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Humanités numériques. Lieux, pratiques, acteurs

Digital humanities. Places, practices and actors

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Publié le mardi 28 septembre 2021

Résumé

Les organisatrices de l’atelier en ligne Humanités numériques. Lieux, pratiques, acteurs invitent les chercheurs des sciences sociales inscrivant leurs travaux dans une démarche d'humanités numériques à envoyer une proposition de communication. De quoi parle-t-on lorsque l’on se réfère aux Digital Humanities et à leur traduction française « humanités numériques » ? S’agit-il plutôt d’une approche, d’une méthode ou encore d’une discipline ? Pour être en mesure de délimiter les contours des humanités numériques en suivant une démarche compréhensive, il convient de regarder au dedans des pratiques et des lieux qui les composent mais aussi de suivre les acteurs, à savoir nous-mêmes (chercheurs en sciences sociales), qui les façonnent.

Annonce

Argumentaire

D’abord regroupées sous l’intitulé d’humanités computationnelles, les approches qui accompagnent l’évolution technologique autour de l’ordinateur traduisent l’appropriation par les praticiens des sciences sociales des outils de leur temps à l’instar de leurs homologues des sciences naturelles. Les Humanities Computing naissent d’une approche strictement instrumentale, celle du jésuite italien Roberto Busa (1913-2011) qui convainc le fondateur d’IBM, Thomas J. Watson, d’utiliser la technologie des cartes perforées pour élaborer un index des mots de l'œuvre de Thomas d'Aquin, l’Index Thomisticus (Schreibman, Siemens, Unsworth, 2004). Ainsi que l’expliquent Jeffrey Schnapp, Todd Presner, Peter Lunenfeld et Johanna Drucker dans leur manifeste (2008), les travaux des Digital Humanities ont d’abord été caractérisés par une approche quantitative et l’automatisation des tâches avant de déployer les questionnements et les méthodes de la recherche qualitative. David Berry (2011) rappelle que la transformation de Humanities Computing en Digital Humanities traduit un glissement de perspective méthodologique et un renversement de l’objet : il ne s’agit plus de mettre les moyens informatiques au service de l’analyse des textes des humanités mais d’étudier les matériaux natifs du “numérique” avec le regard et la boîte à outils des sciences humaines et sociales. L’instrumentation numérique des sciences sociales n’en demeure pas moins vivace et sujette à de questionnements d’ordre épistémologique et méthodologique (Bigot et Mabi, 2017).

De quoi parle-t-on lorsque l’on se réfère aux Digital Humanities et à leur traduction française “humanités numériques” ? S’agit-il plutôt d’une approche, d’une méthode ou encore d’une discipline  ? Ce type de questionnements autour d’un foisonnement académique empruntant des mêmes termes ou partageant une même sensibilité n’est pas nouveau comme nous le rappellent les débats visant à caractériser le mouvement postmoderniste (Pouchepadass, 2000). Le fait que les Digital Humanities se soient structurées différemment aux Etats-Unis et dans divers pays européens, à travers des projets, des centres de recherche, des enseignements, des associations, des sociétés savantes ainsi que des revues spécialisées, témoigne de volontés et de moyens différenciés pour inscrire la réalité numérique dans l’ordre du jour des sciences sociales (Dacos et Mounier, 2014).

Pour être en mesure de délimiter les contours des humanités numériques en suivant une démarche compréhensive, il convient de regarder au dedans des pratiques et des lieux qui les composent mais aussi de suivre les acteurs, à savoir nous-mêmes (chercheurs en sciences sociales), qui les façonnent.

Outre la reconfiguration des pratiques autour de nouveaux outils, le numérique, mais plus généralement l’internet, met les chercheurs en lien avec des mondes nouveaux ainsi que des façons de faire et de dire à resituer dans les environnements particuliers dans lequel elles émergent. Anthropologues et sociologues se sont emparés de mondes “virtuels”, ont défini des “communautés numériques” et procèdent à des ethnographies de l’internet qui étendent et à la fois interrogent le champ d’application des méthodes d’enquête (Boellstorff et al, 2012 ; Hine, 2015 ; Pastinelli, 2011 ; Pink et al, 2016). L’idée selon laquelle l’Internet serait immatériel et désocialisant a notamment été déconstruite par Antonio A. Casilli (2010) qui défend la thèse d’une recomposition du corps à partir de nouvelles traces d'ego. La reconnaissance d’une culture numérique, engendrant un nouvel humanisme, en particulier, autorise l’investigation du déploiement numérique des relations aux autres, des identités ou encore de la dialectique savoir-pouvoir (Doueihi, 2011). En histoire, l’Internet est devenu un lieu d’archivage et de circulation des savoirs privilégiés mais qui, cependant, ne s’affranchit pas des contraintes et des problématiques liées à la profession de l’historien (temporalité et pérennité des sources, source originale ou copie, méthodologie et faisabilité, etc).

Face à l’internet, l’ensemble des chercheurs des sciences sociales développent de nouvelles approches et façons de faire de la recherche en ayant recours aux traces textuelles de l’internet et en érigeant de nouveaux objets d’étude, tels que le blog et les réseaux sociaux (Wieviorka, 2013). Le numérique met les chercheurs face à un nouveau mode de connaissance avec ses discursivités propres (Laplantine, 2012).

Si des objets nouveaux sont apparus, des sources traditionnelles s’y sont aussi délocalisées, invitant à investiguer les transformations induites, si elles existent, par le contexte numérique et les similitudes ou continuités entre des formes numériques et imprimées. Internet peut aussi être utilisé comme un lieu d’archivage des données à l’initiative des chercheurs. De nouvelles pratiques de travail et d’archivage à partir des plateformes et d’environnements en ligne ouvrent la voie à un travail collaboratif en ligne avec des possibilités d’interagir avec d’autres chercheurs mais aussi d’autres usagers d’internet. L’Internet décuple par ailleurs les possibilités de mise en accès du patrimoine culturel et de démocratisation de savoirs. Toutefois, la massification des données en ligne pose aussi des questions d’ordre éthique et juridique.

Axe 1 : les pratiques historiographiques en contexte numérique (22 novembre 2021)

Les réflexions porteront tant sur les sources elles-mêmes que sur les pratiques qui les mettent au jour et la discipline dans laquelle elles s’insèrent. Les communications pourront proposer de réfléchir à la temporalité, parfois éphémère, de la matière d’internet prise comme source et aux manières de la citer. Elles pourront interroger la matérialité et le statut du document en contexte numérique ainsi que les modalités d’accès et de prise en main des sources en ligne, tout en discutant la préférence des historiens pour le support original (Duff, Craig et Cherry, 2004). La question de l’accès pourra être mise en lien avec la numérisation de fonds d’archives entiers, ou de façon morcelée, par des institutions publiques et privées. Consulter une archive en ligne induit-il nécessairement une fragmentation et une décontextualisation ? Pourront être particulièrement investigués les effets des outils numériques sur les pratiques traditionnelles de recherche documentaire, de lecture, d’analyse et de reprographie des sources. Que perd-on, que gagne-t-on, par exemple, à numériser une source, à l’échelle des institutions et à l’échelle des individus ? Comment penser des matériaux initialement imprimés ou palpables devenus numériques. Doit-on se munir d’outils conceptuels et méthodologiques spécifiques pour analyser des sources apparues dans un contexte numérique, en ligne ou non ?

Les représentations de la discipline et les projets de l’historiographie se transforment-ils au prisme des humanités numériques ? Le ou les rôles de l’historien ont-ils été bouleversés par l’avènement d’un monde de flux continu d’informations où le nombre de récits explose ? L’historiographie est-elle mise en concurrence avec d’autres formes de savoirs et de mise en récit du passé ? Quelles collaborations émergent ? Quels rapports au passé en contexte numérique ? Quels rapports aux images disponibles sur internet ? Les propositions pourront s’appuyer sur les notions de circulation, de science participative et de narration.

Axe 2 : les implications éthiques et juridiques de l'Open Data (13 décembre 2021)

Face à l’injonction des données ouvertes, les chercheurs en sciences sociales peuvent être amenés à réinterpréter les principes déontologiques qui les guident dans leur pratique d’enquête et d’écriture. L’anonymisation des personnes et le principe de confidentialité, adoptés par les anthropologues (Béliard et Eideliman, 2008), semblent entrer en contradiction avec l’ouverture des données. Les communications pourront donc s’interroger sur la notion d’ouverture et chercher à répondre aux questions suivantes : ouvrir des données pour qui, pour quoi faire, comment, pourquoi ?

Sont aussi bienvenues les contributions ouvrant des espaces de discussion sur la métamorphose des pratiques d’édition à l’ère de la numérisation des contenus, de l’internationalisation accrue des publications et de l’accélération des flux de diffusion de l’information scientifique. Comment concilier le droit d’auteur avec la mise en ligne gratuite des produits de la science et quelles stratégies économiques sous-tendent la mise en accès aux lecteurs ? Que dit le principe d’auteur-payeur des modèles économiques dans lesquels s’inscrivent nos pratiques de recherche ?

Comment l’Open Data influence-t-il les supports de la diffusion de la recherche ? Les processus de fragmentation, d’autonomisation ou inversement de mise en corpus pourront être interrogés.

Axe 3 : l'archivage des données de la recherche en sciences sociales (3 janvier 2022)

Les nouvelles possibilités d’archivage des données amènent à poser les questions suivantes : quel avantage y a-t-il à archiver des données en ligne ? Un archivage des données peut-il faciliter l’évaluation de la recherche par les pairs et la poursuite de travaux sur une thématique particulière ? De quelles contraintes s’assortit ce processus ? Toutes les données peuvent-elles ou doivent-elles être archivées ou, posé autrement, est-il souhaitable d’archiver des données et si oui, lesquelles et comment ? Enfin, l’archivage en ligne favorise-t-il la participation d’usagers en dehors du domaine scientifique ?

Axe 4 : le blog comme objet d'étude pour les sciences sociales (7 février 2022)

Un premier champ de questionnement couvre l’ontologie du blog : comment définir le blog et à partir de quels critères construire des typologies ? Serait-il plus heuristique de porter attention à la fabrique du blog et d’envisager le blog comme processus plutôt que comme une entité ? Véritable phénomène de société, la pratique du bloggingimprègne aussi les sciences sociales à travers, notamment, les carnets de recherche en ligne sur Hypothèses. Dans les milieux savants, les blogs constituent de véritables espaces de partage des savoirs à rapprocher des pratiques d’auto-édition et peuvent prendre la forme de carnets de terrain numériques.

Les communications pourront interroger le blog comme lieu de mise en scène et de diffusion de la recherche scientifique mais aussi comme source et objet d’enquête pour les sciences sociales. Le blog peut-il être considéré comme une source écrite ou s’agit-il davantage d’un lieu d’interactions réelles ? Comment prendre en main un objet mouvant dont l’accès peut être rompu à tout moment ? Le blog peut-il être rapproché de formes imprimées et manuscrites (par exemple : le journal de bord, la carte postale, le magazine) ou d’autres formes virtuelles ? En quoi se distingue-t-il des autres objets de l’internet ?

Sur le plan méthodologique, les communications pourront explorer les spécificités des approches et des méthodologies utilisées dans l’étude des blogs.

Modalités de contribution

Les résumés ne devront pas dépasser 1500 signes, contenir les affiliations du chercheur et préciser l'axe dans lequel s'inscrit l'intervention.

Ils seront envoyés au plus tard le 31 octobre 2021 (12h00, heure de Paris).

Les propositions des doctorants sont les bienvenues. 

Les exposés auront lieu le 22 novembre 2021 (axe 1), le 13 décembre 2021 (axe 2), le 3 janvier 2022 (axe 3) et le 7 février 2022 (axe 4).

Organisatrices

Les organisatrices sont aussi responsables de la sélection des contributions

  • Marion Casala, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Centre Chine Corée Japon (CCJ)
  • Sophie Duveau, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Centre Alexandre Koyré (CAK)

Références

Aude BÉLIARD et Jean-Baptiste EIDELIMAN « Au-delà de la déontologie. Anonymat et confidentialité dans le travail ethnographique » dans Alban Bensa et Didier Fassin (dir.), Les politiques de l’enquête, Paris, La Découverte, 2008, 336 p.

David BERRY, « The Computational Turn: Thinking about the Digital Humanities », Culture Machine, 12, 2011.

Jean-Édouard BIGOT et Clément MABI, « Une instrumentation numérique des sciences humaines et sociales. Enjeux épistémologiques et communicationnels », Les Cahiers du numérique, 13, 3-4, 2017, p. 63-90.

Tom BOELLSTORFF, Bonnie NARDI, Celia PEARCE et T. L. TAYLOR, Ethnography and Virtual Worlds : A Handbook of Method,Princeton, Princeton University Press, 2012, 264 p.

Susan SCHREIBMAN, Ray SIEMENS et John UNSWORTH (dir.), A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004.

Antonio A. CASILLI, Les Liaisons numériques. Vers de nouvelles sociabilités ?, Paris, Seuil, 2010, 331 p.

Marin DACOS et Pierre MOUNIER, Humanités numériques. État des lieux et positionnement de la recherche française dans le contexte international, Rapport de recherche, Institut français, 2014. 

Milad DOUEIHI, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, 192 p. 

Wendy DUFF, Barbara CRAIG, Joan CHERRY, « Historians’ use of archival sources: promises and pitfalls of the digital age », Public Historian, 26, 2, 2004, p. 7-22. 

Christine HINE, Ethnography for the Internet: Embedded, Embodied and Everyday, Londres, Bloomsbury, 2015, 240 p.

François LAPLANTINE, « Anthropologie et numérique », Journal des anthropologues, 128-129, 2012, p. 301-323. 

Madeleine PASTINELLI, « Pour en finir avec l’ethnographie du virtuel ! Des enjeux méthodologiques de l’enquête de terrain en ligne », Anthropologie et Sociétés, 35/1-2, 2011, p. 35-52. 

Sarah PINK, Heather HORST, John POSTILL, Tania LEWIS et Jo TACCHI, Digital ethnography: principles and practice, Los Angeles, London, SAGE, 2016, 216 p. 

Jacques POUCHEPADASS, “Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité”, L'Homme, 156, p. 161-186.

Collectif Multitudes, « Digital Humanities Manifesto 2.0 », Multitudes, 59, 2, 2015, p. 181-195.

Michel WIEVIORKA, L’impératif numérique ou La nouvelle ère des sciences humaines et sociales ?, Paris, CNRS, 2013, 64 p. 

Format de l'événement

Événement uniquement en ligne


Dates

  • dimanche 31 octobre 2021

Mots-clés

  • humanités numériques, open data, internet, méthodologie, blog, source

Source de l'information

  • Marion Casala
    courriel : Marion [dot] Casala [at] ehess [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Humanités numériques. Lieux, pratiques, acteurs », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 28 septembre 2021, https://doi.org/10.58079/178x

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