Les transformations mineures ou majeures des espaces urbanisés ponctuent l’histoire des villes et marquent les expériences de leurs habitants. Elles peuvent résulter de politiques publiques d’envergure, modestes ou de processus plus complexes. Une littérature abondante s’est intéressée à la réception de ces bouleversements, d’un point de vue majoritairement centré sur les adultes. Néanmoins, les enfants, les adolescents ou les jeunes sont tout autant concernés par les mécanismes d’inclusion ou d’exclusion urbaine et sociale qui se jouent à ces occasions et sont sensibles aux possibles effets de ceux-ci sur la pente de la trajectoire résidentielle familiale. Ce dossier se propose d’explorer ces questions en accordant une attention particulière aux effets d’âge : les évolutions de l’environnement urbain travaillent-elles de la même manière enfants, adolescents et jeunes adultes ? Les contributions proposées pourront s’intéresser à l’une ou l’autre de ces catégories, ou les regarder de manière croisée.

Coordination

• Grégory Busquet,
• Jeanne Demoulin,
• Claudette Lafaye,
• Thomas Sauvadet

Argumentaire

Les transformations mineures ou majeures des espaces urbanisés ponctuent l’histoire des villes et marquent les expériences de leurs habitants. Elles peuvent résulter de politiques publiques d’envergure (rénovation ou renouvellement urbain, démolitions, revitalisation des centres des villes moyennes comme des centres-bourgs), modestes (requalification, aménagement, résidentialisation, réhabilitation…) ou de processus plus complexes (gentrification par l’initiative privée ou combinant cette dernière et action publique par exemple). Une littérature abondante s’est intéressée à la réception de ces bouleversements, d’un point de vue majoritairement centré sur les adultes. En effet, des enquêtes sur les enfants, les adolescents ou les jeunes ont été conduites autour de leurs « espaces du quotidien » (Ward, 1978 ; Danic, David et Depeau, 2010 ; Rivière, 2021 ; Tonnelat et Kornblum, 2017), de leurs pratiques urbaines et de leurs « marquages » des espaces (Danic, 2016 ; Clerval, 2011), mais la plupart du temps indépendamment des contextes de changement urbain. Néanmoins, ils sont tout autant concernés que les adultes par les mécanismes d’inclusion ou d’exclusion urbaine et sociale qui se jouent à ces occasions et sont sensibles aux possibles effets de ceux-ci sur la pente de la trajectoire résidentielle familiale. Ce dossier se propose d’explorer ces questions en accordant une attention particulière aux effets d’âge : les évolutions de l’environnement urbain travaillent-elles de la même manière enfants, adolescents et jeunes adultes ? Les contributions proposées pourront s’intéresser à l’une ou l’autre de ces catégories, ou les regarder de manière croisée. Elles pourront décliner cette interrogation à travers l’une ou plusieurs des orientations suivantes.

1) La socialisation dans et par la ville des enfants, des adolescents et des jeunes adultes

Comment la socialisation, dont on peut considérer qu’elle est l’une des caractéristiques centrales du temps d’expérimentation de la jeunesse (Valentine et Holloway, 2000 ; Cahill, 2000), se trouve-t-elle affectée par le processus de transformation urbaine ? Dans quelle mesure la réhabilitation des espaces publics, dans une perspective sécuritaire ou dans le cadre de grands événements (Ortiz-Guitard, Prats Ferret et Baylini Ferré, 2014 ; Kennelly et Watt, 2012), et la mise à disposition de nouveaux équipements notamment dans les quartiers populaires, contribuent-elles à étendre et diversifier les espaces fréquentés ? On pourra, dans cette perspective, s’intéresser aux pratiques associées aux espaces qui se reconfigurent. Celles-ci disparaissent-elles ou se reconstruisent-elles ailleurs, autrement ou à l’identique ? Sont-elles remplacées par de nouvelles pratiques ?

2) La « fabrication sociale » des jeunes (Bordiec, 2018) à travers les processus de classements sociospatiaux

 Les articles proposés pourront aborder la manière dont les transformations urbaines agissent sur le cheminement des enfants, des adolescents et des jeunes adultes pour qu’ils trouvent leur place dans la ville et dans la société (DeHanas, 2016). Comment grandissent-ils et se forgent-ils par rapport à ces transformations : à côté ou contre elles ? Comment, par exemple, réagissent les gangs des ghettos ou les bandes juvéniles des quartiers pauvres devant les transformations d’un territoire dont ils revendiquent le contrôle et la propriété (Sanchez-Jankowski, 1991 ; Sauvadet, 2006) ?

3) La réception des transformations urbaines

Sentiment de dépossession (Watt, 2013), de perte (Cahill, 2007 ; Valli, 2016), d’injustice, manifestations de colère ou de révolte (Liatard et Trouilh, 2020), ressentis stigmatiques (Vinet, Cadel et Beal, 2017), résignation, mais aussi indifférence, curiosité et bien sûr adhésion dès lors que les changements urbains ouvrent de nouvelles perspectives ou étendent le territoire investi (Ortiz-Guitard, Prats Ferret et Baylini Ferré, 2014)… La gamme des réactions aux mutations de son environnement urbain est un vaste nuancier qui demande à être précisé et clarifié. Dans quelle mesure n’observe-t-on pas aussi des formes d’ambivalence ? C’est ainsi que pour des adolescents qui découvrent la rénovation urbaine, la gentrification ou la revitalisation de leur quartier, l’aspiration à un cadre de vie rénové se heurte à la déconsidération d’un passé et d’un présent (Gaudin, 2007), à la nostalgie des lieux emblématiques de l’enfance et à la perte des repères avec lesquels ils ont grandi (Aufseeser, 2018), ou encore à l’exclusion par les prix pratiqués (Butcher et Dickens, 2016). L’analyse des ressorts et de la complexité de ces réactions sera tout particulièrement attentive aux effets de la classe d’âge, mais aussi à ceux de l’ancrage dans le lieu de vie, ainsi qu’aux parcours résidentiels et sociaux de la famille ou encore aux perspectives de mobilité.

4) Transformations urbaines et inégalités

La dimension inégalitaire des questions ici soulevées pourra faire l’objet de propositions. Dans quelle mesure les changements physiques et sociaux du cadre de vie produisent-ils des effets qui sont reçus et vécus de manière différenciée selon les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, en fonction par exemple de leur milieu social (Authier et Lehman-Frisch, 2012) ou du type de quartier qu’ils habitent, mais aussi en fonction du type d’évolution à l’œuvre (Bacqué et Demoulin, 2021) ?

Si les quartiers populaires sont bien évidemment davantage soumis à des mutations d’ampleur en raison des politiques de « modernisation » successives qui s’y déploient, les articles pourront s’intéresser à d’autres types d’espaces (densification de quartiers pavillonnaires, embellissement, végétalisation, piétonnisation d’espaces publics, revitalisation de centre-ville). Afin de prendre en compte la multiplicité des regards, ils pourront partir du discours d’enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes, ou regarder les changements en cours et leurs effets sur les jeunes depuis « le monde des adultes » (les parents, les acteurs des politiques urbaines…). Les articles attendus peuvent porter sur divers contextes urbains, dans différents pays du Nord et du Sud, des transformations urbaines en apparence les plus insignifiantes (l’installation d’un banc ou d’une aire de jeux par exemple) aux plus spectaculaires, visibles et souvent brutales (comme les démolitions et reconstructions menées notamment dans le cadre des programmes de rénovation urbaine, ou des grands projets d’aménagements liés à des événements internationaux, tels les Jeux olympiques).

Les propositions d’articles s’appuieront sur des enquêtes de terrain. Les dimensions méthodologiques et éthiques devront faire l’objet d’une attention particulière, notamment lorsque l’enquête empirique aura été conduite auprès de mineurs. Seront privilégiées les contributions se montrant attentives aux effets d’âge, mais aussi de genre, de classe, ou encore de race. 

Modalités de contribution

Envoi des articles au plus tard le 14 novembre 2022

Adresse pour la correspondance

Exclusivement en version électronique par courriel aux quatre adresses suivantes.

• gbusquet@parisnanterre.fr
• demoulin.j@parisnanterre.fr  
• clafaye@univ-paris8.fr
• Thomas.sauvadet@u-pec.fr

Les auteur.e.s qui s’interrogent sur la pertinence de leurs propositions peuvent contacter les responsables du dossier. 

Attention, la revue n’accepte pas de propositions d’articles mais des articles complets. 

Les articles ne dépassent pas 45 000 signes (espaces compris) en incluant : texte, notes, références bibliographiques, annexes mais hors résumés et mots clés. 

Les normes de présentation et les conseils aux auteur.e.s sont disponibles sur le site de la revue.

Bibliographie

Aufseeser Dena, 2018, « Challenging conceptions of young people as urban blight: Street children and youth’s ambiguous relationship with urban revitalization in Lima, Peru »,Environment and planning A: economy and space, vol. 2, n^o 50, p. 310-326.

Authier Jean-Yves, Lehman-Frisch Sonia, 2012, « Il était une fois… des enfants dans des quartiers gentrifiés à Paris et à San Francisco », Actes de la recherche en sciences sociales, n^o 195, p. 58-73.

Bacqué Marie-Hélène, Demoulin Jeanne, 2021, Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots, Caen, C&F Éditions.

Bordiec Sylvain, 2018, La fabrique sociale des jeunes. Socialisations et institutions, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.

Butcher Melissa, Dickens Luke, 2016, « Spatial Dislocation and Affective Displacement: Youth Perspectives on Gentrification in London », International journal of urban and regional research, vol. 40, n^o 4, p. 800‑816.

Cahill Caitlin, 2000, « Street Literacy: Urban teenager’s strategies for negotiating their neighbourhood », Journal of youth studies, vol. 3, p. 251-277.

— 2007, « Negotiating Grit and Glamour: Young Women of Color and the Gentrification of the Lower East Side », City and society, vol. 19, n^o 2, p. 202-231, [DOI: https://doi.org/10.1525/CITY.2007.19.2.202].

Clerval Anne, 2011, « L’occupation populaire de la rue : un frein à la gentrification ? L’exemple de Paris intra-muros », Espaces & sociétés, vol. 144-145, n^o 1-2, p. 55-71.

Danic Isabelle, 2016, « Les places des adolescent-e-s en zone urbaine sensible, entre attribution, appropriation et retrait », Les annales de la recherche urbaine, vol. 111, n^o 1, p. 78-89, [DOI : https://doi.org/10.3406/aru.2016.3225].

Danic Isabelle, David Olivier, Depeau Sandrine, 2010, Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, Rennes, PUR.

DeHanas Daniel Nilsson, 2016, London Youth, Religion, and Politics: Engagement and Activism from Brixton to Brick Lane, Oxford, Oxford University Press.

Gaudin Solène, 2007, « Murs après murs : les jeunes face aux politiques de rénovation urbaine » [en ligne], Sociétés et jeunesses en difficulté, n^o 4, [URL : https://journals.openedition.org/sejed/823].

Kennelly Jacqueline, Watt Paul, 2012, « Seeing Olympic effects through the eyes of marginally housed youth: changing places and the gentrification of East London », Visual studies, vol. 27, n^o 2, p. 151-160.

Liatard Fanny, TROUILH Jérémy, 2020, Gagarine.

Ortiz Guitard Anna, Prats Ferret Maria, Baylini Ferré Mireia, 2014, « How teens appropriate public space: another view of urban renewal in Barcelona », Boletín de la asociación de geógrafos españoles, n^o 6, [URL : https://www.bage.age-geografia.es/ojs/index.php/bage/article/download/1760/1676/1744].

Riviere Clément, 2021, Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan, Presses universitaires de Lyon.

Sanchez-Jankowski Martin, 1991, Islands in the Street: Gangs and Urban American Society, Berkeley, University of California Press.

Sauvadet Thomas, 2006, Le capital guerrier : concurrence et solidarité entre jeunes de cité, Paris, Armand Colin.

Tonnelat Stéphane, Kornblum William, 2017, International Express. New Yorkers on the 7 Train, New York, Columbia University Press.

Valentine Gill, Holloway Sarah L., 2000, Children’s Geographies: Playing, Living, Learning, Londres, New York, Routledge.

Valli Chiara, 2016, « A sense of displacement. Long-time Residents’ Feelings of Displacement in Gentrifying Bushwick, New York », International journal of urban and regional research, vol. 39, n^o 6, p. 1191-1208.

Vinet Élise, Cadel Cynthia, Beal Arnaud, 2017, « Ressentis stigmatiques et résistances de certains jeunes hommes “indésirables” ». Les annales de la recherche urbaine, n^o 112, p. 60-71, [DOI : https://doi.org/10.3406/aru.2017.3240].

Ward Colin, 1978, Child in the city. New York, Pantheon book.

Watt Paul, 2013, « “It’s not for us”: regeneration, the 2012 Olympics and the gentrification of East London », City, vol. 17, n^o 1, p. 99-118.