HomeArchives d’en bas, matri·patrimoines archivistiques et matri·patrimonialisation
Published on Tuesday, January 18, 2022
Abstract
Cet appel à communication concerne le premier volet de deux journées d’étude organisées en 2022 et 2023. Il s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche québéco-français Autres archives, autres histoires : les archives d’en bas au Québec et en France qui vise à proposer une approche différente, comparative et non institutionnelle des relations entre archives et pouvoir et à penser autrement les modalités d’émergence et d’animation de projets d’archivage alternatifs qui mettent en cause, de manière parfois radicale, les pratiques archivistiques des institutions. Cette première session propose de s’intéresser à la patrimonialisation d’archives en dehors des institutions archivistiques.
Announcement
Argumentaire
La question de la patrimonialisation a été largement traitée mais les archives constituent un angle mort plus rarement abordé dans le cadre de ces réflexions. Pourtant les archives sont aussi des monuments – le mot est d’ailleurs inscrit sur des cartouches d’entrée des salles des grands dépôts des Archives nationales françaises.
La définition la plus spontanée des archives les associe à une forme d’obsolescence. Devient archives, quelque-chose qui fait trace d’un état dépassé, qui témoigne de ce qui a été. Autrement dit, le statut d’archives semble s’acquérir via une rupture d’usage. La théorie des trois âges (Pérotin 1961) postule ainsi trois états différents qui correspondent à des usages et à des fréquences de sollicitation. Ce processus d’acquisition d’un statut archivistique qui s’opère paradoxalement par la perte d’une utilité peut être mis en parallèle avec le processus de patrimonialisation dont on considère généralement qu’elle devient possible quand un objet perd sa fonction et son image antérieures.
Si le terme patrimoine amène immédiatement de nombreuses références à l’exception des archives, le mot archives, de son côté, mobilise un panel d’images associées rarement liées à l’idée de patrimoine (ou plus difficilement et seulement en tant qu’institutions nationales). En effet, généralement identifiées à la preuve, à la recherche historique et à la mémoire, ce qui tend à les distinguer de l’objet patrimonial, les archives peuvent être circonscrites plus largement en les appréhendant à partir des usages (Klein 2019, Marcilloux 2013) ce qui permettrait de les en rapprocher.
C’est ainsi qu’à côté d’une conception centrée sur la sédimentation organique du fonds ou d’une approche post-moderne orientée sur la dynamique de construction et la mise en archives, les archives peuvent aussi être lues depuis le moment de la médiation comme un surgissement du passé dans le présent, une rencontre entre un·e/des utilisateur·rices et un document, un fonds, une collection (Klein, 2019). Elles deviennent alors un objet protéiforme qui peut être saisi par des logiques d’usage différenciées qui les investissent de valeurs sans cesse reconfigurées par l’usager·e (Marcilloux 2013). Les archives sont aussi des objets médiateurs d’émotions qui réactualisent le passé et dont la construction et les caractères d’objet patrimonial peuvent être interrogés (Grailles 2014). Le succès de l’expression « mise en archives » en France montre bien qu’un courant de recherche se dessine autour de ce processus de construction technique, sociale et culturelle des archives (Hottin 2009).
Les études patrimoniales, pour leur part, ont proposé depuis une vingtaine d’années un cadre pour penser les « patrimoines sociaux » (Rautenberg 2003a-b) ou ordinaires (Fabre 2016) et le courant des critical heritage studies (Harrison 2012, Holtorf 2020) s’est largement développé. Depuis dix ans, l’archivistique anglophone issue de la pensée derridienne des archives (Harris 1997, Cook 2001) se penche, quant à elle, sur les archives de communauté qui semblent relever du même type de processus de matri·patrimonialisation par le bas. En effet, le fait que des collectifs et des personnes initient et prennent en charge des projets d’archivage, hors institutions, est généralement associé à la notion d’archives de communauté (Community archives). Dans le monde anglo-saxon, cette notion suppose une communauté pré-existante, c’est-à-dire se revendiquant comme telle par une distinction de race, religion, genre, orientation sexuelle ou toute autre variable et des interactions entre cette communauté et ses archives (Gilliland et al. 2013). Qu’en est-il de l’archivistique francophone ? Y aurait-il un passage qui allierait ces réflexions et qui serait fructueux pour penser les archives d’en bas ? Un des critères d’identification est l’implication de la communauté dans la constitution des collections à forte valeur émotionnelle (Gilliland et al. 2013), leur conservation et leur exploitation, afin de constituer des collections indépendantes des institutions et de documenter activement leur propre histoire (Flinn et al. 2009). L’archivage agit dès lors comme une légitimation et une manière de penser son passé et son présent différemment.
Cet appel à communications s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche québéco-français Autres archives, autres histoires : les archives d’en bas au Québec et en France qui cherche à éclairer les questionnements suivants : comment s’opère, à travers les archives, au Québec et en France, la mise en matri·patrimoine du quotidien, de l'intimité ou des militances ? Comment s’inscrivent les granularités des dominations et des résistances dans les archives ? Quels acteur·rices et quels projets élisent des objets archivistiques susceptibles d'être matri·patrimonialisés à l'échelle d'une communauté plutôt que d'un pays ? Quels mécanismes de légitimation peuvent s'opérer par en bas ?
Dans cette première session, l’accent sera porté sur les projets d’archivage, les acteurs, les stratégies, les politiques d’accompagnement, les pratiques et les ensembles documentaires élus sous l’angle de l’élaboration de matri·patrimoines sociaux et/ou ordinaires.
Stratégies, acteur·rices, réseaux
Les projets de constitution de centres de ressources, de musées de papier, d’archives, numériques ou pas, représentent des entreprises de sauvegarde, de sécurisation et de lutte contre l’oubli (Veschambre 2008). Ce sont des lieux d’invention de soi, d’un groupe, d’un territoire (Marcilloux 2013, Chantraine 2021) mais aussi lieu de réinvention d’un passé (Poulot 2006) légitimant le présent. Quels sont les espaces, institutions et réseaux servant cette matri·patrimonialisation des archives d’en bas et qui en tirent parti en retour ? Qui sont ces collectionneur·ses, accumulateur·rices et acteur·rices de cette transformation symbolique qui vise à sanctuariser des productions ordinaires pour révéler un intérêt supérieur et des valeurs qui légitiment la conservation ? Voit-on émerger des stéréotypes - figure de porte-parole, de défenseur·e, collectionneur·se ? Quel type de contrôle les collectifs exercent-ils ? Revendiquent-ils une forme d’exclusivité ? Quels sont les stratégies de patrimonialisation ou de matrimonialisation mises en œuvre ? Quels types de discours sont mobilisés dans le but de patrimonialiser ou matrimonialiser ?
Collections, fonds, gestes, savoirs
Les projets visent à constituer ou partager des collections. Ils proposent une (re)construction de savoirs, s’appuient et suscitent des imaginaires. Quelle(s) construction(s) définitionnelle(s) s’opèrent ? Comment sont délimités les corpus ? Quels sont les modes de collecte et d’enregistrement privilégiés ? Quels sont les processus de tri, de sélection, de labellisation, d’exclusion et d’inclusion ? Quelle éthique pour ces projets ? Là où les archivistes s’appuient sur des théories de l’évaluation archivistique, ces projets n’incarnent-ils pas plutôt une forme de « valuation » (Tornatore 2004) archivistique qui condense les actions de protection, élection, estimation et jugement ?
Dans cet appel, nous avons volontairement renoncé à fournir une définition des archives. Le mot recouvre des acceptions diverses et son usage a eu tendance à s’élargir sans cesse (Marcilloux 2013, Winand 2015). Nous n’avons donc pas voulu restreindre son usage à une définition fixe qui serait celle de l’archivistique française ou québécoise ; nous laissons le champ de la polysémie ouvert car cette ouverture en elle-même est une caractéristique des archives d’en bas et on peut poser l’hypothèse que c’est un facteur favorisant une mise en matri·patrimoine.
Les projets étudiés peuvent concerner tous types de centres d’intérêt : arts et lettres, sciences, histoire, mémoire, groupes et mouvements sociaux etc. ; et mobiliser toutes formes ou supports. Les propositions peuvent inclure des réflexions sur des démarches exclusivement numériques ou sur les projets de matrimonialisation ou patrimonialisation « au carré » ou à deux temps, un premier temps par en bas, suivi d’un second temps plus institutionnel.
Nous souhaitons accueillir des travaux divers par leur objet et leur ancrage disciplinaire.
Références bibliographiques
Chantraine R. (2021). La mémoire en morceaux. Une ethnographie de la patrimonialisation des minorités LGBTQI et de la lutte contre le sida, Paris, thèse en anthropologie sociale et ethnologie, EHESS.
Cook, T. (2001). « Archival science and Postmodernism: New Formulations for Old Concepts », Archival science, n° 1 [https://doi.org/10.1007/BF02435636]
Davallon J. (2006). Le Don du patrimoine : Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, Hermès Science-Lavoisier.
Fabre D. (2016). « L'ordinaire, le familier, l'intime », Le tournant patrimonial : mutations contemporaines des métiers du patrimoine, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme.
Flinn A., Stevens M., Shepherd E. (2009). « Whose Memories, Whose Archives? Independent Community Archives, Autonomy and the Mainstream », Archival Science, n° 9 [https://doi.org/10.1007/s10502-009-9105-2]
Gilliland A., Flinn A. (2013). « Community Archives: What Are We Really Talking About? », in Stillman L., Sabiescu A., Memarovic N. (éd.), Nexus, Confluence and Difference: Community Archives Meets Community Informatics: Prato CIRN Conference Oct. 28-30, 2013, Prato, Centre for Community Networking Research, Centre for Social Informatics, Monash University.
Grailles B. (2014). « Les archives sont-elles des objets patrimoniaux ? », La Gazette des archives, n° 233 [www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2014_num_233_1_5123]
Harris, V. (1997). « Claiming Less, Delivering More: A critique of Positivist Formulations on Archives in South Africa », Archivaria, n° 44.
Harrison, R. (2012). Heritage: Critical Approaches, London, Taylor & Francis Group. [http://ebookcentral.proquest.com/lib/ulaval/detail.action?docID=1024670].
Holtorf, C. (2020). « Conservation and Heritage As Creative Processes of Future-Making ». International Journal of Cultural Property, n° 27. [https://doi.org/10.1017/S0940739120000107].
Hottin C. (2009). Des hommes, des lieux, des archives : pour une autre pratique archivistique, Les Cahiers du Lahic, n° 4 [http://garae.fr/Carnet%20LAHIC%204.pdf]
Ketelaar, E. (2006). « (Dé)Construire l’archive », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 2 [https://doi.org/10.3917/mate.082.0065]
Klein A. (2019). Archive(s), mémoire, art : Éléments pour une archivistique critique, Québec, Presses de l’Université Laval [https://www.pulaval.com/produit/archive-s-memoire-art-elements-pour-une-archivistique-critique]
Marcilloux P. (2013). Les Ego-archives. Traces documentaires et recherche de soi, Rennes, Presses Universitaires de Rennes [https://doi.org/10.4000/books.pur.117242]
Pérotin Y. (1961). L'administration et les « trois âges » des Archives, Seine et Paris, n° 20, octobre 1961.
Poulot D. (2006), « De la raison patrimoniale aux mondes du patrimoine », Socio-anthropologie, Publications de la Sorbonne, 2006, n°19 [https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.753]
Rautenberg, M. (2003a). « Comment s’inventent de nouveaux patrimoines : Usages sociaux, pratiques institutionnelles et politiques publiques en Savoie », Culture & Musées, n° 1. [https://doi.org/10.3406/pumus.2003.1165]
Rautenberg, M. (2003b). La rupture patrimoniale, Bernin : À la croisée.
Tornatore J.-L. éd. (2019). Le Patrimoine comme expérience. Implications anthropologiques, Paris, Éd. de la Fmsh.
Veschambre V. (2008). Traces et mémoires urbaines. Enjeux de la patrimonialisation et de la démolition, PUR, 2008 [https://doi.org/10.4000/books.pur.42988]
Winand, A. (2015). Le concept d’archive(s) et les films de réemploi. Dans Y. Lemay et A. Klein (dir.), Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique. Cahier 2 (p. 96‑111). Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI). [http://hdl.handle.net/1866/12267]
Modalités de soumission
Les propositions de communication d’un maximum de 600 mots, ainsi qu’une notice biographique d’un maximum de 300 mots, doivent être transmises au plus tard le 17 mars 2022. Elles doivent comprendre un titre, un résumé, la relation avec l’un des thèmes proposés. Elles peuvent être soumises en français ou en anglais.
Elles doivent être adressées à Annaëlle Winand (annaelle.winand.1@ulaval.ca).
Calendrier
Date limite de l'appel à communications : 17 mars 2022
Dates de la session : 9 et 10 juin 2022 (présentiel à Québec et à Angers)
Plus d’informations sur les sites : https://www.cieq.ca/ et https://alma.hypotheses.org/
Comité scientifique
- Bénédicte Grailles (université d’Angers, France)
- Anne Klein (université Laval, Canada)
- Jean-Philippe Legois (Cité des mémoires étudiantes, France)
- Yvon Lemay (université de Montréal)
- Patrice Marcilloux (université d’Angers, France)
- Annaëlle Winand (université Laval, Canada)
Contacts
- benedicte.grailles@univ-angers.fr
- Anne.Klein@hst.ulaval.ca
Subjects
- Representation (Main category)
- Mind and language > Information > Information sciences
- Mind and language > Representation > Cultural history
- Mind and language > Representation > Heritage
- Periods > Modern
- Mind and language > Representation > Cultural identities
- Mind and language > Epistemology and methodology > Corpus approaches, surveys, archives
Places
- Angers, France (49000)
- Quebec City, Canada
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Thursday, March 17, 2022
Attached files
Keywords
- archive, communauté, archive privée, collection, centre d'archive, patrimonialisation, matrimonialisation
Contact(s)
- Anne Klein
courriel : Anne [dot] Klein [at] hst [dot] ulaval [dot] ca - Bénédicte Grailles
courriel : benedicte [dot] grailles [at] univ-angers [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Bénédicte Grailles
courriel : benedicte [dot] grailles [at] univ-angers [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Archives d’en bas, matri·patrimoines archivistiques et matri·patrimonialisation », Study days, Calenda, Published on Tuesday, January 18, 2022, https://doi.org/10.58079/182o