Accueil« Sound and Space » : espaces sonores dans les films et les productions audiovisuelles

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« Sound and Space » : espaces sonores dans les films et les productions audiovisuelles

"Sound and Space": soundscapes in films and audiovisual productions

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Publié le mercredi 06 octobre 2021

Résumé

« On vit seulement l’expérience de l’espace que l’on peut entendre », écrivait au tournant des années 1930 Béla Balázs dans son exploration théorique des potentialités expressives du cinéma sonore. En 2010, l’ingénieur du son Daniel Deshays soulignait, dans son livre Entendre le cinéma, que travailler sur le son d’un film, c’est toujours travailler sur le rapport entre un objet et un lieu, et, plus largement, sur la construction d’une relation sensible à l’espace du monde. Ce colloque interrogera la manière dont les sons contribuent à l’expérience spatiale des films et des productions audiovisuelles, aux niveaux sensoriel, intellectuel, politique et culturel. De la prise de son jusqu’au mixage, en passant par le bruitage et le montage son, il encouragera à explorer toutes les étapes du travail sur le son d’un film durant lesquelles s’effectuent des choix créatifs qui ont des répercussions sur son espace.

Annonce

Argumentaire

« On vit seulement l’expérience de l’espace que l’on peut entendre », écrivait au tournant des années 1930 Béla Balázs dans son exploration théorique des potentialités expressives du cinéma sonore. En 2010, l’ingénieur du son Daniel Deshays soulignait, dans son livre Entendre le cinéma, que travailler sur le son d’un film, c’est toujours travailler sur le rapport entre un objet et un lieu, et, plus largement, sur la construction d’une relation sensible à l’espace du monde. De la composition des films à leur réception, s’exprime ici, à quatre-vingt ans d’écart, la même conviction d’une relation intime entre le son et l’espace au cinéma.

Malgré la centralité de cette relation dans toutes les œuvres audiovisuelles, et même si certaines l’ont exposée comme un enjeu majeur, depuis M le maudit jusqu’au récent Sound of Metal, en passant par Un Condamné à mort s’est échappé ou India Song, cette question a été jusqu’ici relativement peu explorée sur les plans théorique et analytique. Cela s’explique d’abord par l’écrasante priorité que les études cinématographiques et audiovisuelles accordent aux problèmes d’images, mais aussi par le fait que l’espace lui-même, dans les sciences objectives comme dans la perception naturelle, a été avant tout appréhendé comme un phénomène visuel. Approcher l’enjeu de l’espace par son versant sonore, comme l’a proposé notamment R. Murray Schafer dans Le paysage sonore (1979), constitue dès lors une démarche plus exceptionnelle.

Cette prédominance du visuel répercute la hiérarchie sensorielle spontanée qui, chez la plupart des êtres humains, instaure la vue comme source principale d’information sur l’environnement et relègue l’ouïe au rôle subalterne de « complément ». Ainsi, à chaque évolution des techniques sonores cinématographiques ont fleuri des discours sur les capacités du son à renforcer le « réalisme » et la « présence » de l’espace filmé. Limiter le son des films et des productions audiovisuelles à cette fonction de « toile de fond » naturaliste reviendrait cependant à ignorer l’impact qu’il peut avoir sur nos représentations et nos vécus de l’espace, au-delà de ce qu’expriment les images seules. Ce serait également manquer l’occasion d’émanciper l’approche de l’espace cinématographique des catégories visuelles héritées des autres arts – comme le paysage pictural, le décor architectural, la scénographie théâtrale – dans la mesure où les rapports entre images et sons, tels qu’ils se déploient au cinéma, recèlent une puissance expressive spécifique à ce médium.

Lorsqu’on pose la question de l’espace au cinéma, il ne saurait donc être question de se limiter à ce que nos yeux perçoivent : avec l’intervention décisive du son, c’est une autre expérience qui se fait jour, dans laquelle l’audio et le visuel concourent à un sentir global de l’espace qui sollicite amplement le corps (en incluant des dimensions proprioceptives, tactiles, thermiques, etc.). Il ne s’agit donc pas, dans ce colloque, de « congédier » l’image (la bande-son n’étant jamais « autonome » au cinéma[1]), mais de considérer, à la hauteur de son importance, la contribution des sons à la construction pleinement audio-visuelle d’un espace filmique qu’ils contribuent puissamment à « modeler ». Ce faisant, nous traiterons ensemble d’une question évidente mais aux ramifications complexes : comment les sons contribuent-ils à l’expérience spatiale des films et des productions audiovisuelles, aux niveaux sensoriel, intellectuel, politique et culturel ?

Les bruits semblent a priori centraux dans ce processus, à travers les catégories des sons ambiants et des « sons-territoires »[2] (qu’ils soient biophoniques, géophoniques ou anthropophoniques[3]). L’espace est également mis en jeu, à toute époque, par l’utilisation d’« éléments de décor sonore »[4] culturellement associés à certains environnements (les klaxons pour la ville, par exemple), ou par les espaces fictionnels nocturnes, où la vision est empêchée et où les bruits sont « exaltés »[5] (comme dans la longue scène de coupure de courant d’ABC Africa). Mais ce colloque pourra également être l’occasion d’explorer la portée spatialisante des autres grands types de sons : les voix, dont le traitement peut exprimer l’atmosphère acoustique d’un lieu fictionnel (comme le manoir vide où résonnent les voix des époux qui ne s’entendent plus à la fin de Citizen Kane), dont la localisation peut créer des rapports spatiaux spécifiques (portée « acousmatique » de la voix hors-champ du Dr Mabuse, « écoute proche » [6] suscitée par la voix-off dans les documentaires de Patricio Guzman), et dont les accents peuvent assurer une fonction connotative de certains lieux (dialectes régionaux) ; et les musiques, qui peuvent elles aussi contribuer à la construction d’environnements singuliers, qu’elles soient extra-diégétiques (comme le Spiegel im Spiegel d’Arvo Pârt au début de Gerry, qui exprime l’air sec et chaud du désert), ou qu’elles résonnent dans la diégèse pour y traduire l’espace dans ses dimensions physiques (tel l’écosystème « boîte de nuit » de la grande scène finale de Mektoub, my love), mais également dans ses dimensions sociales et culturelles (comme le titre rap « Fight the Power » de Public Enemy entendu tout au long de Do the right thing).

Ce colloque pourra aussi être l’occasion de reconnaître la pratique de plus en plus répandue du continuum sonore[7], à l’intérieur de films dont la bande-son est composée comme une totalité organique, rendant parfois floues les distinctions entre voix, bruits et musique, mais également entre sons in, off et hors-champ. Des films d’Alain Robbe-Grillet (L’Homme qui ment) jusqu’à ceux de Gus Van Sant (Elephant), cette conception de la bande-son, où pullulent les « occurrences sonores libres »[8], charrie avec elle des enjeux spatiaux singuliers – où ce qui compte, c’est peut-être moins la nature des sons et leur localisation (son sémantique) que leur matière et leur texture (son-phénomène).

On invitera ainsi à la réflexion sur l’impact spatialisant du traitement du signal sonore : effets de réverbérations et d’échos, effets de distance et de proximité vis-à-vis des sources sonores, variations d’intensités et « perspectives sonores »[9] (comme dans les scènes de caméra autonome de Scarface ou de Frenzy), signature sonore liée à chaque lieu (« room tone »), voire à chaque plan (comme dans la scène de la boîte en verre de l’épisode 1 de Twin Peaks: The Return).

De la prise de son jusqu’au mixage, en passant par le bruitage et le montage son, ce colloque encouragera à explorer toutes les étapes du travail sur le son d’un film durant lesquelles s’effectuent des choix créatifs qui ont des répercussions sur son espace. Du perchman au compositeur de musique, en passant par l’ingénieur du son et le sound designer, elle pourra être l’occasion de mettre en lumière l’action des différents métiers qui concourent à l’élaboration d’une bande-son, et de souligner la diversité des solutions spatiales adoptées selon les contextes de production (tournage en studio ou en extérieurs naturels, son direct ou postsynchronisation, etc.).

Cela permettra notamment d’examiner les liens de parenté entre les pratiques du cinéma et celles d’autres médias producteurs de sons, comme la radio et le disque – dont l’influence concerne autant les pratiques d’accompagnement musical des films que les techniques de production sonore en général[10] (Apocalypse Now). Les sons « on the air »[11]  que les films font parfois entendre peuvent être directement porteurs de ces liens de parenté transmédiatiques, en même temps qu’ils peuvent servir à exprimer d’autres « espaces » (public, national, sociétal, etc.) à l’intérieur de la diégèse.

Au-delà de ces questions de composition, on accordera une attention particulière aux démarches invitant à resituer l’espace sonore des films et des productions audiovisuelles dans leurs contextes de réception. On pourra ainsi étudier la façon dont les critères sonores du « réalisme » spatial changent selon les époques ou les aires géographiques et culturelles, mais aussi l’impact des équipements acoustiques qui servent à l’audio-visionnage des films, depuis le contexte collectif des salles de cinéma (dispositions des haut-parleurs, revêtements de cloisons, etc.) jusqu’aux dispositifs individuels (téléviseurs, ordinateurs, smartphones) pour lesquels l’industrie propose parfois des solutions « adaptées » (en témoigne la compression de la dynamique sonore pour les productions télévisuelles).

Au fond, depuis les premiers essais de sonorisation au tournant du XXe siècle jusqu’au son numérique en passant par le Dolby (créateur d’un « super-champ »[12] et d’une nouvelle qualité de « silence » dans les films), on observe que chaque évolution significative des techniques sonores (au niveau des microphones, de l’amplification, du nombre de pistes et de canaux) a eu un profond impact sur l’expression de l’espace au cinéma. Cela se vérifie au niveau du son lui-même (élargissement du spectre sonore, distinction et répartition plus nette entre les sources, accroissement de la dynamique, possibilité de donner une sensation plus nette du vide, etc.) mais c’est également le cas au niveau des images (par exemple, le recours aux sons d’ambiance typique d’un lieu permet de faire l’économie, au niveau visuel, du traditionnel plan général d’exposition[13]).

Il semblerait donc que la question de l’« espace sonore » d’un film ou d’une production audiovisuelle ne soit pas exclusivement affaire de sons mais, plus globalement, de mise en scène et de montage (comme l’illustre la netteté des ruptures acoustiques à l’articulation des séquences dans des films comme Safe ou Tropical Malady). Au-delà de la composition des sons eux-mêmes, un aspect décisif de leurs effets sur les spectateurs est « l’espace » que leur aménage le film dans sa propre composition, la façon dont il les donne à entendre ou à écouter. Si l’on peut considérer que certains blockbusters hollywoodiens contemporains (parce qu’ils localisent leurs actions dans des environnements fantastiques, non-terrestres) partagent avec certains films expérimentaux et d’avant-garde du XXe siècle (Jordan Belson, Bill Viola, Derek Jarman) l’ambition de créer des espaces audio-visuels « inouïs », sans référent dans la perception naturelle, on peut se demander si le régime spectaculaire dans lequel ils s’inscrivent permet d’accorder le même espace attentionnel et le même poids perceptif à leurs créations sonores.

Axes thématiques

Thèmes possibles d’intervention (liste non-exhaustive) :

  • évolution des techniques sonores et des rendus de l’espace au cinéma
  • poétique et politique des espaces sonores au cinéma
  • enjeux spatiaux des sons enregistrés (prise de son) et des sons produits (bruitages) pour le film
  • « signatures sonores » des lieux extérieurs et intérieurs
  • dimension spatiale du traitement du signal sonore
  • sollicitation des corps spectatoriels par les espaces sonores
  • espace sonore et mise en scène visuelle
  • écologie sonore et politique des sons
  • distributions des sons dans les espaces de réception (salles de cinéma, installations vidéos, etc.)
  • bruits, musiques, voix et espaces
  • notion de design sonore dans les films et les productions audiovisuelles
  • liens entre l’espace sonore cinématographique et celui d’autres médias (musique enregistrée, radio, etc.)
  • le film comme espace d’écoute

Modalités de soumission

Les communicant·es sont invité·es à croiser les approches techniques, esthétiques et culturelles des films et des productions audiovisuelles, dans l’étude d’objets diversifiés (films de fiction et documentaires, films expérimentaux et installations vidéos, films amateurs et de famille, émissions télévisées et internet, vidéoclips musicaux et jeux vidéos, etc.).

Les propositions de communication (résumé de 300 mots, accompagné d’une courte bibliographie et biographie) en français ou en anglais sont à envoyer aux organisateurs avant le 30 novembre 2021.

Informations

Antoine Gaudin : antoinegaudin15@gmail.com

Organisateurs du colloque

Antoine Gaudin (université Paris 3 Sorbonne nouvelle, IRCAV) et David Roche (université Montpellier 3 Paul Valéry, RIRRA 21), en partenariat avec Giusy Pisano (ENS Louis-Lumière).

Ce colloque s’inscrit dans l’activité de l’IRCAV et dans le programme « Politiques des formes audiovisuelles » du RiRRa21.

Il se tiendra les jeudi 14 et vendredi 15 avril 2022 à l'ENS Louis-Lumière (Saint-Denis) et à la cité du cinéma (Paris).

La conférence plénière sera assurée par James Buhler, professeur de musicologie à l’université d’Austin (USA), auteur de Theories of the Soundtrack.

Comité scientifique

  • James Buhler (University of Texas at Austin)
  • Serge Cardinal (université de Montréal)
  • Pietsie Feenstra (université Montpellier 3)
  • Chloé Huvet (université d’Evry Paris-Saclay)
  • Giusy Pisano (ENS Louis-Lumière)
  • Emmanuel Siety (Université Sorbonne nouvelle)

Notes

[1] Michel Chion, Le son au cinéma, Paris, Étoile, 1985.

[2] Michel Chion, L’audio-vision, Paris, Nathan, 1990, p.67.

[3] Catégories proposées par le compositeur Bernie Krause pour désigner, à l’intérieur d’un soundscape, respectivement les sons produits par la vie animale, ceux produits par les éléments terrestres et végétaux, et ceux produits par l’activité humaine.

[4] « Sons de source plus ou moins ponctuelle et d’apparition plus ou moins intermittente qui contribuent à peupler et à créer l’espace par petites touches distinctes et localisées, et à situer le lieu de l’action ou sa périphérie: un aboiement de chien au loin, une sonnerie de téléphone dans un bureau, etc... » Michel Chion, L’audio-vision, op.cit., p.48.

[5] Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983, p.170.

[6] Daniel Deshays, Entendre le cinéma, Paris, Klincksieck, 2010.

[7] Voir Frédéric Dallaire, « Son organisé, partition sonore, ordre musical : la pensée et la pratique cinématographique d’Edgar Varèse et de Michel Fano », in Intersections, vol. 33, n°1, automne 2012, pp.65-81.

[8] Bruits « irrepérables, extravagants ou introuvables, non narrativisés, ou l’étant contre toute logique ». Ils n’incluent pas la voix-off ou la musique extra-diégétique. Cf. Dominique Chateau et François Jost, Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie : essai d’analyse des films d’Alain Robbe-Grillet, Paris, UGE, 1979.

[9] Rick Altman, « Sound space », in Rick Altman (dir.), Sound theory, sound practice, New York, Routledge, 1992.

[10] Rick Altman, « General Introduction : cinema as event », in Rick Altman (dir.), op.cit., p.13.

[11] Sons présents dans une scène mais supposés être retransmis électriquement, par radio, téléphone, interphone, amplification électrique, etc. ». Michel Chion, L’audio-vision, op.cit., p.68.

[12] Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Paris, Cahiers du Cinéma, 2003, p.133.

[13] Rick Altman propose d’analyser ainsi le début de la scène de la gare dans New York - Miami dans son article « Establishing Sound », in Martin Barnier et Jean-Pierre Sirois-Trahan (dir.), Cinémas, vol.24, n°1, « Nouvelles pistes sur le son : histoire, technologies et pratiques sonores », printemps 2014.

Lieux

  • 20 rue ampère
    Saint-Denis, France (93200)

Dates

  • mardi 30 novembre 2021

Mots-clés

  • son, espace, cinéma, audiovisuel

Contacts

  • Antoine Gaudin
    courriel : antoinegaudin15 [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Antoine Gaudin
    courriel : antoinegaudin15 [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« « Sound and Space » : espaces sonores dans les films et les productions audiovisuelles », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 06 octobre 2021, https://doi.org/10.58079/17c0

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