HomeWebdocumentaire et enjeux historiographiques
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Published on Monday, January 31, 2022

Abstract

À première vue on pourrait classer le webdocumentaire au rayon des formes médiatiques ayant bénéficié d’un engouement aussi intense qu’éphémère autour des années 2010. Son utilisation continue pourtant à se développer au tournant des années 2020, mais en dehors de son ancrage initial. Un intérêt particulier pour cette forme audiovisuelle hétérogène et délinéarisée gagne, en effet, du terrain au sein de la recherche en sciences humaines et sociales. Cela nous conduit à soulever des questionnements d’ordre méthodologique et à identifier des enjeux qui ont à voir tant avec l’écriture de l’histoire qu’avec l’histoire publique.

Announcement

Argumentaire

À première vue on pourrait classer le webdocumentaire au rayon des formes médiatiques ayant bénéficié d’un engouement aussi intense qu’éphémère autour des années 2010. Son utilisation continue pourtant à se développer au tournant des années 2020, mais en dehors de son ancrage initial, un intérêt particulier pour cette forme audiovisuelle hétérogène et délinéarisée gagnant, en effet, du terrain au sein de la recherche en sciences humaines et sociales. Cela nous conduit à soulever des questionnements d'ordre méthodologiques et à identifier des enjeux qui ont à voir tant avec l’écriture de l’histoire qu’avec l'histoire publique. 

Le webdocumentaire permet d’agréger des témoignages (parfois fournis par les internautes eux-mêmes), des images d’archives, des données historiques dans certains cas massives, etc. Il se distingue des écrits et autres formes de films historiques par sa structure délinéarisée et lacunaire. Il revient à ses utilisateurs-rices de dessiner leur propre cheminement à l’intérieur des contenus proposés et, en retour, aux concepteurs-rices de prévoir la possibilité d’un visionnement sélectif et donc partiel. L’accès aux contenus mis à disposition et l’entrée dans les parcours possibles repose, bien souvent, sur la consultation d’une page d’accueil reposant sur une visualisation : chronologie proposée avec embranchements, séquence animée ludique, carte incluant des contenus audiovisuels ou encore carte conceptuelle faisant ressortir des notions. Cette visualisation assume parfois pleinement la non-linéarité du format (et donc du propos historique) ou, au contraire, conduit à un retour vers une forme plus classique de présentation des contenus (enchaînement de courtes séquences audiovisuelles, par exemple). L’agencement des différents éléments convoqués (textes, sons, images fixes ou animées) constitue également un enjeu, l’interface conçue étant plus ou moins réflexive. Ainsi, elle révèle parfois la base de données dans laquelle ces éléments sont indexés alors que dans d’autres cas un véritable travail d’invisibilisation de ces sources a lieu.

Manipuler et donner sens à ces sources hétérogènes constitue une tâche nouvelle pour de nombreux historiens et historiennes, tout en renvoyant à des interrogations récurrentes à propos de la sélection, de la retouche et de la prise en considération d’aspects esthétiques et éthiques dans l’usage des sources documentaires. Ces choix n'ont pas seulement à voir avec les logiciels utilisés et les compétences techniques des équipes de création, mais aussi avec les orientations historiographiques adoptées de manière consciente ou non. Il est, en effet, possible de créer des webdocumentaires en les inscrivant dans des modèles aussi variés que ceux de l’histoire quantitative, de l’histoire orale, de la microhistoire, de l’histoire locale, de l’histoire des représentations et des sensibilités, etc. Cela n’est pas sans conséquence sur leur format et la place qu’ils accordent à leurs sources.

Il faut lire ces interrogations dans le contexte de la production d’un objet web tourné vers la diffusion, conçu pour rejoindre des publics qui se trouvent en dehors des murs de l’université. Deux conséquences nous intéressent particulièrement ici : le rôle accordé aux usagers dans la constitution du projet, en particulier dans les webdocs dit « participatifs », ainsi que la nécessité de travailler à l’accessibilité du contenu entre écriture de l’histoire et vecteur de mémoire. Dans le second cas, le webdoc peut se mettre au service d’un groupe marginalisé afin de devenir vecteur de visibilité de la mémoire portée par ce dernier (on pense ici à des perspectives décoloniales, féministes, etc.). Lorsque le webdoc travaille ainsi à mettre en perspective les présupposés du présent, il évolue sur une fine ligne, à cheval entre simplification du propos et durcissement de celui-ci (pour les raisons évoquées précédemment, pour le rendre plus attractif ou plus efficace), d’un côté, et volonté de complexification, de l’autre. Il s’agit alors de se demander qui sont les acteurs de ces processus de simplification ou du maintien d’une forme de complexité. Il est alors pertinent de réfléchir, sans présupposé hâtif, en termes de composition des différents pôles réunis autour de la conception des webdocumentaires de recherche (groupe de recherche, équipe de webdesign, représentant des institutions, personnes et groupes associés, etc.) et de comprendre le rôle des chercheurs-ses dans la constitution, autour d’un thème historique, d’un espace et d’un temps de création.

Travaillé ainsi à créer les conditions propices à la création du webdoc implique également d’adapter les processus de production, afin d’intégrer le rapport au temps long, que celui-ci concerne les événements eux-mêmes – et la transformation de leur lecture au cours du temps, la temporalité de la recherche en histoire ou encore la circulation du webdoc et sa réception qui doivent, elles aussi, être pensée dans la durée. Pour que le webdocumentaire et ses outils puissent accompagner le travail de longue haleine de la recherche, cette dernière doit pouvoir s’adapter aux temporalités courtes et toujours changeantes des environnements numériques.

Le numéro proposé sera enfin l’occasion d’observer, en quelque sorte dans un effet de retour, les changements et les apprentissages induits par ces projets sur les modes de médiation du passé. Les échanges de méthodes, de concepts et d’outils au sein des équipes de production apparaissent comme des voies de diversification de la pratique de l’histoire et plus généralement d’une transformation d’une forme de regard (audiovisuel, informé et rigoureux) porté sur le passé.

Parmi les sujets couverts par cet appel à texte :

  • des retours d’expérience sur des projets menés en recherche-création et/ou en histoire publique
  • des réflexions historiographiques ou épistémologiques issues d’une pratique de conception de documentaires interactifs
  • des retours d’expérience sur des méthodes développées pour assurer le partage de l’autorité entre les différents acteurs des équipes de création et la réalisation de tels projets historiques en “autorité partagée”.
  • des mises en perspectives des outils et des formes de travail propres à ses objets web à l’aide de projets documentaires existants (menés à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre universitaire)
  • des explorations d’utilisations particulièrement pertinentes des sources dans des webdocumentaires (critical fabulation, anarchive, histoire orale, archéologie des médias)
  • des études revenant sur les choix de mise en circulation des webdocumentaires historiques et sur les différentes méthodes de conceptualisation et de mise en œuvre de la diffusion des projets, et ce à différentes étapes de leur réalisation.

Modalités de soumission

Les propositions d'articles (une page maximum) ainsi qu'une courte biographie seront envoyées avant le 1er avril 2022 à Rémy Besson (Université de Montréal) remy.besson@umontreal.ca et Martin Bonnard (Université McGill) martin.bonnard2@mail.mcgill.ca

Les articles peuvent être rédigés en français ou en anglais. Si la proposition est sélectionnée, l'article, qui ne devra pas dépasser 35 000 signes, devra être rédigé avant le 31 août 2022. Il sera ensuite évalué en double aveugle.

Coordination scientifique

  • Rémy Besson (Université de Montréal)
  • Martin Bonnard (Université McGill)

Bibliographie

Aston, J., Gaudenzi, S., & Rose, M. (dir.). (2017). I-Docs : The Evolving Practices of Interactive Documentary. Wallflower Press.

Besson, R. (2015). Archives visuelles et documentaire interactif: Vers un nouveau mode de médiation du passé?. Synoptique, 4(2), 86-104.

Chatelet, C. (2016). Webdocumentaire, documentaire interactif, idoc, jeu documentaire… Les enjeux des «nouvelles» formes audiovisuelles documentaires. Entrelacs. Cinéma et audiovisuel, (12).

Frisch, M. (1990). A Shared Authority: Essays on the Craft and Meaning of Oral and Public History. State University of New York Press.

Gantier, S., & Bolka-Tabary, L. (2011). L’expérience immersive du web documentaire : Études de cas et pistes de réflexion. Les Cahiers du journalisme, 22/23, 118-133.

Gebeil, S. (2021). Ecrire l’histoire à l’ère des narrativités numériques - Fos 200 : Un webdocumentaire sur deux siècles d’histoire industrielle, sociale et environnementale de Fos-sur-Mer / Étang de Berre. Revue française des méthodes visuelles, 5.

Hayles, N. K. (2012). How we think: Digital media and contemporary technogenesis. University of Chicago Press.

Klein, A. (2020). Le webdocumentaire : Un outil numérique innovant au service de l’enseignement, de la recherche et de la valorisation. Humanités numériques, 2.

Kinder, M. (2003). Honoring the past and creating the future in cyberspace: New technologies and cultural specificity. The Contemporary Pacific, 93-115.

Miller, L., & Allor, M. (2016). Choreographies of collaboration : Social engagement in interactive documentaries. Studies in Documentary Film, 10(1), 53‑70.

Nash, K. (2021). Interactive Documentary: Theory and Debate. Routledge.

Soulez, G. (2017). Le moment du choix : Délibération, écriture de l’histoire et webdocumentaire historique. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 10.

Paci, V., & Bonnard, M. (2015). Le webdocumentaire à la croisée d’un réseau…. Cahiers du CIRCAV, 24, 153‑172.

Puget, C. (2019). Webdocumentaire, jeu vidéo et Histoire. Destins liés ? Essais, 15, 43‑61.

Zéau, C. (2015). Du documentaire d’auteur au webdocumentaire : Discours et formes. Images documentaires, 84, 85‑98.


Date(s)

  • Friday, April 01, 2022

Keywords

  • histoire, mémoire, webdocumentaire, documentaire interactif, audiovisuel

Reference Urls

Information source

  • Rémy Besson
    courriel : remy [dot] besson [at] umontreal [dot] ca

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Webdocumentaire et enjeux historiographiques », Call for papers, Calenda, Published on Monday, January 31, 2022, https://doi.org/10.58079/1855

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