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Le renseignement dans la prise de décision du chef militaire
Le cas des conflictualités contemporaines
Published on Tuesday, April 26, 2022
Summary
La décision du chef se fait à la lueur d’une masse de renseignements acquis auprès de sources humaines, numériques ; d’une alliance de données à partir desquelles il doit établir sa ligne de conduite. Le renseignement s’obtient aussi bien grâce aux « sources ouvertes », à l’exploitation du renseignement humain, qu’aux sources d’origine électro-magnétique, ou encore des sources images, etc. À l’heure d’une explosion de la couverture journalistique professionnelle et amateure des conflits, des deepfake, d’une et information déployée en instantanée, l’exploitation de ces renseignements amène en retour à une prise de décision risquée. Dans la logique des War Studies, cette journée est un moment de rencontre interdisciplinaire. Elle vise à associer les prises de paroles de plusieurs disciplines (sciences politiques, histoire, géographie, sciences de gestion, philosophie, psychologie etc.) afin d’étudier ce sujet selon ces diverses perspectives.
Announcement
Argumentaire
Fabrice del Dongo est plus un spectateur qu’un acteur de la bataille de Waterloo. Essayant péniblement de comprendre le déroulement des combats, il assiste à la défaite sans avoir pu agir. Fabrice ne comprend même pas ce qui lui arrive, reste bien incapable de saisir la stratégie de l’armée française, et encore moins le cours de la journée. La situation du héros de La Chartreuse de Parme est aux antipodes des vastes panoramas que le baron Lejeune retient des batailles napoléoniennes. Lodi, Les Pyramides, Marengo, y apparaissent comme des sublimes manœuvres minutieusement réglées, où le choc des armées est saisi, d’emblée, par le public. Toutefois, le regard du chef militaire, sur la ligne de feu, n’a pas le loisir d’apprécier les conditions du combat avec le recul du peintre. Parfois, l’absence de renseignement précis sur l’état des hostilités peut l’entrainer à devenir l’équivalent d’un spectateur, comme Fabrice à Waterloo. Ainsi, la notion de « brouillard de guerre » pensée par Clausewitz dans son Vom Kriege, souligne l’incertitude du commandement face à un adversaire dont il n’a qu’un aperçu estimé, et peut-être erroné, des effectifs, de la stratégie, ou de son dispositif de déploiement. L’incertitude envers les intentions de l’ennemi vient, de fait, influencer les décisions du chef militaire. Les faiblesses du renseignement à disposition du décideur, indépendamment de son rang hiérarchique, influencent la conduite de la bataille, et de la campagne, en son ensemble. Edward Luttwack commence d’ailleurs son ouvrage Strategy : The Logic of War and Peace en rappelant le mot de César « Si vis pacem, para bellum. ». Le flou sur les intentions des concurrents incite à des mesures préventives, mais qui se basent sur les seules prédictions apportées par les renseignements recueillis, et, plus encore, l’analyse qui en est faite. De même, l’analyse des facteurs de renseignement qui influencent cette prise de décision sont amenés à dépasser le seul cadre rationnel. Leur lecture n’est pas faite par un monstre froid, mais par un ensemble d’individus, dont les ambitions, la culture stratégique nationale (Heuser, Shamir, 2017), les préjugés, les émotions ou encore les rivalités entre services, forment une grille de lecture pouvant fausser les données à leur disposition.
La décision du chef se fait en effet à la lueur d’une masse de renseignements acquis auprès de sources humaines, numériques ; d’une alliance de données à partir desquelles il doit établir sa ligne de conduite. Le renseignement s’obtient aussi bien grâce aux « sources ouvertes », à l’exploitation du renseignement humain, qu’aux sources d’origine électro-magnétique, ou encore des sources images, etc. A l’heure d’une explosion de la couverture journalistique professionnelle et amateure des conflits, des deepfake, d’une et information déployée en instantanée – d’autant plus sujette aux erreurs d’interprétation – l’exploitation de ces renseignements amène en retour à une prise de décision risquée. Ainsi, au-delà des erreurs humaines, la part de la technologie, des techniques mises au service du fait militaire, doit être questionnée dans son influence sur la prise de décision du décideur. Lors de l’invasion de l’Irak, en 2003, des officiers irakiens avouèrent, à posteriori, avoir tenté de camoufler leurs troupes et tanks dans des oasis et palmeraies, et avoir été pris au dépourvu par les frappes aériennes de la coalition. Ils ignoraient en effet la précision des données récoltées par le renseignement satellitaire américain. Lors des manœuvres russes d’août 2021, à l’occasion de l’exercice Zapad, la masse des forces blindées en présence est identifiée grâce à un algorithme d’intelligence artificielle produit par la firme française Preligens. La place de l’IA, de la collecte et du traitement des données informatiques obtenues (qu’elles soient en accès public ou restreint), l’utilisation de drones, la robotisation du soldat, la capacité de renseignement permise par des réseaux d’écoute mondialisés (à l’image du Réseau Echelon) fournissent une quantité de données dont la masse rend l’analyse d’autant plus critique. Le risque existe alors pour le décideur de ne plus être appuyé par ces données, mais plutôt d’être noyé par une vague d’informations potentiellement contradictoires.
À différents niveaux de commandement, la mauvaise interprétation des facteurs de renseignement à disposition peut amener à des décisions tactiques, stratégiques et politiques désastreuses.
La charge du général Pickett à Gettysburg résulte de l’interprétation erronée que Lee fait de l’effectif nordiste présent face aux forces de Pickett, et à la sous-estimation de leur puissance de feu concentrée sur ce point précis de la bataille. En 1941, l’armée allemande s’engage dans l’opération Barbarossa en estimant les divisions soviétiques à moins de la moitié de leur nombre réel, ce qui encourage les objectifs irréalistes de la ligne Astrakhan-Arkhangelsk, à atteindre dès l’hiver. Cette interprétation erronée peut également s’expliquer par la manipulation du renseignement par l’adversaire. A la bataille des falaises rouges, Zhuge Liang parvient à tromper l’armée de Cao Cao en faisant croire à une posture défensive de l’armée du Wu et du Shu, alors qu’il s’apprête à lancer une attaque par brûlot contre la flotte du Wei. Le succès de l’opération Bagration, déclenché par l’armée soviétique en 1944 contre l’armée allemande, repose sur la supériorité de l’art opératique, mais aussi sur un travail de maskirovka bernant l’Ost Heer sur une hypothétique percée soviétique vers l’Ukraine, et non en Biélorussie. Les influences de la manipulation de l’information sur les guerres à venir sont également imaginées par la fiction. Dans l’ouvrage 2034, A Novel of the Next World War, des amiraux à la retraite Ackerman et Stavridis, la marine américaine est prise au piège par la marine chinoise, suite à une manipulation de signaux de détresse attirant les États-Uniens dans une zone maritime où les Chinois ont préparé minutieusement un combat à leur avantage.
Alors que l’armée française est engagée dans la lutte face aux éléments terroristes au Sahel, et que la guerre de « haute intensité » fait son retour en Europe, il est loisible de s’interroger sur la façon dont le renseignement joue sur les conflictualités du xxie siècle. Les problématiques de la « guerre hybride » s’insèrent pleinement dans cette réflexion, selon les diverses traductions de cette forme de combat. On pourra ainsi étudier les guerres de « haute » et de « faible intensité », les affrontements entre armées régulières comme les opérations de guérilla, et d’affrontement dit « irrégulier ».
À la lumière de ces éléments de réflexion, plusieurs points pourront être étudiés au cours de cette journée :
- Le retour historique sur la part du renseignement, et de ses possibles manipulations, dans la prise de décision faite par des commandants.
- La guerre informationnelle et ses diverses manifestations, qu’elles ressortent de la guerre psychologique, de la diffusion de fausses nouvelles, des opérations de manipulation des opinions publiques adverses, etc.
- L’impact des nouvelles technologies sur la prise de décision, et les nouveaux enjeux soulevés par l’accroissement considérable des informations à disposition.
- L’exploitation du renseignement dans le cadre d’une coalition internationale : la façon dont une prise de décision commune naît de ce partage de renseignement, et les divergences stratégiques qui peuvent en résulter.
- Le rôle des sciences de gestion dans l’exploitation du renseignement.
Dans la logique des War Studies, cette journée est un moment de rencontre interdisciplinaire. Elle vise à associer les prises de paroles de plusieurs disciplines (Sciences Politiques, Histoire, Géographie, Sciences de gestion, Philosophie, Psychologie etc.) afin d’étudier ce sujet selon ces diverses perspectives. Cette journée entend également faire dialoguer universitaires et officiers des forces armées qui pourront y présenter leur retour sur expérience.
Modalités de soumission
Les communications doivent durer 20 minutes. La journée aura lieu dans le cadre de l’Université de Lille, en format présentiel, si les conditions sanitaires le permettent, mais assurera un format hybride pour le public ne pouvant y assister, et pour les intervenants ne pouvant se rendre à Lille en personne.
Les propositions de communication devront inclure une présentation de 300 mots/2000 signes comportant le titre envisagé, et un CV bio-bibliographique.
Elles sont à envoyer aux trois adresses suivantes : ivanburel.iep@gmail.com / eloi.vincendet@univ-lille.fr / francois-joseph.furry@sciencespo-lille.eu
pour le 9 juin 2022.
Comité scientifique
- Philippe BOULANGER. Professeur des universités en géographie, (Sorbonne Université Lettres, Médiations).
- Ivan CADEAU. Commandant (TA), Docteur en histoire, chef du bureau Terre du département histoire et symbolique du Service Historique de la Défense.
- Frédéric DESSBERG. Maître de conférences en histoire contemporaine (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, détaché à l'ESM Saint-Cyr, SIRICE).
- Olivier ENTRAYGUES. Lieutenant-colonel, Docteur en histoire-HDR, adjoint du département commandement et conduite des opérations du Centre de doctrine et d'enseignement du commandement (CNAM).
- Stéphane FAUDAIS. Colonel, Docteur en histoire, Directeur du département "histoire, géopolitique et stratégie" de l’École de guerre
- Justine FAURE. Professeure des universités en histoire contemporaine (Université de Lille, IRHiS).
- Jean-Vincent HOLEINDRE. Professeur des universités en Sciences Politiques (Université Paris II Panthéon-Assas, Centre Thucydide), Directeur scientifique de l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire
- Etienne PEYRAT. Maître de conférences en histoire contemporaine (Sciences Po Lille, IRHiS).
- Jonathan SAMBUGARO, Maître de conférences en Sciences de Gestion (IAE Lille, LUMEN)
Comité d’organisation
- Ivan BUREL. Agrégé d’histoire, ATER Sciences Po Lille, doctorant en histoire contemporaine (IRHiS).
- François-Joseph FÜRRY. Lieutenant-colonel (r), conseiller politique du général commandant le Corps de réaction rapide France, Enseignant associé Sciences Po Lille
- Eloi VINCENDET. Doctorant en histoire moderne et contemporaine (Université de Lille, IRHiS)
Subjects
Places
- Université de Lille
Lille, France (59)
Event format
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Thursday, June 09, 2022
Keywords
- renseignement, stratégie, war studies
Contact(s)
- Ivan Burel
courriel : bureau [at] ajch [dot] fr - Eloi Vincendet
courriel : eloi [dot] vincendet [at] univ-lille [dot] fr - Francois Joseph Furry
courriel : francois-joseph [at] sciencespo-lille [dot] eu
Information source
- Ivan Burel
courriel : bureau [at] ajch [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Le renseignement dans la prise de décision du chef militaire », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, April 26, 2022, https://calenda.org/990555