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L’adultéité en question

Normes, représentations, expériences

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Publié le lundi 09 mai 2022

Résumé

Cet appel à communication est porté par deux réseaux thématique de l’Association française de sociologie s’intéressant au vieillissement et à la jeunesse : des âges de la vie qui entourent l’âge adulte et y font souvent référence sans pour autant en faire le cœur de leurs investigations. Or, à y regarder de plus près, cet âge de la vie mérite une attention propre que cette journée d’étude souhaite engager en amorçant une réflexion sur les contours et les contenus de l’âge adulte, non seulement comme un idéal ou un modèle par rapport auxquels les autres âges sont saisis, mais par les manières différenciées, empiriquement documentées, dont l’âge adulte se déploie et varie, selon les contextes sociaux.

Annonce

Argumentaire

La sociologie française s’intéresse aux âges de la vie depuis au moins les années 1970, en commençant par la jeunesse (Morin, 1962 ; 1963 a et b ; Chamboredon, 1966 ; 1971), la vieillesse (Guillemard, 1972) et l’enfance (Chamboredon et Prévot, 1973), se tournant ensuite vers l’adolescence (Pasquier, 2005 ; Metton, 2009 ; Mardon, 2010) et la préadolescence (Diasio et Vinel, 2017). Paradoxalement, l’âge adulte représente toujours un point aveugle (Van de Velde, 2015). Cet appel à communications est porté par deux RT s'intéressant au vieillissement et à la jeunesse : des âges de la vie qui entourent l’âge adulte et y font souvent référence (Galland, 2001 ; Corsaro, 2015 ; Mauger, 2010) sans pour autant en faire le cœur de leurs investigations. Or, à y regarder de plus près, cet âge de la vie mérite une attention propre que cette journée d’étude souhaite engager en amorçant une réflexion sur les contours et les contenus de l’âge adulte, non seulement comme un idéal ou un modèle par rapport auxquels les autres âges sont saisis, mais par les manières différenciées, empiriquement documentées, dont l’âge adulte se déploie et varie, selon les contextes sociaux.

L’absence même d’un mot conventionnel en français pour désigner cette période de la vie (comme enfance, adolescence, jeunesse ou vieillesse) traduit l’impensé de cette tranche d’âge. Si le terme de maturité (Chamboredon, 1966), de mitan de la vie (Boutinet, 2013) ou encore de maturescence (Gognalons-Nicolet, 1989) sont parfois utilisés, leur occurrence est faible dans les travaux sociologiques français. Il faut toutefois noter les efforts de la psychosociologie pour penser cet âge de la vie et le conceptualiser. De ce point de vue, les travaux fondateurs de Jean-Pierre Boutinet, Pierre Dominicé et, plus récemment, ceux de Christian Heslon constituent des références dont peuvent parfois se nourrir les sociologues sans pour autant, à ce jour, contribuer à une « sociologie des adultes ou de la vie adulte ». Nous proposons ainsi d’amorcer la discussion en mobilisant le terme d’adultéité comme traduction de l’anglais adulthood, notion qui « a émergé dans la conscience publique et est entrée dans le vocabulaire culturel de la vie quotidienne comme la fin accessible (et désirable) de l’immaturité de l’adolescence pendant la Deuxième Guerre mondiale » (Blatterer, 2007 : 12). Cette notion présente l’intérêt d’appréhender l’âge adulte comme un processus qui traverse les étapes du cycle de vie et qui porte en lui la dynamique de l’avancée en âge. De ce point de vue, s’il n’existe pas à ce jour un champ dédié en sociologie aux « adultes », ces derniers sont néanmoins au cœur de beaucoup de champs centraux en sociologie, notamment la sociologie urbaine, du travail, de la santé et du handicap, de l’articulation des temps sociaux et de la famille. Poser la question de l’adultéité revient ainsi à interroger à nouveaux frais ces champs selon les trois perspectives proposées.

L’adultéité comme construction sociale, politique, institutionnelle

La première perspective questionne l’adultéité en tant que « produit et instrument des institutions » (Bessin, 1996), résultant de catégorisations institutionnelles ou politiques prenant pour principe l’âge. La focale ici se situe donc en amont de la réception des politiques par les individus et questionne les normes produites par l’État.

La littérature consacrée tant aux systèmes de protection sociale (Mayer et Schoepflin, 1989) qu’à l’institution du parcours de vie (Kohli, 1989) ou aux politiques publiques de la vieillesse (Guillemard, 1986, 2010) a montré combien la construction progressive des systèmes de protection sociale lors de l’industrialisation des sociétés occidentales a institutionnalisé un parcours de vie ternaire qui associe étroitement l’âge adulte au travail, la jeunesse à la formation et la vieillesse à un statut nouveau d’inactivité pensionnée. Une véritable police des âges s’instaure (Rémond et Percheron, 1991). Ainsi, les lois interdisant le travail des enfants, instaurant l’obligation scolaire ou instituant la retraite ont délimité l’âge adulte et l’ont défini comme l’âge auquel le travail (et les statuts et les droits sociaux qu’il constitue) est réservé. Cette structuration par le marché et par l’État des âges de la vie est venue s’articuler aux structurations préexistantes, fondées notamment pour les femmes, sur l’institution familiale et les calendriers de reproduction.

Les critères d’accès aux politiques publiques définissent en creux ce que l’on entend par âge adulte. Cependant, ces seuils d’accès sont extrêmement hétérogènes ; en fonction des dispositifs, on cesse ainsi d’être un jeune pour devenir adulte à différents âges (à 20 ans pour l’accès aux maisons des adolescents, à 25 ans pour l’accès aux missions locales ou encore à 30 ans pour les Kolocations solidaires de l’AFEV). Par ailleurs, la France (à la différence des pays libéraux ou scandinaves) présente la particularité de s’adresser aux jeunes adultes à travers le prisme de la familialisation (Chevalier, 2018 ; Lima, 2016), ce qui contribue à faire émerger un régime de « citoyenneté refusée » (Chevalier, 2018) pour les jeunes adultes de 18 à 25 ans puisqu’ils ne sont pas pleinement considérés comme des adultes. A l’autre extrémité de l’âge adulte en tant qu’âge de l’emploi, l’entrée dans le « troisième âge » est marquée institutionnellement par la retraite, mais peut aussi s’opérer par des statuts intermédiaires, liés à une position plus ou moins dégradée sur le marché du travail (chômage, mise en invalidité) (Guillemard, 2010). Entre les deux, l’ancienneté ou les grilles de progression salariale constituent autant de principes de différenciation du social selon le critère de l’avancée dans l’âge adulte. Les recherches empiriques menées sur le rapport à l’emploi montrent que les jeunes connaissent dans l’emploi des périodes de mise à l’épreuve postulant leur « manque d’expérience », justifiant souvent aux yeux des employeurs de bas salaires (Glaymann, 2020), quand les plus âgés se voient parfois déclassés au nom d’un décalage technologique ou de compétences jugées « dépassées ».

Les contributions de cet axe viendront questionner des processus d’institutionnalisation, d’échelles variables, de différents principes de « police des âges » construisant un âge adulte à géométrie variable, propre à chaque champ. Comment, dans l’élaboration des politiques publiques, la définition de l’adultéité constitue-t-elle un enjeu de lutte ? Quelles politiques des âges s’affrontent et quels courants réussissent à faire valoir leurs perspectives ? Comment les transformations d’institutions centrales dans la société (effritement de lien salarial et du lien matrimonial, pluralisation de la famille, allongement des scolarités, etc.) ont affecté les définitions sociales de l’âge adulte ? Comment les rapports sociaux (de classe, de sexe, de race, etc.) impriment leur marque sur ces processus de construction sociale de l’adultéité ?

L’adultéité comme organisateur des parcours biographiques

La deuxième perspective porte le questionnement à un autre niveau : celui des logiques sociales cristallisées et saisies à l’échelle des individus. Elle envisage les différents principes de « police des âges » cette fois-ci à travers les trajectoires, parcours de vie ou biographies qu’ils produisent. L’adultéité apparaît alors comme une séquence d’un processus de vieillissement (Foner, 1974) ou d’une « entreprise de périodisation des trajectoires biographiques » (Mauger, 2010).

Il s’agit tout d’abord de s’intéresser aux contenus des « attributs sociaux de la maturité » (Chamboredon, 2015) et à leurs variations dans l’organisation sociale et dans le déroulement des biographies des individus. L’accès à un emploi, à une autonomie financière, à un logement indépendant, l’entrée dans la parentalité ou la mise en couple : ces attributs ont souvent été considérés par les sociologues de la jeunesse comme un horizon adulte de référence (ibid. ; Mauger, 2010) ; un ensemble de seuils à franchir et permettant d’entrer dans la vie adulte (Galland, 2001). À l’autre bout de l’échelle des âges, prendre sa retraite éloigne de l’âge adulte. Questionner les transformations contemporaines des normes d’adultéité permet ainsi un renouvellement des manières de penser la jeunesse et la vieillesse, âges qui encadrent et délimitent l’âge adulte. Réciproquement, les travaux sur les transformations de la jeunesse et de la vieillesse informent en creux sur celles de la condition adulte et de son accès ou de sa sortie. Ce renouvellement de perspective se fonde notamment sur deux dimensions de la maturité constitutives de ces attributs sociaux : l’autonomie, d’une part, et la responsabilité, d’autre part. La sociologie de la jeunesse comme la sociologie de la vieillesse et du vieillissement montrent en effet qu’on n’est pas encore ou plus tout à fait adulte lorsqu’on manque d’autonomie, ou lorsqu’on ne peut se voir confier certaines responsabilités (dans le travail, dans des activités associatives, ou la responsabilité d’autrui, d’individus dépendants de soi). Dans quelle mesure ces deux qualités sont-elles acquises et mises en œuvre aux différents moments de la vie d’adulte ? Quelles variations peut-on observer selon les domaines de la vie sociale ? Quels effets statutaires entraîne le manquement à ses responsabilités ? Et quelles sont les responsabilités essentielles pour être considéré comme adulte ?

Les expériences de l’âge adulte varient au fil de l’avancée en âge. Être parent de jeunes enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes engage ainsi des pratiques et des investissements différents, et des compositions diverses avec l’activité professionnelle. L’accompagnement d’un parent âgé oblige également à reconsidérer les temps, l’énergie, l’attention accordées tant à la famille de procréation qu’à l’activité professionnelle (Le Bihan-Youinou, Martin, 2006) ou à d’autres cercles ou activités constitutives de la vie sociale (loisirs, amis, associations, voisins, etc.). Symétriquement, les (dés)investissements professionnels modulent l’investissement dans le travail parental comme la participation sociale au-delà du cercle familial, dans des associations, des loisirs, des sociabilités. De quelles manières se rencontrent et s’articulent, durant l’âge adulte, les attentes dans les différents domaines de la vie sociale ? Si des dispositifs institutionnels existent, qui permettent leur articulation (par exemple, par les dispositifs de conciliation entre vie professionnelle et vie privée), comment les individus répondent-ils à ces attentes, et construisent-ils des compromis entre leurs différents rôles, dans des temporalités contemporaines marquées par l’accélération du rythme de la vie quotidienne (Rosa, 2010), par l’urgence et par une pression accrue sur le temps (Aubert, 2003) ? Comment ces articulations diverses sont-elles, d’une certaine manière, constitutives de l’âge adulte et contribuent-elles à le séquencer ? Dans quelle mesure l’âge adulte est-il renouvelé par les pratiques sociales qui le constituent ou le cristallisent ?

Des recherches conduites dans des pays anglo-saxons montrent que les marqueurs institutionnels fixant les seuils d’entrée dans l’âge adulte (quitter le foyer parental, avoir un travail stable, vivre en couple, devenir parent) n’ont pas nécessairement la même signification dans tous les milieux sociaux (Blatterer, 2007 ; Silva, 2012). Ces travaux conduisent à interroger la pertinence ou l’impertinence de l’âge adulte aujourd’hui comme temps intermédiaire institutionnalisé pour les individus. Dans une société contemporaine qui tend à valoriser le développement personnel, la quête de soi et les enjeux d’une adaptation perpétuelle aux changements sociaux, économiques, politiques et environnementaux, l’âge adulte qui incarne la figure de « l’adulte étalon » (stabilisé, responsable, autonome, mature, « achevé ») (Boutinet, 1998) constitue-t-il encore un objectif à atteindre ? Cette réflexion, déjà portée par F. de Singly (2002) mérite d’être véritablement creusée en étant attentifs aux rapports subjectifs que les personnes entretiennent à l’âge adulte, des rapports travaillés par les effets du genre, des catégories sociales, de l’orientation sexuelle, de la race, etc. Des travaux français (Bidart et Lavenu, 2006 ; Van de Velde, 2008) et australiens (Blatterer, 2007) auprès de personnes de milieux plutôt favorisés montrent, par exemple, que celles-ci ne sont pas pressées de devenir adultes et tendent à associer cet âge à des transitions définitives, un palier voire à une stabilité incarnée par leurs parents. Le moment de se sentir adulte est ainsi souvent négocié et retardé, tandis que les jeunes de milieux populaires se voient souvent propulsés dans la perception de soi en tant qu’adultes du fait des responsabilités, pour soi et pour les autres, qui leurs sont imposées (Bidart et Lavenu, 2005). Entre événements biographiques et événements de la biographie (Leclerc-Olive, 1998), l’expérience de l’avancée en âge (prise dans un sens extensif) construit les rapports subjectifs contemporains à l’adultéité. De ce point de vue, iI serait également intéressant de questionner le lien entre l’arrivée du premier enfant et le sentiment d’être ou de ne pas être adulte. Cet événement de vie est en effet souvent considéré comme l’ultime étape de l’entrée dans l’âge adulte (Galland, 1996). Mais, les discours et vécus subjectifs tendent à nuancer cette réalité : du point de vue de la trajectoire, l’arrivée du premier enfant peut être plus ou moins déterminante pour se sentir adulte en fonction des classes sociales (Geay et Humeau, 2016) mais aussi de la position occupée dans le cycle de vie. Si devenir parent signifie ne plus être la dernière génération de sa famille : est-ce pour autant l’ultime étape pour « être adulte » ? Parallèlement, que se passe-t-il lors de la perte de l’un de ses parents quand on est encore dépendant de ces derniers ou lorsque l’on assume un rôle de parent auprès de ses frères et sœurs ? Autant de situations qui ne sont plus dans « l’ordre des choses » des temps institutionnalisés et qui invitent à comprendre les expériences vécues de l’âge adulte.

Il s’agira donc d’interroger la façon dont l’âge adulte est subjectivement appréhendé par les individus : aspire-t-on à devenir adulte ? Se dit-on, se pense-t-on adulte ? Plus généralement, que représente cet âge de la vie pour les individus ? Cette perspective invite ainsi à questionner les marqueurs sociaux de l’âge adulte sous l’angle du sens et des pratiques associées à ces étapes, en lien avec les trajectoires de vie. Autrement dit, il s’agit davantage de comprendre les tensions qui s’exercent entre des temps institutionnalisés et les temps vécus, ce qui conduit à ouvrir la réflexion sur une individuation de l’âge socialement construit comme adulte : comment les étapes instituées comme « passage à/sortie de l’âge adulte » sont-elles vécues par les individus ? Lesquelles sont toujours identifiées comme des étapes significatives, et comment ces identifications varient en fonction des classes sociales et du genre ?

Des tensions peuvent ainsi apparaître entre les temps institutionnalisés (le Chronos, linéaires, irréversibles, standardisés) qui constituent toujours des référentiels et les temps vécus (le Kaïros, flexibles, réversibles, pluriels) (Bessin, 1998). Les temps vécus sont en effet orientés par les projets de vie des individus, des opportunités à saisir, des épreuves à rejouer (Martuccelli, 2006) dans la vie familiale, personnelle, professionnelle, les démarches de formation continue, etc. Autant de dimensions complexes et plurielles qui travaillent les trajectoires de vie et peuvent contribuer à « brouiller les âges » (Gaullier, 1999), c'est-à-dire rendre poreuses les frontières de l’âge adulte et à déployer au-delà de celles-ci les attributs de la maturité. De ce point de vue, il paraît intéressant de déconstruire la tension institutionnalisée entre « grandir » et « vieillir », ces deux processus traversent les âges et travaillent l’âge adulte de façon simultanée en raison de la complexification des trajectoires de vie individuelles. Il convient dès lors d’éclairer le processus d’individuation de l’âge adulte en analysant les expériences parfois successives de mises en couple/séparations/veuvages, de retours en formation et/ou de reconversions professionnelles tout au long de la vie, ou encore, les expériences de dé-re-cohabitation au fil de l’âge et bien au-delà de l’âge de la retraite. Autant d’expériences et de trajectoires qui méritent d’être étoffées pour révéler des vies adultes en mouvement, qui ne cessent de s’orienter, se re-construire ou s’inventer dans un monde de plus en plus incertain et imprévisible (Beck, 2001 ; Grossetti, 2004). Dans cette perspective, les vies adultes seraient devenues plus longues, plus complexes et soit convergeraient avec l’institutionnalisation des parcours de vie, soit se singulariseraient – faisant émerger, par le bas, de nouveaux modèles normatifs.

L’adultéité comme rapport de domination et de pouvoir

Cette troisième perspective met en son centre les questions de domination liées à l’âge. Dans cet axe, l’adultéité est envisagée en tant que position de pouvoir vis-à-vis d’autres catégories d’âge, sans évacuer l’articulation de l’âge adulte avec les autres rapports sociaux.

Une première manière de saisir les rapports de domination liés à l’âge adulte est de s'intéresser à la manière dont l’âge adulte est une période de domination sur les autres âges de la vie. Selon ce point de vue, être adulte s’appréhende par un statut et un pouvoir spécifiques à cet âge de la vie, qui s’exerce sur des individus qui n’occupent pas une position adulte. Saisir la domination adulte nécessite d’interroger différentes dimensions des rapports entre adultes et non adultes. Il ne s’agit donc de constater ce qui, dans les relations entre des adultes et des enfants, des jeunes ou des vieux, s’interprète sous la forme d’un pouvoir. On pense notamment aux questions de violences envers les enfants, dont l’inceste (Dussy, 2021 [2013]), qui ne peuvent être expliquées sans prendre en compte la dépendance socialement instituée des enfants envers les adultes, dépendance consacrée par le droit de la famille alors que celle-ci constitue le cadre privilégié des violences à l’encontre des enfants (Tal Piterbraut-Merx, 2020). Ainsi l’âge, défini à partir de la norme de l’indépendance et de l’emploi, l’est également à travers l’autorité, quand d’autres âges de la vie sont associés à l’obéissance (Perriard, 2017). Par quels processus intériorise-t-on ces hiérarchies et comment est-on socialisés à et par ces relations de pouvoir (en famille, à l’école, etc.) ? Quels processus définissent et maintiennent l’âge adulte dans une relation de pouvoir sur les autres âges de la vie ? La lecture en termes de rapports d’âge questionne également la façon dont l’âge adulte est celui de l’exploitation des autres catégories d’âge. Peut-on aisément transposer un raisonnement matérialiste aux catégories d’âge ?

Sur le plan du parcours de vie, on pourrait également penser que l’âge adulte est l’unique moment où les individus sont considérés comme capables de reconnaître et satisfaire leurs besoins. Les enfants et les personnes âgées sont en effet souvent envisagées comme ayant des besoins spécifiques qu’il faut anticiper, avant même d’avoir cherché à comprendre si les besoins que l’on anticipe sont effectivement partagés par ces personnes (Hockey et James, 1993 ; Mallon, 2017). À l’inverse, une perception spontanée de l’âge adulte l’associe à un âge auquel les individus sont mis en capacité de faire des choix. Si les questions des choix individuels et des formes de contrainte qui s’exercent sur les parcours des individus font l’objet de réflexions nourries en sociologie, en psychiatrie ou en droit pour les mineur.e.s, les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap physique ou mental (Chastenet et Flahault, 2010 ; Dupont et Rey-Salmon, 2014 ; Eyraud et Moreau, 2014 ; Laroque, 2009 ; Lhuillier, 2015 ; Zielinski, 2009), il nous semble que cette dimension est beaucoup moins explorée concernant les adultes en bonne santé. Les parcours de vie montrent-ils que les individus ont effectivement été plus particulièrement mis en capacité de faire des choix lorsqu’ils étaient adultes plutôt qu’enfant, jeune ou vieux ?

Une deuxième façon d’interroger l’âge adulte sous l’angle de la domination est d’interroger comment certaines catégories de la population n’ont jamais accès à une adultéité pleine et entière. Étudier les marges permettrait ainsi de renseigner sur l’âge adulte en tant que norme générale, qui reste sinon insaisissable. La jeunesse et la vieillesse forment des groupes minoritaires du point de vue des rapports d'âge, c'est-à-dire des personnes ne correspondant pas à la norme de l'adulte indépendant (Hockey et James, 1993 ; Priestley, 2000). Selon Colette Guillaumin (1985), les groupes minoritaires se caractérisent par les stéréotypes qu'on leur attribue, toujours très précis (on se représente aisément « les jeunes » ou « les vieux »), alors que le groupe majoritaire incarne l'universel et demeure difficile à cerner ou à décrire (Guillaumin, 1985).

Les conceptions de la jeunesse, par leur référence à certains attributs sociaux, dessinent en creux des modèles d’adultéité au « champ de validité sociale » restreint en raison des exceptions qu’ils admettent : les femmes soustraites du marché du travail par le mariage (Mauger, 2010) ou les enfants en bas âge (Perriard, 2017), les individus écartés durablement du marché du travail du fait de l’effritement de la condition salariale (Castel, 1997), les formes de ménages qui ne s’écartent de l’hétéronormativité et/ou de la parentalité, etc. Ainsi, un certain nombre de situations restent en marge des définitions modales et les plus légitimes de la condition adulte. Les recherches sur le handicap ou les différents régimes de tutelle éclairent le processus de différenciation des individus qui opère au moment de la confrontation aux institutions du travail et de la famille. R. Bodin note, par exemple, que les handicaps moteurs et psychiques connaissent des pics de déclaration aux tranches d’âge respectives de l’entrée sur le marché du travail et de la mise en couple (2018). Les critères et pratiques professionnelles qui président au tri de ces situations renseignent sur les frontières d’une adultéité pleine et entière. Les traitements institutionnels réservés aux individus qui en sont écartés dessinent alors des conditions adultes de seconde zone puisque ces traitements reposent sur une minoration de leurs droits et de leur participation à la vie sociale. Pour mieux saisir les rapports d'âge (en tant que rapport de domination), il faudrait comprendre ce que représente la norme de l'adultéité et s’il existe une seule ou plusieurs normes de référence.

Modalités de contribution

Les propositions de communication ne devront pas excéder 5000 signes espaces compris, hors bibliographie. Elles devront s’appuyer sur un travail de recherche empirique et préciser leur méthodologie.

Elles sont à adresser à ces deux adresses : veronika.kushtanina[at]univ-fcomte.fr et aden.gaide[at]gmail.com

le 20 juin 2022 au plus tard.

Les auteurs et autrices seront averti·es de la sélection de leur proposition au 15 juillet 2022.

Comité scientifique

  • Yaëlle Amsellem-Mainguy (INJEP, CERLIS),
  • Alice Chamahian (Université de Lille, CERIES),
  • Aden Gaide (SciencesPo, OSC),
  • Veronika Kushtanina (Université de Franche-Comté, LASA),
  • Patrica Loncle (EHESP, ARENES),
  • Isabelle Mallon (Université Lyon 2, Centre Max Weber),
  • Guillaume Teillet (Université de Poitiers, GRESCO),
  • Arthur Vuattoux (Université Sorbonne Paris Nord, IRIS).

Cet évènement bénéficie notamment du soutien de l'Association française de sociologie et de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS - EHESS, USPN, CNRS UMR 8156, Inserm U997).

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Lieux

  • Maison des sciences de l'homme et de l'environnement, rue Charles Nodier
    Besançon, France (25)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • lundi 20 juin 2022

Mots-clés

  • âge adulte, adultéité, passage, jeunesse, vieillesse

Contacts

  • Veronika Kushtanina
    courriel : veronika [dot] kushtanina [at] univ-fcomte [dot] fr
  • Aden Gaide
    courriel : aden [dot] gaide [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Arthur Vuattoux
    courriel : vuattoux [at] univ-paris13 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« L’adultéité en question », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 09 mai 2022, https://doi.org/10.58079/18tl

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