AccueilCritiquer l’album sériel. Vers un décloisonnement des corpus légitimes et populaires dans les études sur l’album

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Critiquer l’album sériel. Vers un décloisonnement des corpus légitimes et populaires dans les études sur l’album

Critiques of the serial album. Towards a decompartmentalisation of legitimate and popular corpuses in album studies

Revue Strenæ (Recherches sur les livres et objets culturels de l’enfance), n° 22, 2023

Revue Strenæ journal (research into the books and cultural objects of childhood), no.22, 2023

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Publié le lundi 27 septembre 2021

Résumé

L’album sériel occupe une place centrale dans le champ de la littérature adressée à l’enfance : celui de l’histoire et de l’actualité, du rayonnement culturel et de l’histoire des formes, des luttes d’influence et des controverses éducatives. Il est au cœur des pratiques de lecture propres à l’enfance – des premiers livres partagés à la première autonomie des jeunes lecteurs. Il exemplifie les conditions générales de la création en littérature de jeunesse : discrétion relative et pluralité de la fonction auteur, importance de l’éditeur et des médiations adultes, mais aussi de l’équation des coûts de production et prix d’achat. Il exemplifie aussi les enjeux spécifiques de la tradition – au sens complexe de médiation, transmission et recréation des contenus culturels – aux premiers stades de l’échange littéraire. Il emblématise, à sa manière, les singularités les plus irréductibles de la littérature d’enfance. Le dossier propose un regard transversal sur la complexité de cette production considérée en tant que genre, pratique culturelle et champ d’interactions sociales.

Annonce

Argumentaire

L’album sériel occupe une place centrale dans le champ de la littérature adressée à l’enfance, sous quelque jour qu’on l’appréhende : celui de l’histoire et de l’actualité, du rayonnement culturel et de l’histoire des formes, des luttes d’influence et des controverses éducatives. Il est au cœur des pratiques de lecture propres à l’enfance – des premiers livres partagés à la première autonomie des jeunes lecteurs. Il exemplifie les conditions générales de la création en littérature de jeunesse : discrétion relative et pluralité de la fonction auteur, importance de l’éditeur et des médiations adultes, mais aussi de l’équation des coûts de production et prix d’achat [1] ; il exemplifie aussi les enjeux spécifiques de la tradition – au sens complexe de médiation, transmission et recréation des contenus culturels – aux premiers stades de l’échange littéraire. Aussi divers dans ses réalisations historiques que repérable dans ses grandes caractéristiques éditoriales, il emblématise, à sa manière, les singularités les plus irréductibles de la littérature d’enfance.

Il n’est dès lors pas surprenant que cet objet conserve un statut incertain dans le procès de légitimation – au double sens de mouvement historique et de litige idéologique et culturel – du champ dont il relève. Il est plus étonnant que sa constitution en tant qu’objet d’étude apparaisse toujours en suspens, alors que la littérature de jeunesse a conquis dans son ensemble le statut d’objet de savoir et de questionnement. Les historiens et sociologues du livre, de la lecture et de la culture, les chercheurs en sciences de la communication et plus exceptionnellement les représentants d’autres disciplines contribuent à construire un regard scientifique sur l’album sériel pour enfants. Dans le cadre des études littéraires cependant, ce pan à la fois étendu et significatif de la culture enfantine fait essentiellement l’objet de mentions contextualisantes, à la périphérie de panoramas et de monographies centrés sur des critères de reconnaissance complexes, en tout état de cause peu compatibles avec les ancrages les plus populaires – aux sens médiologique et sociologique du terme – de la sérialité.

Les corpus mis en lumière par les études sur l’album n’intègrent de fait que rarement les pratiques sérielles d’auteurs consacrés ; mais ils semblent plus globalement exclure – à l’exception de créations historiques comme Babar et de quelques œuvres intergenre relevant aussi de la bande dessinée –, l’ensemble des séries les plus largement représentées dans les pratiques sociales de lecture enfantine. Ce phénomène de cloisonnement oblitère l’étude de ces corpus – objectivement variés – en tant que forme-sens et leurs conditions diverses de développement.

Les critères qui président à ce cloisonnement se situent au carrefour de l’analyse formelle et de l’analyse idéologique, la production sérielle étant traditionnellement perçue et présentée comme peu créative et peu émancipatrice. Mais ce diagnostic global, emblématique d’une coupure spécifiquement française entre sphère légitime et sphère populaire, ne repose que sur très peu de recherches. Les études d’Isabelle Nières-Chevrel sur Babar en tant que série à valeur fondatrice – et de Laurence Olivier-Messonnier sur le corpus contigu de la presse enfantine –, de Nathalie Froloff sur une série contemporaine relativement légitime comme Les P’tites poules (2012), et de façon plus frappante encore de Cécile Boulaire sur trois séries populaires emblématiques – Caroline, Emilie et T’Choupi (2010) –, montrent cependant le caractère stimulant de tels corpus et témoignent des avancées épistémologiques qu’ils autorisent.

Comment, dès lors, rendre compte de la diversité et de la complexité de l’album sériel pour enfants en tant que genre, pratique culturelle et champ d’interactions sociales ?

Axes thématiques

Le dossier propose de construire un regard transversal et actualisant sur cette situation, à la lumière de quatre types de questionnement.

Questions de méthode et de corpus

Quels outils mobiliser pour étudier l’album sériel, notamment dans le déploiement de séries longues, actuelles ou historiques ? Quels rapports entretiennent les albums d’une série à l’ensemble qu’ils constituent ? Des études à dimension comparative de séries restreintes et plus amples (mais aussi à titre contrastif d’albums à personnages récurrents) permettent-elles d’en dégager des caractéristiques structurelles ? Les modes d’analyse élaborés pour d’autres productions sérielles en littérature de jeunesse sont-ils en partie transposables à l’album pour enfants, et à quelles conditions ?

Les aspects institutionnels et documentaires appellent également des synthèses fondamentales. Quelles sont les politiques d’archivage des séries populaires historiques et contemporaines ? De quelles données statistiques dispose-t-on pour décrire leur degré et leur mode de diffusion dans les foyers et dans les différents espaces de médiation du livre ? Des études chiffrées permettant d’embrasser les différences ou au contraire les proximités d’échelle en termes de tirages et de ventes, de nombre de titres et de longévité seraient extrêmement précieuses.

Analyse littéraire

Les séries du XIXe et du premier XXe siècles appellent une attention particulière, au double titre de leur singularité esthétique et de leur caractère fondateur – à l’interface avec l’histoire de la bande dessinée et de la presse pour enfants. Plus près de notre actualité, l’histoire de l’album français est tissée des succès incontestablement « populaires » de séries comme Sylvain et Sylvette (1941), Caroline (1953), Martine (1954), Barbapapa (1970), Petit ours brun (1975) ou Émilie (1975). Ces séries culturellement marquantes n’ont jusqu’ici donné lieu qu’à très peu de travaux. L’expansion spectaculaire depuis les années 2000 de séries polymédiatiques, populaires comme T’Choupi (1997) mais aussi de légitimité intermédiaire comme Drôles de p’tites bêtes (1995) ou Le Loup (Auzou, 2009) renvoie également, quoique de tout autre manière, à la nécessité de mettre à distance les effets d’illégitimité reposant sur une opposition socio-culturelle des publics et des éditeurs.

Les différences de tirages, de nombre de titres et de longévité ne font pas a priori des séries enfantines des objets impossibles à analyser, comparer et situer en termes de régimes de création et de signification. Par quels moyens en partie spécifiques l’imaginaire, la fantaisie et la réflexivité s’y articulent-ils, entre logique de variation caractéristique des cultures populaires et polyexploitation caractéristique des systèmes industriels et médiatiques contemporains ? Comment les significations – stéréotypiques, mais aussi mythiques et poétiques – s’y déploient-elles entre texte, image, formats et graphismes ? Si l’analyse en termes d’idéologies a toute sa place dans ce travail critique, elle n’en constitue ni le tout, ni l’enjeu singulier dans un champ éditorial voué dans sa totalité à composer avec de tels régimes de signification.

Statuts de l’auteur et de la création

Les noms des créateurs et continuateurs de Sylvain et Sylvette, de Pierre Probst, Annette Tison et Talus Taylor ou Domitille de Pressensé ne partagent pas la notoriété de leurs personnages titres : comme le montrent de nombreux exemples, les auteurs d’albums sériels sont historiquement peu identifiés et valorisés. Les conditions historiques de cette création – degré d’autonomie des auteurs et illustrateurs, conditions matérielles et techniques, circuits de production et de diffusion – sont d’une diversité considérable [2]. La complexité de ces « mécanismes réels de la sérialité [3] » constitue en soi un objet de recherche, et apporte un éclairage sur la diversité objective de la production sérielle. L’analyse d’œuvres partiellement ou intégralement sérielles importées notamment du monde anglo-saxon avec des degrés variés de légitimité - comme celles de Tony Ross, David McKee, Roger Hargreaves et Anthony Browne en Grande-Bretagne ou du tandem Paulette Bourgeois et Brenda Clark au Canada –, peut également permettre de penser les spécificités transversales de la littérature enfantine.

La question de la patrimonialisation

Un vaste corpus populaire – à nouveau au double sens médiologique et sociologique du terme – à valeur historique est aujourd’hui en attente de description et de conservation. Comment reconnaître la place – en tout état de cause fondamentale – des séries multigénérationnelles évoquées ici, entre évidence singulière des styles et contributions fondamentales aux mythologies de l’enfance ?

Ce questionnement concerne aussi avec une forme d’urgence la question des rééditions et des remaniements. Qu’arrive-t-il aux séries durablement actives comme Martine, Caroline ou Emilie – trois personnages-titres féminins évités par la critique sinon au titre de leur participation à une histoire des stéréotypes de genre – lorsque leurs éditeurs en remanient la charte et le style graphiques jusqu’à en altérer radicalement les singularités ?

Enfin l’analyse des références et emprunts littéraires à l’album sériel pour enfants fait également sens ici : la liste d’« invités » dressée en guise d’hommage intertextuel par l’un des auteurs-illustrateurs les plus singuliers et les plus consacrés de la période actuelle [4] suffirait à justifier l’importance de se pencher sur une tradition sérielle foisonnante et imprévisible. Le corpus considéré ici reposera sur une définition large de l’album considéré dans l’extension et la diversité de ses usages sociaux du XIXe siècle jusqu’à nos jours, tout en trouvant des bornes significatives dans la prise en compte du support originel des séries considérées. Les productions d’origine littéraire, liées à la matérialité du livre et de l’imprimé, seront ici pensées en tant que telles, les séries issues d’autres mediums (dessins animés, jeux et jouets notamment) pouvant jouer un rôle de comparants extérieurs au champ critiqué.

Modalités de participation et calendrier

Les propositions — en français ou anglais, 2000 à 3000 signes, espaces et bibliographie comprises – devront être accompagnées d’une courte bio-bibliographie et

adressées avant le 17 mars 2022 à l’adresse : strenae@revues.org

Les propositions anonymées sont évaluées au minimum par deux évaluateur∙trices, l’un∙e au moins étant choisi∙e en dehors du comité éditorial.

Remise des articles complets (30 000 signes espaces et notes compris) : octobre 2022

Remise des versions corrigées des textes : décembre 2022

Mise en ligne du numéro : février 2023

Responsable

Dominique Perrin, maîtresse de conférences en langue et littérature françaises - université Lyon 1-INSPE

Eléments de bibliographie

Baudry J., Litaudon M.-P., « Hachette entre héritage et renouvellement (1920-1960) : comment « faire collection » face au défi des albums « transmédiatiques » ? », Strenae, n° 11, 2016.

Berissi M., « La série est-elle soluble dans l’album ? », Hors cadre, n° 22, 2018.

Besson A. (dir.), Cahiers Robinson n° 39, « Séries et culture de jeunesse », Artois Presses Université, printemps 2016.

—, « Du Club des Cinq à Harry Potter, cycles et séries en littérature de jeunesse contemporaine », dans Nathalie Prince (dir.), La Littérature de jeunesse en question(s), PU de Rennes, 2009, p. 117-154.

Boulaire C., Les Petits Livres d’or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide, Tours, PU François Rabelais, 2016.

—, « Caroline, Émilie, T’Choupi : des séries d’albums à succès ». La Revue des livres pour enfants, CNLJ, 2010 (a), p. 114-122 / « Caroline, Émilie, T’choupi, iconotextes et albums pour la jeunesse en série », Album ’50’, 30 mai 2014 (version originale développée de la réflexion publiée en 2010) : https://album50.hypotheses.org/632

Bruno P., La littérature pour la jeunesse. Médiologie des pratiques et des classements, Editions universitaires de Dijon, 2010.

—, La culture de l’enfance à l’heure de la mondialisation, Paris, In Press, 2000.

Chamboredon J.-C., Fabiani J.-L., « Les albums pour enfants, le champ de l’édition et les définitions sociales de l’enfance », Actes de la recherche en Sciences Sociales, 1977, n° 13, p. 60-79, n° 14, p. 55-74 (repris en 2021) https://journals.openedition.org/revss/5958

Fourment A., Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Paris, Éole, 1987.

Froloff N., « Intertextualité et intericonicité dans les albums des P’tites Poules de Christian Heinrich et Christian Jolibois », dans V. Alary, N. Chabrol-Gagne (dir.), L’album. Le parti pris des images, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2012.

Lesage S., « L’album de bande dessinée pour enfants : genèse d’un standard », Revue des livres pour enfants, n° 251, CNLJ, mars 2010, p. 121-128.

Letourneux M., Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Le Seuil, 2017.

—, « Les formes de la fiction dans la culture pour la jeunesse », Strenae, n° 2, 2011.

—, « Séries, collections et sérialité en littérature de jeunesse », Revue des livres pour enfants, CNLJ, n° 256, 2010, p. 91-98.

—, « Littérature de jeunesse et culture médiatique », dans Nathalie Prince (dir.), La Littérature de jeunesse en question(s), PU de Rennes, 2009, p. 185-235.

Litaudon M.-P., « Contribution des archives privées à l’étude de l’acte éditorial : le cas des collections pour la jeunesse », Strenae, n° 11, 2016.

Massol J.-F., Quet F. (dir.), L’auteur pour la jeunesse, de l’édition à l’école, PU de Grenoble, 2011.

Nières-Chevrel I., Au pays de Babar. Les albums de Jean de Brunhoff, PU de Rennes, 2017.

—, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, Didier, (2009) 2010.

– « Des pratiques éditoriales diverses en matière de réédition : livres d’hier pour enfants d’aujourd’hui », dans V. Ezratty, F. Lévêque, Le Livre pour la jeunesse : un patrimoine pour l’avenir, Agence Culturelle de Paris, 1997, p. 53-65.

Olivier-Messonnier L., Guerre et littérature de jeunesse (1913-1919). Analyse des dérives patriotiques dans les périodiques pour enfants, Paris, L’Harmattan, 2012.

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Passeron J.-C., « Quel regard sur le populaire ? » (Entretien avec Joël Roman), Esprit, mars-avril 2002, p. 145-161.

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Piquard M., L’Édition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2004.

Soriano M., Guide de littérature pour la jeunesse, Paris, Flammarion, 1975.

Virole B., « De la pérennité des héros pour la jeunesse », Revue des livres pour enfants, CNLJ, n° 241, 2008, p. 95-102.

Notes

[1] Voir les synthèses proposées sur ces différents aspects dans Jean-François Massol, François Quet (dir.), L’auteur pour la jeunesse, de l’édition à l’école, PU de Grenoble, 2011.

[2] Voir la mise en évidence de la complexité du champ proposée dans l’étude restée sans équivalent de Jean-Claude Chamborédon et Jean-LouisFabiani, « Les albums pour enfants, le champ de l’édition et les définitions sociales de l’enfance », Actes de la recherche en Sciences Sociales, 1977, n° 13, p. 60-79, n° 14 (repris en 2021).

[3] Matthieu Letourneux, Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Le Seuil, 2017.

[4] Claude Ponti, Blaise et le château d’Anne Hiversère, Paris, L’Ecole des loisirs, 2004. La dernière double page met en scène une assemblée indénombrable mêlant des personnages issus des littératures et cultures de jeunesse les plus populaires et les plus légitimes, dont les noms recouvrent ensuite la page finale et la troisième page de couverture.


Dates

  • jeudi 17 mars 2022

Fichiers attachés

Mots-clés

  • littérature, enfance, jeunesse

Contacts

  • Dominique Perrin
    courriel : dominique [dot] perrin [at] univ-lyon1 [dot] fr

Source de l'information

  • Dominique Perrin
    courriel : dominique [dot] perrin [at] univ-lyon1 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Critiquer l’album sériel. Vers un décloisonnement des corpus légitimes et populaires dans les études sur l’album », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 27 septembre 2021, https://doi.org/10.58079/179c

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