AccueilAnalyser la représentation des objets techniques : les formes filmiques au prisme des appareils de vision et d'audition

AccueilAnalyser la représentation des objets techniques : les formes filmiques au prisme des appareils de vision et d'audition

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Publié le mercredi 01 décembre 2021

Résumé

Ce colloque émane du programme de recherche Beauviatech, partie française du programme international Technès (Des techniques audiovisuelles et de leurs usages : histoire, épistémologie, esthétique). Le programme Technès travaille à repenser l’histoire du cinéma et ses méthodes en étudiant les techniques et technologies qui ont accompagné les mutations du médium. Après un colloque consacré à l’immersion au cinéma (mai 2021), puis un autre s’intéressant à la transition de l’argentique au numérique (décembre 2021), il s’agit pour ce colloque final du programme d’appréhender la technique sous l’angle de sa représentation au sein des films eux-mêmes, c’est-à-dire d’un point de vue principalement esthétique et culturel.

Annonce

Argumentaire

Prenant part à la vaste série de recherches engagées depuis une dizaine d’années dans le champ des techniques et technologies audiovisuelles, les programmes Beauviatech et Technès se sont souvent attachés jusqu’ici à décrire le rôle des techniques et des machines de cinéma dans le cadre de la fabrication des films ou de leur diffusion, mais ils se sont moins fréquemment interrogés sur le statut de la technologie en tant qu’objet de représentation au sein des films, et son impact sur les formes cinématographiques. Nombreuses sont pourtant les œuvres qui font entrer leur mise en scène en résonance avec des imaginaires technologiques suscités par la présence d’appareils singuliers dans la diégèse, notamment quand ils ont trait à la vision et/ou à l’audition. Caméras, postes de télévision, appareils photo, photocopieuses, ordinateurs, magnétoscopes, (vidéo)projecteurs, téléphones fixes ou mobiles, radios, cibis, talkie-walkies, magnétophones, appareils de diffusion de la musique (gramophones, tourne-disques, chaînes hi-fi, radios, baladeurs) mais aussi télescopes, microscopes et autres appareils scientifiques producteurs d’images, sont autant de machines à voir et/ou à entendre, autant d’objets techniques qui interrogent nécessairement les modes de représentation liés aux formes filmiques, tout autant que la place du film dans un contexte technologique plus vaste dont le cinéma constitue, à différentes époques et selon différentes modalités, une caisse de résonance privilégiée. 

En tant que dispositifs de regard ou d’écoute appareillés, ces objets ont ainsi pu être envisagés sous l’angle de la mise en abyme (par le biais du métafilm par exemple1), mais aussi comme moteurs d’une réflexivité visant à interroger la médiativité du cinéma en lui-même, sillon heuristique tracé par exemple par Alain Boillat dans le cadre de la collection « Emprise de vue », qui envisage de se demander « en quoi les machines figurées à l’écran, miroirs déformants soumis aux spécificités d’un dispositif donné, contribuent-elles à “réfléchir” (sur) la machine-cinéma2 ? » On ne saurait nier, à l’instar de Boillat, que cette présence intradiégétique d’objets techniques ayant pour fonction de médiatiser des données (image, musique, parole), implique que « la nature du représenté et les modes de sa figuration renv[oient] inévitablement aux particularités du support médiatique lui-même3 ». Mais au-delà de cette approche réflexive sur le cinéma en tant que média, il conviendrait également de comprendre que la présence de ces appareils de vision et d’audition n’est pas sans effet sur les formes filmiques elles-mêmes, c’est-à-dire sur l’économie figurative, narrative ou affective développée en cinéma. Au-delà des cas de transposition des techniques de fabrication du film aux appareils représentés à l’écran (le genre horrifique du found footage est par exemple friand de cette approche, du Projet Blair Witch d’Eduardo Sánchez et Daniel Myrick aux web-séries du type Marble Hornets, mais on peut penser aussi aux images informatiques produites dans le cadre de films comme Tron de Steven Lisberger, Star Trek 2 de Nicholas Meyer, ou encore L’Unique de Jérôme Diamant-Berger, ainsi qu’aux contaminations de l’image vidéo dans divers longs métrages tels Ring de Hideo Nakata, Lost Highway de David Lynch ou Inside Job de Nicolas Winding Refn), nombreux sont les cinéastes à avoir conçu leur mise en scène en fonction des spécificités techniques des appareils qu’ils ont choisi de faire figurer à l’écran, et qui y tiennent souvent un rôle moteur. C’est dès lors du côté de l’analyse de ces « formes appareillées », et non plus seulement de la génétique du film, de la théorie du cinéma ou des médias, que l’on pourrait saisir certains enjeux encore peu explorés de la technique dans un cadre cinématographique. 

En interrogeant ce que la présence de ces appareils peut produire sur les formes filmiques et sur leur analyse, ce colloque souhaite ainsi s’inscrire dans le sillage de l’intérêt que plusieurs chercheurs ont déjà porté à la question de la présence des objets dans les films, tels Joséphine Jibokji4, Yannick Lemarié5, Raphaëlle Costa de Beauregard et Gilles Menegaldo6, ou encore Alain Bergala et Jordi Balló7, sans compter les réflexions plus larges sur la présence d’œuvres d’art dans les films de fiction aussi bien que dans le champ documentaire (on pense particulièrement au travail de Luc Vancheri8, mais aussi aux nombreux travaux publiés dans le cadre de l’ANR Filcrea entre 2008 et 20129), tout en déplaçant la perspective du côté des appareils de vision et d’audition. En s’inscrivant dans la continuité d’une réflexion sur la présence des autres arts dans l’art du cinéma, tout en la plaçant plus résolument sous l’angle des machines productrices d’images et/ou de sons, il s’agira notamment de mettre l’accent sur les formes de « sensibilités appareillées » qu’elles permettent de travailler, et sur la manière dont ces dernières teintent la mise en scène des cinéastes de manière plus ou moins ostensible. La perspective de ce colloque conclusif du programme Beauviatech est donc principalement d’ordre esthétique (même si l’histoire des représentations pourra bien entendu être convoquée), et privilégiera les études qui mettront les films au premier plan de la réflexion, sous l’angle analytique de la résonance entre mise en scène et spécificité des objets techniques représentés à l’écran. Il s’agirait en ce sens de penser les vertus de l’analyse filmique en tant que socle méthodologique pour comprendre les enjeux de la technique, et mettre au jour certains imaginaires médiatiques sous le prisme singulier de l’image cinématographique – elle-même travaillée par ses propres imaginaires esthético-médiatiques. 

Axes thématiques

Plusieurs axes thématiques pourront ainsi venir alimenter ou orienter les propositions de communications :

- Ce que les objets techniques disent de la pratique filmique

L’histoire du cinéma regorge de photographes, de projectionnistes, d’opérateurs.ices de lanterne magique, de preneuses et preneurs de sons, de monteuses et de monteurs... et bien sûr, de cinéastes, qu’ils et elles soient professionnel.les ou amateur.e.s. Il s’agit donc de se demander comment et pourquoi les films élaborent des représentations de la technique qui sont aussi, dans le même mouvement, autant de discours sur la technique, et sur ce qu’elle permet dans l’ordre de l’invention formelle. Il ne s’agira pas tant ici de convoquer l’imaginaire des studios d’enregistrement ou des plateaux de tournage, mais plutôt de se demander ce que certains films, à travers la monstration de leurs conditions techniques d’existence, révèlent de la conception du cinéma dont ils participent, et qui n’est pas la même selon que l’on est chez Abbas Kiarostami ou chez Jonas Mekas, chez Atom Egoyan ou chez Harun Farocki, chez Agnès Varda ou chez René Clair. 

- Objets techniques et formes filmiques de l’émotion

La présence d’objets techniques dans les films a pu permettre à certains cinéastes de travailler le registre des affects de manière originale, voire de réinventer leur mise en scène. L’exemple le plus évident serait sans doute celui de la musique : avec l’apparition des tourne-disques, de la radio, des postes à cassettes ou des baladeurs, que ce soit sous forme domestique ou portable, individuelle ou collective, les films multiplient les occasions de mettre en scène le lieu et le moment où une émotion surgit, prend naissance, se développe et se trouve partagée à travers une écoute musicale, comme en témoignent des films aussi divers que L’Atalante (Jean Vigo), Mystery Train (Jim Jarmusch), La Maman et la putain (Jean Eustache), Chien enragé (Akira Kurosawa), Mauvais sang (Leos Carax) ou Moonrise Kingdom (Wes Anderson), parmi bien d’autres.

Sur un autre registre, l’intégration de l’acte photographique dans de nombreux films a pu permettre de développer des formes de sensibilité qui lient le procédé technique de révélation des images à son caractère spéculatif, voire mystique. C’est bien entendu le cas dans Blow Up d’Antonioni, ou dans Les Photos d’Alix de Jean Eustache, mais aussi dans d’autres films moins célèbres, par exemple Six et demi onze de Jean Epstein, The Asphyx de Peter Newbrook ou La Vie selon Agfa d’Assi Dayan.

- Modernités et contre-modernités, modernismes et anachronismes

Les représentations des objets techniques dans les films peuvent aussi être analysées comme autant de symptômes d’une idée – toujours fluctuante, et jamais univoque – de la modernité, ou des usages sociaux que celle-ci encourage et, parfois, prescrit. Le téléphone (avec ou sans fil), les caméras Super 8 ou les caméscopes, les postes de radio ou de télévision sont ainsi autant d’indicateurs, non seulement de l’époque à laquelle un film se situe, mais aussi de la manière dont il en rend compte, et prend position vis-à-vis d’elle.

Particulièrement visible à travers l’inflation récente des récits « dystopiques », où la technologie joue un rôle de premier ordre, cette tendance symptomale se trouve aussi mise en œuvre dans des films qui s’appliquent à utiliser ces objets pour brouiller les pistes de l’identification historique et culturelle, en mettant en scène des situations anachroniques, des « greffes techniques » sauvages où des technologies modernes figurent dans des films d’époque ; ou, inversement, lorsque des personnages insistent et persistent dans leur usage d’objets jugés obsolètes, dont ils font parfois un étendard de leur résistance à la marche du « progrès ».

- Objets techniques et genres cinématographiques

Sous-tendus par la mécanique serpentine de la variation/répétition, certains genres cinématographiques ont été particulièrement marqués par le rôle que les cinéastes y ont donné aux machines d’audio-vision, et à la manière dont elles ont pu conditionner ce qu’on identifie comme relevant intrinsèquement du genre lui-même. C’est le cas bien sûr dans tout un pan du cinéma d’horreur, qui a ainsi multiplié des motifs générateurs de suspense (le téléphone dans Scream et ses suites) ou d’effroi (l’écran de télévision ou d’ordinateur dans Poltergeist de Tobe Hooper, Shocker de Wes Craven ou Kairo de Kiyoshi Kurosawa ; et plus généralement, la relation de l’écran au corps spectral du fantôme), à partir d’objets techniques dont l’inquiétante familiarité était ainsi soulignée.

Mais on rencontre ces tropes dans d’autres genres importants, comme le western et la relation complexe qu’il entretient à la photographie, qui en a permis la documentation historique en même temps qu’il l’instituait comme forme spectaculaire ; ou la comédie romantique et les multiples technologies dont elle s’est saisie pour mettre en scène les tours et détours de la communication amoureuse, souvent associée aux motifs scénaristiques de la distance, de l’anonymat ou de la solitude, de Ernst Lubitsch (The Shop around the Corner) à Spike Jonze (Her), en passant par Rob Reiner (Quand Harry rencontre Sally).

- Dramaturgie et mise en scène au prisme des machines d’audio-vision

L’apparition d’objets techniques singuliers peut aussi, dans certains cas, fournir un motif ou un moyen d’infléchir la construction narrative du film lui-même, quand il ne lui fournit pas tout bonnement son argument de départ. Ainsi, c’est essentiellement par des moyens d’audio-vision que le diabolique Mabuse étend le voile de la terreur dans les films de Fritz Lang, préfigurant peut-être les transformations de la spatialité filmique induites par le développement de la surveillance par satellite telles que les traitera par exemple Tony Scott dans Ennemi d’État. En devenant portables, les téléphones transforment quant à eux les possibilités dramaturgiques associées à la mise en scène de la conversation et à la figuration de la parole, longtemps attachées aux procédés du champ-contrechamp et du montage alterné ou, plus tardivement, du split-screen. Un peu différemment, un dispositif de vision ou d’audition peut également tenir un rôle central dans la construction et le développement d’une intrigue mais aussi de sa conception figurative, exemplairement dans Blow Up et son « remake » sonore Blow Out par Brian de Palma, dans Conversation secrète de Francis Ford Coppola, mais aussi dans la Lettre à Freddy Buache de Jean-Luc Godard, Cinq caméras brisées de Emad Burnat et Guy Davidi, ou encore Herman Slobbe : l’enfant aveugle 2 de Johan van der Keuken, pour ne pas s’en tenir au seul registre de la fiction.

Modalités de soumission

Les propositions, d’une page environ (en français ou en anglais), sont à envoyer accompagnées d’une brève présentation de l’auteur.e avant le 7 mars (retour du comité scientifique le 4 avril) aux deux adresses suivantes :

Comité scientifique

  • Élisa Carfantan,
  • Simon Daniellou,
  • André Gaudreault,
  • Laurent Le Forestier,
  • Marie Marquelet,
  • Jean-Baptiste Massuet,
  • Gilles Mouëllic,
  • Éric Thouvenel.

Notes

1 Sur ce point voir notamment Marc Cerisuelo, Hollywood à l’écran : essai de poétique historique des films, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, coll. « L’œil vivant », 2000.

2 Alain Boillat, ligne éditoriale de la collection « Emprise de vue » des éditions Georg (Lausanne). Disponible en ligne sur l’url : https://www.georg.ch/collection/emprise-de-vue (dernière consultation le 10/11/2021).

3 Alain Boillat, « Le héros hollywoodien dans les mailles de la télésurveillance et dans la ligne de mire du drone », Décadrages, n° 26-27, « Drones, cartographie et images automatisées », 2014, p. 14.

4 Joséphine Jibokji, Objets de cinéma : de Marienbad à Fantômas, Paris, CTHS-INHA, 2019.

5 Yannick Lemarié, Dictionnaire des objets dans le cinéma, Paris, Dumane, 2017.

6 Raphaëlle Costa de Beauregard et Gilles Menegaldo (dir.), Le cinéma et ses objets, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2003.

7 Alain Bergala et Jordi Balló (dir.), Les motifs au cinéma, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « PUR-Cinéma », 2019.

8 Luc Vancheri, Cinéma et peinture, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma », 2007 ; Psycho : la leçon d’iconologie d’Alfred Hitchcock, Paris, Vrin, 2013.

9 Notamment Antony Fiant, Pierre-Henry Frangne et Gilles Mouëllic (dir.), Les Œuvres d’art dans le cinéma de fiction, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Le spectaculaire – Cinéma », 2014.

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • jeudi 07 avril 2022

Mots-clés

  • forme filmique, étude visuelle, représentation, objet technique, technique

Contacts

  • Elisa Carfantan
    courriel : elisa [dot] carfantan [at] univ-rennes2 [dot] fr
  • Marie Marquelet
    courriel : marie [dot] marquelet [at] univ-brest [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Elisa Carfantan
    courriel : elisa [dot] carfantan [at] univ-rennes2 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Analyser la représentation des objets techniques : les formes filmiques au prisme des appareils de vision et d'audition », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 01 décembre 2021, https://doi.org/10.58079/17s6

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