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Publié le mercredi 01 décembre 2021

Résumé

Dès leur apparition, les médias analogiques furent employés dans les cercles spirites pour rationaliser leur conception idéologique d’une survivance de l’âme et d’une matérialité spirituelle. Cette même logique pseudo-positiviste courant du XXe siècle fut objectée aux sceptiques, pour justifier de la véracité scientifique des expériences d’enregistrements sonores de la voix de défunt dits phénomène de voix électronique. Ces appareils analogiques et leur mode opératoire furent objectivés en procédés techniques rationnels, neutralisant alors leur rôle transformatif de l’information. Cet appel à contribution propose aux participant·e·s d’aborder la question du spectre par une approche matérialiste et technique.

Annonce

Argumentaire

Dès leur apparition, les médias analogiques furent employés dans les cercles spirites pour rationaliser leur conception idéologique d’une survivance de l’âme et d’une matérialité spirituelle. Cette même logique pseudo-positiviste courant du XXe siècle fut objectée aux sceptiques, pour justifier de la véracité scientifique des expériences d’enregistrements sonores de la voix de défunt dits phénomène de voix électronique. Ces appareils analogiques et leur mode opératoire furent objectivés en procédés techniques rationnels, neutralisant alors leur rôle transformatif de l’information.

Sans pour autant nier qu’il y ait quelque chose de pourri au royaume de Danemark, et l’intérêt que présentent les études spectrales d’obédience psychanalytique, iconologique, sémiotique ou historique, la journée d’études et l’atelier Pratiques spectrales proposeront d’aborder la question du fantôme par une approche matérialiste et technique. S’articulant autour de la notion de média (tantôt machines, tantôt espaces et tantôt milieux) propices aux manifestations spectrales, ces deux journées auront pour intention première de saisir et définir les modalités matérielles et techniques de l’apparition. À partir de pratiques esthétiques paradigmatiques – films, photographies, jeux-vidéo, installations, objets…– les propositions informeront la notion de spectralité par les méthodes que les artistes mettent en œuvre pour explorer et matérialiser leur rapport aux fantômes.

C’est pourquoi Pratiques spectrales sera d’une double nature : une journée d’étude suivie d’un atelier de création, visant à articuler recherches et techniques pour expérimenter le potentiel aussi bien théorique que pratique des appareils dont il sera question tout au long de ces deux jours. Elles seront précédées d’une projection de films questionnant la notion de spectre, pour situer les approches matérielles, plastiques et méthodologiques des pratiques esthétiques contemporaines.

Communication hantée et dysfonctionnement des média

D’un point de vue historique, notre approche de la médiation et des média est issue de l’émergence post Seconde Guerre mondiale de la théorie cybernétique de l’information. Reposant sur le modèle mathématique de la communication développée par Claude Shannon et Warren Weaver, l’information transite d’un émetteur vers un récepteur au travers d’un canal séparé dans le temps et l’espace. Par cette circulation de l’information, les média relient et résorbent la distance entre émetteur et récepteur, machine à machine ou personne à personne.

Pourtant cette médiation appareillée de la communication renvoie invariablement à un duplicata amoindri ou parasité de l’information. L’opérativité des média analogues se révèle être dépendante de l’instabilité continue de leur réalité matérielle. À l’inverse, le traitement discret de l’information des média numérique aplanit et compresse le message quitte à en perdre l’expérience esthétique. Si la communication appareillée semble pourtant advenir sans incidents, que dire lorsqu’elle laisse transparaître ses défaillances techniques par des artefacts esthétiques ? Lorsque les média cessent de faire médiation d’un entre-nous, et semble faire médiation d’un ailleurs ? 

Des enregistrements anodins dans lesquels semblent être entendus une voix, des images quotidiennes où des formes spectrales émergent, ces échecs techniques sont employés dans les pratiques esthétiques contemporaines pour souligner l’ambivalence entre pure immédiateté et opacité absolue des média et corollairement, de la médiation. Critique de la radicalité inhumaine du temps discrétisé et de la surveillance décentralisée sous le capitalisme algorithmique pour le film Unfriended (Levan Gabriadze, 2012) ou critique de la spatialité et du traitement de l’image numérique dans la franchise de films V/H/S, la spectralité participe dans un double mouvement à souligner la nature technique des média et la radicalité inhumaine de leur médiation. Des projets musicaux de Burial, de The Caretaker, en passant par les œuvres de RYBN ou encore les creepypasta, récits d’horreur médiatisés numériquement, nous invitons des propositions qui questionnent comment les média-techniques et numériques informent les manifestations spectrales.

De fait, nous encourageons les propositions qui questionnent les modalités esthétiques de la manifestation appareillée (bruits, glitchs, ratés et autres artefacts visuels ou sonores) ainsi que leurs remplois dans des pratiques esthétiques contemporaines.

Images des spectres et inscription des fantômes 

Parallèlement à la question de la communication avec l’au-delà, l’histoire des pratiques spirites est traversée par toutes sortes de théories pseudo-scientifiques de l’enregistrement, affirmant le pouvoir qu’auraient certains matériaux ou certains lieux de retenir les fantômes – les miroirs de Gutenberg, les strates métaphysiques de Babbage, les stone tape theories et toutes les explications du principe de la maison hantée. 

Bien que disqualifiées scientifiquement, ces idées de l’inscription spectrale refont surface dans une pensée médiatique de l’architecture et de l’espace urbain. À la suite de la méthode d’enquête ouverte par Harun Farocki dans Images du monde et inscription de la guerre pour laquelle il croisait de nouveaux types d’images (vues aériennes, schémas et plans architecturaux) pour mettre au jour les traces de la seconde guerre mondiale, le groupe de recherche anglais Forensic Architecture, tout comme les collectifs Index ou Disclose en France, font à leur tour usage de toutes les données captées par les média qui émaillent les paysages et les villes afin de faire parler les victimes d’atteintes aux droits humains, de crimes de guerre ou de crimes d’État. « Le mur fonctionne comme une pellicule photo. » écrit Eyal Weizman, fondateur de Forensic Architecture, suggérant la possibilité d’une actualisation de ces méthodes d’enquête fantomatiques dans une perspective forensique. D’autres pratiques de l’image en mouvement, plus immédiatement esthétiques, ont en partage ces remplois de données, d’images et d’appareils de traçage ou de capture a priori non-cinématographiques. C’est le cas des caméras thermiques ou infrarouges qui équipent les drones ou les hélicoptères dans Il n’y aura plus de nuit (Éléonore Weber, 2020), Lack of Clarity (Stefan Kruse Jørgensen, 2021) ou encore Dendromité (Karine Bonneval, 2017), ou de l’usage de la modélisation prospective que fait Social Sim d’Hito Steyerl, pour ne citer que cette œuvre, ou, plus récemment, le travail de Jonathan Pêpe.

Aussi souhaitons-nous inclure à notre définition des pratiques spectrales les praxis de l’enquête portant sur l’invisible, entendu dans son acception fantastique, synonyme de paranormal, et comme le pari que constitue une investigation sur ce qui a été à partir d’un faisceau ténu de traces. 

Performances chamaniques et décolonisation de la notion de médium

Contrairement à la tradition occidentale, pour laquelle le fantôme est indice de trouble dans l’ordre naturel – ou du moins rationnel – des choses, les apparitions spectrales, dans le contexte des sociétés traditionnelles, sont plutôt attendues, provoquées et accueillies. Dans Par-delà nature et culture, Philippe Descola tisse une longue liste d’exemples de peuples pour qui la communication entre les êtres humains, les esprits et les entités nécessaire à l’équilibre cosmologique – comme c’est le cas chez les Achuar, avec qui il a vécu. Le commerce quotidien avec le surnaturel apparaît également dans le travail photographique de Claudia Andujar, qui rend sensible l’expérience chamanique des Yanomamis.

Pour conserver cette harmonie cosmologique, alors, le corps du chaman est fait médium. Chaîne ouverte à divers éléments non-humains, la performance chamanique perturbe la dichotomie entre nature et humanité, défiant la place centrale de la figure humaine dans l’ordre des choses. Même s’il semble osé de rapprocher le sujet du chamanisme et celui de médialité ou de performance, le concept se glisse peu à peu dans le monde de l’art, accompagnant un intérêt renouvelé par l’animisme et la philosophie environnementale. À cela correspond, par exemple, la pajelança performée en espace de musée à l’occasion de l’ouverture de l’exposition des photographies de Claudia Andujar à l’Instituto Moreira Salles, à São Paulo ; ou la recherche d’une image pour l’expérience animiste de la part de cinéastes comme João Salaviza et Renée Massera.

Nous proposons ainsi une approche du fantôme saisie dans des pratiques permettant de décoloniser la notion de spectralité tout en explorant la question du sur-naturel et du preter-naturel, comme ce qui nous permet de dépasser une définition réductrice de la nature.

Pistes de recherche

Média hantés et dysfonctionnement des machines

  • Les spécificités techniques, et de fait esthétiques, des manifestations médiatisées par les média 
  • Le traitement de la manifestation par les média numériques contemporains, dépassant une « hantologie de la spectralité » héritière des techniques analogues
  • Les portées de la manifestation spectrale en relation avec ses médiums d’apparition

Images des spectres et inscription des fantômes 

  • La notion d’enquête paranormale
  • Fausses apparitions et litiges juridiques autour de cas de possession
  • Imaginaire de la maison hantée et des machines à faire apparaître les fantômes
  • Emploi et remploi d’images issues d’appareils de détection 

Performances chamaniques et décolonisation de la notion de médium

  • L’apparition surnaturelle entre trouble et équilibre cosmologique
  • Le spectral comme brouillage de frontières entre sujet et milieu, ou entre sujet et objet
  • Médiumnité, chamanisme et performance
  • Imaginaire et représentation des religions animistes en art.

Conditions de participation

Cet appel à communications est ouvert à tou·te·s chercheuses et chercheurs à partir du master, avec ou sans pratique artistique.

Nous nous intéressons principalement aux collaborations issues des domaines des arts plastiques, arts du spectacle, photographie, cinéma, media studies, histoire de l’art, anthropologie et philosophie. Nous privilégierons les contributions qui interrogent la spectralité et ses transformations à partir d’un corpus de pratiques esthétiques (image en mouvement, photographie, performance, installation, design, arts plastiques et arts visuels).

Les intervenant·e·s seront invité·e·s à participer à l’atelier de création.

Les propositions seront à envoyer à pratiques_spectrales@protonmail.com jusqu’au 10 janvier 2022, et doivent contenir une proposition de communication avec un titre, de 2000 caractères maximum, accompagnée d’une brève bibliographie indicative, de l’axe thématique dans lequel vous souhaitez vous inscrire ainsi que d’une une courte notice bio-bibliographique de 200 caractères maximum.

Le retour du comité scientifique sera notifié au plus tard au 7 février 2022.

Les journées auront lieu le 23 au soir, 24 et 25 mars 2022.

Lien de l’appel

Comité scientifique

  • Catarina Bassotti, doctorante, université Paris 1
  • Ambre Charpier, doctorante, université Paris 1
  • Occitane Lacurie, doctorante, université Paris 1
  • Judith Michalet, doctorante, université Paris 1
  • José Moure, Pr, université Paris 1
  • Françoise Parfait, Pr, université Paris 1
  • Olivier Schefer, MCF, université Paris 1

Organisatrices

  • Catarina Bassotti
  • Ambre Charpier
  • Occitane Lacurie

Lieux

  • Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, 47 rue des Bergers
    Paris, France (75015)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • lundi 10 janvier 2022

Mots-clés

  • archéologie, média, théorie, design, cinéma, étude visuelle, fantôme, spectralité, matérialisme, spectre

Contacts

  • Occitane Lacurie Catarina Bassotti, Ambre Charpier,
    courriel : pratiques_spectrales [at] protonmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Occitane Lacurie
    courriel : occitane [dot] lacurie [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Pratiques spectrales », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 01 décembre 2021, https://doi.org/10.58079/17t3

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