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Appropriation culturelle et créolisation. Des usages politiques de la culture
Numéro spécial des Cahiers de l’unité de recherches Migrations et société (URMIS) Appartenances et altérités
Published on Wednesday, May 25, 2022
Abstract
L’objectif de ce numéro est de proposer une réflexion sur les usages politiques de la culture en mettant en perspective les notions d’appropriation culturelle et de créolisation. Il s’agira d’examiner les conceptions différentes de la culture et de l’identité qu’engagent ces deux notions, apparues dans des contextes sociaux affectés par une forte hiérarchie raciale. Les études de cas attendues porteront sur : les contextes dans lesquels ces deux notions ont trouvé leur pertinence sociale, les significations dont elles sont porteuses et les rapports de pouvoir dans lesquels s’inscrivent leurs usages politiques et sociaux ; leurs effets sur les relations inter-groupes et la nature des frontières qu’elles tendent à renforcer ou atténuer ; les productions culturelles (cuisine, coiffures, parures, musique et danse, arts, croyances religieuses) privilégiées pour soutenir les discours de l’appropriation culturelle et de la créolisation.
The objective of this issue is to propose a reflection on the political uses of culture by putting into perspective the notions of cultural appropriation and creolization. It will examine the different conceptions of culture and identity that these two notions, which have emerged in social contexts affected by a strong racial hierarchy, entail. The expected case studies will focus on: the contexts in which these two notions have found their social relevance, the meanings they carry and the power relations in which their political and social uses are inscribed; their effects on inter-group relations and the nature of the boundaries they tend to reinforce or attenuate; the cultural productions (cuisine, hairstyles, ornaments, music and dance, arts, religious beliefs) privileged to support the discourses of cultural appropriation and creolization.
Announcement
Coordination du dossier
- Jean-Luc Bonniol, CNRS
- Ary Gordien, université Paris Diderot
- Jocelyne Streiff-Fénart, université de Nice
Argumentaire
À paraître dans Cahiers de l’URMIS Appartenances & Altérités, n° 23, juin 2023
Dans le mouvement général de politisation des identités la notion d’appropriation culturelle est montée en puissance dans le débat public. L’objectif de ce numéro est de prendre du recul par rapport aux controverses en cours en commençant par rappeler que l’idée de l’appropriation culturelle n’est pas propre au discours contemporain. N’est-elle pas contenue de façon explicite ou implicite dans tous les termes (acculturation, assimilation, syncrétisme, transculturation, métissage) qui jalonnent le champ des rencontres et des interpénétrations de cultures ?
L’essentiel du dossier portera toutefois sur l’usage actuel de l’expression et sur le nouveau registre accusatoire dans lequel elle s’inscrit. Dans cette perspective, nous n’appréhendons pas l’appropriation comme une simple modalité de l’emprunt culturel, mais comme un acte de qualification de certains emprunts en tant que vols, spoliations, usurpations, dans un contexte d’échange culturel inégal. Il s’agira de préciser les enjeux sociaux, politiques, économiques de ce discours catégorisant : en quoi met-il en question les visions de l’histoire que les groupes dominants tentent de faire prévaloir et met-il en avant d’autres visions fondées sur les inégalités entre groupes racialisés ? Car si la revendication se développe dans le registre culturel, elle est mêlée intimement à une dénonciation de la domination raciale. Une autre question à explorer porte sur la façon dont se combinent dans la dénonciation de l’appropriation culturelle plusieurs types de griefs: l’offense symbolique que représente le détournement de sens d’un objet patrimonial ou sacré en objet de consommation culturelle ; la minorisation politique que représente, en particulier dans le domaine artistique, l’usurpation de la parole ou de la représentation du corps des minorités par des acteurs du premier monde ; la captation de valeur que représente la marchandisation d’items matériels ou immatériels sans bénéfice économique pour les populations auxquelles on les emprunte.
On reproche souvent au discours de l’appropriation culturelle, dans sa dimension accusatoire, d’être essentialiste, d’enfermer les expressions culturelles, tout en les fixant, dans l’enclos d’un groupe, d’un « nous » séparé des autres et titulaire d’un droit de propriété, d’être souvent exprimé en terme de « race », renouvelant l’idée d’un lien primordial entre race et culture.
L’appropriation culturelle, comme outil conceptuel mobilisé dans une perspective résolument militante, et les controverses qu’elle suscite, posent donc des questions fondamentales : une culture peut-elle avoir un propriétaire ? Peut-elle être considérée comme le bien exclusif d’un groupe, dès lors défini en terme d’identité ? Qui contrôle son utilisation ? Qui peut s’arroger le pouvoir de déterminer comment une forme culturelle particulière peut être utilisée, et par qui ?
Il nous a semblé heuristique de mettre en perspective la notion d’« appropriation culturelle » avec celle de « créolisation » qui engage une conception différente de la culture et de l'identité : dans ce modèle créole, alors même qu’on est en présence de sociétés affectées par une forte hiérarchie raciale, les traits culturels sont amenés à vivre d’une vie propre, se détachant des groupes originels qui les portaient au départ. Sont également présents, dans un tel contexte, des processus d’appropriation, mais ceux-ci sont orientés fort différemment, non plus dans le cadre d’une « prédation » du « haut » exercée vers le « bas », mais dans le cadre de jeux complexes de transformations et d’équivalences.
En tant que modèle de relations culturelles dans des contextes pluriels, la notion de créolisation a pu elle aussi être revendiquée dans une posture militante ou un affichage politique : comme une alternative à la division ethnique, au nationalisme et au « négrisme » séparatiste dans le contexte antillais, ou plus récemment dans le contexte politique français comme une alternative à l’assimilation, d’inspiration jacobine, à la culture dominante, vecteur d’uniformisation. Elle peut donc servir de contrepoint à la logique accusatoire de l’appropriation culturelle tout en suscitant de nouvelles questions. On s’interrogera notamment sur la validité que la notion de créolisation peut trouver dans diverses sociétés plurielles contemporaines. Les rencontres culturelles nées des mouvements migratoires peuvent-elles être à leur tour conçues comme des lieux où peuvent se façonner des inter-systèmes culturels, à savoir des zones d’osmose ou de chevauchement où s’assemblent des traits issus de diverses origines ? Dans quelle mesure le pouvoir (re)combinatoire des cultures peut-il s’exercer en dépit de la persistance, voire du durcissement, des marquages identitaires fondés sur l’origine qu’on peut observer dans nombre de sociétés contemporaines ? Comment penser l’entremêlement des pratiques et des représentations lorsque se reproduisent ségrégation et inégalité sociales et raciales ?
En mettant en perspective ces deux notions, l’objectif est de mettre au jour ce qu’elles disent de notre époque, mais aussi ce qu’elles occultent ou ne permettent pas de penser, et pourquoi.
Les contributions attendues se distribueront selon trois axes :
- On s’intéressera tout d’abord aux contextes dans lesquels ces deux notions ont trouvé leur pertinence sociale, les significations dont elles sont porteuses et les rapports de pouvoir dans lesquels s'inscrivent leurs usages politiques et sociaux. En abordant l’appropriation culturelle et la créolisation comme des discours dont on peut retracer la généalogie, il s’agira d’identifier les moments où ces dénominations sont apparues et les modalités de leur diffusion nationale et transnationale dans différentes arènes. Par quels cheminements des emprunts en sont-ils venus à être stigmatisés comme des appropriations ou valorisés comme une créolisation ? Quels acteurs sociaux sont à l’origine de ces interprétations ? Dans quelle mesure font-elles débat ? Sont-elles diffusées au-delà des cercles du militantisme antiraciste, des élites intellectuelles et du monde médiatique ?
- On s’intéressera ensuite aux contours des catégories sociales concernées par ces discours, à la nature des frontières établies avec d’autres catégories, à leurs implications sur l’identité et les relations inter-groupes. Considérant l’appropriation culturelle, on se demandera sur quelles bases (ethnique, religieuse, nationale, politique) se définissent les groupes porteurs de ce discours. Comment les dénonciations de l’appropriation culturelle prennent-elles en compte les inégalités de classe et de genre ? Dans le cas de la créolisation, comment le phénomène culturel de la créolisation s’articule t-il avec les rapports dissymétriques entre les groupes sociaux ? Qu’en est-il des situations où elle s’effectue sous un mode « bâtard », comme le décrivait Édouard Glissant ? Dans ces cas, dominants et dominés partagent des pratiques culturelles qui se créolisent sans que l’égalité en valeur des différents apports soit reconnue.
- L’attention portera enfin sur les items culturels privilégiés pour soutenir les discours de l’appropriation culturelle et de la créolisation. Dans le cas de l’appropriation culturelle, ils ont la particularité de relever souvent de la monstration et de la performance, voire de certaines techniques du corps jouant un rôle important dans la présentation sociale de soi. Dans la plupart des cas (dreadlocks, tresses africaines, coiffures indiennes), leur force symbolique fonctionne comme un rappel d’une oppression ou sa contestation. A travers des études de cas on s’attachera à retracer la trajectoire de tel élément culturel, depuis sa signification endogène (religieuse, sacrée, artistique) dans l’histoire locale jusqu’à sa circulation dans un espace mondialisé. Avec quelle profondeur historique a-t-il été investi du pouvoir de signifier une identité de groupe ? Comment en étendant le cercle de ses « propriétaires » au-delà de la collectivité d’origine, un objet culturel traditionnel s’est-il chargé de nouvelles significations (celle par exemple d’évoquer des souffrances et des luttes, d’être un emblème de résistance à l’oppression raciale, à la domination coloniale… ) ? Une attention pourra être portée aux contre-exemples que représentent les objets culturels associés à une catégorie d’appartenance dont l’adoption par des non-membres n’a pas débouché sur une accusation d’appropriation.
S’agissant de la créolisation, il s’agira à partir d’études de cas de voir comment l’idée s’est répandue dans différentes parties du monde (Amériques, Caraïbes, Océan Indien, Europe…) et comment l’usage du terme s’est étendu au-delà du domaine linguistique pour désigner l’émergence de pratiques créatives, de productions culturelles inédites, d’esthétiques originales (cuisine, musiques et danses, croyances religieuses) emblématiques de rencontres interculturelles désethnicisées.
Modalités de soumission
Les propositions (Titre et résumé) sont à envoyer aux coordinateurs du numéro
- Jean-Luc Bonniol jldbonniol@gmail.com
- Ary Gordien Ary.Gordien@univ-paris-diderot.fr
- Jocelyne Streiff-Fénart streiff@unice.fr
avant le 31 octobre 2022.
Convenors
- Jean-Luc Bonniol, CNRS
- Ary Gordien, université Paris Diderot
- Jocelyne Streiff-Fénart, université de Nice
Argument
To be published in Cahiers de l’URMIS Appartenances & Altérités, n° 23, juin 2023
In the general movement of politicization of identities, the notion of cultural appropriation has gained prominence in public debate. The aim of this issue is to take a step back from the current controversies by starting with a reminder that the idea of cultural appropriation is not unique to contemporary discourse. Is it not contained explicitly or implicitly in all the terms (acculturation, assimilation, syncretism, transculturation, métissage) that mark the field of cultural encounters?
However, the main part of the dossier will focus on the current use of the expression and on the new accusatory register in which it is used. In this perspective, we do not apprehend appropriation as a simple modality of cultural borrowing, but as an act of qualification of certain borrowings as thefts, spoliation, usurpations, in a context of unequal cultural exchange. It will be a question of specifying the social, political and economic stakes of this categorizing discourse: How does it challenge the visions of history that dominant groups try to uphold, and put forward alternative visions based on inequalities between racialized groups?? For if the claim develops in the cultural register, it is intimately mixed with a denunciation of the racial domination. Another question to be explored concerns the way in which several types of grievances are combined in the denunciation of cultural appropriation: the symbolic offence represented by the detour of the meaning of a heritage or sacred object into an object of cultural consumption; the political minorization represented, in particular in the artistic domain, by the usurpation of the word or the representation of the body of minorities by first-world actors; the capture of value represented by the merchandising of tangible or intangible items with no economic benefit for the populations from which they are borrowed.
The discourse of cultural appropriation is often criticized for being essentialist, for enclosing cultural expressions, while fixing them, in the enclosure of a group, of a "us" separated from the others and holder of a property right, for being often expressed in terms of "race", renewing the idea of a primordial link between race and culture. Cultural appropriation, as a conceptual tool mobilized in a resolutely militant perspective, and the controversies it raises, thus raise fundamental questions: can a culture have an owner? Can it be considered as the exclusive property of a group, thus defined in terms of identity? Who controls its use? Who can arrogate to themselves the power to determine how a particular cultural form can be used, and by whom?
It seemed to us heuristic to put into perspective the notion of "cultural appropriation" with that of "creolization" which involves a different conception of culture and identity : In this Creole model, even though we are in the presence of societies affected by a strong racial hierarchy, the cultural traits are brought to live with a life of their own, detaching themselves from the original groups that originally carried them. In such a context, processes of appropriation are also present, but they are oriented very differently, no longer within the framework of a "predation" from the "top" exercised towards the "bottom", but within the framework of complex games of transformations and equivalences.
As a model of cultural relations in plural contexts, the notion of creolization could also be claimed in a militant posture or a political display: as an alternative to ethnic division, nationalism and separatist “negrism” in the West Indian context, or more recently in the French political context as an alternative to assimilation, of Jacobin inspiration, to the dominant culture, a vector of standardization. It can therefore serve as a counterpoint to the accusatory logic of cultural appropriation while raising new questions. We will question the validity that the notion of creolization can find in various contemporary plural societies. Can cultural encounters resulting from migratory movements be conceived in turn as places where cultural inter-systems can be shaped, i.e. zones of osmosis or overlap where traits from different origins come together? To what extent can the (re)combinatory power of cultures be exercised despite the persistence, or even the hardening, of identity markings based on origin that can be observed in many contemporary societies? How can we think about the intermingling of practices and representations when social and racial segregation and inequality are reproduced?
By putting these two notions into perspective, the objective is to bring to light what they say about our time, but also what they hide or do not allow to think, and why.
We will first look at the contexts in which these two notions have found their social relevance, the meanings they carry and the power relations in which their political and social uses are embedded. By approaching cultural appropriation and creolization as discourses whose genealogy can be traced, the aim is to identify the moments in which these terms appeared and the ways in which they were disseminated nationally and transnationally in different arenas. How did borrowings come to be stigmatized as appropriations or valorized as creolization? Which social actors are at the origin of these interpretations? To what extent are they debated? Are they disseminated beyond the circles of anti-racist activism, intellectual elites and the media?
We will then look at the contours of the social categories concerned by these discourses, the nature of the boundaries established with other categories, and their implications for identity and inter-group relations. Considering cultural appropriation, we will ask ourselves on what basis (ethnic, religious, national, political) the groups carrying this discourse define themselves. How do denunciations of cultural appropriation take into account class and gender inequalities? In the case of creolization, how does the cultural phenomenon of creolization relate to the asymmetrical relations between social groups? What about situations where it takes place in a "bastard" mode, as described by Édouard Glissant? In these cases, the dominant and the dominated share cultural practices that are creolized without the equal value of the different contributions being recognized.
Finally, attention will be paid to the cultural items privileged to support the discourses of cultural appropriation and creolization.
In the case of cultural appropriation, they have the peculiarity of often pertaining to display and performance, and even to certain body techniques that play an important role in the social presentation of the self. In most cases (dreadlocks, African braids, Indian hairstyles), their symbolic force functions as a reminder of an oppression or its contestation. Through case studies, we will trace the trajectory of a given cultural element, from its endogenous meaning (religious, sacred, artistic) in local history to its circulation in a globalized space. With what historical depth has it been invested with the power to signify a group identity? How, by extending the circle of its "owners" beyond the community of origin, has a traditional cultural object taken on new meanings (for example, that of evoking suffering and struggles, of being an emblem of resistance to racial oppression, to colonial domination...)? Attention may be given to counter-examples of cultural objects associated with a category of belonging whose adoption by non-members has not led to an accusation of appropriation.
With regard to creolization, the aim is to use case studies to see how the idea has spread to different parts of the world (the Americas, the Caribbean, the Indian Ocean, Europe, etc.) and how the use of the term has extended beyond the linguistic domain to designate the emergence of creative practices, new cultural productions, and original aesthetics (cuisine, music and dance, religious beliefs) emblematic of de-ethnicized intercultural encounters.
Submission guidelines
Proposals (title and abstract) should be sent to the coordinators of the issue
- Jean-Luc Bonniol jldbonniol@gmail.com
- Ary Gordien Ary.Gordien@univ-paris-diderot.fr
- Jocelyne Streiff-Fénart streiff@unice.fr
before October 31, 2022.
Subjects
- Sociology (Main category)
Date(s)
- Monday, October 31, 2022
Keywords
- appropriation culturelle, créolisation
Contact(s)
- Jean-Luc Bonniol
courriel : jldbonniol [at] gmail [dot] com - Jocelyne Streiff Fénart
courriel : streiff [at] unice [dot] fr
Information source
- Jocelyne Streiff Fénart
courriel : streiff [at] unice [dot] fr
License
This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.
To cite this announcement
« Appropriation culturelle et créolisation. Des usages politiques de la culture », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, May 25, 2022, https://doi.org/10.58079/18yb