AccueilLes expériences de la mobilité africaine-américaine aux États-Unis depuis le mouvement des droits civiques

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Publié le mardi 16 novembre 2021

Résumé

Cette journée d’étude s’articule autour de l’idée selon laquelle la migration occupe une place centrale dans l’histoire africaine-américaine. Elle propose d’analyser les différentes formes qu’a pris la migration des Africain·e·s Américain·e·s depuis le mouvement des droits civiques en s’intéressant au croisement entre mobilité géographique et mobilité sociale.

Annonce

Argumentaire

Selon l’historien Ira Berlin, « aucun aspect de la vie noire aux États-Unis n’a échappé à l’influence des grandes migrations ; à l’interaction en contrepoint du déplacement et du lieu » (Berlin 35). Cette journée d’étude s’articule autour de l’idée selon laquelle la migration occupe une place centrale dans l’histoire africaine-américaine. En accédant au statut de citoyen états-unien au lendemain de la Guerre Civile, ces derniers ont entre autres acquis la liberté de mouvement, ce qui leur a donné la possibilité de se déplacer pour chercher de meilleures conditions de vie, dans des zones parfois éloignées de leur Sud d’origine. Le déplacement vers les grandes villes du Sud, l’exode vers le Kansas dans les années 1880 (Painter) puis les différentes vagues de la Grande Migration vers les grands centres urbains du Nord, du Midwest et de l’Ouest (Grossman ; Gregory ; Wilkerson ; Tolnay) sont autant d’exemples de processus migratoires noirs et de la recherche d’une vie meilleure. La mobilité géographique choisie s’est donc toujours imbriquée dans des projets de mobilité sociale.

De nombreux travaux se sont intéressés à l’histoire migratoire des Africain·e·s-Américain·e·s dans la période précédant le mouvement des droits civiques, et particulièrement à la Grande Migration. S’agissant du plus grand mouvement de population interne des États-Unis, l’historiographie s’est logiquement concentrée sur ce qui reste un chapitre majeur de l’histoire des migrations africaines-américaines, tant par son envergure que par la manière dont il a transformé le pays. Les chercheur·se·s ne s’accordent en revanche pas sur la suite de l’histoire migratoire noire aux États-Unis. Alors que pour l’historien Andrew Wiese, le chapitre suivant celui de la Grande Migration est sans contexte le déplacement en banlieue résidentielle des Africain.e.s-Américain.e.s (1-2), le démographe William Frey estime qu’il s’agit plutôt du déménagement de ces dernier.e.s vers le Sud depuis les années 1970 (Frey ; « New Great Migration »; Frey « Diversity Explosion »). Tandis qu’Ira Berlin considère que la migration d’Africain.e.s vers le pays depuis les années 1960 constitue la nouvelle phase de l’histoire migratoire africaine-américaine (288), Sharkey a observé que depuis le mouvement des droits civiques, c’est une relative immobilité qui caractérise les populations noires du pays si on les compare aux populations blanches ainsi qu’aux générations noires les ayant précédés (222). 

Ces différentes formes de mobilité ou de non-mobilité géographique renvoient à une variété de trajectoires sociales, le lien entre migration et capitaux ayant été établi depuis longtemps par les chercheur·se·s (Lee). Le déplacement en banlieue représente par exemple le résultat et la promesse d’une forme d’ascension sociale et ce sont précisément ces espaces qui se sont diversifiés depuis les années 1960 à mesure que les Africain·e·s-Américain·e·s ont rejoint la classe moyenne (Wiese ; Nijman ; Patillo-McCoy ; Landry ; Lacy). De même, l’ascension sociale par l’école a pu se doubler de déplacements géographiques vers des écoles ou des universités éloignées du domicile familial tout en s’accompagnant d’une mobilité vers des espaces majoritairement blancs et de la classe moyenne. Les études sur la migration des Africain·e·s-Américain·e·s vers le Sud ont quant à elles montré que ce sont les individus les plus avantagés d’un point de vue socio-économique qui déménagent vers Atlanta, Houston ou Charlotte (Frey “Diversity Explosion” 121). À l’inverse, Christine Leibbrand a mis au jour combien le déclin migratoire qui touche l’ensemble de la population états-unienne affectait les hommes et les femmes noires de manière disproportionnée (14-15), et que les conditions de vie des Africain·e·s-Américain·e·s non migrant·e·s s’étaient extrêmement détériorées depuis les années 1970. Conditionnée par l’appartenance de classe, la mobilité géographique peut ainsi être envisagée comme une possibilité de moins en moins accessible pour certaines strates sociales des communautés noires du pays. 

Si la Grande Migration est centrale dans l’historiographie des mobilités africaines américaines, les déplacements de la population noire n’ont pas toujours pris la forme de mouvements interrégionaux. La migration s’observe à différentes échelles : celle de la nation, de la région, de l’État ou encore de la métropole. En s’intéressant par exemple à l’échelle de la métropole, on observe des pratiques migratoires protéiformes : ramassages scolaires encadrés par les pouvoirs publics ou des institutions privés (Delmont; Batson); dépendance au transport en commun pour surmonter le décalage spatial entre le lieu de résidence en centre-ville et les zones où se trouvent les emplois en banlieues résidentielles (Thompson 52; Bullard et al. 56); phénomène de black flight faisant écho au white flight quand les premier·e·s résident·e·s noir·e·s installé·e·s en banlieue déménagent à leur tour pour échapper à la paupérisation de leur quartier (Woldoff). À l’opposé de ces déplacements relativement courts, certain·e·s Africain·e·s-Américain·e·s ont pris le parti de redécouvrir la terre de leurs ancêtres en traversant l’Atlantique pour se rendre en Afrique de l’Ouest de manière temporaire ou définitive (Hartman). 

Les études migratoires nous invitent également à penser la migration sous différentes modalités : elle peut être choisie et intimement liée à un projet de mobilité sociale mais elle peut également relever de la contrainte (Petersen 280). Dans le cas de la gentrification des quartiers populaires noirs, le déplacement n’est pas choisi mais relève au contraire des conséquences de l’appartenance de classe des populations paupérisées. La migration peut alors apparaître comme un projet non-désirable, ce que certain·e·s chercheur·se·s ont observé sur leur terrain : l’enracinement dans des territoires précis (Falk) ou le refus d’abandonner un quartier ont poussé certain·e·s à penser des stratégies de résistance à la migration (Chapman).

Par ailleurs, depuis les années 1990 le champ des études migratoires s’est enrichi en prenant en compte la dimension de genre dans les processus migratoires (Green 109-110). Chercheuses et chercheurs ont remis en cause la vision de flux migratoires constitués exclusivement d’hommes en révélant la place et le rôle central des femmes noires au sein de la migration. Les femmes noires ne migraient par exemple pas pour les mêmes raisons ni de la même manière que les hommes noirs (Hine). De plus, elles ont joué un rôle essentiel dans le développement et le maintien de mouvements migratoires vers le Nord pendant la Grande Migration (Jones 134). Les démographes notent par ailleurs que ce sont elles qui constituent la majorité des migrant.e.s se dirigeant vers le Sud depuis les années 2000 et qu’elles sont particulièrement diplômées (Hunt et al. 1400). Ces observations poussent à considérer le lien entre mobilité géographique et mobilité sociale à l’aune du genre. De même, les déplacements géographiques vers de grands centres urbains pour les populations noires LGBTQI+ représentent un autre processus interrogeant le lien entre migration d’une part et sexualité et genre d’autre part (Spears; Bartone).

Lors de cette journée d’étude, nous proposons de réfléchir ensemble aux nombreux liens entre mobilité géographique et mobilité sociale des populations africaines-américaines du pays depuis le mouvement des droits civiques.

Axes thématiques

À titre indicatif, les participants pourront aborder les thèmes suivants (liste non exhaustive) :

Axe n°1 : Mobilités géographiques et stratification sociale

Au sein de la communauté africaine-américaine, quels mouvements ont participé à la création d’une classe moyenne / supérieure africaine-américaine ? Avec quelles conséquences sur les communautés ouvrières / populaires qui n’ont pas voulu / pu se déplacer ?

Axe n°2 : Mobilité et ligne de couleur

Au travail, dans les banlieues résidentielles ou quartiers gentrifiés, à l’école - dans quelle mesure la mobilité sociale / géographique s’accompagne-t-elle d’une intégration au sein d’une Amérique Blanche ? Quels sont les obstacles rencontrés lors de cette intégration ? Comment ce nouvel environnement / entourage affecte-t-il la formation d’une identité et d’une communauté africaine-américaine ? 

Axe n°3 : Mobilités et intersectionnalité

Les expériences de mobilité sont à appréhender dans leurs complexités et différences, à l’aune de la classe, du genre et de l’orientation sexuelle. En quoi ces éléments viennent-ils façonner et transformer les mobilités géographiques et/ou sociales des Africain·e·s Américain·e·s ? Différentes trajectoires peuvent ici être étudiées, telles que la migration vers les grandes villes de la jeunesse homosexuelle africaine-américaine ou encore les mobilités des femmes noires. 

Modalités de soumission des propositions

Les communications, d’une durée de 20 minutes, seront en anglais ou en français.

Les propositions de communication, de 300 mots environ et accompagnées d’une courte notice biographique, doivent être envoyées avant le 20 février 2022 via le formulaire en ligne.

Organisateur·ice·s

La journée d’étude organisée par l’EHESS (centre d’études nord-américaines, CENA) et la Sorbonne (Histoire et dynamiques des espaces anglophones, HDEA) aura lieu le 6 mai 2022 à la maison de la Recherche de la Sorbonne.

Comité de sélection

  • Nicolas Raulin, doctorant à l’EHESS au centre d’études nord-américaines (CENA)
  • Sarah Harakat, doctorante à la Sorbonne au sein de laboratoire HDEA (Histoire et dynamiques des espaces anglophones)

Bibliographie

Bartone, Michael. Navigating and Negotiating Identity In The Black Gay Mecca: Educational And Institutional Influences That Positively Impact The Life Histories Of Black Gay Male Youth in Atlanta. Georgia State University, 2015.

Batson Ruth M. and Robert C. Hayden. A History of METCO: The Metropolitan Council for Educational Opportunity; A Suburban Education for Boston Urban Students.  Boston, MA: 1986.

Berlin, Ira. The Making of African America: The Four Great Migrations. Penguin, 2010.

Bullard, Robert D., et al. « Atlanta: A Black Mecca? » The Black Metropolis in the Twenty-First Century: Race, Power, and Politics of Place, édité par Robert D. Bullard, Rowman & Littlefield Publishers, 2007, p. 14972.

Chapman, Kathleen Patricia. Deference to Demographics: Desegregation and DeKalb County, Georgia schools, 1954-1998. Emory University, 2000. DeKalb History Center.

Delmont, Matthew F. Why Busing Failed: Race, Media, and the National Resistance to School Desegregation. Oakland: University of California Press, 2016.

Falk, William W. Rooted in Place: Family and Belonging in a Southern Black Community. Rutgers University Press, 2004.

Frey, William. The New Great Migration: Black Americans Return to the South, 1965-2000. The Brookings Institute, 2004.

—. Diversity Explosion: How New Racial Demographics Are Remaking America. Brookings Institution Press, 2018.

Green, Nancy L. Repenser les migrations. P.U.F, 2002.

Gregory, James N. The Southern Diaspora: How the Great Migrations of Black and White Southerners Transformed America. University of North Carolina Press, 2006.

Grossman, James R. Land of Hope: Chicago, Black Southerners, and the Great Migration. University of Chicago Press, 1989.

Hartman, Sadiya V. Lose Your Mother: A Journey Along the Atlantic Slave Trade. Farrar, Straus and Giroux, 2007.

Hine, Darlene Clark. « Black Migration to the Urban Midwest: the Gender Dimension ». The Great Migration in Historical Perspectives, édité par Joe W. Trotter, Indiana University Press, 1991.

Hunt, Matthew O., et al. « Twenty-First-Century Trends in Black Migration to the U.S. South: Demographic and Subjective Predictors ». Social Science Quarterly, vol. 94, no 5, 2013, p. 1398413.

Jones, Jacqueline. Labor of Love, Labor of Sorrow: Black Women, Work and the Family, from Slavery to the Present. Basic Books, 2010.

Lacy, Karyn. Blue-Chip Black: Race, Class, and Status in the New Black Middle Class. University of California Press, 2007.

Landry, Bart. The New Black Middle Class. University of California Press, 1987.

Lee, Everett S. « A Theory of Migration ». Demography, vol. 3, no 1, 1966, p. 4757.

Leibbrand, Christine Elizabeth. Race, Ethnicity, Gender, and the Pursuit of Economic Opportunity in the Age of the Migration Decline. University of Washington, 2019. digital.lib.washington.edu, https://digital.lib.washington.edu:443/researchworks/handle/1773/44915.

Nijman, Jan. The Life of North American Suburbs. University of Toronto Press, 2020.

Painter, Nell Irvin. Exodusters: Black Migration to Kansas after Reconstruction. Alfred A. Knopf, 1977.

Patillo-McCoy, Mary. Black Picket Fences: Privilege and Peril among the Black Middle Class. University of Chicago Press, 2013.

Petersen, William. Populations. Macmillan Co., 1975.

Sharkey, Patrick. « Geographic Migration of Black and White Families Over Four Generations ». Demography, vol. 52, no 1, 2015, p. 20931.

Spears, Tobia L. Paradise Found? Black Gay Men in Atlanta: An Exploration of Community. Georgia State University, 2010.

Thompson, Mark A. « Black-white Residential Segregation in Atlanta ». The Atlanta Paradox, édité par David L. Sjoquist, Russell Sage Foundation, 2000, p. 88116.

Tolnay, Stewart E. « The African American “Great Migration” and Beyond ». Annual Review of Sociology, vol. 29, no 1, Annual Reviews, 2003, p. 20932.

Wacquant, Loïc. « De la “terre promise” au ghetto, la grande migration noire américaine, 1916-1930 ». Formes et écritures du départ: Incursions dans les Amériques noires, édité par Hélène Le Dantec-Lowry et Andrée-Anne Kekeh-Dika, L’Harmattan, 2000.

Wiese, Andrew. Places of Their Own: African American Suburbanization in the Twentieth Century. University of Chicago Press, 2004.

Wilkerson, Isabel. The Warmth of Other Suns : The Epic Story of America’s Great Migration. Random House, 2010.

Woldoff, Rachael A. White Flight/Black Flight: The Dynamics of Racial Change in an American Neighborhood. Cornell University Press, 2011.

Lieux

  • Sorbonne Université - Faculté des Lettres Maison de la recherche, 28 rue Serpente
    Paris, France (75)

Format de l'événement

Événement hybride sur site et en ligne


Dates

  • dimanche 20 février 2022

Mots-clés

  • migration, mobilité, africain-américain, états-unis

Contacts

  • Nicolas Raulin
    courriel : nicolas [dot] raulin [at] ehess [dot] fr
  • Sarah Harakat
    courriel : sarah [dot] harakat [at] sorbonne-universite [dot] fr

Source de l'information

  • Nicolas Raulin
    courriel : nicolas [dot] raulin [at] ehess [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les expériences de la mobilité africaine-américaine aux États-Unis depuis le mouvement des droits civiques », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 16 novembre 2021, https://doi.org/10.58079/17mi

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