandenet
    courriel : maelys [dot] blandenet [at] ens-lyon [dot] fr
  • Marine Bretin-Chabrol
    courriel : marine [dot] bretin-chabrol [at] efrome [dot] it
  • Pascal Luccioni
    courriel : pascal [dot] luccioni [at] univ-lyon3 [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Maëlys Blandenet
    courriel : maelys [dot] blandenet [at] ens-lyon [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le texte et la pratique », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 09 juillet 2021, https://doi.org/10.58079/16yw

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