Published on Monday, November 08, 2021
Abstract
Après deux précédentes éditions consacrées aux thèmes « Petites et grandes rencontres du XIXe siècle » et « Populaire », Les Rencontres du XIXe siècle proposent à nouveau de réunir des jeunes dix-neuviémistes (doctorant·es et jeunes docteur·es) autour d’un colloque transversal. Organisé par un comité issu de différentes institutions universitaires, l’événement sera cette année consacré à une réflexion collective sur le thème de la « nature ».
Announcement
Argumentaire
À compter des années 1970-1980, la notion de « nature » a nourri une réflexion critique dans les sciences humaines et sociales, portée par des préoccupations écologiques montantes. Elle est dorénavant comprise comme une idée occidentale, progressivement forgée au cours de la première modernité afin de désigner l’univers animal, végétal et minéral (Descola, 2005 ; Laneyrie-Dagen, 2010), entraînant sa mise à distance progressive et légitimant son exploitation. La nature s’est ainsi imposée comme un objet historique permettant d’interroger les pratiques et les imaginaires des sociétés d’autrefois, donnant ainsi naissance à l’histoire environnementale. En effet, depuis lors, le terme concurrent « d’environnement » est souvent privilégié pour étudier les interactions concrètes entre populations humaines et non humaines. La compréhension du XIXe siècle a particulièrement bénéficié de ce renouvellement historiographique, que ce soit en histoire culturelle, politique ou encore économique.
En effet, dans le sillage du « siècle des Lumières », plusieurs environnements font l’objet de pratiques alliant récréation et prophylaxie, que ce soit la montagne avec la « cure d’air » (Briffaud, 1994), les littoraux avec l’invention de la plage (Corbin 1988) ou encore la savane avec la pratique des « grandes chasses » (Venayre, 2016). Chez les citadins du « Vieux Continent », taraudés par l’épuisement, de telles activités s’imposent ; leur succès pousse les pouvoirs publics à « commercialiser la nature » (Hagimont, 2017), à aménager ces espaces pour y développer le tourisme, tandis que s’inaugurent des cultures nationales de protection de la nature (Mathis et Mouhot, 2015). Aussi, aux États-Unis, la wilderness justifie-t-elle les premiers parcs naturels à partir de 1872, avec la création du Yellowstone National Park. L’essentiel n’en demeure pas moins que l’imaginaire du progrès, l’industrialisation, l’accélération des transports, l’accroissement de l’extraction minière, de l’exploitation végétale et animale stimulent l’imaginaire d’un progrès humain reposant sur la domination de la nature. Le développement d’un capitalisme internationalisé accélère cette marchandisation, mettant en contact des populations entretenant des rapports différents à leur environnement, engendrant de nouveaux phénomènes de pollutions et de contaminations (Le Roux et Jarrige, 2017). Les terrains coloniaux représentent aussi bien des dispositifs de valorisation de la nature au détriment des populations locales, qui se trouvent parfois réduites à la famine (Davis, 2006), que des laboratoires privilégiés de conservation de la nature et de genèse d’une pensée environnementale (Grove, 1996). Pour toutes ces raisons, en ce temps, apparaîtrait donc « un nouveau régime écologique et politique » (Charbonnier, 2020).
Par ailleurs, tout au long de la période, la littérature (que l’on songe au Moby Dick de Melville en 1851) ou la peinture (Le voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar D. Friedrich en 1818) entretiennent l’image d’une nature indomptable, parfois destructrice. La méconnaissance, encore grande, des principaux phénomènes naturels (météorologiques, sismiques, volcaniques, etc.) préoccupe le monde savant, qui fonde dès lors de nouvelles disciplines afin d’en élucider les mécanismes et tenter d’en limiter les impacts (Corbin, 2020). Les discours sur la nature qui doit être maîtrisée portent également sur les humains, naturalisant ainsi les différences et inégalités entre groupes sociaux. Pour preuve, la médecine puis l’anthropologie d’alors mesurent le niveau de développement des sociétés humaines en fonction de leur proximité avec la nature, signe certain, croit-on alors, de « primitivité ». Les représentations évolutionnistes, qui s’imposent peu à peu avec les écrits de Charles Darwin, confortent l’association entre nature et sauvagerie et, dans les dernières décennies, l’opposition nature-culture se structure dans l’imaginaire occidental (Stocking, 1987 ; Descola, 2005). Les représentations de la nature légitiment ainsi des formes de domination, que ce soient celles des hommes sur les femmes, des Européens sur les sociétés extra-européennes ou encore des notables sur les ouvriers.
La nature est aussi au cœur des révolutions artistiques, notamment picturales. La peinture de paysage fait l’objet d’un intérêt croissant tout au long du siècle et connaît de profondes mutations. Si le début de la période est marqué par le paysage recomposé et parfois intégré à la peinture d’histoire selon une tradition académique, la nature devient vite propice à la contemplation, au spirituel. Le paysage traditionnel est aussi transformé en spectacle naturel grâce à la matière, aux effets de mouvement et de lumière d’un Turner, relayé par les impressionnistes qui cherchent à représenter l’insaisissable – une nature « invisible », faite de vibrations et de variations – pour aboutir à l’explosion des couleurs. Le développement de la photographie ouvre aussi vers une multitude de représentations de la nature, même lointaines, suivant différents formats, de points de vue, d’abord inspirées par la peinture puis s’en éloignant. La photographie transforme également la perception du corps et de la nudité. Si la tradition du nu académique perdure, le corps malmené apparaît aussi comme un symbole de l’exploitation de la nature et un leitmotiv de la peinture et de la sculpture réalistes.
Ces quelques éléments, loin d’être exhaustifs, montrent bien l’importance du thème au XIXe siècle. Ils invitent à de nombreux questionnements que le colloque se propose d’explorer. Les Rencontres se tiendront les 9 et 10 juin 2022 à Dijon, à l’université de Bourgogne, sous le patronage de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848 et avec le soutien du laboratoire LIR3S (UMR CNRS 7366) laboratoire interdisciplinaire de recherche Sociétés, Sensibilités, Soin. Le logement sera pris en charge ou assuré de façon collaborative par des doctorant.e.s, deux repas seront pris en charge par les organisateurs, mais les frais de déplacement seront à la charge des participant·e·s et/ou de leur laboratoire de rattachement.
Axes thématiques
Les communications pourront porter sur tout type de contexte, local, colonial et/ou national et sont invitées à explorer un ou plusieurs des axes suivants.
Axe 1. La nature comme capital : une ressource à exploiter et administrer
- L’industrialisation et les nouveaux usages des ressources naturelles
- La pollution industrielle
- Les représentations hygiénistes de la nature
- La mise en marché de la nature
- Politiques de conservation et patrimonialisation de la nature
Axe 2. La nature comme justification : naturalisation(s) et légitimation(s)
- La « nature » comme fondement de légitimation des hiérarchisations et des inégalités de genres, de races et de classes
- Les discours sur l’association entre nature et sauvagerie
- Le statut des « non-humains » et le rapport à l’animalité
- La naturalisation des inégalités socio-économiques dans la construction des empires coloniaux
- « Droit naturel » et revendication démocratique
Axe 3. La nature comme refuge
- L’essor du tourisme dans les espaces dits « naturels »
- La critique de la partition nature/culture chez les socialistes, utopistes, anarchistes, transcendentalistes ou naturistes
- Les espaces dits « sauvages » comme lieux d’évasion et de modes de vie alternatifs (voyageurs-aventuriers, beachcombers dans les îles du Pacifique, etc.)
- La végétation urbaine (parcs, jardins, arbres d’agréments, etc.)
- Résister à la marchandisation : la nature comme « commun » démocratique
Axe 4. La nature, objet de collections, de savoirs et d’imaginaires
- La naissance, le développement et l’institutionnalisation des sciences de la nature (géographie, géologie, volcanologie, glaciologie, météorologie, écologie, etc.)
- Le développement des collections d’objets « naturels »
- Usages et traitements littéraires de la nature (courant dit « naturaliste », robinsonnades et littérature de naufrage, récits d’exploration, etc.)
- Apport de la photographie pour la connaissance, l’exploration et la diffusion des images de la nature
- La nature dans l’espace domestique urbain : les papiers peints et les plantes exotiques, etc.
Axe 5. La nature et les arts visuels
- Représenter la nature visible/invisible
- Nature, ruralité et représentation des inégalités sociales
- Le traitement du corps comme symbole
Modalités de soumission
Les propositions de communication (en français ou en anglais, de 2000 signes maximum) devront être envoyées à l’adresse :
- rencontres19eme@gmail.com
avant le 21 janvier 2022
accompagnées d’un court CV. Le colloque se tiendra à l’Université de Bourgogne, à Dijon, les 9 et 10 juin 2022.
Pistes bibliographiques
Katharine Anderson, Predicting the Weather : Victorians and the science of meteorology, Chicago, Chicago University Press, 2005.
David Arnold et Ramachandra Guha, Nature, Culture, Imperialism: Essays on the Environmental History of South Asia, Delhi, Oxford University Press, 1995.
Éric Baratay, Le point de vue animal, Paris, Seuil, 2012.
Rémi Beau et Catherine Larrère. Penser l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
Debjani Bhattacharyya, Empire and ecology in the Bengal Delta: the making of Calcutta, Cambridge, Cambridge University Press, 2018.
Hélène Blais, « Pépinières coloniales : de la valeur des plantes des jardins botaniques au XIXe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°66-3, 2019, pp. 81-102.
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène : la Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.
Pierre Charbonnier, Abondance et liberté : une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, 2020.
Serge Briffaud, Naissance d’un paysage. La montagne pyrénéenne à la croisée des regards (XVIe-XIXe siècle), Tarbes/Toulouse, Archives de Hautes-Pyrénées/Université de Toulouse, 1994.
Alain Corbin, Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, Paris, Aubier, 1988.
Alain Corbin, Terra Incognita. Une histoire de l’ignorance, Paris, Albin Michel, 2020.
Mike Davis, Génocides tropicaux : catastrophes naturelles et famines coloniales : 1870-1900 : aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003.
Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
Richard Harry Drayton, Nature’s Government: Science, Imperial Britain and the “Improvement” of the World, New Haven (N.J.), Yale University Press, 2000.
Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Seuil, 2012.
François Jarrige et Alexis Vrignon, Face à la puissance : une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel, Paris, La Découverte, 2020.
Dominique Juhé-Beaulaton et Vincent Leblan (dir.), Le Spécimen et le collecteur. Savoirs naturalistes, pouvoirs et altérités, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Muséum d’histoire naturelle, 2018.
Thomas Le Roux et François Jarrige, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017.
Fabien Locher et Jean-Baptiste Fressoz, Les révoltes du ciel, Paris, Seuil, 2020.
Richard H. Grove, Green Imperialism: Colonial Expansion, Tropical Island Edens and the Origins of Environmentalism, 1600-1860, Cambridge University Press, 1996.
Steve Hagimont, Commercialiser la nature et les façons d’être : une histoire sociale et environnementale de l’économie et de l’aménagement touristique des Pyrénées françaises et espagnoles XIXe-XXe siècles, thèse soutenue le 25 novembre 2017 à Toulouse II Jean Jaurès.
Nadeije Laneyrie-Dagen, L’invention de la nature, Paris, Flammarion, 2010.
Charles-François Mathis et Émilie-Anne Pépy, La ville végétale : une histoire de la nature en milieu urbain, Paris, Champ Vallon, 2017.
Charles-François Mathis et Jean-François Mouhot, Une protection de l’environnement à la française ? (XIXe-XXe siècle)?, Paris, Champ Vallon, 2015.
Grégory Quenet, « À la recherche du paysage : ruines, fantômes, traces », Hypothèses, vol. 22, n° 1, 2019, pp. 221-226.
George W. Stocking jr., Victorian Anthropology, New-York, Free Press, 1987.
Sylvain Venayre, « Le temps des grandes chasses » in Alain Corbin (dir.), Histoire des émotions, t.2, Des Lumières à la fin du XIXe siècle, Paris, Seuil, 2016, pp. 339-365.
Kim Wagner, « Entre science et sauvagerie. Crânes-trophées et pratiques de collecte dans l’Empire britannique au XIXe siècle », Monde(s), vol. 17, n°1, 2020, pp. 135-153.
Comité scientifique et d’organisation
- Nicolas Cambon (université Toulouse Jean Jaurès)
- Eléonore Chanlat-Bernard (EHESS)
- Alexandre Frondizi (université de Neuchâtel)
- Arnaud Malaty (université de Bourgogne)
- Cédric Maurin (Sorbonne Université)
- Camille Mestdagh (université de Bourgogne)
- Eric Sergent (université Lumière Lyon 2)
- Emma Sutcliffe (université de Bourgogne)
- Benoit Vaillot (université de Strasbourg & centre Marc Bloch)
Subjects
- History (Main category)
- Periods > Modern > Nineteenth century
Places
- Maison de l'Université, Esp. Erasme
Dijon, France (21078)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Friday, January 21, 2022
Attached files
Keywords
- XIXe siècle, nature, histoire environnementale
Information source
- Nicolas Cambon
courriel : cambonnicolas7 [at] gmail [dot] com
License
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To cite this announcement
« Nature : troisièmes rencontres du XIXe siècle », Call for papers, Calenda, Published on Monday, November 08, 2021, https://doi.org/10.58079/17kj