Accueil« On n'y voit rien ! » : l'obscurité dans les arts et la littérature

Accueil« On n'y voit rien ! » : l'obscurité dans les arts et la littérature

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Publié le mercredi 01 décembre 2021

Résumé

Cette journée d'étude transséculaire et transartistique est organisée par Ad Hoc, association des jeunes chercheurs et chercheuses du Centre d'études des langues et littératures anciennes et modernes (Cellam), université de Rennes 2. Elle est ouverte à tous les jeunes chercheurs et chercheuses. Elle sera l'occasion de s'interroger de manière très ouverte sur les usages de l'obscurité à la fois comme motif, comme ressource artistique et comme qualificatif esthétique revendiqué ou subi, dans les arts et dans la littérature.

Annonce

Argumentaire

Selon Max Milner, « la pensée occidentale est dominée par l’équivalence qu’elle établit entre la lumière, la vérité et la beauté, et par une répugnance corrélative envers tout ce qui porte la marque de l’obscur[1] ». De fait, depuis Platon, la lumière et la vue sont utilisées comme des métaphores de la raison et de l’entendement, permettant de différencier, d’identifier, de classer. À l’inverse, l’obscurité force l’homme à prendre conscience de ses limites sensorielles, le livre à la « pâte imaginaire de la nuit[2] », aux puissances de l’inconscient et des métamorphoses.

C’est pourquoi l’obscurité suscite souvent la répulsion – les terreurs nocturnes, liées à la peur de la mort, en sont l’une des manifestations les plus frappantes. Associée à la marginalité, aux contre-cultures, à la criminalité et à toutes sortes de pratiques occultes, l’obscurité est le lieu de ce qui n’est pas admis dans le monde diurne de la loi de la Cité et de la rationalité, le lieu d’un chaos antérieur à l’apparition ordonnatrice et rassurante de la lumière, le lieu de ce qu’on ne comprend pas. Pourtant, elle recèle un fort potentiel subversif qui peut aussi être investi positivement : libérée des apparences trompeuses, sous la surface des choses exposées en pleine lumière, au-delà de la raison et de l’ordre social, elle cache une vérité plus profonde, un mystère. Elle est une échappatoire au monde réglé et une voie d’accès vers la transcendance. En brouillant des frontières qui apparaissaient clairement au grand jour, elle nous donne un avant-goût sublime de l’infini[3].

Dans les arts et la littérature, l’obscurité a longtemps servi de faire-valoir à la clarté. Le clair-obscur d’un Léonard de Vinci ou d’un Caravage – qui n’est d’ailleurs pas sans introduire un « risque d’instabilité dans le royaume du visible[4] » –, la nuit complice des amants illégitimes dans les poèmes et les romans médiévaux, les ténèbres propices à toutes les farces et à tous les quiproquos, les récits de veillées ou ceux des Mille et une nuits, les éclairages scéniques traditionnels, ne visent en fin de compte qu’à dramatiser et à orchestrer le triomphe de la lumière, de la raison et de l’ordre social, tout illusoire ou sombre soit-il.

Peu à peu, cependant, à mesure que recule « l’ocularocentrisme[5] » et la tyrannie de la raison, les artistes et les écrivains reconnaissent des vertus à cette « sensation négative » et à cette expérience du vide permise par l’obscurité. Dès le Moyen Âge, les artistes se passionnent pour l’écriture chiffrée dont la conjointure est l’emblème, l’énigme laissée pour les lecteurs du futur, comme c’est le cas dans un grand nombre de prologues médiévaux, chez Raban Maur, chez Christine de Pizan qui valorise la parole « oscure » ou, un peu plus tard, chez Rabelais qui se délecte de la pratique de la stéganographie. La lecture allégorique ou à clefs, prégnante durant les siècles classiques, témoigne de l’emprise durable de cette obscurité. Du reste, au siècle du roi Soleil fleurit une préciosité jugée amphigourique par ses détracteurs – eux-mêmes parfois renvoyés au caractère abscons de leurs écrits théoriques –, tandis qu’à l’ombre du siècle des Lumières s’élabore une sensibilité préromantique qui pousse Diderot, alors que les romans noirs rencontrent un vif succès et Goya peint ses pinturas negras, à s’exclamer : « Poètes, parlez sans cesse d’éternité, d’infini, d’immensité, du temps, de l’espace, de la divinité, des tombeaux, des mânes, des enfers, d’un ciel obscur, des mers profondes, des forêts obscures, du tonnerre, des éclairs qui déchirent la nue. Soyez ténébreux[6]. » Cette obscurité thématique, promue par l’auteur de la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, se double d’une obscurité formelle revendiquée par un Marivaux dont on moque les galimatias. Contre l’idée que « tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », il déclare qu’il existe un « point de clarté au-delà duquel toute idée perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse[7] », admettant qu’il existe des idées qui « passe[nt] toute expression » et qu’on ne peut que « faire entrevoir[8] », par un jeu de clair-obscur[9]. Le romantisme, ses déambulations nocturnes et ses abîmes hugoliens, feront prospérer cette sensibilité au sublime, tandis que le symbolisme verra dans l’hermétisme un moyen d’atteindre la véritable Poésie. Les récits fantastiques donneront quant à eux, avant l’heure, consistance et forme à l’inconscient. Ce n’est cependant qu’à partir du XXe siècle, moment où culmine le « dénigrement de la vision[10] », que l’obscurité gagne ses lettres de noblesses artistiques et poétiques : perçue comme « l’envers du monde », un envers « palpitant, aussi noir que le sang[11] », fond de l’être sur lequel se détachent la fausseté des couleurs et l’hypocrisie des mots, elle suscite l’intérêt d’écrivains tels que René Char, Maurice Blanchot, Federico Garcia Lorca, ou encore de peintres comme Pierre Soulages. S’engage alors une lutte poétique et artistique pour sauver ce qu’Annie Le Brun appelle la « nuit mentale[12] », pour la garantir d’une « pollution lumineuse, visant à l’éclairage total, [qui] implique une objectivation de toutes les zones d’ombre[13] » où se niche le sujet lui-même.

L’obscurité, intimement liée aux faiblesses humaines, passionne car elle est un défi adressé aux créateurs comme aux spectateurs ou aux lecteurs. L’obscurité, au sens stylistique, est donc peut-être une réponse à un défi esthétique : celui de représenter l’invisible, le caché, l’irreprésentable. C’est pourquoi elle est souvent un symptôme d’innovation : Racine, Hugo, Mallarmé, pour ne citer que des exemples littéraires, ont tous eu à faire face à ce reproche. Mais cette obscurité n’existe peut-être que dans les yeux de celui qui ne peut ou ne veut l’éclairer : elle est dès lors un obstacle destiné à différencier les herméneutes initiés de la masse des lecteurs à la « rétine vulgaire[14] », une ligne de partage entre ceux qui croient à telle ou telle entreprise artistique et ceux qui la rejettent, l’obscurité étant utilisée, dans les querelles esthétiques, comme une arme redoutable pour discréditer le camp adverse. En définitive, l’obscurité réussit souvent à s’imposer, paradoxalement, comme nouveau schéma de visibilité et d’intelligibilité, n’étant, dans ce cas, que la frontière temporaire de nos lumières collectives.

Toute obscurité est-elle cependant destinée à se dissiper à la lumière du commentaire, de la lecture éclairée ou de la postérité ? N’y a-t-il pas une force de résistance de l’obscurité qui laisse subsister des alternatives, des zones d’ombre propices à toutes sortes d’appropriations plus ou moins subversives ?

C’est le questionnement que nous nous proposons d’explorer lors d’une journée d’étude transséculaire et transartistique, qui sera l’occasion d’interroger de manière très ouverte les usages de l’obscurité – comme motif, comme ressource artistique et comme qualificatif esthétique revendiqué ou subi –, dans les arts (visuels, scéniques…) et dans la littérature (au sens large, les questions linguistiques ou de traduction pouvant aussi être abordées de manière fructueuse dans ce cadre).

Modalités de soumission

L’événement, ouvert à tous·tes les jeunes chercheurs·ses, se tiendra à Rennes, le 24 février 2022. Les communications, de 15 à 20 minutes (en fonction du nombre de propositions retenues), devront être inédites et en français.

Les propositions de communication (titre et résumé de 250 mots, avec une courte bio-bibliographie mentionnant l’établissement de rattachement, le(s) sujet(s) de recherche et les publications, s’il y a lieu) devront être envoyées avant le 6 janvier 2022 à l’adresse suivante : asso.adhoc@gmail.com. Merci d’indiquer en objet : JE 2022, Nom, Prénom, Titre de la proposition.

Comité organisateur

  • Marion Bally
  • Rose Delestre
  • Marius Muller

Notes

[1] Max Milner, L’Envers du visible : essai sur l’ombre, Paris, Éditions du Seuil, 2005.

[2] Gaston Bachelard, La Terre et les Rêveries de la volonté. Essai sur l’imagination des forces, Paris, José Corti, 1988, p. 99.

[3] Edmond Burke. Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, Paris, Vrin, 1998, p. 103 fait en effet de l’obscurité un élément de définition majeur du sublime.

[4] Max Milner, L’Envers du visible, op. cit., p. 71.

[5] Martin Jay, Downcast Eyes. The Denigration of Vision in Twentieth Century French Thought, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1993.

[6] Denis Diderot, Salon de 1767, in Œuvres complètes t. XVI, Paris, Hermann, 1984, p. 233.

[7] Marivaux, « Sur la clarté du discours », in Journaux II, Paris, GF-Flammarion, 2010, p. 52.

[8] ibid., p. 49.

[9] Voir aussi, par exemple, Stéphanie Genand, La Chambre noire. Germaine de Staël et la pensée du négatif, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2017.

[10] Martin Jay, Downcast Eyes. The Denigration of Vision in Twentieth Century French Thought, op. cit.

[11] D. H. Lawrence, L’Homme et la poupée, cité dans Gaston Bachelard, La Terre et les Rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948, p. 28.

[12] Annie Le Brun, Du trop de réalité, Paris, Folio, 2010, p. 35.

[13] ibid.

[14] Lucien Muhlfeld, « Sur la clarté », La Revue blanche, n° 75, 15 juillet 1896.

Lieux

  • Université Rennes 2 - Place du Recteur Henri Le Moal
    Rennes, France (35000)

Format de l'événement

Événement hybride sur site et en ligne


Dates

  • jeudi 06 janvier 2022

Mots-clés

  • obscurité, querelle littéraire, querelle artistique, innovation, esthétique, histoire de la réception, réception

Contacts

  • Association Ad Hoc des jeunes chercheurs et chercheuses du Cellam
    courriel : asso [dot] adhoc [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Marion Bally
    courriel : marion [dot] bally [at] univ-rennes2 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« « On n'y voit rien ! » : l'obscurité dans les arts et la littérature », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 01 décembre 2021, https://doi.org/10.58079/17sc

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